Déclaration : Les personnages ne m'appartiennent pas, ce sont ceux du film The eagle. Je ne fais que les emprunter, merci à Rosemarie Sutcliff de les avoir crées.

N. B. : les points de vue s'alternent jusqu'au chapitre 5 inclus. Ensuite, on s'éloigne du film et la narration redevient classique. Mais à la la fin de l'histoire on rattrape bien sûr le film. J'espère que cela vous plaira, bonne lecture !

Galerie des personnages :http : / / arianrhod34 . livejournal . com / 3782 . html
(supprimer les espaces pour reconstituer l'adresse)


Chapitre 1 : L'arrivée d'Esca à la villa.

Point de vue romain.


Evidemment, il fallait que ce soit lui. Il ne voulait pas de son propre esclave. Non seulement il ne comprenait pas la vanité des hommes à vouloir toujours en posséder un plus grand nombre mais en plus, cela lui rappelait trop sa condition. Oh, cela il ne pouvait pas l'oublier. La douleur était là, permanente, lancinante, elle le rongeait de l'intérieur. Elle ne lui laissait que peu de répit, quand elle disparaissait, il se rendait compte à quel point elle était présente, pesante, horrible et la raison de la fin de sa carrière militaire qui ne faisait pourtant que débuter.

Du coin de l'œil il vit son oncle pousser l'esclave dans sa chambre.
- Son nom est Esca, lui indiqua-t-il avant de se retirer.
Marcus vit son regard appuyé avant qu'il ne baisse les yeux.
- Je n'ai pas besoin de toi, entama Marcus en se levant péniblement.
- Je ne voulais pas être acheté, répondit-il doucement du tac o tac d'un ton neutre.
- Tu aurais dû t'enfuir. Mon oncle ne t'aurait pas arrêté. J'aurais préféré cela plutôt que de t'avoir dans ma chambre, pensa Marcus.
- Vous m'avez sauvé la vie. J'ai une dette d'honneur envers vous.
Il ne semblait pas heureux de le reconnaître mais c'était la vérité. Sans son intervention, il serait mort. Qu'il parle d'honneur était étonnant, il n'y avait même pas pensé en le sauvant ... Il n'aimait pas les combats de gladiateurs, de ce point vue il n'était pas un bon romain. Il avait suivi son oncle uniquement pour sortir un peu de la villa. Ces simulacres de combats pouvaient être intéressants mais certainement pas un esclave contre un gladiateur comme l'avait dit son oncle.
- Contre ta volonté, fit remarquer Marcus.

- On n'implore pas la merci, finit par ajouter le celte la voix empreinte d'émotion.
- Tu ne l'as pas fait, rétorqua Marcus bien fort, je l'ai fait pour toi. Sans aucune autre intention ... fit-il évasif sans regarder l'esclave.
C'était faux bien sûr, il avait souhaité lui sauver la vie et il l'avait exigé avec force et conviction son regard planté dans celui de l'esclave qui gisait au sol. Il avait vu tellement de morts dans de véritables combats … que la sienne lui avait semblé vaine. En tant que soldat et tout comme son oncle, il savait reconnaître la bravoure et le courage et cela méritait la vie et non la mort. Et puis … il avait été touché par cet homme sans qu'il sache vraiment dire si c'était son attitude ou autre chose. Cette étrange sensation l'avait poussé à prendre son parti.
L'esclave sortit une dague de nulle part et s'approcha lentement de lui.
- Je suis un fils des Brigantes, murmura-t-il toujours menaçant, qui tiennent toujours parole.
Il jeta la dague à ses pieds.
- Je le jure sur le poignard de mon père, reprit-il. Je déteste tout ce que vous représentez, tout ce que vous êtes. Mais vous m'avez sauvé, fit-il en déglutissant difficilement. Et pour cela, je dois vous servir.

Il baissa les yeux mais Marcus ne pouvait détacher les siens de ce breton. Il n'en revenait pas. Son courage dans l'arène l'avait étonné mais ce n'était apparemment pas terminé. Pour une première conversation avec son esclave personnel, elle était plutôt inédite.
- Tu me jures obéissance et fidélité ? Tu me donnes ta parole ? répéta-t-il toujours abasourdi par cette entrée en matière.
- Je le jure, répondit-il en levant puis rebaissant rapidement ses yeux.

Non seulement il ne voulait pas d'esclave et en avait un, mais en plus il fallait que ce soit un original. Il semblait néanmoins croire à ce qu'il disait, peut être le pensait-il. En tout cas, il lui faisait forte impression. Marcus le reconsidéra longuement, ses cheveux châtain clair, sa peau blanche comme la plupart des barbares* qui habitaient ici. Il parlait étonnement bien leur langue, presque sans accent, peut être cela faisait-il longtemps qu'il vivait parmi les romains. Pourtant il se revendiquait toujours du clan Brigantes. Marcus s'assit et saisit la dague en question en cachant du mieux qu'il pouvait la douleur que ce simple geste avait déclenchée. N'allait-elle donc jamais cesser … peut être que son oncle avait raison, il devait se résoudre à rester un estropié qui avait besoin de son esclave personnel pour l'aider dans tous ses gestes quotidiens. Cela ne lui plaisait pas, mais alors pas du tout … Marcus sortit de ses pensées moroses pour reporter son attention sur la dague qu'il venait de saisir, elle était très belle, celte nul doute. Jamais un romain n'aurait sculpté pareilles volutes.
- Je voudrais que tu défasses mes lacets, demanda-t-il après avoir posé la dague sur ses cuisses, acceptant ainsi le serment du celte.

Le jeune homme s'agenouilla devant lui et, en quelques instants, il défit les lacets récalcitrants puis lui retira ses chaussures. C'était vraiment à contre cœur que Marcus acceptait cette aide. Rien n'avait changé, il se sentait toujours soldat dans l'âme, centurion jusqu'au bout de l'épée et tout ce qui lui rappelait la fin de son service lui était douloureux.
- Que t'a dit mon oncle ?
- Que je devais servir Marcus Flavius Aquila mon nouveau maître, fit-il toujours agenouillé devant lui les yeux braqués sur le sol, les mains à plat sur ses cuisses nues.
- Tu n'as pas besoin d'en savoir plus que ce que tu vois, répondit Marcus plus sèchement qu'il ne l'aurait voulu. As-tu mangé ?

Le jeune homme secoua la tête. Il n'avait pas dû manger depuis la veille en vu du combat et quand bien même, ce ne devait pas être un repas copieux. Dans l'arène il l'avait trouvé petit, maigre bien que musclé. Maintenant qu'il se tenait devant lui, il le trouvait moins chétif et sa mâchoire était bien carrée, il était agréable à regarder. Bien sûr il portait les marques du combat dans l'arène mais son oncle avait dû le cueillir avant que son maître ne le punisse pour son attitude. Il ne valait plus grand-chose, personne ne paierait pour le revoir après sa prestation. Son oncle n'avait pas dû débourser beaucoup pour l'avoir, en revanche ils avaient dû être bien étonnés de voir un acheteur potentiel se présenter après ce spectacle.
- Demande à Stephanos, fit Marcus en soupirant de lassitude.
Il était tellement fatigué … fatigué de tout et en particulier de vivre ainsi en souffrant sans cesse.
- As-tu déjà vécu dans une villa ? questionna le romain.
- Oui.
- Bien, Stephanos te montrera tout ce que tu dois savoir. Va maintenant.
Le jeune homme se releva lentement, Marcus se dit que les coups du gladiateur devaient être douloureux.

Il ne le revit pas jusqu'au soir repas où il se tint derrière son oncle pour les servir. Il s'était changé, les vêtements étaient moins rustres, en revanche l'attitude était toujours la même. Il prenait grand soin à garder ses yeux baissés, il semblait vouloir se fondre dans le paysage. Il paraissait un peu gêné, un peu gauche dans ses gestes. Marcus écouta d'une oreille distraite son oncle tout en mangeant, la sortie à l'amphithéâtre l'avait épuisé.
- Marcus ! s'écria Aquila en posant sa fourchette et en souriant. Suis-je donc si ennuyeux ?
- Non mon oncle, pardon. C'est seulement …
- C'est ta blessure ?
Marcus serra la mâchoire. Il aurait préféré ne pas avoir un témoin pour cette conversation, c'était décidément une bien mauvaise idée que cet achat. Il ne put réprimer un coup d'œil sur l'objet de sa frustration … pourquoi cela l'ennuyait-il ? Il ne le savait pas, après tout que lui importait son avis ? Mais impossible de se raisonner et de réussir à verbaliser une réponse à son oncle.
- Cela fait plusieurs semaines, ce n'est pas normal, décida Aquila sans attendre une confirmation de son filleul qui ne venait pas étouffée par sa fierté. Je connais un chirurgien d'excellente réputation, je vais le faire quérir. Il habite loin d'ici mais il viendra pour moi …
- Une vieille connaissance ? questionna Marcus en coupant la parole à son oncle, craignant de voir débouler un vieux praticien aux yeux fatigués et aux mains tremblantes.
- Non ! se récria Aquila en riant.
Son rire irrita immédiatement Marcus, son oncle semblait tout prendre à la dérision et c'était agaçant mais, il savait aussi que sa blessure le rendait susceptible et colérique. Il le savait mais ne pouvait rien y faire, juste subir et serrer les dents en ravalant sa colère.
- On m'en a simplement parlé, reprit Aquila, il a semble-t-il une dextérité et un diagnostic comme nul autre. Si j'envoie un message demain, nous devrions le voir dans une semaine.
- Bien. Fais-le. Cela ne peut être pire.
Aquila le dévisagea un instant, il allait ajouter quelque chose mais s'abstint finalement. Marcus lui en était gré, il n'était pas d'humeur à discuter. Ils reprirent le cours du repas dans un silence pesant.

Marcus resta un long moment dans le jardin après le repas. L'esclave l'avait aidé à descendre les marches et à s'installer, puis il l'avait renvoyé. Seul avec lui-même, il suivit la lente déclinaison du soleil à l'horizon, cherchant dans ce spectacle somptueux la force de continuer. La douce caresse du vent lui rappelait les bonnes choses de la vie, il aimait ces moments de calme où la beauté du lieu était sublimée par les derniers rayons de l'astre, tantôts dorés tantôts rougeoyants. Cette immensité l'obligeait à relativiser ses propres problèmes, ce n'était que dans ces conditions qu'il arrivait à redevenir maître de lui-même. Devant ces rayons du soir, majestueux, qui se reflétaient dans les nuages, il ne pouvait qu'accepter le destin que les dieux avaient choisi pour lui. Et lutter, continuer à se battre … mais en faisant quoi ? Là était toute la question. Il ne savait plus quoi faire de sa vie, son avenir s'était brouillé à l'instant même où le char s'était écrasé sur sa jambe et rien n'était plus clair. Mais comment atteindre alors le but qu'il s'était fixé ? Il se devait de restaurer l'honneur de sa famille … il pensa douloureusement en serrant l'anneau autour de son poignet que tout était perdu.

La nuit tomba et il n'y eut finalement plus rien à voir, il se releva et eut immédiatement le bras de l'esclave pour le soutenir et lui donner sa cane. Il ne devait pas se tenir loin et guetter son départ car il avait été surpris de le trouver si vite près de lui. Sans un mot, ils rejoignirent la chambre de Marcus. Une bassine avait été remplie d'eau et des vêtements propres étaient posés sur son lit. Ce n'était certainement pas Stephanos qui avait organisé tout cela, il ne voyait pas l'intérêt de changer de vêtements aussi souvent que le désirait Marcus et n'avait pas caché le travail en plus que cela lui causait. Il apprécia l'attention d'Esca, l'esclave de son oncle était incapable de ce genre d'initiative même après avoir été si longtemps au service de son oncle. Ou peut être était-ce à cause … Stephanos répondait à toutes ses attentes pourvu qu'il les ait formulées, un peu d'initiative était très appréciable. Il s'aspergea le visage et enfila les vêtements propres avec l'aide d'Esca bien que cela lui déplaise. Marcus allait lui demander un verre d'eau pour la nuit quand il constata que celui-ci était déjà posé près de lui. Stephanos lui avait bien expliqué ce dont il avait besoin.
- Tu sais où dormir ? s'enquit le romain.
L'esclave acquiesça.
- Alors vas-y et ne reviens pas avant demain matin.

Il était certain de passer encore une nuit épouvantable et il était hors de question que le breton l'entende gémir. Il allait se réveiller tremblant, en sueur, seuls les dieux pouvaient lui venir en aide au cœur de la nuit, quand ses craintes et ses espoirs fanés se perdaient dans le silence de sa chambre.

Les jours passaient et se ressemblaient, la nuit avait été effectivement comme la précédente : mauvaise. Il était fatigué au petit matin, n'était-ce pas le moment où l'on devait se sentir reposé ? Il attendait dans son lit tout en somnolant vaguement qu'on lui apporte son petit déjeuner. Deux petits coups sur la porte le firent sortir de sa léthargie. Esca fit son entrée avec un plateau …

Le reste de la semaine fut à l'image des premières heures d'Esca dans la villa. Marcus ne lui en voulait pas personnellement mais il ne supportait ni son aide ni sa présence et le breton l'avait immédiatement compris. Il s'était organisé pour effectuer ses corvées sans que Marcus ne le voie jamais faire et quand sa présence était indispensable, il savait rester très discret. Il ne parlait quasiment jamais, parfois il l'interrogeait du regard, leurs échanges s'arrêtaient là. Rien de tout cela n'était ordinaire, les esclaves restaient près de leurs maîtres pour les servir, ils étaient là pour cela. Un maître qui refuse de faire assister pouvait être déroutant … mais cela ne semblait pas offusquer Esca. Comme un accord tacite entre eux, le breton s'était adapté aux exigences de Marcus sans qu'il les ait formulées et sans qu'elles soient évidentes ... c'était avec soulagement que le romain avait découvert que son esclave était doté d'intuition et d'une intelligence fine.

Il savait se faire oublier mais ni son oncle ni Stephanos ne l'oubliaient lui. Il s'était rendu compte au détour de ses déambulations qu'il ne restait pas inactif malgré son peu de considération. Un après-midi, agacé par un bruit régulier et persistant il avait suivi le son. Il avait retrouvé Esca, à genoux, en train de nettoyer le carrelage du sol de la terrasse particulière de son oncle à l'aide d'une brosse. L'esclave avait cessé sa tâche en voyant son maître surgir, il l'avait scruté attendant probablement un ordre. Marcus lui avait fait signe de reprendre et il s'était exécuté. Un autre jour, il l'avait surpris dans les écuries en train de s'occuper des chevaux. Cette fois là, il s'était trouvé un siège et l'avait regardé faire. Quelque chose dans ses gestes l'avait hypnotisé. Il aimait les chevaux, cela se voyait et ils semblaient déjà le connaître et l'apprécier. Marcus aimait aussi ces bêtes, il espérait vraiment pouvoir remonter en selle un jour.

La veille de la venue du chirurgien, Marcus était nerveux, il se promenait dans la villa ne sachant que faire pour tromper son ennui et son appréhension. Il surprit son oncle en grande conversation avec Esca. Il lui expliquait comment ranger les provisions à sa convenance dans le garde-manger et ce qu'il attendait de lui. Cela déplut à Marcus, dans ses tripes il sentit que cela n'allait pas.

Esca était son esclave et pas celui de son oncle. Malgré tous ses efforts voire son déni, il avait pourtant accepté cette possession.


* Barbare : désignait un étranger pour les Grecs et les Romains sans que cela ne soit encore péjoratif.


J'espère que cela vous a plu ... un p'tit message pour me dire ce que vous en pensez ?
Vous vous en doutez, le prochain chapitre ce sera le point de vue d'Esca ^^