En observant Charlotte citer la liste de films qu'elle avait sélectionnés dans le cadre de la rétrospective Orson Welles, Tony se dit que c'était décidément une belle journée. Le matin même, sa fille lui avait dit qu'il était "the Best Daddy" car ses pancakes étaient délicieux. Le temps était magnifique : le soleil de février était radieux et ses rayons illuminaient le café dans lequel il se trouvait.
"Tu crois que j'ai bien fait de ne pas inclure "la soif du mal?""demanda Charlotte en posant une main sur une des siennes.
Il fut légèrement déstabilisé par ce geste tendre même s'il savait que cela ne prêtait pas à conséquence. Cette jolie rousse aux yeux verts n'en pinçait pas pour lui. Il était certain d'être simplement un ami qui lui donnait des conseils avisés en matière de cinéma.
"Tu as fait une très bonne sélection" dit-il en lui offrant son plus beau sourire.
"Tu viens toujours ce soir? tu as réussi à trouver une babysitter pour Tali?" lui demanda-t-elle
"Oui, Élise est disponible. Hors de question que je rate un cocktail et un bon film à la cinémathèque."
"Cool. Je te laisse. A ce soir." dit-elle en se penchant pour lui faire la bise.
Il était toujours pris au dépourvu par cette coutume française mais réussit à tendre la bonne joue en premier.
Il finit son expresso tranquillement avant de rentrer dans son appartement pour faire du rangement avant que la tornade Tali ne rentre de l'école.
Devant son immeuble, il sortit son lourd trousseau de clefs. Eli David n'avait pas lésiné avec la sécurité. Pour accéder à son appartement, il devait passer par une porte à digicode puis une porte à reconnaissance digitale avant de franchir une porte qui s'ouvrait avec une clef pour se retrouver devant la porte blindée de son appartement. Tali avait hérité des biens de sa mère, eux même provenant du patrimoine immobilier du patriarche David.
Quand il avait pris en charge sa fille, il avait été soulagé dans un premier temps de ne pas avoir à se préoccuper des contingences matérielles, mais vivre de l'héritage David commençait désormais à lui peser.
La question de l'emploi s'était posée mais il ne maitrisait pas assez bien le français et il tenait à déposer et à aller chercher lui-même sa fille à l'école ce qui lui laisser finalement peu de temps pour travailler.
La cinémathèque avait été un fabuleux refuge. Il avait pu découvrir les œuvres de Bunuel, d'Antonioni et Kurosawa. Sa venue quotidienne avait éveillé la curiosité d'une employée du lieu : Charlotte. Une chose en amenant une autre, ils avaient commencé à échanger sur leurs cinéastes favoris et étaient devenus amis.
"Papa, tu es très beau" lui dit Tali en examinant les boutons de manchette qui ornaient ses poignées de chemise.
"Merci, sweetheart" dit Tony en lui déposant un baiser sonore sur la joue.
"Je peux pas venir avec toi?" demanda-t-elle en lui lançant un regard adorable dont elle avait le secret.
"Non, mademoiselle. Tu seras bien mieux à regarder la Reine des Neiges avec Élise".
Tali lui adressa une moue boudeuse.
"J'ai acheté de la glace à la framboise".
Un sourire éclaira son visage et elle se dirigea vers le canapé, sur lequel se trouvait sa babysitter.
"Bonne soirée. N'hésitez pas à m'appeler au moindre souci" dit-il en vérifiant que son portable se trouvait bien dans la poche intérieure de sa veste.
La cinémathèque est un bâtiment assez moderne qui tranche avec le style haussmannien du cœur de Paris, mais il aime quand même ce lieu où se rassemble tous les amoureux du cinéma. Une petite foule s'était formée devant le contrôle de sécurité. Il observa les gens qui attendaient : des trentenaires branchés qui parlaient si vite qu'il ne parvenait pas à comprendre leurs conversations.
Il se sentit vieux, seul, étranger et démodé, mais il entra quand même certain de passer une bonne soirée en compagnie de Charlotte et de "la dame de Shanghai".
Il laissa son manteau au vestiaire et se dirigea vers la salle de réception. Il se saisit d'une coupe de champagne et chercha du regard celle qui l'avait invitée.
Il la remarqua au fond entourée d'un couple et d'un homme seul.
"Tony !" s'exclama-t-elle quand il fut à sa hauteur avant de lui faire la bise.
"Je te présente Marie et Clément, ils sont étudiants en cinéma et voici Ludovic qui vient de finir son premier court-métrage."
Il sera les mains de chacun et tenta de suivre la conversation qui portait sur le cinéaste mis à l'honneur.
Il souriait poliment tout en buvant son verre quand les amis de Charlotte s'intéressèrent à lui.
"Tony, vous êtes en vacances dans notre belle ville?" lui demanda Marie
"Non, j'habite ici." répondit-il simplement
"Et dans quel domaine travaillez-vous?" demanda Clément
"Je ne travaille pas pour l'instant" dit-il gêné
"Ah bon, pourquoi êtes-vous venu ici alors? "' le questionna encore Marie
"Par amour." fut la réponse spontanée qu'il donna et qui le renvoya instantanément à Ziva.
Une mélancolie soudaine s'empara de lui.
On croit toujours avoir fait son deuil, mais le chagrin est un boomerang qui revient toujours sans prévenir.
La conversation dévia sur la vision romantique de la ville de Paris, développée par les cinéastes étrangers à travers des films tels qu'"un américain à Paris", "Charade" ou "Midnight in Paris".
Même si le sujet d'habitude le passionnait, il n''avait plus qu'une envie, être seul.
Son verre était vide et il se rendit au bar pour le remplir quand un serveur anticipa sa demande et lui tendit une nouvelle coupe.
Il se dirigea ensuite vers le balcon où quelques fumeurs consommaient leurs cigarettes.
La Tour Eiffel était illuminée. Il n'était plus vraiment émerveillé par le monument, preuve qu'il était passé du statut de touriste à celui d'habitant.
Il se sentit soudainement très fatigué. Il ne tenait visiblement plus l'alcool. Deux coupes de champagne et il se sentait las. Le sevrage qu'il avait entamé à l'arrivée de Tali dans sa vie l'avait peut-être rendu très sensible à l'alcool.
Il essaya de réprimer difficilement des bâillements et fut surpris de constater en regardant sa montre qu'il était encore tôt.
Tu es vraiment vieux DiNozzo, se dit-il quand il décida qu'il était bien trop fatigué pour attendre le début de la projection du film.
Il récupéra son manteau, sortit du bâtiment, héla un taxi dans lequel il lutta pour ne pas s'endormir.
Il donna un généreux pourboire à Élise et s'allongea tout habillé dans son lit.
"Daddy, Papa, Abba, réveille-toi !" lui dit Tali qui s'était allongée à ses côtés.
"Quelle heure est-il? " demanda-t-il
"12h32" lui répondit Tali sûre d'elle
Sa réponse le fit bondir hors du lit. Un coup d'œil au réveil lui indiqua qu'il était 7h37. Il se rappela alors que sa fille ne savait pas encore lire l'heure.
"Petit Déjeuner rapide, si on veut être à l'heure à l'école" lui dit-il en lui servant des céréales dans un bol de lait.
Il se rendit dans sa chambre pour lui choisir ses habits. En entrant dans la pièce, il remarqua tout de suite l'ordre inhabituel qui y régnait. Il sortit de la commode un jean, un tee-shirt, des chaussettes et un pull.
"Tu as rangé ta chambre ce matin, Tali?" lui demanda-t-il en lui tendant ses vêtements.
Elle fit non de la tête.
"Tu as sûrement bien dormi car pour une fois toutes tes peluches sont dans ton lit et pas éparpillées dans la chambre"
"C'est grâce à Ima" dit Tali en enfilant son pantalon.
Tony resta un instant interdit. Son silence invita sa fille à s'expliquer.
"J'ai rêvé d'elle."
" Et tu veux bien me parler de ce rêve?" dit Tony en l'aidant à mettre son tee-shirt.
"Je ne me rappelle plus trop sauf qu'elle était là près de moi, je sentais son parfum."
Tony se sentait toujours démuni quand sa fille évoquait sa mère et préféra ne pas creuser le sujet.
"On zappe le brossage de dents ce matin, pas le temps" dit-il en prenant son cartable
Tony se saisit de son manteau qu'il avait jeté sur le canapé la veille.
En l'enfilant, il remarqua un long cheveu foncé qui était accroché à un de ses boutons.
Il l'examina mais fut interrompu par Tali :
"On va être en retard Abba."
"Ok, let's go".
Après avoir déposé sa fille à l'école, il rentra chez lui contrarié.
Trop de choses étranges en si peu de temps :
Pourquoi était-il tombé de fatigue la veille, les peluches bien rangées, le rêve de Tali, le cheveu? sa pensée allait vers celle dont il ne parvenait plus à dire le nom.
Je psychote, je suis parano, elle est morte, elle ne reviendra jamais, tu te fais du mal pour rien.
Tout d'un coup, il se dit qu'il y avait un moyen de vérifier si son esprit lui jouait un tour ou non.
A suivre...
