Chapitre un : De Charybde en Scylla

Elle courait à perdre haleine. Derrière elle, les aboiements se rapprochaient. Les habitants de ce quartier étaient-ils tous sourds ? N'entendaient-ils pas ce raffut ? Elle aurait voulu tambouriner aux portes, supplier à l'aide. Mais si elle s'arrêtait une seule seconde, les chiens la rattraperaient. Et dans ce cas…
Elle s'engagea dans une ruelle. Comme ailleurs, des lumières brillaient aux fenêtres. Les Londoniens vivaient tranquillement, ignorant complètement le danger dans lequel elle se trouvait. Elle passa devant une dizaine de maisons avant d'apercevoir une habitation à l'air lugubre mais qui avait l'air à la fois vide et ouverte. Elle sauta la barrière, poussa la porte entrebâillée d'un coup d'épaule et se précipita à l'intérieur, refermant derrière elle.
Les chiens n'entreraient pas.
Mais leurs maîtres, eux, suivaient et ne se laisseraient pas arrêter par une porte fermée. Elle n'avait gagné qu'un court répit.
Pourtant les chiens passèrent et repartirent, leurs aboiements déclinant vers l'autre bout de la rue. Les voix des hommes passèrent également, encourageant les animaux.
Une minute s'écoula. Puis deux. Ils n'étaient plus là.
Elle poussa un soupir de soulagement et s'effondra contre la porte. Épuisée, ses nerfs la lâchèrent et elle se mit à sangloter dans l'obscurité de cette maison inconnue. Serait-elle obligée de vivre ainsi à présent ? De se cacher pour survivre ? Elle pourrait passer le reste de la nuit ici si les propriétaires ne revenaient pas. Mais demain ?
David et ses hommes reviendraient fouiller la zone où ils l'avaient perdue…
Ces pensées passèrent lentement dans une minuscule partie de son esprit tandis que le désespoir envahissait tout le reste.
Elle pleurait sans parvenir à s'arrêter, s'accrochant des ongles à la porte fermée.
« Qui êtes-vous ? Comment êtes-vous entrée ici ? »
Elle sursauta, la terreur s'emparant à nouveau d'elle. La voix rauque et menaçante appartenait à un homme debout devant elle dont elle ne pouvait distinguer les contours que grâce aux faibles lumières parvenant de la rue.
Comme elle ne répondait pas, paralysée par la peur, il se baissa et la saisit violemment par ses vêtements.
« Comment êtes-vous entrée ici ? répéta-t-il d'une voix furieuse.
– Je… La porte était… ouverte, répondit-elle, tremblante.
– Vous vous moquez de moi ! Qui vous envoie ?
– P… Personne… Je… J'étais… »
Il l'avait soulevée avec une force peu commune et avait approché son visage du sien. Elle ne pouvait voir que ses yeux brillant anormalement dans le noir et ces yeux reflétaient encore plus de menace que sa voix. Elle sentit qu'il pressait contre sa tempe un objet oblong, probablement en bois.
« Vous ne voulez pas parler ? continua-t-il. Vous parlerez, croyez-moi !
– Non ! »
Il allait la torturer, elle le savait. Elle n'avait pas échappé à David pour connaître à nouveau la torture.
« Lâchez-moi ! Au secours ! Au secours ! »
Elle hurlait à présent.
« Personne ne vous entendra ici, dit-il d'un ton plus calme. Alors inutile de vous égosiller. »
Elle ne l'écoutait pas. Elle continuait à crier à l'aide.
La baguette de bois se détacha de sa tempe.
« Stupefy* ! » fut la dernière chose qu'elle entendit avant de s'évanouir.

« Oui professeur. Elle est entrée sans difficulté.
– C'est bien la première fois que je vois un sort de fidelitas rompu, répondit Albus Dumbledore. Et un que j'ai lancé moi-même, qui plus est. »
Le vieux sorcier s'était déplacé jusqu'à Grimmauld Place** dès que Remus Lupin lui avait fait part de la nouvelle.
« J'ai bien peur que Severus n'ait plus du tout de veritaserum en réserve, reprit-il. Et vous savez qu'il lui faut près d'un mois pour en préparer.
– Mais cette fille, professeur ! Que va-t-on faire d'elle ?
– Vous allez devoir la garder ici jusqu'à nouvel ordre. Je n'ai pas le temps de l'interroger à présent.
– Ici ? Mais professeur, ce soir…
– Je sais bien mais nous n'avons guère le choix. Enfermez la du mieux que vous le pouvez ! Donnez-lui un somnifère s'il le faut ! »
Remus était vraiment réticent à cette idée. Il refusait d'avoir quiconque dans la maison ces soirs-là s'il pouvait l'éviter. Mais le directeur avait raison. On ne pouvait laisser la fille partir avant de savoir comment elle avait brisé la protection de la maison et pourquoi.
Pour le moment, elle était toujours assommée et il l'avait installée dans l'ancienne chambre de Sirius. Par mesure de protection, il avait également verrouillé l'accès et placé une alarme.
Il raccompagna Dumbledore jusqu'à la porte et la referma sur lui.
Il la regarda un long moment, visualisant comme si elle était là la jeune femme qu'il avait trouvée sanglotant et apeurée. Elle lui avait paru si belle et si fragile. De longs cheveux noirs décoiffés, un visage pâle et fin couvert de sueur, des jambes fuselées sous un jean sale et déchiré… Son premier instinct avait été de la prendre dans ses bras et de la réconforter avant qu'il ne réalise…
Comment avait-elle pu trouver cette maison ? Voilà ce que Remus se demandait depuis la nuit précédente. Était-elle arrivée là par hasard ou avait-elle été envoyée par Voldemort ?
Il soupira et revint au présent. Il était midi et demi et la lune ne se lèverait pas avant six heures. Il lui fallait se préparer pour protéger cette fille de lui-même et l'empêcher de s'évader.

Elle revint à elle brusquement, comme si elle n'avait fait que fermer les yeux. Mais elle n'était plus dans l'entrée sombre et elle se sentait reposée, comme si elle avait dormi de longues heures.
« Bonjour. »
Elle reconnut la voix. C'était l'homme de la veille. Elle eut un mouvement de recul en l'entendant et réalisa qu'elle se trouvait dans un grand lit aux rideaux à demi tirés.
« N'ayez pas peur ! » reprit l'homme.
Il ne la menaçait plus mais son ton était encore méfiant.
« Je vous ai préparé à manger. » dit-il encore.
Elle regarda la nourriture avec envie et suspicion. Pourquoi cet homme si violent hier était-il à présent attentionné ?
« Libre à vous de ne pas manger mais à votre place je ne me laisserais pas mourir de faim.
– Qui êtes-vous ?
– Vous vous décidez enfin à rejoindre la conversation. » répondit-il avec un léger sourire.
Et pendant un moment elle put apercevoir toute la douceur contenue dans le visage de son interlocuteur. Mais il reprit son air sévère.
« Ce serait plutôt à moi de vous demander ça. Vous vous êtes introduit chez moi en pleine nuit malgré tous les systèmes de sécurité présents. Mais soit… Je m'appelle Remus Lupin. »
Drôle de nom…
« Et vous, qui êtes-vous ?
– Annabelle Mistin.
– Mademoiselle Mistin, vous êtes entré dans un monde que vous ne connaissez pas et je ne peux pas vous laisser en sortir… pour le moment.
– Quoi ? Mais… mais vous n'avez pas le droit de…
– C'est l'ordre que j'ai reçu de mes supérieurs, coupa Lupin sans écouter ses protestations, et c'est ce que j'aurais fait de toute manière. Ne vous inquiétez pas, vous ne serez pas maltraitée, du moins si vous vous décidez à manger. Et vous êtes sous ma responsabilité donc j'apprécierais que vous ne cherchiez pas à vous échapper. »
Et comment qu'elle allait chercher à s'échapper ! Elle ne voulait plus jamais être retenue où que ce soit contre gré.
« Essaieriez-vous que vous risqueriez très gros, reprit-il d'un ton menaçant. Je ne sais pas comment vous êtes entrée hier soir mais, croyez-moi, vous aurez à passer bien plus pour ressortir !
– Mais… mais… »
Il s'approcha de la fenêtre et regarda le ciel un moment avant de soupirer.
« Je vous conseille vraiment de manger. » dit-il finalement tristement.
Puis il sortit, la laissant aussi perdue que lorsqu'elle courait.

Annabelle n'avait pas mangé. Plus ce Lupin avait insisté et moins elle avait été tentée. Bien sûr elle mourait de faim mais elle était persuadée que la nourriture contenait quelque chose. Somnifère, poison, elle s'en moquait. Elle ne tenait pas à ce qu'on lui fasse avaler quelque chose à son insu.
La nuit était tombée – elle tombait tôt en ce mois de décembre – et la lune n'était pas encore levée. Sa chambre était donc plongée dans les ténèbres. Plus tôt, elle avait exploré la pièce. Elle était apparemment dans la chambre de quelqu'un d'autre. Les placards contenaient quelques vêtements étranges les étagères étaient couvertes de livres souvent lus – leur état le montrait – aux titres bizarres. Sur le mur étaient suspendues diverses photos dont certaines représentaient Lupin quelques quinze ans plus tôt et aujourd'hui. Elle avait bien sûr essayé de quitter la pièce mais la porte semblait verrouillée de l'extérieur.
Comme elle s'était sentie vraiment sale, avec ses vêtements en lambeaux qu'elle portait depuis si longtemps, elle avait profité de la salle de bain attenante et avait entrepris sa première véritable toilette depuis ce qui lui avait semblé une éternité. Elle avait ensuite enfilé une sorte de longue chemise qu'elle avait trouvée dans la garde-robe et s'était blottie sous les draps pour attendre.
Attendre quoi, elle ne le savait pas, mais elle était sûre que quelque chose allait se passer.
Lentement, elle voyait le ciel s'éclaircir, signe que la lune se levait. Petit à petit, les meubles autour d'elle étaient plus visibles.
Soudain, un hurlement lui parvint. Elle sauta du lit et courut vers la porte. Peine perdue.
Le hurlement retentit de nouveau. Il était tout proche ! Il était dans la maison !
Sa course poursuite avec les chiens lui revenait. Sa terreur la reprenait. David l'avait retrouvée et il était dans la maison !
Le hurlement se fit à nouveau entendre.
Non, ce n'était pas un chien qui aboyait à la nuit.
Mais… qu'est-ce qui pouvait bien pousser un cri pareil ? Un cri qui la faisait frissonner d'effroi. Ca ressemblait au hurlement d'un loup ou d'un chacal… Mais ça paraissait vaguement humain…
Terrifiée, elle se réfugia dans le lit dont elle ferma les courtines. C'était là un asile bien dérisoire, mais la raison ne la contrôlait plus.
Une fois encore, seule la peur la contrôlait.

* Stupefy ~ Stupefix
** Grimmauld Place ~ Square Grimmaud. En anglais, il y a un jeu de mot sur Grimmauld Place qui se prononce comme « grim old place », signifiant « vieil endroit sinistre ».