Crédits: Blizzard Entertainment (ou est-ce Activition Blizzard?)

Bonjour par ici! Voici donc ma toute première fanfic.

J'espère la mener à bout, d'autant plus que j'en ai déjà prévu tous les tenants et aboutissants (même si j'hésite encore sur la toute fin). Seulement je suis lente et dissipée, et ce premier chapitre avait été écrit au moment où l'alpha de Legion n'était même pas encore sortie, lointaine époque où les elfes du vide n'existaient pas et où il y avait du monde à A'shran. Oui, ça commence à dater. Pour être honnête, c'est plus pour moi que j'écris qu'autre chose, étant donné le peu de fanfic en français sur WoW, j'imagine qu'il y a également peu de lecteurs francophones. Pour ne rien arranger, il ne s'agit que d'OC (mais pas inspiré de mes propres perso, ce qui aurait été très limitant puisque je ne joue que troll et orc. Bon, j'ai bien un paladin elfe mais le pauvre est cantonné à la récolte de minerais) et je crains ne pas être parvenue à me débarrasser de certains...poncifs et lieux communs que ce soit au niveau des personnages et des situations. J'espère (malgré tout) ne pas avoir été trop loin dans le Mary-Sueisme.

Autre chose qui me fait craindre le peu d'intérêt pour cette fanfic, c'est le ship un peu inhabituel. Déjà, c'est de l'interfaction, ce qui, à mon avis, dans le monde d'Azeroth doit être plus que rare et moyennement crédible (même si les sentiments étant ce qu'ils sont il ne serait pas logique de considérer que c'est impossible). De plus, pour le ship j'ai croisé essentiellement l'inverse (même chez Blizzard feat les Coursevent), à savoir une femme elfe (de sang pour les fanfics) et un homme humain. Comme vous l'aurez compris, il s'agit donc d'une histoire entre une humaine et un elfe de sang.

Puisqu'on en est dans les commentaires du début, j'en profite pour préciser que j'ai modifié quelques éléments propres au gameplay mais qui ne sont pas vraiment logiques, même dans un univers de magie qu'est le monde d'Azeroth. Par exemple? Les munitions de chasseur invisible et illimitées (même si c'était super d'avoir enfin un emplacement de sac qui ne sert plus qu'à ça, sans compter les économies chez l'ingé, et même lorsque tu es ingé et que-t'as-oublié-de-faire-avant-le-raid-ou-que-tu-choppes-un-arc-mais-avant-t'avais-un fusil), surtout qu'ils comptent supprimer la flèche des arcanes pour BfA. Puisqu'on parle de sac, les sacs avec dix épées à deux mains, trois boucliers et huit armes d'hasts ainsi que l'équivalent de deux équipements en plaque tranquille pépouze.

Dernier exemple qui me vient en tête, la taille des lieux. On s'en doute, mais je préfère le préciser, les lieux ne sont pas vraiment représentés à taille réelle, surtout lorsqu'on voit le nombre de gens censés vivre à Orgrimmar ou à Hurlevent. Mettre trois quart d'heure à traverser la ville à pieds je doute que ça intéresse grand monde, alors des heures pour traverser une région... Bref tout est plus grand, avec plus de bâtiments.

En ce qui concerne les aventuriers, tous les joueurs en sont, mais personnellement j'estime qu'ils sont plutôt rares, sans parler des elfes-de-sangs aventuriers, vu la façon dont le peuple a été décimé il y a une dizaine d'année.

Avant de vous laisser, je le sais, le titre est nul. J'ai été incapable de trouver quoi que ce soit de sympa, et me suis décidée pour un truc au hasard, moins pire que les autres, en espérant une inspiration bienvenue pour la suite.

Dernière remarque, le rating sera amené à être changé, pour cause de sang et de sexe (oui, de la violence et du sexe, c'est vendeur non?)

Je note que j'aurais été incapable d'être brève, mais je vous laisse enfin tranquille pour le moment. (Et puis bon, vous n'étiez pas obligés de lire les remarques. Vous n'êtes pas non plus obligés de lire la suite, notez bien.)


La jeune trollesse tapota affectueusement la tête de son raptor avant de s'asseoir à côté de lui, sur un vieux tronc d'arbre recouvert de lichens verts et de mousses violettes, et dont s'exhalaient, mêlées entre elles, profondes et puissantes, des odeurs de champignons et d'humus. Il posa la hache avec un soupir d'aise. Sa main se porta à la gourde attachée à sa ceinture, et le seul contact frais du récipient sous ses doigts fut un soulagement. Il l'ouvrit vivement et se versa sur la tête un peu d'eau glacée, avant de vider la moitié de sa gourde à grandes gorgées.

Bien qu'il ait retiré toute son armure avant de commencer son travail, ne conservant sur lui qu'un fin pantalon, une chemise en lin légère et une paire de bottes, l'effort l'avait mis littéralement en nage. L'atmosphère humide et chaude de cette belle mâtinée d'automne n'arrangeait en rien son état, et il se demanda vaguement comment faisaient les péons, ou même sa jeune camarade, pour supporter ce temps.

On aurait pu croire qu'ainsi à l'abri sous les épaisses frondaisons l'on se retrouverait protégé du soleil de plomb, qui brillait ici presque toute l'année, et dont l'on devinait l'éclat particulièrement ardent par les quelques rares trouées du feuillage dense. C'était une erreur, car la terre était lourde, grasse et fertile, et la mousse régnait en maître dans cette forêt aux nuances violettes. À chaque averse le sol se chargeait davantage, et lors des premières grosses pluies cette eau s'évaporait dès que le temps se découvrait, formant des brumes opaques au petit matin, semblables à de la fumée s'exhalant des entrailles de la terre, transformant la forêt en une véritable étuve, et alourdissait l'atmosphère en journée, quand la température augmentait encore, la rendant presque irrespirable.

À mesure que l'été ou l'hiver approchaient il y avait de moins en moins d'eau dans les sols, et la forêt mainte fois séculaire conservait tout juste une humidité propre à rafraîchir l'atmosphère. Cette humidité poisseuse qui le faisait actuellement tant souffrir n'arrivait donc que rarement, et coïncidait généralement avec la période qui précède les premières danses autour du mat de la fête du feu et la semaine qui suivait la Sanssaint; il était donc regrettable qu'ils se soient retrouvés ici, juste à cet instant.

Sa gourde presque vidée, il fouilla dans son sac et en sortit des morceaux de poulet rôti froids, soigneusement emballés dans un grand mouchoir en tissu. À peine eut-il le temps de tendre sa part à la trollesse qu'elle le lui arrachait des mains pour le dévorer voracement. Il ne put réprimer un petit rire moqueur, devant une conduite que la bienséance et la politesse elfique réprouvaient, mais à laquelle il n'apportait plus vraiment d'importance après tant d'années à parcourir les régions, accompagné parfois de camarades issus de tous horizons, et aux habitudes bien différentes des siennes.

- J'en suis presque à me demander laquelle de vous deux est la bête sauvage, plaisanta-t-il en désignant du menton le raptor à côté d'elle.

La chasseresse arrêta de mâcher suffisamment longtemps pour lui répondre.

- Bah, j't'ai dit que j'avais faim, ça fait des plombes qu'on se bouge !

Avec horreur, le paladin eu tout le loisir d'examiner la nourriture dans la bouche de la trollesse et il refréna l'envie qu'il avait d'ajouter une remarque acerbe à ce propos. Au mieux, elle serait accueilli d'un haussement d'épaule, au pire la chasseresse pourrait chercher à le tourmenter en faisant exprès de s'exprimer la bouche pleine à chaque repas, ce qui, avant aujourd'hui, était rarement arrivé. Non pas qu'elle possédait la moindre once de savoir vivre, mais plutôt qu'elle mettait grand cœur et encore bien plus d'empressement à finir sa nourriture au plus vite sans se soucier du reste, avec les manières et la précipitation d'une affamée proche de l'inanition.

Les choses auraient pu être pires, pensa-t-il avec philosophie en levant son regard, là où apparaissait le bleu des cieux, semblable à quelques taches irrégulières dans cet océan de végétaux. Ma'wande, la trollesse qui l'accompagnait, était encore une jeune adolescente, pas encore assez âgée pour être aventurière ou mercenaire, même si elle s'en défendait. Elle avait été trouvée autrefois sur les routes poussiéreuses des Tarides par un membre de sa guilde- son clan, comme les autres races de la Horde préfèrent dire- et avait été confiée à l'orphelinat d'Orgrimmar.

Seulement, la petite trollesse ne l'avait pas entendu de cette oreille, et depuis, elle passait le plus clair de son temps à venir traîner à la Vallée de la Force, dans le local qui servait de quartier général à leur guilde. Quand il s'était avéré, quelques années plus tard, que la petite ne tiendrait plus longtemps en place, il avait été décidé qu'un membre aguerri pouvait la prendre sous son aile et l'emmener avec lui accomplir diverses tâches, afin qu'elle acquît de l'expérience. De toutes les personnes présentes et disponibles, c'est évidemment lui qui avait été désigné, sous le prétexte fallacieux qu'il n'avait rien à faire de mieux en ce moment.

Ils avaient commencé leur voyage il y a déjà deux mois. C'est à lui que revenait le choix des lieux dans lesquels ils se rendaient, ainsi que le choix des tâches qu'elle pouvait accomplir. Il la laissait se débrouiller de plus en plus toute seule, dorénavant, mais restait toujours près d'elle au cas où les choses tourneraient mal.

Au départ réticent, il commençait à trouver son sort plus plaisant qu'il ne l'aurait imaginé. La tâche qu'on lui avait imposée avait peu à peu pris des airs de vacances. N'ayant pas grand-chose à faire de son côté, à part surveiller sa comparse et l'aider parfois à faire ce qu'on lui demandait, il s'était surprit à s'arrêter souvent, et observer les paysages.

Il avait l'impression d'être revenu à ses débuts, quand il s'était décidé à quitter à nouveau les terres qui l'avaient vu naître et grandir pour devenir un aventurier, à ces instants qui n'avaient pas duré suffisamment longtemps, où tout n'était que nouveauté, et où tout l'émerveillait, et auxquels il repensait parfois avec tristesse et nostalgie, à la façon d'un ami qu'il aurait perdu à jamais.

Depuis, il avait appris, et parfois de façon bien cruelle. Le sang, la violence et le chagrin furent des professeurs bien plus rudes et persévérants que la curiosité et le goût de l'aventure. Le vernis rutilant de son naïf idéalisme et de son enthousiasme s'était écaillé au fil des années sous les durs coups de la vie, et désormais il ne voyait plus l'aventurier comme un voyageur dans l'âme, toujours à la recherche de nouveaux horizons et de terres inconnues de lui, mais uniquement comme quelqu'un que la nécessité, l'absence d'attache et de foyer, pousse à parcourir les routes à défaut de mieux. Quant à lui ce n'était guère mieux, puisque toutes ses aventures n'avaient été pour lui qu'un moyen de fuir.

Un endroit en valait un autre, pourvu qu'il y trouve quelqu'un prêt à payer pour son bras, et petit à petit, il avait fini de regarder le monde qui l'entourait. Le danger se cachait partout, et au cours de ses pérégrinations, il avait vu nombre de lieux enchanteurs devenir l'ultime demeure d'infortunés compagnons d'arme.

De ces héros dont on vantait autrefois les mérites, ou de ces anonymes qui n'avaient jamais eu le temps de se faire un nom, seul subsistait parfois un morceau de bois planté dans le sol, blanchi par le soleil, battu par les vents ou fouetté par les pluies. On pouvait aussi y trouver parfois une hache émoussée, des dagues rouillées depuis longtemps, ou un libram qui ne recelait plus aucune magie, et dont quelques insectes en avait fait leur garde-manger, témoins déchirants de faits d'armes anciens et oubliés depuis.

Les fleurs que l'on avait déposées fanaient bientôt, les noms que l'on avait gravés au couteau disparaissaient sous la mousse, et l'aventurier finissait par ne devenir plus qu'un lointain souvenir, dans la sombre indifférence du lieu qui l'avait vu périr, et où la nature alentour poursuivait son existence, comme ignorante du drame qui s'était produit. La neige ne cessait pas de tomber, le vent continuait de souffler, les jours de se lever, et les plantes de pousser, comme une ultime raillerie, une cruelle ironie envers celui qui avait cessé d'exister.

Forêts enchanteresses, plaines riantes, plateau arides ou terres rongées par la gangrène, le lieu du drame ne changeait rien ni au danger, ni à l'horreur lorsque celui-ci advenait, et il ne le savait que trop bien. La leçon, cruelle, douloureuse, avait été apprise depuis longtemps. Il avait vu périr nombre de ses amis, souvent des moins doués que lui, mais parfois aussi de bien plus valeureux et méritants qu'il ne l'était.

Lui, s'il avait survécu quand d'autres étaient tombés, ce n'était pas tant parce qu'il savait bien se battre, ou parce qu'il avait un talent particulier qui le démarquait des autres. Il ne manquait certes pas de bravoure quand il le fallait et savait se débrouiller avec une arme, mais plus que tout, il ne méjugeait jamais ses capacités, et savait toujours très exactement dans quelle situation il pourrait être dépassé.

Pourtant, depuis qu'il voyageait avec la trollesse, il avait quelque peu mis de côté sa vision des choses et son pragmatisme que d'aucuns jugeaient parfois trop cynique, et avait commencé à reprendre goût au simple fait de parcourir du pays. Ma'wande n'était pas toujours facile à vivre, elle avait son caractère, était du genre à n'avoir pas froid aux yeux si bien qu'il craignait souvent pour sa sécurité, mais jusqu'à présent, tout se déroulait assez bien. Le problème étant...

- Quand est-ce qu'on va à Strangleronce?

Qu'elle ne cessait de lui poser la même question tous les jours.

Il considéra son pilon de poulet avec un long soupir de lassitude avant de se tourner son regard vers la jeune Ma'wande.

- Nous avons déjà eu cette discussion un bon nombre de fois... Strangleronce est un endroit connu pour ses nombreux dangers. Qu'il s'agisse des bêtes sauvages où des membres de l'Alliance, ce ne sont pas les chances de faire des mauvaises rencontres qui manquent, et c'est encore trop tôt pour toi.

- Pas plus dang'reux qu'ici. Et moins que les Maleterres.

- Il est vrai que l'endroit est tout sauf tranquille, mais depuis la grande offensive du temps de Garrosh elle est devenue beaucoup plus sûre. Quant aux Maleterres, elles ont été en partie récupérées par la Croisade d'Argent, et la région n'est plus aussi dangereuse qu'autrefois.

- Toi, t'y es d'jà allé, non ? A Strangleronce.

- Oui, bien évidemment, mais j'étais aussi déjà bien plus expérimenté et aguerri que toi.

Afin de couper court à la conversation il fouilla dans son sac à nouveau.

- Tiens, regarde plutôt ce que je t'ai trouvé auprès de ce marchand gobelin itinérant, ce matin... Des grenades des Hautes Terres.

Ma'wande fut sur le point d'ajouter quelque chose, mais elle sembla comprendre que le sujet était clôt pour le moment. Il le savait cependant, elle ne manquerait pas d'y refaire allusion bien trop tôt.

Avec un petit couteau il coupa la grenade en deux et la donna à la jeune chasseresse. Cette dernière, depuis qu'elle en avait goûté une il y a peu, ne jurait désormais plus que par ce fruit. Lui, s'il aimait bien en manger à l'occasion, ne partageait pas son enthousiasme débordant. Il les trouvait délicatement sucrées et désaltérante, mais regrettait qu'il fut si difficile d'en manger proprement sans perdre énormément de temps, et n'aimait pas davantage toutes ces minuscules graines qui en gâchait un peu le goût, qui de plus se coinçaient parfois au creux d'une dent. Ma'wande, elle, s'en souciait fort peu, et mordait dedans à pleine bouche, crachant parfois des morceaux de la peau intérieure, et se curant les dents sans aucune honte à l'aide de ses ongles. À la grenade de la trollesse, il avait préféré pour lui une simple banane de Tel'Abim, rapide et facile à manger, qui fut d'autant plus appréciée qu'il s'était fort dépensé ce matin.

- Il te reste beaucoup de choses à faire ?

La trollesse se mit à réfléchir un instant.

- Non, j'ai bien avancé c'matin. J'en ai terminé avec les g'lées. J'ai tué quelques loups qui s'rapprochaient trop près du camp des péons. On m'a d'mandé de récupérer un peu d'viande de gibier, j'vais m'en occuper après. J'pense qu'on pourra s'en mettre de côté aussi, on pourrait en sécher, je sais pas ce que t'en penses. Quand t'auras fini avec le bois, ça serait bien que tu m'aides avec les quelques démons qui traînent par-là, et j'en aurais fini avec le coin.

- Bien, avec les récompenses, tu devrais déjà avoir un bon petit pécule, non ?

- Un quoi ?

- De l'argent, tu dois commencer à en avoir un peu ? Montre moi combien tu as?

Ma'wande lui tendit une petite bourse, dont il compta le contenu.

- Parfait, demain au plus tard nous repartons pour Orgrimmar.

La trollesse releva brusquement la tête, l'air mécontent.

-Quoi ? On rentre ? Déjà ? Mais j'veux pas moi, j'ai encore plein de coins à visiter !

Il éclata de rire.

- Ne t'en fais pas petite bécasse, c'est pour la réunion de guilde et pour t'acheter une monture. Pour ma part, j'en ai assez de voyager à pieds, et je ne serais pas fâché de pouvoir me reposer les jambes à l'occasion.

Ma'wande fut si soulagée qu'elle en oublia la moquerie, et avec un petit sourire elle chassa une tresse qui lui tombait devant les yeux.

- Bien, ajouta l'elfe en se levant, on ferait bien de s'y remettre. Plus vite on en fini avec tout ça, et plus vite on peut repartir pour t'acheter ta monture.


Les bras croisés, Emily fulminait. Elle commençait à en avoir plus qu'assez des frasques de Flint, son compagnon. Elle avait eu des doutes pendant longtemps, mais elle était à présent certaine qu'il la trompait. Une connaissance à elle l'avait surpris il y a trois semaines en charmante compagnie, laissant entendre qu'il comptait se rendre à Baie-du-Butin à la fin du mois, ce qui n'avait pas manqué de la surprendre

- C'est le pire moment de l'année pour y aller, avait-elle ajouté à Emily, avec un air entendu. Est-ce qu'il va seulement trouver quelques clients ?

Emily, de son côté, avait remarqué plusieurs changements dans le comportement de Flint. Il se montrait de plus en plus distant, partait avec sa marchandise toujours plus longtemps, plus loin, et ne se montrait pas aussi attentionné qu'il avait coutume de le faire jadis, que ce soit au lit... Ou ailleurs. Parfois, au contraire, il se montrait bien trop prévoyant, comme s'il avait quelque chose à se faire pardonner. Emily eut un reniflement de dédain. Pour sûr, qu'il avait quelque chose à se faire pardonner !

À vingt et un ans à peine, ce n'était pas le premier amant qu'elle avait eu, et ça ne serait certainement pas le dernier, mais le fait était qu'elle s'était beaucoup attachée à lui, à son enthousiasme habituel, son air enjôleur, ses cheveux blonds et son sourire mutin, qui laissait apparaître des petites fossettes qu'elle trouvait adorables.

De fait, et aussi parce qu'elle avait peur de perdre la vie qu'elle menait à présent, elle avait choisi d'ignorer l'évidence parce qu'elle savait au fond qu'elle ne pourrait lui pardonner. Seulement les rumeurs commençaient à aller bon train, et un jour qu'elle se promenait dans Hurlevent avec l'idée d'aller racheter du matériel de couture, elle avait croisé des amis de Flint. Alors qu'elle les saluait de loin, elle avait entendu quelques rires que l'on étouffe, et avait cru deviner un mot que l'on chuchote. "Cocue". Un frisson glacé avait parcouru son corps alors que la nausée la gagnait et que la bile emplissait sa bouche. La vérité l'avait heurtée avec dureté, et toutes les œillères du monde ne suffiraient plus pour qu'elle puisse continuer d'ignorer la trahison de Flint. Elle ne pouvait pas laisser les choses ainsi.

Déterminée à mettre fin à cette relation, et trop fière pour le faire uniquement par courrier, elle s'était rendue à Baie-du-Butin, pour apprendre de la part d'un docker que Flint avait quitté la ville par navire il y a peu. Le prochain bateau n'était pas avant demain, et plutôt que de retourner à Hurlevent, dans le tout petit meublé qu'elle louait pour eux deux et qu'elle payait avec ses travaux de couture, elle avait préféré rester ici, quitte à passer une nuit à l'auberge.

Autrefois, avant de rencontrer Flint, elle avait quitté Hurlevent à l'âge de dix-huit ans pour parcourir les routes seule et mener la vie d'aventurière. Elle avait alors passé trois années dans un petit atelier de couture, à travailler de longues heures par jour sur son ouvrage, pour une paie ridicule qui lui permettait tout juste de se payer une petite chambre sous les combles, ainsi que ses études de mage. Personne ne l'attendait nulle part, et c'était le moyen le plus efficace de se constituer rapidement un petit capital avant de s'installer, quitte à prendre un vrai métier par la suite.

Elle avait ainsi passé deux ans sur les routes, à voyager à travers les royaumes de l'Est essentiellement, avant de revenir s'installer à Hurlevent. Tout l'argent qu'elle était parvenue à mettre de côté avait finalement servi à éponger les dettes de Flint, et quoique son train de vie fut bien moins élevé que celui auquel elle aspirait, elle ne s'était jamais plaint.

Ce n'était donc pas la première fois qu'elle venait à Baie du Butin, mais la fois précédente remontait à suffisamment longtemps pour que le lieu, autrefois plutôt familier, se pare d'une impression de nouveauté.

Comme chacun le savait, Baie-du-Butin, et dans une moindre mesure Cabestan, étaient des villes toutes indiquées pour qui voulait qu'on ne se mêle pas de ce qu'il faisait. Affaires illégales en grandes majorités, ou choses que la morale réprouve, si l'on devait être impliqué dans l'un ou l'autre, l'on choisissait de le faire là-bas, car comme le disait l'adage "Ce qui se passe à Baie-du-Butin reste à Baie-du-Butin."

Des forbans de la pire espèce peuplaient l'endroit, ainsi que des petites fripouilles et des bandits, des voleurs et des vauriens, des coupes jarrets et des crapules. Chacun aimait mieux que personne n'aille rapporter leurs petites affaires, rarement bien honnêtes, aussi faisaient-ils de même avec les autres. Si des personnes intègres avaient pu habiter là-bas, il y a longtemps que la vie dans un tel endroit, où le vice est partout et le crime un mode d'existence, les aurait corrompues, si bien que seuls les gens de passages étaient susceptibles de ne point être des malfaiteurs. La plupart du temps, il s'agissait d'aventuriers. Bien souvent, entraînés par l'atmosphère particulière qui régnait dans la ville, ils finissaient leur soirée complètement saouls à la taverne, et auraient été bien en peine de lendemain de raconter à qui que ce soit ce qu'ils auraient pu voir.

Emily en avait croisé plusieurs, de ces aventuriers, installés dans la salle commune de l'auberge où elle avait pris une chambre. Il y avait tout d'abord deux elfes de sang, la première en tenue d'archère et aux cheveux si blonds qu'ils en paraissaient blancs, et la seconde qui lui sembla être une prêtresse. La chevelure de cette dernière flamboyait tellement qu'elle eut du mal à en détacher les yeux.

Les deux elfes regardaient tout le monde d'un air supérieur, comme pour bien signifier qu'elles ne pourraient être confondues avec le genre de ruffians qui peuplaient les lieux. La prêtresse, dans sa robe brodée d'or et d'une blancheur si immaculée qu'elle paraissait briller, ne cessait de plisser le nez d'un air de dédain. Quand elle était passé à côté d'elles, elle n'avait récolté de leur part qu'un long regard appuyé suivit d'un rire méprisant.

Au fond, un tauren passablement éméché faisait face à un orc qui n'en menait pas mieux. Malgré son état, l'orc conservait sa hache sur ses genoux, passant son pouce sur le fil de la lame, comme pour signifier à quiconque qu'il valait mieux ne pas lui chercher querelle. Le tauren, lui, marmonnait en boucle les mêmes mots, incompréhensibles pour elle, donnant l'impression, si l'on n'avait pas remarqué l'amas de bouteilles et de choppes vides qui s'amoncelaient devant lui, qu'il était fou.

Enfin, dans le coin le plus reculé de la pièce, quatre membres de l'Alliance étaient attablés. Deux naines, toutes les deux brunes, leurs chevelure épaisse et brillante rassemblée en tresses compliquées, étaient assises côte à côtes. Bien que différentes, elles paraissaient très semblables l'une à l'autre, à la manière de sœurs. L'une portait un équipement en plaque, l'autre était vêtue d'une robe. Celle en plaque paraissait un peu plus âgée, et c'était celle des deux qui parlait le plus fort.

Toutes deux était accompagnées d'un gnome à l'air sinistre, enveloppé d'une sorte d'aura malsaine, le visage masqué par une capuche, et qui passait son temps à ricaner, ainsi que d'un humain à l'air solennel, qui semblait tout à fait déplacé ici. Il portait une moustache taillée au millimètre, ses cheveux noirs étaient impeccablement coiffés, et son armure briquée, rutilante, semblait émettre une lueur apaisante. Lorsqu'il s'exprimait, il parlait d'un ton grave, calme, et sa voix avait quelque chose de digne et réconfortant. Il se tenait parfaitement droit, et lorsqu'elle passa à côté de leur table, il fut le seul à sembler la remarquer, et lui adressa un discret mouvement de tête en guise de salut.

En ce moment, Emily le savait, il y avait toujours moins de monde à Baie-du-Butin, et elle fut surprise d'y croiser autant d'aventuriers. La saison des pluies, qui ne saurait tarder, les attirait fort peu, et elle ne serait pas étonnée de trouver l'auberge déserte d'ici une petite semaine. La jungle devenait invivable à cette période, entre les torrents que les cieux déversaient et la moiteur constante qui y régnait, sans compter les moustiques, particulièrement féroces, et les maladies tropicales plus virulentes que jamais. De plus, les bateaux passaient moins souvent, car les orages créaient souvent des vents contraires. Les forbans préféraient rester à quai, et si possible, à Cabestan, loin de la jungle.

Aussi elle s'était attendu à pouvoir récupérer une chambre à bon prix, mais ç'aurait été sans compter sur l'avidité et la cupidité naturelles des gobelins. Après avoir farouchement débattu de longues minutes avec l'aubergiste, ils se mirent enfin tous deux d'accord sur le prix. Alors qu'elle glissait vers lui quelques pièces de bronze, elle remarqua un sourire furtif sur le visage du gobelin. Bien qu'il ait affirmé à plusieurs reprises qu'elle le saignait, elle comprit, avec un sentiment de contrariété, qu'elle s'était fait avoir.

Elle monta à l'étage pour poser ses affaires dans sa chambre et s'y reposer, et fut dépassée par les deux elfes de sang, qui la bousculèrent sans même lui adresser un regard. Elles gloussaient toutes les deux, et s'arrêtèrent devant une porte, voisine de la sienne. L'une d'elle se hâta d'ouvrir, et elles s'engouffrèrent toutes les deux dans la chambre, refermant brusquement la porte derrière elles.

Était-ce son imagination ? À peine fut-elle dans sa propre chambre, qu'elle aurait juré les avoir entendu gémir toutes les deux. Un gémissement se fut plus fort que les autres, quelque chose tomba au sol, et peu de temps après, elle crut reconnaître le grincement des lattes d'un sommier, comme si elles s'étaient toutes deux jetées sur le lit.

Elle sentit ses joues s'empourprer, et plutôt que de rester et de risquer d'en entendre plus que ce qu'elle souhaitait, elle avait préféré quitter sa chambre pour aller prendre l'air, en dépit du soleil qui se couchait à l'horizon. Elle savait que la ville était bien moins sûre encore de nuit, les cogneurs ayant tendance à se relâcher et ignorer avec complaisance les bagarres qui éclataient, bien souvent sous les effets de l'alcool, mais pour l'heure elle trouva préférable de se retrouver dehors.

Dehors l'on y voyait encore très bien, alors que l'intérieur des bâtiments aux vitres crasseuses était déjà plongé dans une légère pénombre, obligeant les gens à sortir les bougies pour y voir plus clair. Le soleil se rapprochait de la ligne d'horizon, comme s'il voulait se mêler à l'océan, dont les eaux limpides et scintillantes prenaient les teintes orange et rosées du ciel qu'elles reflétaient. Son propre visage à elle, éclairé par l'astre rougeoyant, se parait de couleurs chaudes, qui lui donnaient une mine bien meilleure que celle qu'elle n'avait en réalité. Ses joues semblaient plus roses, son teint semblait lumineux. Ses cheveux étaient rehaussés de reflets ardents qui paraissaient danser comme des flammes, alors que les vents marins les soulevaient au gré de leurs caprices.

La mer était agitée, comme souvent à cette période, et influencée par les derniers romans qu'elle avait lus, Emily voulu y voir l'expression de son cœur tourmenté. Elle s'était assise sur le ponton, les jambes touchant presque les flots, sur une de ces planches en bois ravinées par l'eau de mer, servant de refuge à toute sorte de coquillages, et que les flots noyaient à la marée haute. Alors qu'elle regardait l'eau frapper inlassablement les poteaux de bois qui soutenaient la ville au-dessus des vagues, comme si la mer, consciente que celle-ci était profondément souillée, voulait la nettoyer en la noyant dans les flots et la faire disparaître, le poids de la solitude s'écroula sur ses épaules.

Se sentant terriblement lasse, elle avança ses pieds, dont elle avait déjà retiré les sandales, pour les faire tremper dans l'eau fraîche. Sur le pont au-dessus d'elle, le bois se mis à grincer sous les pas de quelqu'un. Elle se contint jusqu'à ce que la personne s'éloigne et finalement, elle éclata en sanglots. Elle resta ainsi à pleurer alors que le soleil continuait sa descente, et alors qu'il touchait enfin les flots, elle se calma brusquement.

Emily n'avait jamais eu beaucoup de chance avec ses relations. Son premier amant, elle l'avait connu à l'âge de quinze ans, alors qu'elle était encore plongée dans ses études de magie. Jeune et influençable, elle avait été séduite par son maître, qui, sans être vraiment vieux, l'était tout de même bien trop pour l'adolescente qu'elle était.

Ce dernier lui avait fait maintes belles promesses, qui sonnaient de la plus agréable des façons à ses oreilles d'orpheline. La réalité fut toute différente, car il n'avait jamais eu d'autres but que de la mettre dans son lit, et pimenter ainsi quelque peu sa vie sexuelle jusqu'à la fin de l'apprentissage de sa jeune élève.

Un immense sentiment de gâchis était tout ce qui lui restait de cette relation. Elle avait cru ses belles paroles, et avait tout fait pour lui plaire, mais de son côté, lorsqu'elle avait fait le point à la fin, elle s'était rendu compte qu'elle n'en avait pas tiré grand-chose.

Son maître ne s'était montré agréable envers elle que ce qu'il fallait pour conserver son attachement et éviter qu'elle ne se pose des questions quant à sa sincérité, et pas plus. Il fallait ajouter à cela qu'il avait été un amant très médiocre et concentré uniquement sur son propre plaisir, mais elle, n'ayant alors aucun point de repère, et personne ne lui ayant parlé de ces choses, avait simplement cru ce qu'il lui disait, que les femmes ne ressentaient pas grand choses, que c'était tout à fait normal, et que seuls les hommes pouvaient goûter au plaisir et à la jouissance.

Le second avait été un paladin qu'elle avait rencontré à Comté de l'or, et avec qui elle avait voyagé un petit moment. S'il s'était montré charmant et attentionné, il l'avait tout simplement abandonnée le lendemain de leur première nuit-qui elle, fut plutôt satisfaisante- après cinq mois à la courtiser. L'excuse qu'il lui avait donnée était qu'il ne pouvait pas s'engager avec une fille qui n'était déjà plus vierge quand il avait commencé à la côtoyer, et que s'il l'avait su plus tôt, il ne serait jamais allé si loin. Il avait même refusé de continuer à l'accompagner, ce qui l'arrangeait à moitié. Bien qu'à cet instant elle n'avait pas envie de le revoir, elle s'était retrouvée dans une position plutôt délicate, puisqu'elle venait d'accepter un travail qu'elle fut bien en peine d'accomplir seule.

Lorsqu'elle y repensait, Emily fulminait. Il était évident que lui aussi, avait connu le plaisir charnel avant de coucher avec elle, et lorsqu'au lit il s'était rendu compte qu'elle n'était pas innocente, ça ne l'avait pas arrêté dans son élan. Elle ne voyait pas pour quelles raisons lui aurait eu ce droit d'avoir connu quelqu'un avant, droit qu'il lui refusait. Elle en avait conclu qu'il lui avait rendu service en la quittant, et qu'elle n'aurait eu aucun intérêt à s'embarrasser d'un tel butor.

Par la suite, elle avait rencontré un très beau jeune homme, grand, brun, aux yeux noirs, qui semblait bien sous tous rapport, mais qui en réalité s'était avéré être un vrai tordu. Il cherchait à l'empêcher d'adresser la parole aux hommes qu'elle croisait, alors qu'à l'époque elle parcourait les routes avec lui en tant qu'aventurière. Elle avait eu tellement honte, d'être obligée de rester silencieuse à l'arrière dès lors que leur interlocuteur était un homme. Déterminée à ne pas se laisser faire elle avait choisi un temps d'ignorer ses demandes, mais les disputes qui en résultaient immanquablement la fatiguait, et elle abandonna.

Il trouvait aussi toujours à redire sur ses tenues qu'il trouvait toujours trop provocantes, même si elle portait une chemise en dessous, et voulait la forcer à en changer. Comme si vêtements solides et bien enchantés pouvaient se trouver à chaque coin de rue. C'était un combat qu'elle ne le laissait jamais gagner, même si elle trouvait de plus en plus insupportable les piques désagréables qu'il ne cessait de lui jeter en retour.

Comme si tout cela ne suffisait pas, elle s'était rendue compte avec horreur qu'il lui volait ses sous-vêtements, et les conservaient dans son sac. L'usage qu'il en faisait, elle ne le connut jamais, car ce fut la goutte d'eau de trop.

Après leur rupture il avait chargé sa boîte aux lettres de courrier injurieux, alors qu'elle faisait de son mieux pour bouger le plus possible afin qu'il perde sa trace. Elle le soupçonna d'envoyer du courrier à son nom dans toutes les villes des Royaumes de l'Est, pour être certain de tomber juste, et si elle n'en eu jamais la preuve, le fait est que tous les jours pendant plusieurs mois, elle n'avait cessé de recevoir des immondices. Tout cela avait été pour elle assez angoissant, et avait eu pour conséquence de lui faire prendre du poids. Les quelques livres superflues de sa jeunesse, et dont elle s'était débarrassée à grand peine à l'adolescence avaient été vite repris, et elle n'était pas parvenue à tout reperdre.

Enfin, pour terminer, elle avait rencontré Flint. Les cheveux blonds, les yeux rieurs ainsi que son air juvénile qui le faisait paraître doux et inoffensif l'avaient séduite. Elle s'était dit qu'avec lui, ses soucis seraient derrière elle. Les choses commençaient mal cependant, car il était criblé de dettes qu'il avait hérité de son père, et à cause de cela ne pouvait rester longtemps au même endroit, craignant d'être retrouvé par ses créanciers. Elle était cependant parvenue à réunir une partie de la somme, et ils s'étaient installés. Il ne lui avait promis ni mariage, ni enfants, mais cela ne la dérangea pas. Pendant presque un an elle fut heureuse, mais ce bonheur ne devait pas durer.

Si elle avait été parfaitement honnête envers elle-même, ce qu'elle n'était pas, Emily était incapable de savoir s'il s'agissait réellement d'amour. Aucun des hommes avec qui elle avait été n'avait allumé en elle la flamme de la passion, et même si elle savait que la passion ne durait pas, elle trouvait curieux de ne l'avoir jamais connue.

Son seul savoir sur le sujet, elle le tirait de la lecture de romans du siècle dernier. Les héroïnes, toujours déchirées par des sentiments puissants et le poids des conventions sociales avaient rarement une fin heureuse, mais elle ne pouvait s'empêcher de les envier. Parfois, au détour d'une page, elle se disait qu'elle était peut-être incapable de ressentir ce genre de choses, aussi intenses, aussi fortes, et qu'elle n'avait pas été conçue pour connaître de tels sentiments. Bien souvent aussi, elle en concluait que tout cela était disproportionné ou exagéré par l'écrivain, pour mieux servir son récit et mieux précipiter la pauvre fille dans la chute. (Elle ne parvenait pas à oublier le dernier roman qu'elle avait lu, ou l'héroïne, petite dentellière, tombe amoureuse d'un beau jeune homme, qui s'avère appartenir à une famille de la noblesse d'Alterac. Une fois enceinte il l'abandonne et elle ne cesse de vivre toujours plus d'infortunes, pour finir par mourir de faim et de froid.)

Si elle n'avait jamais connu de passion dévorante, elle avait été très attachée à chacun de ces hommes, et chaque séparation avait été faite dans la tristesse, exception faite, bien entendu, du jeune homme qu'elle avait connu avant Flint, tant le dégoût avait pris le pas sur les autres sentiments.

Emily poussa un soupir en se massant les tempes. Sa lourde chevelure était poisseuse du sel des embruns, qui formaient dans ses cheveux et ses cils une parure de minuscules gouttelettes de diamants, et les reflets irisés sur lesquels jouaient les derniers rayons du soleil étaient semblables à celui de perles. Les parties exposées de sa peau avaient connu le même sort, et en passant sa main sur son bras, elle crut sentir des grains de sel rouler sous ses doigts.

Elle regrettait déjà d'être restée si longtemps près de l'eau alors que les flots se faisaient de plus en plus agités, et avait hâte de prendre un bain. Elle se leva et se rechaussa. Elle demanderait à ce qu'on lui monte une bassine d'eau-elle grimaça en songeant qu'elle devrait probablement payer un supplément-et une fois propre, pour éviter de ressasser sans cesse les mêmes pensées qui la dévoraient, comme si elles cherchaient à l'engloutir toute entière pour la faire sombrer, elle avait prévu de commencer à se coudre un nouveau mouchoir. Au moins, alors qu'elle se réfugierait dans une studieuse concentration, qu'elle s'appliquerait aux motifs des broderies, au moins, elle cessera de penser à tout cela.


Ma'wande était restée en retrait tandis que Raethalos discutait avec l'éleveur de wyvernes. Elle était nerveuse à l'idée de voler sur le dos de la bête, et en avait déjà fait part à l'elfe. Jusqu'à présent il avait toujours accepté de perdre du temps en ne faisant aucun trajet en vol, mais ce soir, il semblait bien qu'elle ne pourrait faire autrement. Il avait insisté sur le fait qu'il tenait à arriver à la grève de Zoram, à quatre bonnes heures de route à pieds, avant la tombée de la nuit, et le soleil était déjà bien bas dans le ciel. De plus, puisqu'ils comptaient se rendre au campement, on leur avait confié un rapport à remettre. Elle comprenait bien l'urgence de la situation, mais avait tout de même tenté de lui faire changer d'avis.

- Juste pour cette fois, avait-il répondu.

Elle détestait voler. La première fois qu'elle avait grimpée sur le dos d'une de ces bêtes, elle s'était juré de ne plus recommencer. Raethalos s'était montré compréhensif, et s'il avait plus d'une fois soupiré à l'idée de faire à pieds un long trajet qu'ils auraient pu faire en volant quelques minutes, jamais il n'avait fait de remarque à ce sujet. Avec appréhension, elle s'approcha de la bête qui l'attendait. L'elfe l'aida à grimper, puis monta à l'avant.

- Courage, Wande, ça nous prendra moins d'une heure, tenta-t-il de la rassurer.

Elle jeta un dernier coup d'œil à son raptor alors que la wyverne pliait ses puissantes pattes avant de sauter pour prendre son envol. Elle savait que Kondwani saurait les retrouver-elle était rusée, comme tous les raptors, et dotée d'un excellent odorat- mais ne pouvait s'empêcher de ressentir une légère crainte à ce sujet.

Son raptor fut bientôt le cadet de ses soucis car la wyverne s'élançait dans les airs, ses grandes ailes brunes parcheminées se déployant dans un claquement. Son estomac tangua, et elle ferma les yeux, s'accrochant de toutes ses forces à la taille du paladin, ses doigts s'agrippant aux reliefs ornementés de son armure lisse et polie, au point presque de se blesser. Raethalos commentait parfois ce qu'il voyait, invitant Ma'wande à jeter un œil, mais celle-ci s'obstinait à les garder fermés.

Ce fut un trajet désagréable. Elle avait beau se répéter qu'il n'y avait aucun danger, elle ne pouvait s'empêcher de s'imaginer tomber de la monture. Elle se représentait dans son esprit de façon bien trop précise son corps fracassé contre un rocher en contrebas après une chute de plusieurs mètres. Elle allait si loin dans ses macabres pensés qu'elle imaginait même les charognards venir se repaître de sa chair. Alors que Raethalos fit un commentaire sur la forêt, elle fut parcourue d'un frisson, et se représentait à présent sa chute au travers d'un arbre, les branches qui se plantaient dans son corps et la transperçaient de toute part, la tuant avant même qu'elle ne touche le sol.

Pendant quelques secondes, elle voulut vérifier sous elle, pour tenter de mettre fin à ses sombres et sinistres pensées… Ils ne pouvaient voler si haut, peut-être étaient-ils plus près du sol qu'elle ne l'imaginait. Elle se recula un instant de Raethalos, mais ce fut l'instant que choisi la wyverne pour accélérer, et les cheveux de l'elfe vinrent lui claquer à la figure et la chatouiller de façon désagréable. Elle n'osa pas libérer une de ses mains pour les chasser, et secoua sa tête en espérant s'en débarrasser. Par chance, Raethalos sembla comprendre la raison de toute cette agitation, et d'une main il ramena sa chevelure par devant son épaule.

- Tu devrais tout couper, maugréa Ma'wande, dans un sifflement.

La wyverne reprit finalement sa vitesse de croisière, et Ma'wande se décida à regarder en bas. Mal le lui en prit, car sa tête commença à lui tourner. Elle eut à peine le temps de constater que la forêt se clairsemait, laissant petit à petit la place au sable, qu'elle avait l'impression de perdre connaissance. Le trouble ne dura que quelques secondes, quelques secondes où elle eut le temps de ressasser toutes les funèbres images auxquelles elle songeait quelques instants plus tôt, où elle s'imagina son corps désarticulé suite à une chute mortelle, mais il fut suffisant pour que sa prise se relâche. Son cœur s'arrêta de battre alors qu'elle basculait vers l'arrière, mais dans un suprême effort, elle parvint à se replonger vers l'avant, et à s'agripper à l'elfe.

- Cesse de t'agiter, lâcha ce dernier.

- Je viens de presque me tuer, j'te signale !

Raethalos ignora sa réponse, et elle devina, avec une certaine amertume, qu'il ne l'avait guère prise au sérieux.

De longues minutes s'écoulèrent ensuite, des minutes qui lui paraissaient des heures, tant il lui sembla que le temps cherchait à s'étirer à l'infini. Elle en fini même par songer qu'il n'y aurait probablement pas grand danger à ouvrir de nouveau les yeux, tant qu'elle prenait bien garde à ne pas regarder en bas, et qu'elle restait complètement immobile.

Ils se dirigeaient vers l'ouest, tout comme le faisait le soleil devant eux. L'astre était suspendu au-dessus de la terre, et elle savait qu'il s'apprêtait à se fondre bientôt dans les mers, pour ne laisser derrière lui que l'obscurité de la nuit. Elle pensa que la lune devait s'être levée déjà depuis un moment, à Strangleronce et dans le reste des Royaumes de l'Est.

Lorsqu'ils étaient encore de ce monde, avant que Bwonsamdi ne vienne les chercher pour un autre, ses parents aimaient lui conter que bien loin, au-delà des mers, s'étendaient la luxuriante forêt de Strangleronce. Quand ils en étaient partis, elle était encore jeune, trop jeune pour réellement s'en souvenir. Elle se rappelait vaguement de nombreux perroquets bigarrés qui se perchaient dans les hautes branches, et se disputaient des fruits gorgés de sucre avec de petits singes hurleurs, du bruit de la mer, de la chaude moiteur de la jungle, et de l'odeur des palmiers.

Ses parents ajoutaient que l'on trouvait également de majestueux gorilles, dont les spécimens les plus imposants dépassaient en taille et en carrure le plus massif des taurens. Que de rusés raptors rôdaient entre les arbres, ainsi que de discrètes et féroces panthères, qui savaient si bien se fondre parmi les feuillages et les fourrés qu'elles en paraissaient invisibles. Et enfin les plantes, si nombreuses, si diverses qu'il était impossible de toutes les inventorier, toutes plus belles, plus impressionnantes, plus gigantesque les unes que les autres.

- Là-bas, lui avait dit sa mère dans la langue de leurs ancêtres, là-bas se trouve notre vraie demeure. Un jour, avait-elle promit, lorsque tu seras plus grande, nous y retournerons, pour te montrer.

Ses parents s'étaient éteints, loin, très loin de cette jungle, et plus personne à part elle ne pouvait désormais honorer cette promesse. Elle irait malgré tout, assurément, et c'était l'une des raisons pour laquelle elle avait tant voulu prendre la route. Quant à la seconde, elle l'avait gardé pour elle, n'en avait encore parlé à personne. Elle ne savait même pas si c'était possible, si son souhait pourrait un jour se réaliser, mais elle s'était promis d'essayer, ce jour-là, alors que ses doigts abîmés, douloureux s'étaient resserrés autour de sa main.

Au-dessus d'elle, le ciel se paraît des couleurs du crépuscule. Ici, le mauve se mêlait à un bleu toujours plus sombre en une multitude de nuances. Là, un unique nuage barrait les cieux. Il s'étirait tant et tant qu'il semblait avoir perdu toute sa consistance, et malgré tout, sous la lumière du soleil couchant, il révélait des couleurs si vives, du rose à l'orange en passant par l'or, qu'il en paraissait presque solide.

Alors qu'elle pouvait observer les cieux s'obscurcir de secondes en secondes, elle sentit que la wyverne amorçait sa descente, et, refermant brusquement les yeux alors qu'un haut-le-cœur la reprenait déjà, elle poussa un soupir de soulagement à l'idée de fouler enfin la terre ferme de ses pieds nus.

La bête se posa au sol quelques instants plus tard dans un mouvement souple, sans aucun autre bruit que celui d'un ultime claquement d'ailes, qu'elle replia sitôt après. Ma'wande sauta alors du dos de l'animal avec une telle promptitude qu'elle manqua d'en perdre l'équilibre. Ses bras étaient endoloris à force de s'agripper à Raethalos, ses cuisses étaient tout aussi douloureuses d'avoir tant enserré le dos de la wyverne, et sa tête lui tournait encore. Ses fesses étaient également meurtries, car depuis l'instant où elle avait failli perdre son équilibre, elle n'avait plus osé bouger d'un pouce.

Elle leva les bras au ciel et s'étira de tout son long, entendant avec satisfaction ses os craquer. L'avant-poste de Zoram'gar était un endroit minable. Ses remparts étaient impressionnants, et à ses quais mouillaient des vaisseaux de guerre de la Horde, mais seules quelques bâtisses se dressaient devant eux, et les gens qui s'affairaient dans le camp n'étaient guère nombreux. L'avantage qu'avait cependant Zoram'gar sur les autres lieux où elle avait dormi ces derniers temps était la présence très proche de la mer, dont elle entendait le doux ressac, semblable à la respiration d'un gigantesque animal, et dont les odeurs iodées lui parvenaient aux narines. C'était une odeur agréable, qui lui semblait pure, bien différente de celle de Cabestan, qui elle empestait l'algue et le poisson pourri. Elle avait alors pensé que tous les lieux côtiers avaient cette mauvaise odeur, elle s'était visiblement trompée.

- Ça sent comment à Baie-du-Butin ?

Raethalos était resté songeur quelques instants.

- Je dirais que ça sent les fruits de mer de la veille, le poisson pourri, l'urine, le rhum frelaté... Ça sent le vice et la mort aussi, mais un jour tu pourras t'en faire ta propre idée.

- Un jour, mais quand ?

Il haussa les épaules, un demi-sourire espiègle à la commissure des lèvres

- Pas aujourd'hui en tout cas.

Il se dirigea alors vers la seule auberge du coin, toutes leurs affaires sur ses épaules, tandis qu'elle, agacée, se hâta d'aller voir le maître d'écurie pour le prévenir de l'arrivée prochaine de son raptor, avant de rejoindre l'elfe.

L'auberge était pratiquement vide. Seul un jeune orc était assis dans la petite pièce au sol en terre battue qui tenait lieu de salle commune. Il leva sa chope de bière quand elle entra, en guise de salut. Raethalos n'était déjà plus là et toutes leurs affaires étaient posées en tas dans l'entrée. L'aubergiste ne lui prêtait aucune attention, et était occupée à remuer une tambouille à l'aspect peu engageant dans une grosse marmite de cuivre. Au bout d'un moment qui lui parut une éternité, elle finit par poser la cuillère en bois en travers du rebord de la marmite avant de se tourner vers elle.

- Je te sers quelque chose ? demanda-t-elle d'une voix traînante, alors qu'elle essuyait ses mains sur ses cuisses.

- Deux bières, répondit Raethalos, qui revenait à l'instant, et deux repas chauds. Vous reste-t-il des chambres ?

L'aubergiste haussa les épaules.

- Bien plus qu'il ne vous en faut. Des chambres avec deux lits. Une chambre avec un lit. Des hamacs aussi, si ça vous dit mieux. M'enfin, je pense pas que ça vous intéresse, ça, pas trop un truc d'elfe.

- Elle prendra une chambre avec deux lits, répondit simplement Raethalos, ignorant la remarque de l'aubergiste, et désignant Ma'wande d'un geste de la main. Je prendrai la chambre avec un lit. Est-ce qu'il y a un bureau dans ma chambre, ou de quoi écrire ?

- Non. Mais je peux vous faire monter une table.

- S'il vous plaît.

L'aubergiste haussa alors la voix.

- T'as entendu ?

Une masse sombre que Ma'wande n'avait pas remarquée jusqu'à présent s'agitât alors dans un coin de la pièce, pour finalement se muer, à la lueur des faibles flammes qui dansaient paresseusement dans l'âtre, en un vieil orc édenté.

- Ouais ouais, j'ai entendu, lança-t-il.

Il prit une des tables et la souleva, et d'un pas branlant et pesant, se dirigea vers l'escalier en soufflant. Quand il passa près d'elle, Ma'wande discerna les remugles d'alcool et de vomi qui s'exhalaient de lui, et elle ne pût s'empêcher de plisser son nez de dégoût.

- Mon père, expliqua l'aubergiste. Un vieil imbécile. Il aime répéter à qui veut l'entendre qu'autrefois, c'était un vaillant guerrier, qui a envoyé de vie à trépas un grand nombre d'adversaires. Maintenant, le seul combat qu'il mène c'est celui contre la boisson, et il n'est pas près de le gagner, celui-là. Tenez, fit-elle en produisant deux chopines pleines, en voici deux que le vieux n'aura pas.

En règle générale Raethalos ne voulait pas qu'elle boive d'alcool. Parfois, il la laissait en prendre, de la bière essentiellement, mais uniquement, elle l'avait remarqué, quand il souhaitait avoir la paix pour le reste de la soirée. Du travail l'attendait ce soir-là, elle le savait, sinon il n'aurait pas demandé à ce qu'on lui monte une table.

Elle trempa ses lèvres dans la mousse. La bière était tiède et terriblement amère, du vrai pissat de nain, aurait dit Drogash, l'orc à la tête du clan des Haches Sanglantes. Néanmoins, elle la but sans se plaindre, car mieux valait une mauvaise bière que pas de bière du tout, estimait-elle avec philosophie. La journée avait été fort éprouvante, et n'en accueilli que mieux ce petit plaisir, et fut reconnaissante envers Raethalos de la laisser boire ce soir.

Elle posait sa choppe à moitié vidée quand le vieil orc reparu. Il voulut prendre leurs affaires pour les leur monter, mais Raethalos l'arrêta d'un geste.

- Ce n'est pas nécessaire, nous nous en chargerons.

Le vieil orc retourna dans son coin sans demander son reste, en traînant les pieds et en reniflant, le tout sous le regard agacé de sa fille. Cette dernière grogna avec mépris avant de se tourner vers sa marmite. Elle y plongea sa cuillère, et remua encore pendant quelques minutes.

- C'est près, annonça-t-elle alors.

Elle leur servit, à eux deux et au chaman orc, des écuelles bien pleines et fumantes. Dedans Ma'wande y devina tour à tour du poisson, des champignons, des coques, de la viande qu'elle reconnut être de la venaison à en juger par l'odeur, et des légumes sauvages.

L'aubergiste remplit une dernière gamelle qu'elle servit à son père. Le vieil orc, en voulant manger, en renversa une partie sur lui, car ses mains tremblaient. Ma'wande porta une cuillère de ragoût à sa bouche. Malgré son aspect, elle le trouva étonnement délicieux. Les nombreuses saveurs qui le composaient se mélangeaient harmonieusement et remplissait l'estomac de façon satisfaisante. Du point de vue de Ma'wande, on ne pouvait de toute façon pas faire pire que la bouillie sans saveur qu'on leur servait quatre jours par semaine à l'orphelinat, et à côté d'un met si fade tout semblait succulent.

Dans l'auberge, on n'entendait désormais plus que le raclement des cuillères en bois contre les écuelles, le crépitement du feu de cheminée, et les reniflements du vieil orc. Ma'wande fut la première à terminer son ragoût, et elle en réclama encore.

- Ça fait plaisir de voir une jeune fille avec autant d'appétit, lança joyeusement le chaman orc, en la voyant engloutir d'une traite sa deuxième, puis sa troisième écuelle.

- On voit que ce n'est pas vous qu'elle ruine en nourriture, plaisanta Raethalos.

L'orc se mit à rire de bon cœur.

- Je veux bien te croire, elfe. En tout cas, ce n'est pas courant de voir un des vôtres voyager avec une trollesse. Vous appartenez au même clan ?

- En effet, admit Raethalos, nous venons tous deux des Haches Sanglantes.

L'orc fronça les sourcils, comme s'il réfléchissait.

- Les Haches ? On dit que plusieurs membres se sont fait agresser, à chaque fois dans des endroits pourtant sûrs. C'est vrai ce qu'on raconte ? On dit que vous seriez tous visés.

Raethalos afficha un grand sourire, tout en balayant l'air de sa main d'un mouvement gracieux, comme s'il chassait une mouche qui l'importunait.

- En aucune manière ! Il s'agit là de rumeurs totalement infondées, colportés sans doutes par quelques petits plaisantins qui n'ont rien trouvés de mieux à faire pour passer le temps, et j'ignore complètement où ces rumeurs ont pu trouver leur source.

Il jeta un rapide coup d'œil à Ma'wande, et celle-ci leva alors son regard d'un air exaspéré, comme pour lui signifier qu'il n'avait pas à s'inquiéter de ce qu'elle pourrait raconter à l'orc. Par ailleurs, elle était trop occupée avec son assiette, et n'avait nullement l'intention de se joindre à la conversation.

Son repas terminé, elle voulut aller voir Kondwani. Cette dernière n'avait semble-t-il pas eu le moindre mal à trouver le lieu où sa maîtresse allait passer la nuit, car elle se trouvait déjà dans un coin de l'étable, dévorant sa ration de viande crue qu'on venait de lui servir. La nuit était sombre, et les vagues s'étaient faites plus violente. D'où elle était, le ressac couvrait presque totalement les quelques échos de la conversation qui pouvaient lui parvenir de la fenêtre ouverte.

Raethalos se montrait toujours aimable avec tout le monde, ce qui avait parfois tendance à l'agacer. Non pas qu'elle fut jalouse, en aucune raison, mais parce qu'elle savait que cela ne l'empêchait pas de mépriser ou détester parfois son interlocuteur. Il était pratiquement impossible de connaître ses vrais sentiments derrière ses plaisants sourires et ses paroles courtoises, mais elle n'était pas dupe. Depuis des années qu'elle l'observait, généralement seul dans son coin, elle avait eu le temps de le cerner.

- J'ai mes raisons, avait-elle simplement décrété à Drogash, quelques mois plus tôt alors qu'il s'étonnait de son choix, et celui-ci n'avait rien ajouté.

Le vent se mit à souffler, humide et chargé de l'odeur des embruns, et elle trembla de froid. Une dernière caresse sur la tête écailleuse de son raptor, et elle se décida à rejoindre la chaleur et la lumière de l'auberge. Raethalos était toujours en grande conversation avec l'orc. Elle préféra le laisser seul, et demanda à ce qu'on lui montre sa chambre.

Celle-ci était petite, les murs tâchés d'humidité, et les deux lits, qui avaient connus des jours meilleurs, et qui constituaient l'unique mobilier de la pièce, étaient accolés l'un à l'autre. Le bois de la literie était vermoulu, et grinça plaintivement dès qu'elle jeta ses affaires dessus. À la lueur vacillante des deux petites lampes à huile poussiéreuses, chacune posée sur leur support, planté dans le mur, de chaque côté de la chambre, elle pouvait voir que la literie, jaunie, grisée, tachée et élimée, avait probablement vu des milliers d'autres avant elle. Pour sa part, tant que la paille avec laquelle elle avait été rembourrée n'était pas moisie, elle n'accordait aucune importance à ce genre de détails, contrairement à Raethalos, qui, s'il ne s'en plaignait pas, n'en pensait pas moins.

On frappa à la porte peu de temps après. L'aubergiste et son vieil orc de père lui avaient monté un baquet d'eau pour sa toilette.

Sitôt seule, elle se déshabilla, ne conservant que son pendentif à son cou et ses boucles à ses oreilles, remplit un seau qu'elle posa à côté du baquet, et se plongea toute entière sans plus attendre. L'eau avait été à peine chauffée, mais sa fraîcheur était revigorante. Elle avait bien supporté la chaude moiteur de la journée, mais n'en appréciait pas moins l'eau fraîche de son bain.

Elle resta un instant ainsi, ses genoux repliés sous son menton, à regarder l'eau se coincer entre ses cuisses dès qu'elle les rapprochait, puis s'écouler à mesure qu'elle écartait ses jambes. Elle considéra un instant sa poitrine. Jadis presque aussi plate qu'un homme, ses seins commençaient désormais à pointer, et cela faisait presque trois ans qu'elle n'était plus une enfant. Elle espérait que bientôt Raethalos s'en rendrait compte, afin qu'il cesse de la traiter comme une gamine. Alors ils se rendraient dans une multitude d'endroits plus dangereux les uns que les autres, parcourant sans relâche tous les territoires d'Azeroth. Et ainsi, à force de voyager, peut-être qu'elle trouverait.

Elle se savonna enfin, et l'eau claire du baquet se teinta de sa crasse. Propre, elle se versa l'eau du seau sur la tête, avant de sortir du baquet. Un drap pour s'essuyer l'attendait, et une fois sèche, elle enfila une paire de chausses en lin léger, ainsi qu'un haut décoré de franges en perles tressées, et de broderies en laine colorée. Ce haut n'était retenu que par une fine lanière qu'elle nouait derrière sa nuque, et reposait tout juste sur sa poitrine, laissant apparaître le bas ainsi que la naissance de ses seins encore menus. À chacun de ses pas, les perles s'entrechoquaient dans un léger bruit sec, et elle trouvait cette mélodie réconfortante à ses oreilles.

On vint peu de temps après pour la débarrasser du baquet d'eau. Seule à nouveau, elle s'installa sur un coin de son lit, et récupéra dans son sac une belle poignée de branchages droits, sans nœuds aucun.

Lorsqu'elle était encore à l'orphelinat, alors qu'il rêvait de gloire et de conquêtes, Garrosh Hurlenfer avait ordonné à ce que tous participent à l'effort de guerre, hommes, femmes, enfants et vieillards. Elle et les autres orphelins avaient dû fabriquer des flèches, tous les jours, des heures durant, chacun d'entre eux répétant la même tâche inlassablement, sans avoir le droit de s'arrêter avant que le quota ne soit rempli. Plus on était âgé, plus le quota était élevé, et Ma'wande avait parfois eu l'impression à passer ses journées à ne rien faire d'autre qu'empenner des flèches.

Si elle avait fabriqué tant de flèches autrefois qu'elle ne saurait les compter, désormais, tous les soirs, c'est pour elle qu'elle en taillait. La tâche lui semblait autrefois ingrate et abrutissante, à présent elle avait pour elle un parfum d'indépendance et de liberté.

C'était du bon bois qu'elle avait trouvé aujourd'hui dans la forêt, d'un poids idéal, ni trop souple, ni trop rigide. Elle ferma un œil, et les vérifia tous à la lueur de la bougie. Elle n'en laissa que trois de côté, et tailla le reste. Elle les empenna, avec les belles plumes d'hippogriffes que Raethalos avait ramassées pour elle, avant de fixer solidement les pointes en métal qu'il lui avait fabriqué.

- C'est très simple à faire, avait-il dit un jour, surtout si tu as un moule.

Raethalos, lorsqu'il voulait bien s'en donner la peine, fabriquait parfois des bijoux. Plusieurs fois elle l'avait soupçonné de le faire uniquement pour passer le temps, et non pas pour tirer quelque profit, car elle avait cru comprendre que s'il n'était pas riche, il ne manquait pas d'argent non plus.

Parfois, le soir, lorsqu'il s'ennuyait, il taillait des pierres dans différentes formes, poires, rondes, ovales ou coussin, mais toujours de sorte qu'elles brillent comme jamais, les fixaient sur un support pour en faire des colliers ou des bagues, puis les rangeait dans un petit coffre en bois, dont le travail de marqueterie, en nacre et bois précieux, représentait un magnifique bouquet de fleurs. Elle l'avait ouvert un jour, et avait passé de longues minutes à admirer son contenu, colliers, pendentifs, bagues et broches, tous scintillants de mille feux, semblables à une multitude d'étoiles. C'était des bijoux pour femme, à n'en point douter, et il y avait probablement une petite fortune là-dedans, mais Raethalos se contentait de les conserver, sans plus leur prêter aucune attention une fois qu'il en avait terminé avec.

Il l'avait surprise à regarder dans son coffre, mais ne lui avait fait aucune remarque. Le lendemain, cependant, il lui avait rendu une pierre semi-précieuse, qu'elle avait trouvée une semaine plus tôt et qu'elle lui avait confié par crainte de la perdre. Il l'avait taillée et montée de sorte qu'elle put la rajouter au pendentif qu'elle avait déjà autour de son cou alors qu'elle avait prévu au départ de la revendre, et lui avait juste fait une petite remarque en le lui donnant.

- Celui-ci , il est pour toi.

Avec un sourire satisfait, elle considéra la belle réserve de flèches qu'elle avait à présent. Si elle n'en gâchait aucune, elle en aurait pour quelques jours. Elle éteignit une lampe, posa ses nouvelles flèches à côté de son carquois, puis se glissa sous ses couvertures. Demain, elle aurait enfin sa propre monture. C'est avec cette idée en tête qu'elle souffla sur la seconde lampe, laissant les ténèbres envahir la pièce.

Cette nuit là, elle rêva qu'elle était seule, au beau milieu d'une grande étendue désertique. Elle avait peur, elle avait mal, mais elle était trop faible pour se lever, pour partir loin d'ici, et fuir, fuir, fuir cet endroit. Les étoiles succédèrent au soleil, et bientôt également, elle eut faim, et elle eut froid.

Son sang avait depuis longtemps séché, et s'était mêlé à la poussière. Ses vêtements étaient déchirés, maculés de sang brun et de terre blanche. Il lui sembla qu'elle allait mourir bientôt, que si elle s'endormait, tout serait terminé.

Et puis, il fut là. Vêtu d'or et de rouge, il semblait aussi ardent qu'un soleil. Une lueur l'enveloppa, chaude et réconfortante comme les bras d'une mère, et elle n'eut plus mal. Lorsqu'il lui parla, sa voix était grave et douce, sucrée comme le plus doux des miels, et elle sentit de la gentillesse derrière les mots qu'elle ne comprenait pas. Il l'aida à se relever, un sourire aux lèvres, et elle n'eut plus peur. Derrière lui se trouvait un autre homme, mais alors qu'elle allait le regarder, il lui sembla qu'elle avait voyagé. Tout à coup, elle se trouvait dans un autre lieu. Elle était avec sa mère et son père, tous trois installés autour d'un feu.

Sa mère dansait. Son père la regardait, et il riait. L'endroit, bien qu'elle fut incapable de le retrouver dans les tréfonds de sa mémoire, lui paraissait familier, et elle savait qu'elle était dans la forêt de Strangleronce.


Raethalos laissa traîner son regard sur la bougie de suif, suivant des yeux les nombreuses coulées qui se formaient, s'attardant quelques secondes sur la flamme vacillante, qui produisait davantage de fumée que de lumière, et qui éclairait faiblement la table qui lui servait de bureau. Une masse de papier et de parchemins à moitié enroulés s'amoncelait, et un autre que lui aurait eu bien de la peine à s'y retrouver.

La flaque de suif qui s'était formée au pied du bougeoir menaçait de s'étendre jusqu'à ses papiers. Depuis qu'il avait commencé à travailler, la bougie avait diminué de moitié. Il essaya de se concentrer un instant, mais sous la fatigue, son regard se perdit dans le vide, et les contours changeant de la flamme devinrent incertains, ne formant plus qu'une sphère de lumière floue, une forme indécise qui dansaient devant ses yeux.

Il la fixait sans cligner des paupières, et ses yeux lui picotaient, se desséchant alors qu'il les conservait résolument ouverts. Néanmoins il resta ainsi sans ciller quelques secondes encore. Il était épuisé, et n'aspirait qu'à se coucher, mais il n'avait pas encore terminé. Il se répéta qu'il en avait bientôt fini, et que bientôt il pourrait goûter au réconfort que lui offrirait un bon sommeil réparateur, que des draps chaud-à défaut d'être immaculés-ainsi qu'un matelas douillet l'attendaient, mais rien n'y fit.

Avec un soupir, il se frotta les yeux. Il n'avait pas besoin de se regarder pour deviner qu'il avait une mine épouvantable.

- Allez, marmonna-t-il pour lui-même, encore quelques minutes.

Dans un suprême effort, il s'arracha de sa contemplation de la chandelle, et fouilla dans ses papiers. Il s'était trompé quelque part, de deux pièces d'or, quelques pièces d'argents et d'une de bronze, mais tout le défi à présent était de trouver où.

Il avait rejoint le clan dans l'idée de se mêler aux races de la Horde, après l'isolement contraint dans lequel son peuple avait été maintenu à la chute de Quel'Thalas, et avait, à défaut d'être le premier elfe de sang à rejoindre Orgrimmar, été le premier elfe à s'enrôler chez les Haches.

À l'époque, une chamane en était à la tête, et son second, Drogash, avec qui il avait dû effectuer quelques missions, avait fini par attirer sa sympathie. C'était un orc intègre, droit et courageux, et qui n'hésitait pas à se mettre en quatre pour les autres. Il obligea Raethalos à montrer le meilleur de lui-même, lui qui avait toujours été plutôt égoïste.

Tous deux étaient devenus assez bons amis, alors que beaucoup se méfiaient encore des nouveaux alliés qu'étaient les elfes de sang. C'est qu'ils étaient tellement dissemblables, et ils avaient si peu de chose en commun avec le reste de la Horde, à l'exception des morts-vivants... Mais d'eux aussi, on se méfiait. Les mêmes remarques revenaient sans cesse au sujet des elfes. Des tournes casaques, certains avaient dit. Comment leur faire confiance, eux qui étaient resté si longtemps alliés avec les humains? Des chochottes, beaucoup d'autres disaient. Il n'y avait qu'à voir leur carrure, si frêle comparée à celle d'un orc.

Il avait fait son chemin dans le clan, mais ne comprenait toujours pas comment il avait pu se débrouiller pour en devenir le trésorier. La tâche ne l'avait jamais attiré, mais il avait encore cette attitude encrée en lui qui l'empêchait de reculer systématiquement devant ses obligations, fierté et conditionnement parental obligent, aussi Raethalos s'en était accommodé. Il fallait que cela soit fait, on avait voulu que cela fusse par lui, et il estimait avoir une dette sinon envers le clan, au moins envers Drogash. Aussi, il accepta.

Tous les trois mois, c'était la même chose. Chaque membre versait une cotisation, à la hauteur de ses moyens. Et comme de juste, ils étaient très nombreux à attendre le dernier moment, quand d'autres ne dépassaient pas la date butoir. Lui même n'était pas différent lorsqu'il s'agissait de respecter l'échéance. À chaque fois il se promettait de prendre de l'avance sur les comptes, pour éviter une nuit blanche avant le conseil, et à chaque fois il renonçait à ses résolutions pour tout faire au dernier moment.

Les pires, selon lui, n'étaient pas ceux qui versaient leur cotisation le plus tard possible, mais ceux qui versaient tout en une fois, en début d'année, pour être tranquilles. Cela amenait invariablement son lot de complications lorsque la somme à verser était recalculée, ou qu'il ne retrouvait plus dans ses notes qui s'était acquitté de tous ses paiements par avance. (Car du reste, il n'avait jamais été très organisé). Presque à égalité, il y avait enfin ceux qui échelonnaient leurs paiements, en toutes petites sommes, étalés sur plusieurs mois.

Alors qu'il récupérait un parchemin, il renversa l'encrier, et une partie se répandit sur ses notes. Il jura en Thalassien, et avec un soulagement il constata qu'il s'agissait juste d'un brouillon. Sous cette feuille cependant, il remarqua un morceau de papier, avec un nom et une somme inscrite dessus. Il n'y avait pas de croix sur le côté gauche, et il ne l'avait donc pas encore ajouté au total. Mais sans avoir besoin de calculer, il savait qu'il ne retomberait toujours pas juste.

- On dirait qu'il en manque une, marmonna-t-il en se massant le front.

Il sortit la liste des membres du clan, et l'inspecta à nouveau. Par erreur, il avait déjà barré le nom du membre dont il venait juste de rajouter le montant de sa cotisation au total. Peut-être avait-il fait cela avec un autre ? Il passa un à un tous les noms en revue, en s'assurant bien de les avoir compté. C'était le cas, et pourtant il ne tombait toujours pas juste… L'illumination se fit soudainement dans son esprit embrumé par le manque de sommeil, comme s'il apercevait enfin le bout d'un long et tortueux tunnel.

L'un des membres avait quitté la guilde, il y avait moins d'une semaine, peu de temps avant la date butoir, et on ne lui avait pas réclamé sa dernière cotisation. La liste qu'il avait était mise à jour, mais il avait oublié de modifier les prévisions lorsqu'il avait reçu la lettre le mettant au courant de la défection d'un des membres. Il vérifia rapidement que cette fois il tombait juste, et eu un soupir de soulagement lorsqu'il constata que c'était le cas.

Il se frotta les yeux, et assembla tous ses papiers. Il fallait encore qu'il aille vérifier son courrier, ce qu'il avait complètement oublié de faire en arrivant. Il avait envoyé une missive la veille, et espérait que la réponse lui était parvenue. La porte grinça lorsqu'il l'ouvrit. Le couloir était plongé dans la pénombre, et seule une petite lucarne, à travers laquelle on pouvait apercevoir la lune, pâle et fine comme un croissant, donnait sur l'extérieur. Un fin rai de lumière filtrait de sa porte, mais c'était suffisant pour l'éclairer.

Tout était silencieux. La petite dormait déjà probablement depuis longtemps. Il lui arrivait parfois de faire des cauchemars et se réveillait parfois en sursaut, mais se rendormait invariablement immédiatement, pour ne se souvenir de rien le lendemain. Il l'enviait, dans un sens. Lui, ses cauchemars continuaient de le hanter même éveillé, et la marche des années ne changeait rien à cela. Il était loin le temps où il s'endormait aisément, avec l'assurance de passer une bonne nuit.

Sous ses pieds, les marches de métal faisaient résonner ses pas, et il fit de son mieux pour être le plus discret possible. L'âtre de la salle commune était encore tiède. Le feu s'était éteint, mais quelques braises rougeoyaient encore.

Dehors, il faisait frais, et un tremblement lui échappa alors qu'il quittait la douce tiédeur de l'intérieur. Comparé à la quiétude de l'auberge, l'extérieur lui semblait bruyant. Au loin, il entendait le vent jouer avec les feuilles des arbres, les faisant bruire, comme s'ils chuchotaient dans une langue inconnue. Les vagues venaient s'éclater sur le sable, en un doux murmure constant, perpétuel.

Avec satisfaction, il vit qu'on lui avait répondu. À la lueur blanchâtre de l'astre lunaire, il déchiffra les quelques mots griffonnés à la hâte, sur un vieux billet sale. Demain, ils seraient à Orgrimmar.