L'ombre et la lumière.
En me réveillant ce matin vers dix heures, j'aperçois par la fenêtre une obscurité inhabituelle. Peut-être que les nuages sont nombreux dans le ciel aujourd'hui et c'est peut-être pour cette raison que la lumière du soleil me paraît faible aujourd'hui. Pour en avoir le coeur net, je décide de me lever de mon lit et de traverser cette pièce qui me sert de chambre afin de vérifier par moi-même. Lorsque je me poste devant la fenêtre, je me rends compte que les nuages n'ont rien à voir avec cette pâle lueur. Non, ce qui se trame dehors va au-delà de ce que j'attendais.
Et c'est pour cette raison que cela fait plusieurs heures que je marche à travers Londres et que cette nuit dans laquelle je me suis glissée ne cesse de vouloir se terminer. Sur mes bras, du sang y repose et cette désagréable odeur métallique risque de devenir mon unique amie de la soirée. L'arme au poing, je surveille les alentours pour ne pas être surprise par un quelconque monstre et je tiens absolument à être prête à en découdre avec ces créatures pour avoir une chance d'apercevoir le jour dans quelques heures. J'aurais pu très bien rester cloîtrer chez moi et attendre que les heures passent mais savoir que des innocents dehors auraient pu être la cible de ces démons, très peu pour moi. Qu'est-ce qui a bien pu se passer pour que mon monde s'écroule comme ça, du jour au lendemain ?
Hier, dans l'après-midi, je flânais encore dans les rues de Londres, occupée à faire les magasins en compagnie de deux de mes amies et aujourd'hui, me voilà en train d'évoluer dans les ténèbres de Londres. D'ailleurs, tout en marchant, je me rends compte d'un petit détail qui aurait dû me paraître suspect bien plus tôt. En effet, aucune nappe de brouillard ne rôde dans les parages et cela n'annonce rien de bon. De plus, Londres sans ces nuages bas, ce n'est pas la capitale anglaise mais une pâle copie. Suis-je en plein cauchemar ou dans la réalité ?
A l'heure actuelle, je ne saurais quoi répondre et je n'ai pas vraiment le temps de m'intéresser davantage à cette question. Alors que j'arrive sur l'un des nombreux quais maritimes de la ville, je remarque une bien curieuse silhouette ailée, au loin. Des bruits étranges s'échappent à chacun de ses mouvements et bizarrement, ma main droite se lève subitement pour placer la lame de mon épée devant ma poitrine. Si jamais l'être que j'ai repéré s'avère être encore l'un de ces monstres, je préfère qu'une tige de métal s'interpose entre nous deux afin de me laisser le temps de réfléchir à une mise à mort digne de ce nom. Discrètement, je m'avance vers le monstre et mes yeux se posent aussitôt sur les nombreuses colonnes constituées de caisse en bois qui se trouvent tout autour de lui.
Comment ai-je pu faire pour ne pas m'en rendre compte bien avant ? Si cette créature est intelligente, elle pourrait s'en servir pour couvrir sa fuite ou mieux encore, les utiliser pour m'attaquer. J'ai beau être l'une des plus fines lames de ce pays, je ne saurais comment réagir si mon adversaire fait preuve d'un minimum d'intelligence. Déjà, il aura le mérite d'être plus coriace que mes adversaires précédents mais en plus, il pourrait peut-être me vaincre qui c'est ? Jusqu'à présent, les monstres que j'ai dû abattre jusqu'à maintenant étaient des brutes sans cervelles et malgré l'avantage que leur offrait leur corps difforme, j'ai toujours su me sortir de ces combats sans la moindre blessure.
Je sais être forte car la vie ne m'en a pas laissé le choix. Même si j'ai encore la chance d'avoir mon père dans mon existence, je n'ai aucun travail et aucun soupirant à déclarer sur mon tableau de chasse. D'ailleurs, celui-ci est aussi vide qu'une outre de vin qu'un ivrogne aurait soulagé en moins d'une heure. Pourtant, je suis un beau brin de fille et je prends toujours le temps de bien me coiffer le matin. Mes longs cheveux noirs descendant jusqu'à mes épaules en témoignent puisque j'ai beau y passer ma main, celle-ci ne s'accroche à aucun nœud.
Est-ce la réputation de mon père qui fait de moi la fille célibataire et esseulée que je suis aujourd'hui ? Je ne sais pas et sincèrement, je ne tiens pas à découvrir cette réponse de peur d'être blessée. Alors que mes pas continuent de me rapprocher du monstre, celui-ci s'immobilise soudainement. Je décide d'en faire autant pour ne pas trahir ma présence quand tout à coup, une brise fraîche se lève et me fouette agréablement le visage. Je n'ai pas le temps d'en savourer davantage les effets que la créature tourne son faciès dans ma direction.
Là, je me surprends à y voir un visage au trait plutôt fin, me faisant pensant à un monstre de sexe féminin. J'ignore quelle est la personne qui se cache derrière ces abominations mais savoir qu'il a pensé à créer des ignominies de ce genre me donne froid dans le dos. Voulait-il que ces êtres cauchemardesques se reproduisent afin que les progénitures futures mettent cette ville à feu et à sang ? Je doute que les forces de l'ordre puissent résister longtemps si un tel cas de figure devait se présenter et c'est pour cette raison que j'ai choisi de prendre les armes et de sortir dehors pour faire du ménage. Je ne le fais pas pour recevoir des louanges et autres félicités afin de glorifier mon nom.
Non, si j'ai décidé d'agir ainsi, c'est juste parce qu'il était hors de question pour moi que des monstres sanguinaires règnent ici en maître, considérant chaque habitant de Londres comme une vulgaire souris dont ils auraient fait la traque à chaque fois que leur estomac criait famine. Alors que je chasse cet éventuel futur de mon esprit en essayant de réunir le peu de courage qui me reste, le monstre fait voler les piles de caisses avec une effrayante facilité. Même après cette démonstration, je m'abstiens de reculer de quelques pas ou pire, de prendre mes jambes à mon cou. Ce n'est pas la terreur qui me paralyse et encore heureux. C'est juste que je n'ai pas pour habitude de fuir à la moindre difficulté et c'est pour cette raison que je me maintiens face à cette horrible créature.
Soudain, je remarque qu'un appendice tout aussi blanc que le reste de son corps s'élève et mon adversaire immobilise l'extrémité à hauteur de son visage. Ouais, je crois qu'elle cherche à m'intimider mais tu risques d'être fortement surprise ma belle. Ni une ni deux, je fléchis mes jambes et je maintiens la lame de mon épée devant moi pour être prête à parer la moindre offensive adverse. De son côté, le monstre sourit avant de battre des ailes et de foncer dans ma direction. Tout en se déplaçant, la femelle pousse un cri qui me glace le sang et je sens que ce combat sera différent des autres.
Pourquoi ? Je ne saurais le dire mais j'ai développé une espèce de sixième sens à ce sujet. Alors que j'attends patiemment que le monstre femelle se rapproche de moi, je remarque que les contours de sa bouche sont recouvertes de sang. Cela donne l'impression que sa mâchoire possède des dimensions impressionnantes et j'ai bien fait de remarquer ce détail. Dès que le démon arrive devant moi, il s'élève dans les airs à l'aide d'un simple battement d'ailes et tente de me frapper à l'aide de sa queue cinglante.
Celle-ci parvient à me toucher sur la joue mais je n'ai pas le temps de vérifier si une blessure s'est ouverte après cette première offensive. Si je veux avoir une chance de remporter cet échange musclé, je me dois de porter un coup sur son point faible. Alors que la créature se prépare à me frapper une seconde fois avec son appendice démesurément long, je décide de porter mon attaque sur celui-ci. Rapidement, je plonge en avant et profite du vide laisser entre son corps et le sol pour passer en exécutant une roulade. Dès que je me tiens agenouillée, j'en profite pour tourner légèrement mon buste et peu de temps après, des gouttes de sang s'échappent de la base de son fouet.
Souffrante, la femelle démoniaque s'éloigne en battant des ailes et fait demi-tour après avoir mis une certaine distance entre elle et moi. De mon côté, je me tiens de nouveau debout sur mes jambes et je meurs d'impatience d'entamer le deuxième assaut. Par contre, je suis un peu surprise de voir que mon attaque ne lui a presque rien fait et cela conforte l'impression que je me faisais. Cette invention de Dieu n'a strictement rien à voir avec ceux que j'ai abattus il y a de cela plusieurs heures et je commence même à me demander si j'ai bien fait de me montrer lorsque je suis arrivé sur les quais. Après avoir poussé un nouveau cri chargé de représailles, la créature blanche fonce de nouveau sur moi lorsqu'elle s'immobilise à mi-chemin.
Battant furieusement des ailes, le démon cherche à libérer sa queue qui est prise dans une main surgissant de nulle part. Ce membre appartient à un homme qui se tient derrière la bestiole et tient dans sa seconde paume, une arme bien étrange. En effet, celle-ci ressemble à un bâton très grand mais chacune de ses extrémités présente une lame ensanglantée. En tout cas, mon adversaire n'a pas l'idée de se retourner pour se mesurer à cette nouvelle menace et cela me fait sourire. Il n'est pas aussi terrible que je le pensais mais cette apparition soudaine m'intrigue beaucoup.
Qui est cet homme et pourquoi se permet-il d'interrompre mon combat ? Pense-t-il que je sois une faible femme qui mérite qu'on vole à son secours comme ces nombreuses princesses que l'on retrouve dans les contes de fées ? Si c'est le cas, je vais me faire un plaisir de lui montrer que je suis apte à me débrouiller seule mais je n'ai pas le temps de songer davantage que je le vois trancher libérer le monstre de sa queue toute puissante. Alors que le membre à peine arraché continue de vivre une fois en contact avec le sol, son propriétaire s'élève dans les cieux en hurlant. Si cela continue, elle va rameuter ses semblables dans le secteur et me voilà nourrissant des craintes si ce cas de figure devait se produire.
A plusieurs centimètres de moi, l'homme qui présente une barbe courte mais fournie sur l'intégralité de son menton ne dit rien et ne donne pas l'impression de réfléchir. J'ignore comment il fait pour rester maître de lui dans ce type de situation mais j'avoue que sur le moment, j'aimerais être aussi serein que lui.
« Je ne pensais pas que les harpies arriveraient jusque-là, lâche-t-il.
- Harpies ?
- Oui. C'est la créature que nous sommes en train d'affronter et je dois reconnaître que vous vous défendez plutôt bien.
- Merci. »
Tout à coup, la harpie refait son apparition en volant à ras le sol et j'estime qu'il est temps pour moi de mettre un terme à ce duel. Aussitôt, je me mets à foncer dans sa direction et au moment où nous allons nous heurter l'une à l'autre, elle se redresse brutalement, me dévoilant son thorax dont je distingue de nombreuses veines grises apparentes. Je n'ai pas le temps de méditer sur cette vision d'horreur et brusquement, je plonge la lame de mon épée dans son sein gauche. Lorsque je retire mon arme, la harpie tombe lourdement sur le sol, battant des ailes une dernière fois avant de rendre son dernier souffle. Fière de moi, je savoure pleinement cette victoire en espérant que l'intervenant n'a rien loupé du spectacle.
Quand j'entends des applaudissements, je me retourne et constate qu'ils me viennent de l'étrange gars.
« Bravo, me dit-il avec un large sourire.
- Merci. » Répondis-je froidement.
En me regardant attentivement, le combattant se montre un peu plus bavard.
« On se serait déjà rencontré quelque part ?
- Je ne pense pas car sinon, je m'en serais souvenue. »
Il débloque un peu le vieux. C'est la première fois de ma vie que je le vois et avec le physique qu'il se tape, ma mémoire ne m'aurait pas fait défaut si nos chemins se seraient déjà croisés. Alors que je regarde attentivement ses vêtements plutôt sombres mais surtout, l'arme étrange qu'il porte dans sa main gauche, le voilà qu'il pose un premier genou sur le sol, près de la créature. M'interrogeant sur son comportement, je n'ai pas fini de me montrer surprise lorsqu'une fois agenouillé, l'homme joint ses mains tout en fermant les yeux.
« Que faites-vous ? » Demandai-je.
En guise de réponse, je l'entends prononcer des mots qui me surprennent un peu. Quand vient le moment où les termes « Marie pleine de grâce » me caressent les oreilles, je sais de suite de quoi il retourne.
« Ne me dîtes pas que vous êtes un homme d'église? »
Quand ce dernier a fini de prononcer sa prière, il ouvre ses paupières et quitte sa position agenouillée pour se remettre debout. Pendant que l'homme se penche en avant afin de récupérer son arme qu'il avait déposée sur le sol près de lui le temps de son recueillement, il me fournit la réponse que j'attendais.
« Si et pour être franc avec vous, sachez que je suis prêtre exorciseur. De là d'où je viens, on me nomme père Ignatius. »
Je ne pensais pas que je faisais face à un homme d'église et je me dois de me montrer respectueuse. Après tout, s'il exerce toujours au sein d'une structure religieuse, je n'ai rien à craindre de lui et je tiens à le faire savoir. De plus, je dois peut-être compter sur son âme pour poursuivre le ménage au sein des rues de Londres et il serait bien que je m'en fasse un allié et non un ennemi.
« Enchantée de faire votre connaissance mon père, je suis Nadia Franciscus et…
- Franciscus vous dîtes ? Répète-t-il, étonné.
- Oui. Il y a un problème ?
- Non. Enfin... »
A l'étrange regard qu'il fait, je m'interroge une nouvelle fois. Pourquoi ne s'est-il pas donné la peine de terminer sa phrase ? Serait-il possible que mon nom de famille évoque quelque chose pour lui ? Si c'est le cas, j'aurais aimé savoir de quoi il retourne. Peut-être que…
« Cela fait combien de temps que vous n'avez pas vu votre père ?
- Bientôt une semaine mon père et cela m'inquiète beaucoup. A vrai dire, je commence à me dire qu'il a disparu et c'est aussi pour cette raison que je suis dehors. J'espère pouvoir le retrouver avant qu'il ne tombe sur l'une de ces maudites créatures.
- Brave enfant. Si vraiment vous êtes à la recherche de votre père, je sais où vous pouvez le trouver.
- Vraiment ? Savoir cette nouvelle me soulage. Où est-il ?
- Il vaudrait mieux que je vous mène jusqu'à lui mais par contre, comme le chemin risque d'être semé d'embauche, je vous recommande de rester sur vos gardes.
- Bien. »
Alors que le père s'éloigne de moi pour marcher en direction d'une rue, mes yeux remarquent un petit scintillement en provenance de plusieurs colonnes de caisses en bois dressées les unes auprès des autres. Curieuse, je décide de m'en approcher et une fois que je suis près de ces piliers de planches assemblées et frêles, je m'aperçois qu'il s'agit d'une épée à la forme particulière. Tout d'abord, sa lame est très large et présente plusieurs dents sur son fil. Quant à la garde, celle-ci a été sculpté dans une matière blanche dont les extrémités se divisent en deux parties arrondies. Quelques secondes plus tard, je sais de quoi il retourne exactement.
« Un os ? »
Lorsque je m'empare de cette épée, je me demande si j'ai le droit de l'emmener avec moi. D'ailleurs, au moment où mes doigts se referment sur sa garde, son scintillement cesse, comme si l'arme me faisait comprendre qu'elle avait attiré mon attention que dans ce seul et unique but.
« Mademoiselle Franciscus, dois-je vous attendre pour nous rendre jusqu'à votre père ou dois-je poursuivre mon chemin en solitaire ? »
Sur le moment, je dois reconnaître que je l'avais un peu oublié et c'est maintenant que je dois prendre une décision. Dois-je faire de cette nouvelle épée, mon arme ou dois-je la laisser à l'endroit où je l'ai trouvé ? Hésitant entre ces deux choix, des frissons me parcourent l'échine lorsqu'un cri à vous glacer le sang se fait entendre dans les environs.
« Encore un. » Dis-je.
De nouveau sur mes gardes, je promène mon retard autour de moi lorsque je vois une masse énorme se détacher de l'obscurité, se dirigeant à pas tranquille dans ma direction. Alors que je recule pour m'éloigner des caisses en bois, je sens une présence à mes côtés et à l'instant où je me rends compte qu'il s'agit du père Ignatius, je lâche aussi un soupir de soulagement.
« Finalement, vous avez bien fait d'avoir traîné de la patte jeune demoiselle. Si ce monstre s'était glissé dans la rue après notre passage, nous aurons été gêné lors du combat qui s'annonce.
- Je suis désolée d'avoir si tardé mais je viens de trouver ceci. »
Je montre ma trouvaille à l'homme d'église et un sourire fait son apparition au milieu des poils de sa barbe dont je peine à voir les limites.
« L'épée du capitaine du bon Samaritain.
- Vous le connaissez ?
- Oui et si son arme se trouve ici, c'est qu'il a dû lui arriver malheur. Un conseil jeune fille, considéré cette trouvaille comme ses dernières volontés et avec son épée, frayez-vous un chemin dans les ténèbres de l'horreur. »
Lorsque le monstre dévoile sa véritable nature en passant près d'un réverbère, je sais désormais à qui j'ai affaire et par avance, ce combat sera très bref.
« Un géant bleu. Pouvez-vous me le laisser mon père ? J'en ai exécuté quatre bien avant d'arriver jusqu'ici.
- Je vous en prie. »
Alors que je quitte l'homme afin d'en découdre avec mon nouvel adversaire, j'aperçois une petite pointe de lumière jaunâtre mais vive qui perce doucement à l'horizon. Quelques minutes plus tard, lorsque la tête du géant bleu repose à mes pieds, la nuit cède tout doucement le terrain à l'aurore, ce qui me rassure ainsi que le père Ignatius.
« La lumière… Dit-il. La lumière est revenue ! »
