18 juin 1965
Help me if you can, I'm feeling down
And I do appreciate you being round.
Help me, get my feet back on the ground,
Won't you please, please help me?
Help! – The Beatles, 1965
Alors que l'année scolaire tirait à sa fin, les étudiants, le cœur léger, chantaient tous en chœur dans l'autobus, sans savoir que celui-ci les menait tout droit à la mort. Pendant qu'ailleurs aux États-Unis, les jeunes gens manifestaient contre la guerre du Vietnam et écoutaient en boucle les albums lumineux de cet été-là – The Rolling Stones Now! dont la chanson fétiche Get off my cloud ensoleillait les journées déjà saturées de soleil de juin et My Generation des Who, dont la chanson-titre allait devenir un véritable hymne à la jeunesse des années soixante, hymne criant de vérité et de révolte.
Le 18 juin 1965 était un vendredi, dernier jour des classes. Les gens qui y étaient, aiment à répéter que cette journée avait débutée magnifiquement avec un soleil ardent et une chaleur étouffante, faisant sortir les habitants de Harlow de leur maison, pour aller s'acheter une glace au drugstore sur Main Street et pour cueillir des fleurs dans leur jardin, les posant sur le rebord de leur fenêtre.
Les élèves de l'école élémentaire de Harlow attendaient ce moment avec impatience, non seulement parce que dès la fin de la journée ils seraient libres pendant plus de deux mois, mais surtout parce que c'était la sortie annuelle de fin d'année, ce que les enfants autant que les enseignants, attendaient avec effervescence, comptant les jours qui les séparaient de cette date. Cette année-là, il avait été décidé que le voyage se ferait au musée de Monroe, une ville située à près de quatre-vingt kilomètres de Harlow.
Par les fenêtres crasseuses de l'autobus jaune, les élèves regardaient défiler sous leurs yeux emplis d'innocence le paysage qu'ils connaissaient par cœur. La station-service White Rose avec ses pompes à essence tout en courbes, surmontées du logo de la rose blanche, la confiserie de Mimi, où bâtons de réglisses et boules de gommes attiraient invariablement les enfants, le drive-in avec ses serveuses en patins à roulettes et leur uniforme rouge et blanc, le drugstore avec ses larges baies vitrées par lesquelles on pouvait apercevoir les clients juchés sur leur tabouret, le concessionnaire Ford où une Mustang rouge carmin dernier modèle, était garée, éclipsant toutes ses comparses.
Les étudiants connaissaient tous ces lieux et leurs particularités sur le bout des doigts, les voyant toujours avec des yeux neufs et un émerveillement propre aux enfants. Là, tout au bout de Main Street, ils savaient tous que cette route déviait, pour descendre en pente et que tout au bas de cette pente, se trouvait le lac Miller. Ensuite, un panneau d'arrêt rouillé se dressait pitoyablement, permettant de tourner soit à droite en direction de Jonestown la ville voisine, soit à gauche, vers la 5e avenue de Harlow.
Les enfants avaient empruntés cette route des centaines de fois avec leurs parents et ils aimaient bien cette sensation qu'on avait de plonger dans le lac. Mais bien sûr, ça n'arrivait jamais. La voiture stoppait au bout de la route et poursuivait son chemin, le plus souvent en direction de la 5e avenue. Par contre, aujourd'hui grâce à ce sixième sens que semblait posséder les enfants, ils savaient que la situation serait différente. L'autobus filait à vive allure, descendant la pente dans un grincement de freins assourdissant. Les arbres verts et la route pavée défilaient en éclairs de couleurs à travers les fenêtres poussiéreuses. Il y eut des cris puis un effroyable bruit de ferraille et l'autobus jaune plongea dans le lac Miller. La radio qui diffusait une chanson des Beatles, se tut à jamais.
