AUCUN DES PERSONNAGES CI-DESSOUS NE M'APPARTIENT

Chapitre 1 : Une journée comme les autres chez les Millefiore

Byakuran était pensif. Assis sur son canapé bleu pâle assorti aux rideaux, il promenait machinalement sa main droite sur l'accoudoir, en va et vient lents et las. Ses doigts, fins et longs comme des cierges, parcouraient de façon experte les motifs sculptés dans le bois une centaine d'années auparavant, par un artisan sans doute considéré comme le génie de son siècle. Comme tous les autres meubles présents dans ce manoir, d'ailleurs… Tous hors de prix, tous magnifiques, tous conçus par un maitre reconnu dans son milieu de compétence. Son autre main, la gauche, effectuait des allers-retours de sa bouche délicatement dessinée au paquet de friandises molles, roses ou blanches.

Il se reposait. C'était ainsi, c'était sa façon à lui. Les marshmallows l'aidaient, c'était un peu sa drogue, jamais il ne pourrait s'en passer. Il appréciait la douceur fondre lentement sur la langue, devenir molle, s'étirer, puis devenir une pâte sucrée qu'il avalait. Après des années de dégustation, il avait compris quelle était la manière la plus rapide pour déguster le plus de sucreries possible, le plus rapidement possible.

Il en enfourna encore un, puis ses doigts ne rencontrèrent plus que du vide dans le paquet. Il détourna son regard pour contempler le plastique coloré du paquet qui reposait sur la table basse en marbre blanc à ses genoux. Ses lèvres dessinèrent un sourire espiègle. Plus de marshmallows.

Byakuran poussa du bout du pied la table basse qu'il avait approchée de lui plus tôt. Il se leva et saisit au passage le paquet et sortit de sa chambre, située au dernier étage du manoir, et sûrement la plus grande, bien qu'il n'ait pas vérifié. Mais il était le boss, et en tant que tenant de son rang, la pièce la plus grande lui revenait de droit, non ? Cependant, sa chambre était aussi très éloignée de la cuisine, au rez-de-chaussée. Qu'à cela ne tienne, il ferait en sorte de déplacer son stock de paquets de marshmallows de la cuisine à sa chambre. Il demanderait à un de ses subordonnés de le faire. Torikabuto ou Zakuro. Peu importait.

Après avoir parcouru le dédale de couloirs et d'escaliers, il arriva alors au niveau le plus bas, et se laissa guider par une bonne odeur qui emplissait le grand salon. Quelqu'un cuisinait ? Il n'y avait que les Véritables Couronnes Funéraires et lui, à cette heure-ci. L'eau à la bouche, curieux et intrigué, il poussa la porte de la pièce aux fourneaux et découvrit Daisy devant une marmite qui crachait des nuages de vapeur aspirés par la fenêtre.

« - Que fabriques-tu, Daisy-kun ? lança Byakuran, amusé.

- Bya… Byakuran-sama ! C'est un test… J'essaie quelque chose, bégaya le zombie, serrant son lapin en peluche miteux contre son torse.

- Je te laisse, dans ce cas », répondit le possesseur de la bague du Ciel, reproduisant sur son visage un sourire identique à celui de tout à l'heure.

Il sortit, cinq paquets de ses bonbons préférés coincés sous son bras enfermé dans la manche de sa tenue de combat en cuir noir. D'habitude, il passait une chemise blanche et un pantalon sombre, mais aujourd'hui, il avait choisi ce long manteau qu'il aimait beaucoup, souvenir de tant de batailles victorieuses remportées aux côtés de ses Gardiens. De nature paresseuse, il ne se sentait pas le courage d'affronter de nouveau la distance qui le séparait de son bien-aimé canapé bleu, et décida de sortir pour profiter du soleil qui, en cette saison, se faisait plutôt absent. Il passa l'immense porte en acajou et descendit le minuscule escalier de pierres blanches aussi pur que le blanc des yeux. Ses pieds, chaussés de bottes, foulèrent l'herbe d'un vert foncé parfaitement tondue. Il regarda un instant le jardin, qui s'étendait jusqu'à la ligne de l'horizon. Il était vraiment très grand… Byakuran avait acheté une telle superficie pour ne pas être dérangé par les civils. Il ne voulait pas d'eux à proximité. Il ne tolérait que la présence de ses subordonnés et de la bonne qui venait trois fois par semaine dans sa voiture peu récente par la petite route accidentée. Et lorsqu'elle était là, le boss s'arrangeait pour ne pas la voir.

Le détenteur de l'anneau Mare du Ciel avisa quatre de ses Véritables Couronnes Funéraires à une centaine de mètres de sa position. Grâce à leurs flammes, elles volaient à haute altitude, et, visiblement, se battaient. Zakuro, Bluebell, Torikabuto et Kikyo se décochaient des techniques meurtrières sans hésiter, et la résolution se lisait sur leur visage, ainsi l'envie de la victoire. Ils semblaient s'affronter par paires.

Byakuran, une lueur d'intérêt brillant désormais dans ses pupilles d'un violet unique, s'assit sur le gazon et ouvrit un paquet des bonbons moelleux, et d'un geste qu'il répétait si souvent, il glissa dans sa bouche deux d'un coup, captivé par la lutte qui se déroulait dans les airs.

Au-dessus de leur boss, les compères s'affrontaient sans aucune pitié, comme s'ils n'avaient jamais rien partagé ensemble. Chacun usait de son anneau Mare à pleine puissance, se déchainant, rendant coup sur coup, assaut sur assaut, et ripostaient parfois de manière lâche : Zakuro et Torikabuto ne se privaient pas de tirer férocement les cheveux de Kikyo et de Bluebell, le duo ennemi. Le combat dura jusqu'à la fin de l'après-midi, quand le soleil prit une teinte orangée, juste avant de disparaître derrière les collines, cédant sa place à la lune.

Exténués par leur bagarre qui avait duré une très grande partie de la journée, ils redescendirent sur la terre ferme et aperçurent Byakuran qui les regardait, de cet air amusé qui occupait souvent son visage diaboliquement harmonieux, rehaussé par ce sourire malicieux. Des emballages de friandises gisaient à ses pieds, et tous savaient ce qu'ils avaient contenu. Tous connaissaient le péché mignon du boss. Tous positionnèrent leur menton entre l'index et le pouce, et Kikyo s'inclina et prit la parole :

« - Byakuran-sama, nous sommes honorés que vous ayez assisté à notre entrainement, fit-il, une loyauté sans bornes transpirant dans ses paroles.

- Vous prenez votre entrainement vraiment au sérieux, à ce que je vois, répondit Byakuran, de sa bonne humeur coutumière.

- Quand il s'agit de vous, de votre protection, des combats que nous menons en votre nom, nous sommes toujours sérieux. Nous ferons toujours de notre mieux, nous sommes vos serviteurs, reprit Kikyo sur le même ton.

- Barruw ! Mon ventre crie famine, grogna Zakuro, de sa voix rocailleuse et grave. Je veux manger, manger… »

Il tomba à genoux sur l'herbe, et des taches vertes apparurent sur son pantalon d'un blanc immaculé. Un son, gurutal et effrayant, se fit entendre, et provenait du ventre de la Véritable Couronne Funéraire de la Tempête.

« - Il y a des paquets de marshmallows, qu'en dis-tu ? proposa Byakuran, guilleret.

- Barruw, Byakuran-sama, j'ai besoin de véritable nourriture, de viande, de poisson, de choses consistantes, pas de vos trucs mous qui collent aux dents et sucrés, ça ne me nourrit pas…

- Tu ne serais pas affamé ainsi si tu n'avais pas tué la cuisinière la semaine dernière parce qu'elle avait refusé de te préparer ton plat favori, baka, c'est bien fait pour toi ! pépia Bluebell, de sa voix aigue. Et je t'apprendrai que les marshmallows sont très bons, baka ! »

Sur ces derniers mots, elle leva la tête vers son boss, mais elle n'eut pas la réaction tant désirée. Il ne tourna pas la tête vers elle, avec ce sourire qui faisait de lui le plus bel des anges, qui le rendait totalement innocent. Il les regardait tous les quatre, les contemplant avec affection de ce regard violet qui la faisait tressaillir, qui faisait monter le long de sa colonne vertébrale un soupçon d'électricité pour atteindre son cerveau, qui accélérait les battements de son cœur, qui était responsable du tremblement de ses mollets, de la moiteur de ses paumes. Il était plus que beau, à ce moment-là, avec le soleil sur le point de se coucher qui projetait cette couleur orange si vive dans ses cheveux argentés et sur sa peau de la douceur de celle d'un bébé… Hélas pour elle, Byakuran ne lui accorda aucune attention particulière, à sa grande peine.

Kikyo prit sur son épaule son coéquipier et se releva. Puis le possesseur de l'anneau Mare du Ciel se mis en branle vers l'imposant manoir, et ses subalternes le suivirent comme un seul homme. Epuisés jusqu'à la moelle, ils ne parlèrent pas, préférant un silence reposant. Ils franchirent la double porte et pénétrèrent dans l'entrée richement décorée qu'ils traversèrent. Au fur et à mesure qu'ils avançaient, une odeur gagna leurs narines, que chacun identifia clairement : quelqu'un avait cuisiné.

« - Ha-han. Vous avez engagé une nouvelle cuisinière, Byakuran-sama ? demanda sa Véritable Couronne Funéraire du Nuage.

- Non, je n'ai rien fait de tel, mais je pense qu'il s'agit de Daisy, expliqua Byakuran, sans se départir de sa joie.

- Daisy ? » firent les quatre en chœur, interloqués.

A cet instant précis, le zombie fit son apparition, une marmite dans les mains. L'air apeuré qui ne quittait quasiment jamais les traits de son visage était renforcé par des yeux exorbités et sa crinière de cheveux verts emmêlés. Il était pitoyable, avec ses habits dépareillés, et son lapin rapiécé coincé sous son aisselle lui donnait un air de gamin. Mais c'était Daisy, la Véritable Couronne Funéraire du Soleil qu'ils connaissaient, et il semblait s'être découvert une vocation de cuisinier.

« - J'ai préparé quelque chose… Si vous voulez… » marmonna-t-il dans sa barbe, timide.

Les quatre subordonnés dévisagèrent Daisy, frappés par l'incrédulité. Et, avec leur supérieur, se concertèrent du regard, et décidèrent qu'il n'y avait pas à craindre, leur compagnon n'avait pas l'intention de les empoisonner volontairement.

Tous se rendirent dans la salle à manger pouvant accueillir 300 personnes, avec sa longue table en chêne ancienne traversant la pièce haute de plafond et aux murs couverts de boiseries dans toute sa longueur. La vaisselle en porcelaine fine était déposée sur la table, et Byakuran se plaça au bout. Les cinq Véritables Couronnes Funéraires se disputèrent pour se placer aux côtés de leur boss, et ce furent finalement au bout de quelques joutes verbales et paires de claques que Bluebell et Kikyo s'imposèrent fièrement, l'un à sa gauche, l'autre à sa droite. Les trois autres les toisèrent rageusement, et se laissèrent tomber sur la première chaise venue. Les Gardiens de la Pluie et du Nuage sourirent triomphalement, victorieux.

Daisy, qui avait été désavantagé lors de la confrontation récente parce qu'il portait la marmite la posa sur le meuble et souleva le couvercle. Une senteur alléchante se répandit, et tous en eurent l'eau à la bouche. De sa louche, le zombie servit une généreuse part à chacun, toutefois, il en donna plus que les autres à son boss, qui, lui, regardait avec attention ce qui se trouvait maintenant dans son couvert. Bluebell, Zakuro et Kikyo louchaient sur le dîner, eux aussi. Comment allaient-ils pouvoir avaler ne serait-ce qu'une bouchée de ce… truc gluant et marron ? Torikabuto plongea une cuillère dans la préparation et la souleva : le… bidule retomba avec de petits bruits dans l'assiette, morceau par morceau, lentement et grassement.

« - C'est comestible, barruw ? gronda Zakuro, se grattant son menton mal rasé.

- Tu n'as qu'à goûter, et tu sauras, baka ! caqueta Bluebell, en tirant lui tirant une petite langue rose.

- J'ai préparé ça car j'en avais assez, des marshmallows… Byakuran-sama, c'est très bon, mais… Mais au bout d'une semaine… Et donc… tremblota Daisy.

- Et tu veux nous tuer avec ta merde ? le coupa violemment la Véritable Couronne Funéraire de la Tempète.

- Tu te calmes, oui ? Je te rappelle que si on doit s'empiffrer de bonbons, c'est de ta faute, répliqua calmement Kikyo, car tu as bien tué la cuisinière car elle avait prévu un autre plat que celui que tu désirais, n'est-ce-pas ?

- De ta faute, de ta faute ! répéta celle aux cheveux bleus avec un sourire immense collé à la face, toute excitée.

- La ferme, sale gamine, laisse les adultes parler entre eux, maugréa salement Zakuro, une lueur mauvaise au fond des yeux. La ferme, ou je te garantis qu'on en restera pas là où on en est restés tout à l'heure, à l'entrainement, barruw. Sans Kikyo, tu serais en charpie… »

Bluebell, instinctivement, activa son anneau Mare de la Pluie. La pierre bleue se mit à luire d'une douce lumière de la même couleur et réfléchit sur le contenu son répertoire de techniques. Elle opta pour l'offensif : avec son collègue de la Tempête, il fallait frapper en premier et surtout ne pas lésiner sur la puissance. Elle exécuta Bomba Ammonite, l'une de ses attaques les plus fortes : sa main se liquéfia pour devenir un bloc pointu au bout et entièrement entouré d'eau.

Zakuro n'eut même pas à se servir de sa flamme : il saisit son assiette et la lança sur le visage de sa camarade, qui, sous le choc, désactiva sa technique. Son bras redevint normal. Outrée, humiliée, de la pâte visqueuse dégoulinante sur la totalité de son adorable minois, battue de la manière la plus ridicule qu'il soit, elle quitta la table sans un mot ni regard, faisant un vague geste de la main à son boss et se rendit dans sa chambre, sans se douter que Kikyo la suivait, voulant tenter de la réconforter. Elle ferma brutalement la porte et se rua sur son lit, enfouissant sa bobine dans les oreillers, sans faire attention à la nourriture qu'elle répandait sur ses draps. Elle ôta sauvagement le long manteau de cuir noir qui atterrit sur l'épaisse moquette bleue. Cet habit était bien trop grand pour elle, elle marchait dessus si elle ne faisait pas attention, et il la collait quand elle transpirait… mais c'était parce qu'elle ne portait rien dessous. Bluebell revêtait cette tenue de guerre pour faire honneur à Byakuran et aux Véritables Couronnes Funéraires.

Elle se mit à pleurer à chaudes larmes. Elle était triste et furieuse contre elle jusqu'au plus profond de son être. Elle venait de se ridiculiser devant Byakuran. Elle se fichait des trois autres idiots. Au souvenir du rabaissement cuisant devant lui, ses pleurs redoublèrent d'intensité. Elle commença à se rouler avec furie sur le matelas, sa très longue chevelure bleue fouettait sa peau qui commença à devenir rouge.

« - Baka, baka, baka, s'insultait-elle, le chagrin présent dans ses cris. Baka, baka, baka ! Devant Byakuran-sama, en plus ! Byakuran-sama ne voudra plus de moi en tant que Véritable Couronne Funéraire, il me renverra, je ne le verrai plus. Je ne supporterai pas mon éloignement de Byakuran-sama, je n'y survivrai pas, j'ai besoin de ce sourire, de ce regard, j'ai besoin de son être… De sa proximité… Baka, baka… »

Elle continua ainsi toute la nuit.

Derrière la porte, Kikyo écoutait, attentif, recueillant chacune de ses paroles grâce à un enregistreur vocal.