Chapitre 1

Triumph Medical Supply Services, 1101 Pennsylvania Avenue, mardi, 16:00

Son pouce traçait de minuscules cercles sur la veine au creux de son poignet. Juste pour sentir son pouls. L'infirmière lui avait dit qu'elle pouvait sentir les contacts, entendre les voix. Que ça l'aiderait à revenir. Mais parler n'était pas son fort. Il ne bougea pas quand la porte s'ouvrit dans son dos.

- Vous devez vous reposer.

- Ce n'est qu'une égratignure.

- Vous êtes sous le choc.

- Vraiment ?

Il se détourna un instant de la forme menue reposant sur le lit. Son regard était sans expression, juste terriblement froid. Non, cet homme n'avait pas l'air choqué, le Docteur Stevens devait en convenir. Seulement très tendu, bien que son contrôle physique et émotionnel soit total.

Plus tôt, le médecin lui avait déjà ordonné le repos. Quand elle était entrée dans la chambre de sa patiente, au petit matin, elle l'avait surpris exécutant des tractions, grimaçant à peine sous la douleur.

- Que croyez-vous donc faire ?

Sans un mot, il avait continué. Les muscles roulaient sous l'effort. C'est à peine s'il transpirait. C'était comme d'observer une machine, bien huilée, indifférente à ce qui l'entourait. Perturbant. Parce qu'en tant que médecin, elle savait que ça faisait certainement très mal.

- Agent Gibbs ?

Elle avait posé une main ferme sur son bras. Il s'était immobilisé, son regard gris acier posé sur ses doigts. Elle était urgentiste. Peu de choses lui faisaient peur, mais elle avait frissonné.

- Je peux tirer de la main gauche, mais je préfère être totalement opérationnel, Docteur.

- Et vous croyez que cette gymnastique va améliorer vos performances.

- Non, je ne le crois pas. Je le sais.

- Vous êtes spécialisé en microchirurgie musculaire ?

- Je suis spécialisé en blessures dans l'épaule, docteur. Celle-là m'a juste caressé.

Un faible gémissement avait interrompu leur échange acide.

- Comment va-t-elle ?

- La blessure à la cuisse n'est pas grave. Mais le coup sur la tête a été assez violent. C'est un coma léger. Elle va se réveiller d'elle-même. Il n'y a rien que nous puissions faire pour l'instant, juste la surveiller.

Et maintenant le Docteur Stevens répondait de nouveau à l'Agent Gibbs.

- Est-elle en état d'être transportée à Bethesda ?

- Si vous croyez qu'elle sera mieux...

- Docteur ! Nous sommes des agents fédéraux. Le Directeur du NCIS a été attaquée, peut-être par un terroriste. Cet hôpital n'est pas assez sûr. Dans quel état est son agresseur ?

- Il s'est réveillé, il y a une demi-heure, c'est ce que j'étais venue vous dire.

- On l'emmène aussi.

- Je ne vais pas vous laisser faire ça, Agent Gibbs. Son état...

- Je ne l'ai pas abîmé à ce point-là, Docteur.

- Sa blessure est très sérieuse. Son épaule a été littéralement arrachée. Il ne pourra plus jamais s'en servir.

- Mais ça ne le tuera pas.

- Cette personne a besoin de soins spécifiques. Qu'allez-vous...

- Ce n'est pas une personne. Il a beaucoup de chance d'être encore en vie. Mais rassurez-vous, Docteur, je prendrai bien soin de lui et il ne mourra pas.

Elle se retourna avant de franchir la porte. Ses longs doigts nerveux caressaientl'intérieur du poignet mince de Jenny Shepard. Ses traits étaient figés, sa voix à peine un murmure.

- Pas tant qu'il aura quelque chose à me dire, Jen.

Hôpital militaire de Bethesda, mardi 18:00

Ils étaient en civil, complet strict et cravate. Mais leur coupe de cheveux, leur maintien et leurs yeux, sans cesse en mouvement, révélaient leur véritable nature. Des militaires, à coup sûr. Des Marines très probablement. Les deux armoires à glace qui gardaient la porte avaient déjà découragé plus d'un visiteur. Dont un député encombré d'un gigantesque bouquet de fleurs.

Non, le Directeur Shepard ne recevait aucune visite. Député ou pas. Seules les personnes accréditées pouvaient entrer dans cette chambre. À savoir son médecin, le Capitaine Andreas, les infirmières Stone et Stewart, pour le personnel médical. Lequel personnel collaborait sans problème. Les administratifs avaient été plus récalcitrants. Cela désorganisait le service.

- Ôtez-moi d'un doute, Cet établissement est bien un hôpital militaire ?

- Monsieur, je vous assure que la sécurité est optimale. Depuis que nous avons admis Madame Shepard, nous sommes en alerte rouge. D'ailleurs le Secrétaire d'État à la Marine...

- JE suis en charge de la protection du Directeur Shepard.

Sous-entendu, il faudra me passer sur le corps pour la tuer. Ou plus exactement, je tuerai tous ceux qui essaieront de franchir le seuil de sa chambre. Et le Secrétaire d'État peut aller...

- Pas de visiteurs, pas de fleurs, pas de chocolats ! Et le traitement médical doit être supervisé par le Docteur Mallard.

- Le Capitaine Andreas est très compé...

- S'il lui donne de l'aspirine, il doit en aviser le Docteur Mallard ! Est-ce que c'est clair ?

- Je crois que c'est lumineux, mon cher Jethro.

La main élégante effleura le biceps de Gibbs. Seigneur, toute cette tension ! Bien sûr, l'état naturel de son ami était le survoltage permanent, mais là... Le docteur Donald "Ducky" Mallard, médecin légiste de son état, allait devoir s'appliquer à mettre un peu d'huile dans les rouages, sinon plusieurs morts seraient à déplorer avant peu. Et il avait bien assez de travail à la morgue comme ça. L'humour même très noir, aidait à garder les pieds sur terre. Même s'il savait que Jenny Shepard n'était pas en danger, médicalement parlant au moins.

- Si tu me laissais m'occuper de la partie médicale, Agent Gibbs ?

- Tu en as mis du temps ! Je te laisse.

- Le Directeur est seule ?

- Ziva est avec elle.

- Bien sûr. Tu ne l'aurais pas laissée.

- Je dois y aller. Reste en contact. Et, Ducky ...

Les deux hommes échangèrent un bref regard. Ils se connaissaient si bien que cela suffisait. Va t'occuper de ceux qui ont fait ça, Jethro, je veillerai sur elle.

- Il en fait beaucoup, non ?

Le légiste était un homme affable. Son éducation, sa personnalité, son expérience le rendaient attentif aux autres. Ses capacités d'empathie étaient exceptionnelles. Il comprenait l'énervement de son interlocuteur. Il savait à quel point Gibbs pouvait être intimidant. Le petit homme en face de lui était déboussolé et inquiet. Mais Donald Mallard était aussi un homme pour qui ses amis comptaient. Il connaissait Jenny Shepard depuis longtemps et il l'appréciait, même si elle était devenue plus distante à cause de ses responsabilités. Et Jethro... Eh bien, Jethro avait largement assez souffert dans sa vie. C'était son ami. Il se sentait une âme de ... de mère poule. Et lui, Ducky ferait tout ce qu'il était en son pouvoir pour qu'il ne souffre pas davantage. Sans se départir de son flegme - héritage britannique oblige -, il fixa son interlocuteur de ses yeux bleus qui n'étaient plus si doux, ni si indulgents, malgré sa voix mesurée.

- Je le trouve plutôt ... modéré pour le moment, à vrai dire. Mon cher, priez le ciel de ne jamais mettre l'Agent Gibbs vraiment en colère. Et maintenant si me présentiez le Capitaine Andreas ?