J'ai été longtemps absente, pardon, mais problèmes de connexion dans mon trou perdu...
Un texte un peu mélancolique, peut-être, et franchement inspiré de MON obsession !
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L'obscurité défile de l'autre côté de la vitre du train. Une obscurité totale, jamais transpercée par le halo d'un réverbère ou par le faible rayonnement lumineux d'une ville au loin. Je roule au milieu de nulle part, en direction d'une destination inconnue. Je suis monté dans le premier wagon devant moi, sans me poser de question, prenant mon billet une fois le trajet entamé, pour un terminus dont j'ignore tout. Et, quelque part, ce n'est peut-être pas plus mal…
Il doit être plus de deux heures du matin. Dans la voiture, tous les autres passagers sont endormis, et de minuscules lampes au plafond projettent une lueur diffuse, tamisée. Les ronflements qui s'étaient élevés au début de la nuit ce sont tus, preuve que personne ne s'éveillera dans l'immédiat. Je baisse doucement le son de mon mp3. Inutile de me crever les tympans à présent.
Mon sac de cours est toujours à mes pieds, alors que j'ai ramené mes genoux contre ma poitrine, les talons sur le bord de mon siège. La contrôleuse qui est passée tout à l'heure m'a fusillé du regard, d'ailleurs. Ça m'est égal. Je suis de toute façon repérable, avec mes cheveux trop blonds, que j'ai oublié de couper, et mes yeux trop bleus, alors un peu plus ou un peu moins… Le roulement du train et le fracas des roues sur les rails m'apaisent légèrement, mais pas assez pour que je m'endorme…
J'ai fui. Cette idée tourne en rond dans ma tête depuis plusieurs heures. Mon portable est dans la poche de mon jean, éteint. Il faudra que je pense à le jeter par la fenêtre. Je ne veux pas qu'on me retrouve. Je ne veux pas retourner là-bas. Je ne veux pas croiser à nouveau tous ces regards. Je ne veux plus que les gens murmurent à mon passage. Quelque chose d'humide glisse sur ma joue. Je ne prends pas la peine de l'essuyer.
Je n'ai pas le souvenir d'avoir vraiment pleuré. Dans les films, les gens s'effondrent en hurlant, en sanglotant si fort qu'on dirait qu'ils convulsent. Moi non. Peut-être que ça aurait été mieux. C'est tout juste si une ou deux larmes m'échappent de temps en temps. Je ne comprends pas.
La porte du compartiment s'ouvre dans un chuintement feutré, très doux, parfaitement audible par-dessus le fond sonore de mes écouteurs. Je ne bouge pas. Nous sommes passés à la dernière gare il y a dix minutes. Sûrement quelqu'un qui n'a pas réussi à trouver une place. Et puis après tout, quelle importance cela peut-il avoir pour moi ?
Un choc sourd à côté de moi me fait légèrement sursauter. Un homme, sans doute, et massif au bruit que le siège a fait lorsqu'il s'est assis. Pourquoi a-t-il choisi de s'installer à côté de moi ? Beaucoup de sièges sont vides ici, il aurait eu plus de place pour étendre ses jambes, s'il voulait dormir. Alors pourquoi là ? Je me tourne très légèrement en éteignant la musique. Ne pas se faire repérer. Mais bizarrement, j'ai envie de voir à quoi il ressemble…
Grand, bronzé, avec de larges épaules solides mais une taille encore fine. Une mâchoire volontaire, virile, légèrement mangée par une barbe de quelques jours. Un nez droit, des lèvres minces, mais des paupières presque fragiles – il a fermé les yeux. Ses cheveux noirs, plus courts que les miens, ébouriffés, dont quelques mèches lui retombent sur le front. Il est beau. Il est rassurant. Et malgré moi, je me surprends à sourire. C'est une sensation étrange, il y a si longtemps que je n'ai pas senti mes lèvres s'étirer ainsi…
Mes yeux glissent doucement de son visage sur son épaule, son bras, son poignet… et sa main. Je fais une fixation étrange sur les mains. Et celle-ci n'échappe pas à la règle. Surtout qu'elle me fascine…
Elle est large, solide, avec des doigts un peu courts, carrés. Ses ongles sont légèrement rayés, abîmés. Sa peau semble sèche, brunie par le soleil, presque rêche. Les articulations sont noueuses, les doigts faiblement repliés vers sa paume, au repos. Quelques fines cicatrices parcourent le dos de sa main. C'est une de ses mains qui vous raconte la vie de son propriétaire.
J'imagine qu'il a du être un petit garçon assez turbulent, voire casse-cou. L'entaille qui marque la jonction de son pouce et de son index est très pâle, presque effacée, signe qu'elle date de plusieurs années déjà. Il a sûrement grandi à la campagne, loin de la ville en tout cas, la corne qui marque le bout de ses doigts semble trop épaisse pour être récente. Et je suppose qu'il doit travailler avec le feu et le métal, puisqu'il y a des traces de micros brûlures sur sa peau et quelques éclats de fer incrustés dans sa chair.
Une main-histoire. C'est une belle main. Un peu tristement, je jette un coup d'œil à la mienne, posée à côté de ma cuisse, inerte. Elle est si pâle, si fine, si lisse, si… vide. Comme moi. Elle n'a ni passé, ni présent, ni avenir. Une main de mort. Je la lève. Qui sait, peut-être est-elle transparente et que la lumière la traversera, comme elle traverserait un fantôme ? Ces derniers temps, j'ai parfois l'impression de n'être qu'un spectre…
Je la laisse retomber avec un léger rictus amer. Mais, lorsque je relève la tête, c'est pour réaliser que deux yeux sont fixés sur moi, un regard rouge, flamboyant, impitoyable, qui me cloue sur place. Je me recroqueville un peu plus sur moi-même, embarrassé de m'être fait surprendre. Mais avant que j'aie pu m'excuser, il hausse un sourcil et sa voix s'élève, tout doucement pour ne pas réveiller les autres voyageurs. Elle est rauque, un peu bourrue, à son image.
- Alors ? Ma main te plaît ?
Je rougis légèrement et sourit avec hésitation.
- … Oui… Elle a une vie, votre main…
- Vraiment ? Tu peux voir ça, toi ?
Je me mord la lèvre inférieure, mais il fronce les sourcils et tend la main. Son pouce se pose sur mon menton et tire doucement vers le bas pour dégager ma lèvre de mes dents. La chaleur presque brûlante me fait frissonner et je rougis un peu plus.
- Oui…
- Et qu'est-ce qu'elle te dit, ma main ?
- Euh… eh bien… vous avez l'air d'être quelqu'un… d'honnête… et de travailleur… Quelqu'un qui ne renonce pas facilement… Et qui aime être à l'air libre, plutôt que d'être enfermé dans un bureau…
Il hausse à nouveau un sourcil et je me raidis. Est-ce que j'ai dit quelque chose de mal ? Mais son pouce glisse sous ma mâchoire et il me force à relever la tête.
- Fortiche, dis donc gamin… Et je peux savoir ce qu'elle raconte, ta main à toi ?
Je laisse échapper un faible rire qui sonne faux et grêle même à mes oreilles. Je lui montre ma paume, si lisse, au point qu'on ne voit quasiment pas les lignes qui marquent toutes les mains.
- Du vide…
- Qu'est-ce que tu fais dans ce train ?
- Je ne sais pas.
Il fronce un peu plus les sourcils et me lâche doucement.
- Où sont tes affaires ?
- Là.
Je désigne mon sac d'un geste du menton. Il a l'air contrarié. Se penchant, il l'attrape d'une main et le soupèse.
- Seulement ? J'ai l'impression qu'il y a que des bouquins et des crayons là-dedans.
- Oui.
- Tu as fait une fugue ?
J'hésite un moment avant d'acquiescer timidement. Ma fuite. Ma fugue. A la sortie des cours, après un énième regard, une énième parole. Un énième de trop. L'envie de tout plaquer qui m'avait envahi à ce moment-là, de ne plus jamais remettre les pieds dans cet endroit qu'ils appelaient trop facilement "ma maison". Mais en même temps, j'ai peur. Peur que cet homme ne me dénonce, qu'on me force à repartir là-bas. Mais il se contente de croiser les bras sur sa poitrine.
- Pourquoi ?
Et brusquement, j'ai envie de tout lui raconter, de me soulager de ce poids qui pèse si lourd sur mes épaules, de me confier à cet homme dont j'ignorais jusqu'à l'existence il y a quelques minutes à peine. Je serre un peu plus mes genoux contre moi et j'avale péniblement ma salive pour tenter de faire disparaitre le nœud qui enserre ma gorge.
- Il y a trois mois… j'ai eu un accident… Un échafaudage qui s'est effondré… je n'ai rien eu mais… mon… mon frère Yui… Et ma mère… Je n'ai même pas eu une égratignure alors que eux… Et depuis ce jour, mon père… pense que je suis responsable. Que je porte malheur…
Je déglutis à nouveau, plus péniblement. L'homme n'a pas bougé. Il se contente de me regarder. J'inspire profondément.
- Yui était mon frère jumeau.
Cette fois-ci, une lueur de compréhension traverse son regard. Et son expression se fait plus songeuse.
- Tu as quel âge ?
- Dix-neuf ans…
- Tu as quelque chose contre la montagne ?
J'écarquille les yeux, surpris, tentant de chasser les quelques larmes qui troublent ma vision. Où veut-il en venir ? Mais il a l'air sérieux.
- Non…
- Tu sais faire la cuisine, le ménage, le repassage ?
- Euh… oui, mais…
- Je suis forgeron, je n'ai pas le temps de m'occuper de tout ça. Alors ne t'attends pas à ce que je te donne un coup de main pour ça.
Je suis complètement perdu. Lentement, je repose mes pieds sur le sol, ou plutôt sur mon sac. Qu'est-il en train de me dire ? Il sourit, un tout petit sourire, à peine visible, mais qui fait bondir mon cœur.
- Si tu ne sais pas où aller, j'ai une chambre en trop. Et pas le temps d'entretenir chez moi. Ça ne me dérange pas de t'accueillir.
Sa main se lève encore une fois et essuie ma joue – je n'avais même pas conscience de pleurer – avant de descendre doucement et d'attraper mes doigts entre les siens. Ma main semble si fade, comparée à la sienne, si petite, si blanche…
- Peut-être qu'on pourra remplir cette page blanche. Après tout, tu as bien dit que les mains racontent la vie, non ?
Et je pleure. Pour de bon, cette fois-ci. Les vrais sanglots du cinéma, alors mes yeux étaient restés résolument secs à l'hôpital et à l'enterrement. Juste parce qu'il vient de me dire les mots que j'avais besoin d'entendre. Il pousse un grognement et son autre main se glisse derrière ma tête. Il m'attire contre lui et reste immobile, ses doigts passés dans mes cheveux, sa peau rêche accrochant et tirant mes mèches. Mais je suis bien, là. J'ai le sentiment d'être à l'abri. D'avoir retrouvé la même sérénité qui m'envahissait quand, enfant, j'allais me glisser dans le lit de mon frère et qu'on se blottissait l'un contre l'autre.
Je ne sais pas combien de temps nous sommes restés comme ça, mais sa chaleur réconfortante, sa respiration calme et le roulis monotone du train ont fini par avoir raison de mon chagrin. Je reste encore un instant silencieux, avant de demander d'une toute petite voix, un peu enrouée :
- Euh… est-ce que… je peux savoir… votre nom ?
- Kurogané.
- C'est joli… Moi, je m'appelle Fye.
- Hm. Dors un peu maintenant, gamin, tu vas avoir du boulot dès demain. Et j'ai pas l'intention de t'épargner.
Je souris. Un vrai sourire, cette fois-ci. Que je n'avais pas eu depuis longtemps… même si lui ne peut pas le voir, étant donné que j'ai posé mon visage contre son torse. Peut-être que finalement, je l'ai trouvé, la destination de mon train. Peut-être que partir a été la meilleure chose qu'il pouvait m'arriver. Peut-être que ma main n'est pas un fantôme, mais une page tournée qu'il me faut remplir. Peut-être que dans quelques temps j'aurais moi aussi les mains abimées par le travail, et j'en serais fier. Fier et heureux. Et peut-être que je redeviendrai celui de mon enfance, le Fye un peu frivole et insouciant. Peut-être que je donnerai des surnoms à Mr Kurogané, comme je le faisais tout le temps à mes amis. J'ai même quelques idées qui commencent à venir…
Mais ce qui est sûr, c'est que j'aurais une vie.
.~.~.~. OWARI .~.~.~.
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Tadaaaam ! Alors ? A vous de voir si vous pensez que ça fait shonen-ai ou pas... peut-être que je ferais la suite du point de vue de Kuro, à voir...
See you soon !
