Mais sait-il aimer?
N'est-il qu'un esprit?
Je me sentais faible, comme morcelé, mais vivant. Vivant. Je revenais à la vie après l'avoir abandonnée. Après avoir satisfait Mère, après notre Réunion.
Notre Réunion. Une douleur incompréhensible, et ma mort. Et mon retour. Sephiroth avait dû échouer. Le fils chéri s'était éteint, il ne restait plus que moi. Moi et mon souba qui a bu tant de sang. Il fallait celui de Cloud. Mère hurlait, vengeance, vengeance! Tue-le! Tu dois le tuer pour moi!
Mais j'étais brisé. Mon corps n'était qu'une épave. Que s'y était-il passé lors de ma mort, lors de ma Réunion, lors du retour de Sephiroth en ce bas monde? Aucune idée. Sephiroth était mort, seule certitude. Et j'étais brisé. Cloud n'avait pas été tendre avec lui.
Je haletais, fixant Cloud qui me regardait avec pitié et méfiance. Je voulus me jeter sur lui, le taillader en pièces – vengeance, hurlait toujours Mère, tue-le! – mais j'étais trop faible. Je tombai, et Cloud me rattrapa. Cloud. Comme je le haïssais, l'instant d'avant!
La chaleur de son bras, et son regard, de la pure compassion… non, je ne pouvais plus la haïr. Il était…
-Grand frère…
Je l'aimais, il était mon frère, même si je ne savais pas exactement pourquoi ou comment. Les esprits ne savent rien, les esprits n'ont pas besoin de savoir. Je l'aimais, sentiment pur et sans raison.
-Kadaj…
-Huh?
Une autre voix résonna à l'intérieur de ma tête. Elle couvrit les hurlements enragés qui me dominaient, qui ne m'affectaient déjà plus. Une douce voix de jeune femme. Une voix tendre, celle que j'avais toujours voulu entendre.
-Mère?
Ce n'était pas elle, je le savais bien, mais je l'aurais voulu. Le visage grave de Cloud était penché sur moi, mais je regardais au-delà, bien au-delà, et je voyais une silhouette vêtue de rose, avec une longue natte brune. Elle semblait sourire, me sourire, et c'était si doux…
-Je vais te guérir, Kadaj. Mais en échange, tu devras vivre ta propre existence, d'accord?
Tout était blanc, à part cette fine silhouette… Une fraîcheur bienfaitrice se répandait dans mon corps.
-D'accord.
Le temps de cligner des yeux, j'étais de retour dans les bras de Cloud. La fraîcheur agréable se mua en sensation glaciale, mordante, horriblement douloureuse sans l'être vraiment, comme si cela arrivait à quelqu'un d'autre, un autre Kadaj qui souffrait à ma place.
Une goutte d'eau tomba sur mon visage, puis une autre. La douleur froide s'évanouit, comme le reste. Ma vision devenait floue, le reste, Cloud, le beau visage de Cloud et ses cheveux d'or, le ciel… je tendis ma main vers le ciel gris pour attraper les gouttes qui tombaient. Un nom inconnu me vint aux lèvres.
-Aeris… merci Aeris…
J'eux vaguement conscience que Cloud me soulevait dans ses bras, puis le néant m'envahit, une poussée de sommeil si puissante que je ne pouvais qu'y céder.
Cloud. Aeris. Mère. Tout se brouilla pour ne faire qu'un.
OoOoO
Je fus surpris d'ouvrir les yeux. J'étais si bien que je m'étais cru mort. Chaleur et confort, mais le plafond m'était inconnu, la lumière était trop faible, et des voix inconnues résonnaient entre mes deux oreilles. Draps blancs, couvre-lit à carreaux rouges.
Je me redressai vivement, aux aguets. Je voulus prendre mon souba, mais il n'était pas dans mon dos. D'ailleurs, je me rendis compte que je n'étais pas vêtu de mon habituelle veste de cuir, mais plutôt d'une sorte de kimono blanc bordé de violet. La soie de ce vêtement était une caresse sur ma peau à chaque mouvement, mais j'aurais bien voulu savoir qui avait osé me déshabiller pour me donner ce kimono… où j'étais… où étaient mes deux frères…
-Tu t'étonnes de tout, n'est-ce pas?
Un murmure provenant d'un coin obscur de la pièce. La silhouette bougea, révélant sa longue cape d'un rouge sombre.
-Qui es-tu?
-Je me demande pourquoi tu es encore en vie, Kadaj. Cette pluie qui a dilué tes frères, cette pluie qui a brûlé leur chair jusqu'à les tuer, pourquoi te guérissait-elle, toi? Pourquoi n'es-tu pas mort comme eux? Tu sembles pourtant être de la même nature…
-Mes frères?… Morts?
-J'aurais peut-être dû l'annoncer plus délicatement.
Je ne le voulais pas, pas devant cet homme cruel, mais je me mis à sangloter. Des larmes roulèrent de mes yeux à mon menton, rapides, scintillantes. Un cri de rage déchira ma gorge, puis un autre. L'homme à la cape rouge ne bougea pas.
-Yazoo!… Loz!…
-Ils ont essayé de s'en prendre à Cloud, mais ils étaient trop faibles.
-Mes frères n'étaient pas faibles, hoquetai-je, ils étaient…
-Peu importe ce qu'ils étaient, m'interrompit l'homme de son murmure perçant. Ils sont morts, maintenant.
Il hocha la tête, secouant ses longs cheveux noirs. Sa peau lunaire luisant dans la pénombre, et ses yeux rouges m'inquiétaient. Des larmes silencieuses roulaient toujours sur mes joues.
-Qui es-tu? murmurai-je.
-Mon nom est Vincent Valentine. Pour répondre à ta prochaine question, nous sommes au deuxième étage du 7th Heaven, le pub de Tifa et de l'AVALANCHE. C'est une chambre d'invités. La plupart du temps, ce sont des enfants qui y dorment. Des orphelins.
-Une chambre d'invités… qui m'a invité?
Vincent sourit, sans chaleur, un sourire qui me glaça. Il pointa de son bras gauche – un bras de métal aux doigts acérés – le lit à côté du mien. Un corps se cachait sous les couvertures. Je n'en voyais rien, sinon une touffe de cheveux blonds sur l'oreiller.
-Cloud, évidemment.
Vincent m'abandonna, me laissant seul avec Cloud qui dormait presque silencieusement. J'essuyai mes dernières larmes, collées à mes paupières, avec la manche de mon kimono, et je voulus me recoucher, me redormir, oublier. Loz, Yazoo. Mes frères, mes complices. Morts. Il fallait que j'oublie, ne serait-ce qu'un instant. Morts par cette pluie qui m'avait sauvé, par la pluie de cette planète tant haïe qui, dans son acharnement contre nous, avait fini par les avoir. La pluie d'Aeris. Pourquoi, Aeris, pourquoi?
-Parce qu'ils ne voulaient pas être sauvés.
Sa voix, sa voix dans mon esprit, sa voix qui avait indéniablement raison, mais… malgré tout… cette haine qui me saisit, cette rage… la rage de leur mort – mes frères! – la rage de ma propre existence, devenue… futile…
Rage. Cloud qui dormait à côté de moi. Rage rage rage, et rien d'autre.
Je me suis levé le plus silencieusement possible, froissant à peine mes draps. J'ai glissé mes mains dans son cou, et, d'un coup sec, j'ai serré de toutes mes forces. Il s'éveilla, évidemment, il se débattit. Il se jeta entièrement par en-arrière, me renversant, me forçant à lâcher prise. Et il me donna un bon coup de poing.
-Ce n'est pas la bonne manière de réveiller les gens, tu sais?
Il était à moitié sur moi, il me dominait de toute sa hauteur. À moitié sonné par son coup, je ne pus répondre qu'un baissant les yeux. J'étais assis par terre, contre mon lit, Cloud agenouillé sur mes jambes, Cloud furieux, Cloud mal réveillé, et ma rage retomba d'un seul coup. Une vague honte envahit mes pensées. Je le repoussai de mes deux mains, il tomba sur son lit.
Je voulais partir. M'enfuir. J'ai glissé jusqu'à la porte, mais j'avais beau tourner le loquet, elle ne s'ouvrait pas. Vincent avait dû la verrouiller. Je me mis à frapper la porte de toutes mes forces.
Des bras sur les miens. Une force vive qui m'enserrait, qui me contraignait. Je ne pouvais même pas me débattre.
-Chh, Kadaj, murmura Cloud à mon oreille en resserrant encore son étreinte. Tu n'as rien à craindre.
-Je veux m'en aller! criai-je. Lâche-moi! Lâche-moi, grand frère!
-Tu n'as rien à craindre…
-Je n'ai pas peur de toi! Lâche-moi!
Je m'agitais dans ses bras, mais rien à faire, il était trop fort. Non, je n'avais pas peur de lui. De quoi avais-je peur? Probablement de moi-même, de cette absence de la présence de Mère dans mon corps et mon esprit, de ma solitude si étrange, troublée par les bras, la chaleur de Cloud, sa poitrine dans mon dos, son souffle dans mon cou, un mouvement qui me berçait… je me détendis peu à peu. Me débattre était vain, de toute façon.
-Là, souffla Cloud lorsque je fus à peu près calmé. C'est mieux comme ça, non?
-Lâche-moi, laisse-moi partir! sifflai-je entre mes dents.
-Partir? Et où irais-tu? se moqua-t-il.
Je ramollis, comme une poupée de chiffons, comme si je devenais soudainement sable. L'étreinte de Cloud devint un support, je ne tenais debout que grâce à lui. Je ne voulais pas pleurer, pas encore… je retins les sanglots, mais je ne pus retenir les larmes. Encore des larmes? J'avais mal aux yeux.
Cloud m'emmena doucement à mon lit, me traîna sans que je résiste. J'étais vide, j'avais honte, j'avais mal – dans mon cœur dans mon corps – j'en avais assez de tout.
-Je ne t'ai pas sauvé pour ça, Kadaj, me dit la voix d'Aeris. Tu dois t'aider toi-même.
-Mais…
-Ce sera difficile. Tu devras accepter le monde pour en être accepter.
-Accepter?… Accepter.
Cloud, qui était en train de ma border dans mon lit, me regarda d'un air étrange. La voix d'Aeris était à moi, à moi seul, juste là, dans mon esprit. Comme je l'aimais! Elle était ma nouvelle Mère, Jenova m'avait trop bien trahi, elle m'avait sacrifié sans pitié. Je ne lui en voulais pas. Au fond, tout était ma faute. Doit-on toujours écouter sa mère? Mais sa voix était si forte, si puissante, si… Non. Première étape : assumer mes actes.
Cloud finit de me border. Ses yeux affichaient encore, toujours, cette compassion inaltérable, et cet amusement déplaisant que jamais je n'aurais voulu y voir. Ses yeux trop bleus, bordés de longs cils bruns… Il s'assit sur son propre lit. Je me tournai pour ne plus le voir. Je voulais bien essayer, pour Aeris, essayer d'accepter, essayer d'apprendre le monde, mais pour l'instant j'en avais assez.
Il finit par se recoucher, j'entendis les draps, et son souffle, comme un râle. Lui aussi était blessé, compris-je. Sephiroth non plus n'avait pas été tendre avec lui. Plus le sommeil le gagnait, moins j'entendais sa respiration, elle était comme transparente, un vide, un rien.
Comment pouvait-il dormir? Cela me dépassait totalement. Le sommeil m'avait fui, il était très loin de mon corps. Et comment pouvait-il dormir dans le lit voisin du mien? Je venais de tenter de l'étrangler, et j'avais combattu son épée de mon sabre double – le tuer, le voir mort, lui, l'obstacle, le frère raté, indésirable, Cloud, nuage dans le ciel radieux de Mère.
Et maintenant, indifférence. Gêne. Une sorte de mort radieuse. Et la vie qui pulsait dans mes veines.
OoOoO
-Kadaj! Kadaj…
Je sursautai. J'avais donc réussi à m'assoupir, par je ne sais quel moyen – probablement l'ennui. Le démon de mes rêves avait les yeux rouges, mais il ne faisait rien, pas encore. On m'avait heureusement éveillé avant qu'il ne s'en prenne à moi. Les yeux de Vincent, les cheveux, la cape de Vincent. Horreur…
Cloud était penché au-dessus de moi. Il posa une main sur mon épaule, que je secouai pour l'en dégager. Rien à faire. Je soupirai.
-Qu'est-ce que tu veux? grommelai-je.
-Nous allons tous dîner, en bas. Si tu veux, tu peux…
-Pas faim.
Il me tourna vers lui en me tirant par l'épaule. Il souriait du coin des lèvres, et ses yeux étincelaient.
-Tu as peur des autres?
-Ce sont des ennemis.
-Je ne te considère pas comme mon ennemi, me dit-il en reprenant son air sérieux. Non, tu n'es plus un ennemi.
-Qu'est-ce que je suis pour toi, pour vous, si je ne suis pas un ennemi?
Ma voix s'était faite suppliante, insistante. Oui, que pouvais-je bien être pour ces gens qui m'avaient combattu avec tant d'acharnement? Pour ces humains si normaux? Qu'étais-je pour Cloud?
-Tu es un enfant perdu. Et, coup de chance, 7th Heaven est aussi une sorte d'orphelinat. Tu es donc libre de rester ici aussi longtemps que tu le voudras…
-Libre de rester, mais pas de partir.
Il s'assit sur mon matelas avec gravité. Il me regardait de si haut, c'était insupportable… alors qu'il me répondait, je m'assis, les draps serrés autour de mes jambes. Au moins nous étions à la même hauteur…
-Il faut que tu comprennes que nous ne pouvons pas encore de faire confiance. Nous voulons t'aider, mais nous devons avant tout te surveiller. Autant pour ta sécurité que pour la nôtre.
-Je vois. Vous me détestez toujours.
-La haine ou l'amitié, la violence ou l'amour, la vengeance ou le pardon… tout cela ne dépendra que de toi.
-Alors je ne suis pas qu'un enfant perdu pour vous. Je ne resterai qu'un esprit de Sephiroth, bon ou mauvais. Sûrement mauvais.
Il se leva et se dirigea vers la porte.
-On ne peut pas nier ce qu'on est au fond de soi. Mais même les esprits de Sephiroth ne sont pas tous voués à la destruction. J'en suis un peu la preuve vivante…
Il m'abandonna dans la chambre. J'entendis le verrou se refermer. Évidemment, puisqu'il ne me faisait pas encore confiance. Une vague idée de briser la fenêtre pour sortir m'apparut, mais je la rejetai aussitôt : je n'étais pas ici pour rien et je le savais bien. Je devais faire mes preuves. Essayer.
Mais je ne savais pas comment. Jamais je n'avais rencontré de problèmes de ce genre auparavant. Mère m'avait toujours donné des ordres concrets, simples. Mais là… j'étais perdu, et je ne pourrais compter que sur moi-même.
OoOoO
Je regardais le soleil se coucher, immense boule de feu, déchiqueté par les gratte-ciel. J'étais surpris de pouvoir contempler un spectacle d'une telle beauté en plein cœur de Midgar. J'étais assis devant la fenêtre, et malgré la lumière vive, je clignais très peu des yeux. Je ne voulais rien manquer de cette splendeur, je voulais l'enregistrer dans mon esprit.
Mes yeux… j'avais eu l'occasion de contempler mes yeux dans un miroir. Ils avaient changé. Leur couleur était la même, mais la forme des pupilles était maintenant ronde. J'avais perdu mon regard félin au profit de vrais yeux humains. C'était probablement une des conséquences indirectes de l'intervention d'Aeris en moi. Une humanisation.
La porte s'ouvrit pour laisser entrer Cloud et une femme dans la pièce. La femme était toute vêtue de noir. Je la reconnaissais vaguement. Elle me sourit. Je baissai la tête en retour.
-Que me voulez-vous?
-Kadaj, voici Tifa, dit Cloud. Elle est la propriétaire du 7th Heaven.
Elle me tendit la main. Que devais-je faire? Sa main, ses doigts, ses ongles… mystère. Au bout d'un moment, elle la retira, et elle sembla déçue. Qu'aurais-je dû faire de cette main tendue? La prendre? La serrer?
-Tu dois avoir faim, maintenant, me dit-elle.
-…Pas vraiment.
-Tu devrais tout de même venir manger, Kadaj, poursuivit Cloud.
-Avec… tous ces gens en bas?
-Pourquoi pas? Personne ne te fera de mal! assura Tifa en souriant un peu niaisement.
J'ai finalement accepté. Au fond, je n'avais pas tellement le choix.
OoOoO
Silence de mort. Personne ne parlait. Personne. Ils m'ont été présentés, l'AVALANCHE, un par un. Je crois qu'ils ne me feront jamais confiance. Malaise. Chacun plongé dans son assiette, pour ne pas me regarder. Yuffie, juste à côté de moi, engloutit son plat à une vitesse incroyable, pour quitter la table plus vite. Même Cloud, en face de moi, évitait de me regarder directement. Silence de table, cliquetis des baguettes et des fourchettes sur les plats, gorges qui déglutissaient.
Je n'avais pas faim, là-haut, dans la chambre. Ici, j'avais l'estomac noué, bloqué. Je n'ai pu prendre qu'un peu de riz. J'aurais voulu honorer la cuisine de Tifa, vraiment… le moindre geste pour gagner son amitié, pour diminuer sa méfiance, leur méfiance à tous à mon égard… montrer ma bonne volonté… mais j'en étais incapable. Mon corps refusait d'obéir à ma volonté.
Ils ont tous quitté la table assez rapidement. « Personne ne te fera de mal! » m'avait assuré Tifa. Menteuse. Ils arrivaient à me blesser sans rien faire. Je ne savais pas que le contact avec les humains pouvait être aussi pénible, aussi… terrible pour moi. Se battre est facile, mais cette fois, l'affrontement était bien différent.
Il ne resta que Cloud et Tifa, qui s'entreregardaient d'un air à la fois gêné et complice. Elle finit par se lever et prit mon plat.
-Tu as terminé
-Oui. Je… je suis désolé.
-Oh, ce n'est rien, Kadaj. Ils finiront par s'habituer à toi, ce n'est qu'une question de temps, tu sais, et…
-Non. Je suis désolé d'avoir si peu mangé.
Je m'en voulais de l'avoir interrompue, mais, levant les yeux vers elle, je vis qu'elle me souriait gentiment.
-Ce n'est rien. Tu nous avais dit que tu n'avais pas faim, de toute façon.
-Je suis désolé quand m…
-Arrête donc avec tes « désolé » à répétition, coupa Cloud.
Il se leva, contourna rapidement la table et me tira par le bras.
-Viens, tu retournes dans la chambre!
Ébranlé, je me suis laissé entraîner dans le couloir obscur. Cloud passa son bras sur mes épaules. J'étais intimidé.
-Grand frère…
-Appelle-moi Cloud. Je ne veux pas être ton frère. Je veux être ton ami.
-Cloud… les péchés peuvent-ils être pardonnés?
Il sourit, et son regard se fit lointain, comme s'il plongeait au fond de lui-même, peut-être dans sa mémoire… Au bout d'une bonne minute, il répondit simplement :
-Il suffit d'essayer.
-Essayer? Essayer. Ça semble simple quand c'est toi qui le dis.
-Qui a dit que c'était facile?
La chambre – ma chambre. Le lit. Nous nous sommes assis côte à côte. Soudain, sans raison particulière, je me mis à pleurer. La raison… surcharge émotionnelle, peut-être.
-Kadaj…
Penché, le visage dans mes mains, les larmes coulant sur mes paumes, je perçus son hésitation, puis je sentis qu'il me prenait dans ses bras. Cette fois, je ne le repoussai pas.
Il me berça, il me réconforta. Il murmura des choses insignifiantes, mais rassurantes, à mon oreille.
-Arrête, tu es fort… tu dois être fort… à ton âge, j'aurais aimé posséder ta force… moi j'étais faible, faible et démuni…
Mais je pleurais quand même. J'ai pris Cloud par le cou, posant mon front sur sa poitrine. Il était le seul, le seul pouvant me rassurer… le seul en qui avoir confiance… le seul, lui que j'avais tant haï. Lui qui m'avait tant haï, aussi, il me flattait maintenant les cheveux, la nuque, le dos. D'aussi près, je pouvais respirer son odeur, un mélange musqué et épicé.
-Cloud…
Il me releva la tête. Avec mes bras autour de son cou, mon visage était près, très près du sien. Il posa ses lèvres délicatement sur mon front, puis sur mes joues, y lécha mes larmes. Une chaleur inexplicable m'envahit. Je ne savais pas ce qu'il faisait, mais je me sentais bien, presque trop bien, même si je plongeais dans l'inconnu. J'étais figé de bien-être et de surprise.
-Cloud… je ne…
Il scella mes lèvres avec les siennes, me contraignant au silence. Je ne savais même pas ce qu'était un baiser. Je n'ai pas su y répondre, mais je sentais bien toute sa douceur. Et lui, que pouvait-il bien sentir? Ma surprise?
Puis il me poussa doucement, détachant mes bras de son cou, m'allongea sur le lit, et il me regarda de haut, de son regard bleu, indéchiffrable, semblant me contempler.
-Kadaj, calme-toi, d'accord?
-Que fais-tu?
-Je veux t'aider, mais tu as peur.
Mes larmes n'avaient pas cessé de couler. Elles semblaient être un flot intarissable.
