La République des Cieux
Chapitre un : retrouvailles annoncées
Lyra était assise sur le toit de Jordan Collège, sa maison de toujours. Pantalaimon, la martre, les pattes posées sur le rebord qui surplombait le vide, regardait au loin le soleil se coucher dans un spectacle de couleur, baignant l'horizon de orange et de rose. Cela faisait maintenant deux ans, deux longues années, qu'elle avait quitté Will dans le monde de Citagazze. Elle se souvenait toujours de la manière dont la fenêtre, la dernière fenêtre à part celle du monde des Morts, s'était refermée sur le visage de celui qu'elle aimait, les séparant pour toujours. Comme tout les soirs, elle avait apporté son aléthiomètre sur le toit et comme chaque soir depuis deux ans, elle essayait en vain de le déchiffrer. Certes, elle avait appris quelques significations, les bases pour déchiffrer l'étrange instrument, en compagnie de Dame Hannah dans son collège de filles, mais Lyra se sentait mal dans sa peau. En une journée, il y a aujourd'hui deux ans, elle avait tout perdu. Celui qu'elle aimait, et que le destin avait emmené loin d'elle, et son don pour déchiffrer l'aléthiomètre. Ses doigts bougeaient encore à toute vitesse sur les roues moletées pour poser la question qu'elle posait chaque soir, inlassablement, à savoir reverrait elle un jour Will. Mais l'aléthiomètre ne répondait pas. Plus précisément, il ne le pouvait pas. L'aléthiomètre connaissait la vérité, mais ne voyait pas le futur.
-Tu penses encore à lui, dit Pantalaimon en posant ses pattes sur les genoux, pas vrai ?
-Oh Pan. Je suis si malheureuse ! Je pense tout le temps à Will. Et je sais que tu penses à Kirjava toi aussi. Je t'ai entendu dire son nom le soir.
Pantalaimon ne nia pas, mais il ne s'étendit pas sur le sujet. Plus par habitude que par curiosité, Lyra tourna les molettes et posa sa question à l'aléthiomètre.
-S'il te plaît, réponds moi.
Elle savait que l'instrument ne recevait d'ordre de personne et elle s'attendait à ne pas voir bouger les aiguilles, comme d'habitude. Alors qu'elle s'apprêtait à sortir de la transe dans laquelle elle se plongeait pour utiliser l'instrument, la fine aiguille se mit soudain à tournoyer. Elle fila d'un bout à l'autre du cadran, s'arrêtant quelques instants devant certains symboles puis repartait à toute allure. Les yeux de Lyra suivaient ses déplacements mais seul son cerveau réussissait à retenir les symboles et lorsque l'aiguille s'arrêta enfin de tournoyer, un sourire était apparu sur ses lèvres. Ce n'était pas la réponse qu'elle attendait mais de pouvoir à nouveau lire l'instrument de façon si simple la plongea dans un état d'euphorie.
-Pan, tu as vu ?
-Vu quoi ?
-L'aléthiomètre à parler, Pan. C'est merveilleux.
-Et qu'est ce qu'il t'a dit ? demanda le daemon.
-Je n'ai pas tout compris. Il m'a dit qu'on allait recevoir une visite inattendue et que le bien et le mal en apparence devraient de nouveau s'affronter. Mais pourquoi a-t-il parler d'apparence ?
-Je ne sais pas, reconnu le daemon. Rien d'autre ?
-Non rien.
Lyra se frotta les yeux pour sortir complètement de la transe et essaya en vain de se calmer.
-Je vais demander autre chose !
Va-t-on repartir en voyage ? La réponse ne se fit pas attendre, claire, dure et implacable.
-Oui !
Will en fera-t-il partie ? Tout aussi rapidement, la réponse apparue et Lyra sentit son cœur faire un bond dans sa poitrine.
-Oui. On va revoir Will et Kirjava, Pan !
Mais son daemon n'écoutait pas. Le regard fixé derrière l'épaule de Lyra, il semblait sur le point de partir en courant. Alors Lyra se retourna doucement et laissa échapper un petit cri.
Pendant ce temps, Will rêvait. Il habitait maintenant avec Mary et sa mère dans une petite maison à l'extérieur d'Oxford. La santé de sa mère s'était un peu améliorée et Mary s'occupait de son mieux de son ami et de sa mère. Mais Will se languissait de Lyra et ne pensait qu'à elle, à longueur de journée. Mary avait planté les graines que lui avait donné les Mulefas autrefois et à l'extérieur de la maison se tenaient maintenant deux arbres gigantesques, à l'ombre desquels Will aimait rester toute la journée pour réfléchir. Les vacances d'été avaient commencées depuis maintenant un mois et il pouvait rester à loisir à l'ombre des gigantesques arbres qui dépassaient déjà allègrement les séquoias géants d'Amérique.
-Tu penses encore à elle, dit Kirjava.
-Oui, Kir. Comme chaque minute qui passe.
-Tu ne crois qu'il serait temps de tourner la page ? osa le daemon.
Will plongea son regard dans la fourrure aux couleurs multiples de son daemon, puis le regarda droit dans les yeux. Kirjava vit alors que son regard n'avait rien perdu de son intensité et de sa farouche obstination.
-Jamais je ne pourrais, Kir. Et toi non plus. Je le sais et toi aussi.
Alors que rien ne laissé présumer de se qui allait se passer, un éclair de lumière blanche traversa le ciel bleu et frappa la chambre de Will. Le jeune garçon, qui avait vu passé le rayon de lumière, se leva et courut jusque dans sa chambre pour vérifier ce qui y était tombé. Il grimpa les escaliers trois par trois et ouvrit la porte à la volée pour trouver... Rien. Sa chambre n'avait rien. Pourtant, il avait vu clairement ce rayon de lumière vive et intense tomber dans sa chambre.
-Will, regarde, dit Kirjava.
Le chat regardait la gaine qui contenait les morceaux du poignard subtil. Will n'avait pu s'en débarasser, seul souvenir réel de son aventure avec Lyra, mais aussi responsable de leur séparation. De la gaine semblait s'échapper une lumière diffuse, dorée. Will s'approcha et se saisi du manche de l'arme.
-Prends garde, Will, recommanda le daemon.
Will sentait le bois de rose vibrer sous ses doigts. Alors il détacha les attaches du poignard et sortit ce qu'il croyait être le manche uniquement. Mais la lame suivie, reconstituer entièrement, comme par enchantement.
-Comment est ce possible ? dit il à haute voix. Kir...
-Oui j'ai vu. Je ne sais pas.
Will reconnaissait bien la lame dont il s'était servi tant de fois par le passé. Mais il en émanait quelque chose de différent. Une aura douce, dorée, semblait émaner de la lame. Will entendit alors des bruits de pas précipité dans l'escalier et rangea la lame en toute hâte. Si sa mère le voyait avec un couteau dans la main, elle en deviendrait folle, et il ne voulait pas aggraver son état de santé. Mais ce fut Mary qui apparu dans l'encadrement de la porte, essoufflée.
-Wi...Will. Qu'est ce qui se passe ? Je t'ai vu partir en courant et...
Son regard se posa alors sur le poignard que Will tenait dans la main.
-Will, je sais que c'est dur, mais le poignard est brisé et...
-Non.
-Will !
Elle l'entoura de ses bras et le serra.
-Mary regarde.
Il sortit alors la nouvelle lame de sa gaine et elle laissa échapper un hoquet de surprise.
-Will ?! Qu'as-tu fait ?
-Je n'ai rien fait, Mary. Ce n'est pas moi !
Avant qu'il ne puisse continuer leur conversation, une nouvelle lumière dorée frappa la chambre et les aveugla.
Dans les deux mondes, se tenait à présent un ange. Un ange différent de ceux qu'il avait connu. Une lumière éblouissante, plus encore que celle de Xaphania ou du Régent, Métatron, semblait émaner de l'être céleste.
-N'ayez pas peur, dit une voix. Je viens juste vous parler.
-Qui êtes vous, demandèrent en même temps Will et Lyra, sans toutefois le savoir.
-Je suis vous et vous êtes moi. Je suis partout. Nous sommes partout. Nous sommes les Ombres, la Poussière.
Mary du se tenir à une chaise pour ne pas s'évanouir.
-Vous êtes la Poussière, dit Will.
-Oui. Nous venons vous annoncer une grande nouvelle. Vous allez vous revoir.
La tête de Will bourdonnait à présent, et Lyra semblait ne pas comprendre.
-Nous revoir ? Mais qui nous ? dit Pantalaimon.
-Vous, Lyra et Pantalaimon, ainsi que William et Kirjava.
Will et Lyra avait la respiration coupée. Ils allaient enfin se retrouver après deux ans.
-Le couteau a été réparé afin que Will puisse de nouveau découpé le monde. Mais il n'est plus maléfique. Il ne créera plus de Spectre.
-Pourquoi vous croirez t'on ? dit alors Kirjava. C'est vrai. Quelle preuve a-t-on ? Aucune.
-C'est vrai dit alors l'être. Vous voulez vérifier ? Rien de plus simple. Will prends le poignard et ouvre une fenêtre.
-Mais si je fais ça, je vais...
-Tu peux voir les Spectre à présent pas vrai. Alors ouvre une fenêtre et dit moi ce que tu vois.
Will sentait une boule dans sa gorge. S'il traissait sa promesse faites à Lyra, il s'en voudrait toujours. Mais si un Spectre apparaissait, il le tuerait immédiatement.
-Bien.
Will laissa son esprit se détacher de son corps et glisser vers la pointe du couteau, chassant toute autre pensée. Il sentit alors un accroc et enfonça le couteau. Puis il ouvrit une fenêtre, donnant sur le monde de Lyra et sur...Lyra elle-même.
