Crossover entre Person of Interest (fin de la saison 3) et Longmire.
Improbable ? Sans doute…
Note : Je m'étais dit que ça serait amusant de confronter John Reese et Walter Longmire, les deux grands taiseux de la TV. Sauf qu'en fait ce que j'aime écrire ce sont les dialogues. J'aurais peut-être dû y penser avant… L'histoire a donc été laborieuse. Heureusement Yellowstone69 a sauvé la mise en aiguillant mon histoire et me proposant des pistes après la lecture d'un premier jet catastrophique. Merci à toi, je ne sais pas ce que j'aurais fait sinon. (Il faut aussi avouer qu'une fois que je lui ai agité le drapeau du crossover, alléchée par la confrontation elle ne m'a pas laissé abandonner le projet. Terribles ces éditeurs…).
Après White Collar / Twilight, un nouveau crossover inédit sur FFnet… Peur de rien (mais depuis que j'ai vu un crossover Forever / My Little Poney, la capacité de délire des fanwriters ne peut plus me surprendre).
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"Welcome to Durant – Absaroka County"
John Reese laissa échapper un soupir de soulagement. Il avait beau savoir qu'il était sur la bonne route, les derniers kilomètres avaient paru si longs qu'il en était venu à se demander s'il n'avait pas raté un croisement quelque part. Ralentissant son véhicule, il eut un sourire amusé en passant à côté du panneau d'entrée de la ville.
Le vieux coup de fusil sur le coin droit était toujours là. Personne n'avait pris la peine de remplacer le panneau. Bien sûr, les trous sur les poteaux indicateurs n'étaient pas rares dans la région. Les chasseurs –et les jeunes ados en quête de sensations– prenaient un malin plaisir à en faire des cibles. Le trou sur le coin supérieur droit était son œuvre, il y avait environ… bien trop d'années pour compter.
Quand Samaritan avait pris le contrôle, la Machine leur avait donné de nouvelles identités. Après avoir quitté son employeur et ses amis, John avait décidé de s'éloigner de New York pendant quelques jours, le temps que les choses se calment. Obligé de quitter son loft pour des questions évidentes de sécurité, il avait "emprunté" un véhicule et pris la route pour le Wyoming. Mark Snow le connaissait bien ; le Montana n'était pas si loin…
Il avait fait les presque 3000 kilomètres d'une traite, ne s'arrêtant que pour faire le plein d'essence, boire un café et dormir quelques heures sur un parking. Le stress des derniers mois avait élevé son niveau d'adrénaline à des taux record, mais la fatigue l'avait rattrapé quelques heures plus tôt. Il était épuisé ; il n'avait qu'une hâte, prendre une douche et dormir, pas forcément dans cet ordre d'ailleurs.
Il se gara sur la place principale. Le vieil hôtel était toujours là. De même que le bureau du sheriff. Walt risquait de lui faire la peau s'il apprenait que John était allé se coucher sans le saluer d'abord.
Walter Longmire, sheriff de Durant, était un ami de longue date ; une amitié remontant à des temps où la vie était encore pleine de rêves et les jours heureux.
Il entra dans le bâtiment, monta les escaliers rapidement, se souvenant d'une époque où Walt n'était pas le maître des lieux. Il poussa la porte. Le bureau n'avait pas vraiment changé : de nouveaux ordinateurs sans doute et un nouvel adjoint. Ruby leva la tête en entendant la porte s'ouvrir et resta bouche bée.
"Bonjour Ruby," dit John et salua de la tête l'adjointe blonde, assise à l'autre bureau.
Ruby ouvrit la bouche pour répondre mais les mots restèrent bloqués dans sa gorge. La porte du bureau du sheriff était ouverte ; le sol en bois grinça quand son occupant se déplaça.
"John," salua Walt d'un ton calme, nonchalamment appuyé à la porte, comme s'ils s'étaient croisés quelques heures plus tôt et non près de dix ans auparavant.
"Walt," répondit John, le coin d'une lèvre soulevé en un demi-sourire.
Après quelques secondes de silence, Walt l'invita dans son bureau d'un geste de la main puis ferma la porte derrière eux.
Ruby était toujours immobile, regardant la porte fermée.
"Qui est-ce ?" demanda Vic, sentant que l'inconnu n'avait laissé personne indifférent.
Elle alla chercher un verre d'eau. Elle n'avait jamais vu Ruby aussi bouleversée.
"Ruby, tu vas bien ?" lui demanda-t-elle doucement en lui tendant le verre. "On dirait que tu as vu un fantôme."
Ruby sembla enfin sortir de sa stupeur. "C'est tout comme," murmura-t-elle.
John se laissa tomber sur une chaise à côté de la fenêtre tandis que Walt ouvrait un tiroir et en sortait une bouteille et des verres. Il servit deux rasades généreuses de whisky et tendit l'un des verres à John.
"On m'avait dit que tu étais mort," fit-il remarquer d'un léger ton de reproche.
"Oui, il paraît," s'excusa John avec un haussement d'épaule.
Ils levèrent leurs verres en un toast muet et dégustèrent leur boisson en silence. Ce don du silence rendait Ruby folle : deux grands taiseux. On l'avait entendu s'exclamer qu'il était plus facile d'espérer qu'il neige en enfer que d'attendre que les deux hommes s'expriment.
"T'es là pour longtemps?" finit par demander Walt.
"Quelques jours," répondit John.
Il fit tourner le liquide dans son verre, se souvenant du jour où il avait rencontré Walt pour la première fois.
2014 – 2013 – 2010 – 2000 – 1990 – 1985 – 1982 – 1980 - 1979
Comme tous les étés, John passait ses vacances dans la ferme de son grand-père au Wyoming. Son aïeul lui accordait une liberté totale, tant qu'il était à la maison pour les repas et de retour avant 21h00, le jeune garçon n'avait pas vraiment de comptes à rendre.
Ce jour-là, il était en train de pêcher à la rivière. Tout à coup, un éclair brillant dans l'eau l'avait attiré. Il avait grandi avec les histoires de chercheurs d'or que lui racontait son grand-père depuis sa naissance ; il sauta dans la rivière, trop heureux de sa chance. Mais la rivière s'avéra être plus profonde que prévu et le courant bien trop fort pour un jeune garçon. En quelques secondes, il fut entraîné par la force du courant, ne parvenant qu'à sortir sa tête de l'eau entre deux remous.
"Attrape la corde!" cria une voix depuis la berge.
Luttant contre le courant, il avait réussi à sortir sa tête de l'eau et tendre une main pour attraper la boucle du lasso lancé avec une parfaite précision. Il crut que son épaule allait lâcher quand la corde se tendit, mais il s'accrocha de toutes ses forces. Bientôt son corps fut doucement tiré vers la rive. Deux paires de bras l'attrapèrent et l'aidèrent à sortir de l'eau. Il tomba à genoux, toussant et crachant de l'eau.
"Merci," parvint-il à dire entre deux quintes de toux.
"Respire gamin ; tu nous remercieras plus tard," avait dit la voix, tandis qu'une main frottait gentiment son dos.
1979 – 1990 – 2010 – 2014
Cela avait été le début d'une amitié éternelle. Walter Longmire et Henry Standing Bear étaient restés les seuls socles inamovibles de sa vie. Quoi que la vie ait jeté sur leur chemin, malgré les années passées, en dépit de l'éloignement, il savait qu'il serait toujours le bienvenu et que leur amitié serait inchangée.
La dernière fois qu'il avait vu Walt, il venait de quitter l'armée, juste avant qu'il ne rejoigne la CIA. Avant que sa vie ne bascule dans le noir, avant d'avoir franchi la ligne sans retour… Mais même avant cela, ils ne s'étaient pas beaucoup vus entre ses missions pour l'armée. Des coups de téléphone, quelques lettres avant que les messageries électroniques ne rendent le papier obsolète.
Quand Root leur avait remis leurs nouvelles identités, leur conseillant de faire profil bas pendant quelques semaines, revenir à Durant avait semblé logique. Il savait que Walt ne poserait pas de questions. Il avait ses propres démons, ses secrets bien cachés ; il respecterait le besoin de silence de John.
"Tu as un endroit où dormir ?"
"Non, pas encore. Je viens d'arriver. Je me suis dit que tu me jetterais en prison si je ne passais pas te voir dès mon arrivée," répondit John avec un léger sourire. "Je vais prendre une chambre chez Suzie."
"Suzie a vendu l'hôtel. Viens dormir chez moi."
"Tu as fini par construire ton chalet dans la vallée ?"
Walt sourit. Henry aurait sans doute fait remarquer que parler de "chalet" était un terme ambitieux pour ce qui n'était guère que quatre murs et un toit, mais c'était un début. Enfants, ils avaient passé des heures à rêver de l'endroit où ils vivraient quand ils seraient adultes.
Il regarda son ami. Les yeux de John n'étaient que deux fentes étroites au-dessus de cernes sombres.
"John, tu as l'air éteint. T'as conduit pendant combien d'heures ?"
"Un peu…"
Walt se leva et prit son chapeau.
"Allez, je t'emmène. Laisse ta voiture, je n'ai aucune envie de te récupérer au fond d'un ravin."
L'ex-agent n'avait pas la force de protester et suivit le sheriff après s'être arrêté prendre un sac dans son coffre. John poussa un soupir en s'asseyant dans la voiture.
Walter lui jeta un regard amusé en tournant la clé.
"Essayons de te mettre dans un lit avant que tu ne t'endormes. Je ne vais pas te porter et il fait trop froid pour dormir dans la voiture."
"T'as donc enfin ta maison dans la vallée ?"
"Ouais…" Walt soupira.
"Désolé de n'avoir pas pu venir aux funérailles…"
Le silence s'installa. John avait été présent au mariage. Il n'avait jamais vu Walt aussi heureux. Bien qu'il ne put venir aussi souvent qu'il l'aurait souhaité, il avait gardé le contact. Walt étant une figure publique, il était assez facile de trouver des informations sur sa vie.
"Je n'ai pas fait grand-chose après… son départ." Walt fit une légère grimace. "Henry n'arrête pas de me tanner à ce sujet."
Arrivés au chalet, John s'écroula sur le canapé et s'endormit avec tous ses vêtements. Walt rit doucement, lui enleva les chaussures, releva ses jambes et le couvrit d'un plaid.
John n'avait pas bougé d'un pouce quand le lendemain matin, Walt se leva et mit le café en route. En entendant du bruit, il bougea et repoussa la couverture chassant la brume de son cerveau. Il se souvenait à peine d'être sorti de la voiture. Il n'avait pas l'habitude de s'endormir aussi profondément ; s'il avait besoin d'une preuve qu'il se sentait en sécurité dans ces contrées…
"Tu devrais arrêter de ramasser tout ce qui traine," dit Henry à Walt depuis le seuil de la maison.
"Walt, y'a un indien à la porte. Où est ton fusil ?" demanda John en se levant du fauteuil.
Henry secoua la tête à la vieille blague.
Après avoir sorti John de l'eau, les deux jeunes hommes s'étaient assis à ses côtés lui donnant le temps de se remettre de sa frayeur. Ils s'étaient présentés et John avait regardé Henry les yeux grands ouverts "t'es un indien" s'était-il exclamé. Walt avait froncé les sourcils, désapprouvant le commentaire, mais Henry s'était contenté de lever un sourcil attendant la suite. "De quelle tribu es-tu ? Tu habites la réserve ?" La curiosité innocente avait donné lieu à des centaines de questions. Au bout d'un moment, Henry s'était tourné vers Walt le priant de le tuer pour mettre fin à son calvaire.
Il s'avança et enlaça chaudement John de ses bras. Celui-ci le serra dans ses bras, content de revoir son ami.
"Standing Bear, tu continues à rendre visite à ce grincheux ?" demanda-t-il sur un ton amusé.
"Il faut bien prendre soin des aïeuls," répondit Henry.
"Ne l'écoute pas, gamin. Il attend impatiemment de pouvoir rejoindre le conseil des anciens de la Tribu."
John rit doucement. Il n'y avait que Walt pour continuer à l'appeler gamin.
"Comment savais-tu que j'étais là ?" demanda John.
Henry le regarda comme s'il avait perdu la tête.
"Nous sommes à Durant, pas… T'habites où d'ailleurs ?"
La joie des petites bourgades… A l'heure qu'il était, toute la ville était probablement au courant que le petit-fils de Gordon était là. Un ordinateur omniscient n'était pas de taille face à la rumeur d'un village.
Henry posa un sac en papier garni de provisions.
"J'ai apporté de quoi faire le petit déjeuner. Parce que si tu comptes sur Walt pour te nourrir…" plaisanta l'indien en s'affairant dans la cuisine. "Va prendre une douche pendant que je cuisine."
Revigoré par la douche, Reese écouta ses amis lui raconter la vie à Durant les dernières années. Apparemment, les secrets et la criminalité n'étaient pas étrangers aux petits comtés. Il s'était dit que quelques jours loin de New York lui apporteraient un peu de calme, mais la violence avait également atteint la campagne profonde.
John observait les interactions entre Walt et Henry. Il avait le sentiment qu'ils lui cachaient des choses, mais s'ils ne voulaient pas le mettre dans la confidence, il n'insisterait pas ; ils avaient sans doute leurs raisons. Leur amitié datait d'avant leur rencontre, ils vivaient dans la même ville, avaient été dans l'armée ensemble, ils avaient forcément des secrets.
Les trois hommes dégustaient une dernière tasse de café en silence.
"Alors, tu vas nous dire où tu étais ?" finit par demander Henry. "Aux dernières nouvelles, tu avais quitté l'armée, pas vrai ?"
"Ouais," murmura John d'un ton sombre.
Le silence reprit.
Henry finit par éclater de rire.
"Tu n'as pas changé ! J'avais presque oublié pourquoi tu me rendais dingue. Te faire parler est encore plus compliqué que de résoudre la question indienne."
Walt et John échangèrent un regard amusé.
"Des projets pour ton séjour ?"
John regarda par la fenêtre. Le ciel était d'un bleu éclatant, les arbres semblaient vouloir atteindre le soleil. Il fut tout à coup frappé par le silence. Il avait besoin de sortir. Pêcher n'était pas de saison et la chasse ne l'avait jamais intéressé, mais partir juste randonner le tentait bien.
Il se leva et se dirigea vers le porche. Le sol était en partie gelé ; la nuit avait été froide. Le soleil étincelait, mais il ne chauffait pas vraiment l'air. C'était une superbe journée d'hiver dans les Rocheuses.
"On peut toujours accéder à la grotte ?" demanda-t-il en se tournant vers Walter.
"Oh Seigneur… Je n'y suis pas retourné depuis des années."
2014 – 2013 – 2010 – 2000 – 1990 – 1985 – 1982 – 1980
Leur différence d'âge n'avait jamais été un problème. John était vif et plutôt grand déjà. Il était silencieux, écoutant ses amis et toujours prêt à les suivre.
Les trois jeunes étaient dans une grotte, assis autour d'un feu de bois. Henry psalmodiait un vieux chant indien.
"Nous serons toujours amis
"Nous veillerons toujours sur l'autre
"Nous garderons toujours les secrets
"Nous ne nous séparerons jamais
"Jusqu'à la fin des temps, nos âmes n'en feront qu'une"
Passant vivement une lame sur leurs poignets, ils avaient mélangé leurs sangs, un sourire immense sur leurs visages innocents.
1980 – 1990 – 2010 – 2014
John frotta machinalement la minuscule cicatrice. Elle n'était plus réellement visible après tant d'années, une infime trace sur l'intérieur du poignet.
Walt vit le geste et sourit. Ces jours semblaient tellement loin qu'ils avaient tout d'un rêve.
"Jette un œil dans l'armoire, il devrait y avoir des chaussures de randonnée à ta taille."
Henry se leva pour partir.
"Messieurs, j'adorerais aller m'amuser avec vous, mais j'ai un bar qui m'attend. Je vous verrai plus tard."
"Merci d'être passé Henry."
"On passera prendre un verre," dit Walt.
"Bar ?" demanda John en se tournant vers Walt.
"Le Red Pony ; ils font les meilleurs hamburgers de la région." Walt secoua la tête. "T'es parti trop longtemps gamin."
John fit une grimace. Il se demanda s'il pourrait un jour l'expliquer à Walt.
Chaudement couverts –John avait emprunté des affaires à son ami– les deux hommes étaient partis sur le sentier menant à leur cachette préférée quand ils étaient enfants. Ils avaient passé des heures dans la grotte, à partager des secrets, imaginer leur futur, avouant leur premier baiser… Ils s'y sentaient en sécurité, un lieu loin du monde où rien ne pouvait les atteindre.
L'exercice leur fit du bien, ainsi que l'air glacé de la montagne. Des bouffées de vapeur s'échappaient de leur bouche tandis que le sentier devenait plus escarpé.
Deux heures plus tard, ils atteignirent la grotte. John se pencha dans l'entrée et regarda à l'intérieur.
"C'était pas plus grand ?" se demanda John en observant les murs.
La montagne avait changé, les arbres étaient plus hauts, le sentier était différent. Il n'aurait sans doute pas été capable de retrouver son chemin.
"Tu étais plus petit," fit Walt en riant.
John sourit d'un air penaud et s'assit sur un rocher, observant la vallée. Le point de vue était spectaculaire. Là-haut, enfants, ils avaient eu le sentiment de régner sur le monde. Il savait désormais que personne ne régnait sur le monde, si ce n'était des intelligences artificielles, mais l'impression était toujours aussi vivace. Loin de tout, comme si rien ne pouvait les toucher.
"Jessica est morte," dit-il à voix basse.
"Oh," s'exclama Walt en s'asseyant à son tour. "Je suis désolé."
Le sheriff poussa un soupir attristé. Il comprenait la peine de son ami.
Il se souvenait encore du visage de John lors de l'une de ses dernières visites. Il rayonnait. Il se souvenait l'avoir vu descendre de voiture et lui avoir lancé avant même un bonjour, "comment elle s'appelle ?". Il avait éclaté de rire quand John avait pris un regard innocent lui demandant de quoi il parlait. Puis quand il avait enfin commencé à parler, plus rien n'avait pu l'arrêter. John avait plus parlé ce soir-là qu'il n'avait jamais parlé. Les dernières bières avaient sans doute aidé, mais les mots d'amour coulaient tel un torrent que rien ne pouvait arrêter.
Ils restèrent silencieux, perdus dans leurs pensées.
"C'est ma faute. Je l'ai laissée partir. Elle m'avait pourtant dit de lui demander de rester, j'ai été lâche…" Sa voix trembla, la vieille blessure toujours aussi douloureuse.
"Que s'est-il passé ?" s'enquit doucement Walter.
"Son mari l'a tuée," siffla John, les dents serrées. S'il pouvait tuer l'homme une nouvelle fois, il recommencerait sans aucun remord.
"Tu m'expliques comment c'est de ta faute alors ?"
"Elle m'a appelé, je suis arrivé trop tard."
Bien sûr, se retrouver à l'autre bout de la Chine pour se faire tuer lui accordait des circonstances atténuantes, mais il ne pouvait s'empêcher de s'en vouloir. Il aurait dû être là, il aurait dû parler à l'aéroport…
Walt regarda les yeux s'embrumer. Il lui serra gentiment l'épaule. Il n'existait pas de mots pour atténuer la douleur. Il était là s'il voulait parler. Après un moment, John se tourna vers lui, un léger sourire sur les lèvres.
"J'avais oublié à quel point c'était calme ici."
"Oui…" Walt jeta un œil au ciel. "Mais il faudrait commencer à redescendre. Il va neiger."
"Neiger ?" demanda John en regardant le ciel parfaitement bleu.
"Tu as aussi oublié à quel point le temps change vite ici ?" Il pointa l'horizon où de lourds nuages apparaissaient.
La météo changea encore plus vite que Walt ne s'y attendait. A mi-chemin, de gros flocons commencèrent à tomber, mais John ne s'en soucia guère. C'était magnifique. La neige à New York tournait toujours au cauchemar. Le vent était cinglant, les trottoirs se transformaient en patinoires, le froid se glissait sous les manteaux les plus chauds, même la Bibliothèque était glaciale malgré les chauffages poussés à leur maximum. Ici les flocons se détachaient et il pouvait les attraper un par un avant qu'ils ne fondent dans sa main.
"Il faudrait accélérer un peu," indiqua Walt en passant un pont en bois.
Un craquement inquiétant se manifesta juste avant que la planche sous les pieds de John ne cède. Il laissa échapper un cri de surprise puis eut le souffle coupé quand il tomba dans l'eau glacée. Le courant vif et le poids de ses vêtements trempés l'emportèrent aussitôt, le ballotant dans le courant.
Walter fut paralysé par la surprise une seconde, puis se précipita sur la berge pour essayer de rattraper son ami.
"Il va falloir qu'on t'interdise les rivières," murmura-t-il tandis qu'il regardait le corps emporté par la rivière.
Alourdi par le poids de son manteau gorgé d'eau, John eut le sentiment d'avoir une nouvelle fois onze ans, incapable de se battre contre le courant, se contentant d'essayer de garder la tête hors de l'eau. Le froid commençait à devenir cuisant. Un virage le projeta contra des branches au milieu du cours d'eau. Il réussit à les attraper avec un grognement puis faillit tout lâcher quand un remous lui empli la bouche d'eau. Il cracha en serrant les branches de toutes ses forces. Le courant continuait à pousser son corps sous les branches l'empêchant de prendre appui pour tirer sur ses mains. L'eau frappait les branches et rebondissait contre son visage. Il ne sentait plus ses mains, peu à peu elles glissèrent et son corps fut à nouveau emporté par le courant.
Poursuivant sa course implacable, un peu plus bas il heurta de tout son poids un arbre mort et cria quand ses côtes frappèrent violement ; il se retrouva plaqué contre le tronc. Parvenant à trouver des ressources qu'il ne pensait plus avoir, il parvint à passer une jambe par-dessus l'arbre et se retrouva à califourchon. Une grande partie de son corps était encore sous l'eau, le courant le plaquant contre le tronc. Il toussa et cracha de l'eau, essayant de reprendre son souffle.
Immobilisé par la force du courant et le tronc sous son corps, il ne pouvait plus bouger. Une partie étrangement sereine de son esprit s'émerveilla du fait qu'il allait mourir dans une rivière. Pas tué par des hommes de main de la mafia, ou par un groupe secret, mais parce qu'il était tombé d'un pont.
Il avait déjà failli se noyer dans cette même rivière. Walt et Henry l'en avaient sorti ce jour-là. Mais aujourd'hui il ne pouvait compter sur personne. Bien sûr, Walt finirait par le retrouver, mais à la vitesse à laquelle lui-même avait descendu la rivière, son ami n'arriverait jamais à temps. Il serait mort de froid bien avant. Dans une eau aussi glacée et avec l'effet du courant, il ne survivrait guère plus de vingt minutes.
Au moins, il aurait des funérailles décentes. Il laissa échapper un mélange de rire et de sanglot. Oui, avec son vrai nom sur la pierre tombale. Walter était sans doute l'une des rares personnes qui connaissait son vrai nom. Il n'avait même jamais entendu parler de Reese… Il avait toujours pensé qu'il finirait dans une tombe sans nom. C'était plutôt agréable de se dire qu'il aurait droit à une plaque. Peut-être que Finch le trouverait et viendrait s'y recueillir.
Il sourit. Il espérait que Finch pourrait s'accoutumer à la vie que lui avait donnée la Machine, à l'abri des griffes de Samaritan. Sans doute loin d'une vie idéale, mais vivant, à l'écart du danger. Leur collaboration avait été agréable. Les vies qu'il avait sauvées rattrapaient un peu les atrocités qu'il avait commises. Oh bien sûr, loin d'être suffisant, mais une petite plume sur le bon plateau de la balance du bien et du mal.
Son esprit s'égara, perdant la notion du temps. Il observa les flocons de neige qui se posaient sur sa main, ne fondant plus, s'agglutinant l'un au-dessus de l'autre. Il regarda fasciné comment ils s'accrochaient et formaient un tas de plus en plus épais sur son gant. Il essaya de bouger un doigt, mais l'ordre n'arriva jamais jusqu'au muscle concerné.
Glacé... Il ne tremblait plus. La partie encore vaguement lucide de son cerveau savait que ça n'était pas bon, mais il n'en avait cure. Il voulait dormir, juste une petite sieste pour oublier le froid mordant qui vrillait ses os.
"Merci Finch. Je suis désolé…" murmura-t-il.
Le froid disparu quand tout devint noir.
A suivre...
Fin de chapitre parce que je suis un peu sadique – mais rassurez-vous toute l'histoire est écrite.
