Les personnages ne m'appartiennent pas et sont la propriété de Jun Mochizuki.
Bonjour les gens !
Tout d'abord, merci de venir jeter un coup d'œil à cette histoire, qui j'espère vous plaira. Je passe régulièrement sur le fandom de Pandora Hearts (parce que Pandora hearts, c'est bien !), donc certains me connaissent peut-être. Pour les autres, je suis Leptitloir :3
J'attaque une nouvelle fanfic pour couper avec celle que j'écrivais avant, sur laquelle je travaille depuis plusieurs mois. Changer un peu, ça fait du bien !
J'avais, depuis longtemps, envie d'écrire avec Léo, qui fait partie de mes personnages préférés et que je trouve particulièrement intéressant. L'histoire ne sera pas très longue, cinq ou six chapitres je pense, aussi j'espère que vous suivrez tout au long, et que vous aimerez mon interprétation de ce personnage !
Je tiens, avant de vous laisser, à remercier ma – formidable – bêta-lectrice (Coucou Syln !) qui m'aide à corriger le texte et à relever les défauts / incohérences de l'histoire. Elle écrit aussi sur le fandom de Pandora Hearts, n'hésitez pas à aller jeter un coup d'œil !
Sur ce, je vous laisse avec la fanfic ! Bonne lecture :)
Prologue
Avant, je vivais au village. Avant.
C'était un endroit un peu perdu, non loin de la ville, en partie protégé derrière une épaisse forêt que je n'osais jamais approcher. Maman répétait : « C'est dangereux, Léo, ne t'y aventure pas trop loin. Si tu te perdais, comment voudrais-tu qu'on puisse te retrouver, là-bas ? » C'est ce qu'elle disait, oui, quand j'étais tout petit. Mais j'ai fini par comprendre la vérité, en écoutant les conversations des grands. Elle n'avait pas peur que je me perde, maman. Oh non …
Je n'ai jamais connu papa. Il est mort alors que je venais de naitre, à quelques mois près. Pas de voix dont je me souvienne, pas de visage, pas de silhouette floue. Même son nom, je ne le connais pas. C'est juste papa, et ça sera toujours comme ça. Mais ce que je sais, et que j'ai appris en écoutant les grands, c'est qu'il est mort une nuit, dans cette même forêt. Une histoire peu commune, qui glisse comme un murmure dans les rues du village. Un soir, un groupe d'enfant s'est perdu dans les bois, en jouant. Alors, on a dépêché plusieurs adultes pour les chercher. Attendre la police, c'était risquer leur vie. Les enfants, ils sont sains et saufs. Papa, tout ce qu'on a retrouvé de lui, c'était son corps dans un sale état. Une bête sauvage, ils ont dit. Elle a dû être attirée par la lumière, parce qu'il tenait une torche. Il n'avait aucune chance contre une bête sauvage.
Moi, depuis, je vis avec maman et elle prend soin de moi. Comme elle travaille beaucoup, je mange à ma faim tous les jours, mais parfois, en hiver, c'est plus dur, alors on « serre la ceinture » comme elle dit. Moi, ça ne me dérange pas, je sais qu'elle fait de son mieux. Déjà, elle s'occupe d'un enfant comme moi, c'est beaucoup.
« -Léo, viens essayer le nouveau manteau que je t'ai trouvé ! »
C'était sa voix qui venait de retentir, juste après le bruit de la porte refermée. Elle était rentrée plus tôt. Content, je me suis levé, et j'ai couru jusqu'à elle. Mes yeux se sont posés sur ledit manteau, un peu grand pour moi, gris, certainement rafistolé de ses mains. Elle avait dû y passer du temps, parce qu'elle m'aimait, maman, envers et contre tous. Je me suis approché, tout doucement, et j'ai enfilé son cadeau, avant de lui dire merci. Les saisons fraiches approchaient, cette surprise ne serait pas de trop.
« -Il te plait ? » Elle m'a demandé, un sourire tout doux sur les lèvres.
« -Oui maman.
-Tant mieux ! L'ancien est trop petit, maintenant. »
J'ai hoché la tête, sagement, mon regard rivé vers le sien. Je crois qu'elle a tressailli quand nos yeux se sont croisés, mais elle s'est vite reprise, et elle a replié le manteau, puis m'a demandé d'aller le ranger dans ma chambre. Je l'ai serré contre moi, avant de m'exécuter, puis de revenir l'aider à préparer le repas. Elle était fatigué, maman, quand elle rentrait du travail. J'avais beau être tout petit, du haut de mes neuf ans, je voulais quand même l'assister.
« -Tu es allé jouer avec les autres enfants, aujourd'hui ? » Elle a dit, alors que je me dressais sur la pointe des pieds pour attraper l'épluche légume.
« -Non, ils veulent pas.
-Ils t'ont dit quelque chose ? » Je sentais une pointe d'inquiétude dans sa voix.
« -Non, maman. Ils veulent juste pas. »
J'ai menti, mais je savais qu'elle s'en voudrait si je lui disais toute la vérité. Et elle s'occupait déjà bien de moi, je ne voulais pas qu'elle s'inquiète plus.
Les enfants, ils se moquaient souvent de mes yeux. Je sais bien qu'ils sont bizarres, avec leur couleur violette, et les lumières qui dansent dedans, celle de l'autre monde. Alors je ne m'approche pas trop d'eux, pour éviter qu'ils ne recommencent à me jeter des cailloux dessus. Ça fait mal, et c'est inutile. A la place, je vais m'asseoir au fond du jardin de notre vieille maison, avec un des quelques livres que maman a réussi à acheter, et je lis. J'ai encore un peu de mal, puisque je ne suis jamais allé à l'école, et que c'est maman qui m'a tout appris, mais j'aime bien ça, je m'entraine tous les jours.
Sauf quand Ils viennent. Eux, je les déteste. Tout est de leur faute.
« -Tu aimes ? » A demandé maman pendant que je mangeais les pommes de terre, soucieuse de me faire plaisir.
« -Oui. » J'ai ajouté, pour la faire sourire. « C'est très bon. »
Elle a eu l'air contente. J'ai fini mon repas, et j'ai filé dans ma chambre – une toute petite pièce avec un lit, une armoire et une table à ma taille, mais ça me suffisait. J'ai soulevé mon oreiller pour attraper un des vieux livres que j'avais emprunté à maman, et je me suis glissé sous la couverture avant de commencer à lire, malgré la pénombre.
C'est là qu'Ils sont revenus.
« - …Tu ne peux pas échapper à ton rôle …
- Tais-toi. » J'ai dit tout bas, en refermant brusquement mon trésor.
« -Quand le temps sera venu, nous t'appellerons. Soit pat-
-Laisse-moi tranquille ! »
Mais les voix ont continué à dire toutes ces choses incompréhensibles. Je ne pouvais pas leur crier d'arrêter, sinon maman m'entendrait et elle me prendrait pour un fou. Je faisais déjà peur aux gens du village, je ne voulais pas en rajouter. J'ai fermé mes yeux étranges, de toutes mes forces, mais même dans le noir complet, les lumières dansaient encore devant moi. Et face à ces lucioles, je pouvais presque distinguer leur silhouette, celle de ces gens que je ne voulais plus jamais entendre. Des ombres multiples, juste des formes humaines.
« -Ne t'en fais pas, ton tour viendra … »
Je ne savais de quel tour ces hommes pouvaient bien parler, et je m'en moquais éperdument. Le silence, c'est tout ce que je demandais, tout ce qu'ils me refusaient. Durant de longues minutes, je supportais leur insoutenable présence, perdu au milieu de cet univers d'encre, jusqu'à ce qu'enfin leurs voix ne s'évapore.
Quand j'ouvris les yeux, la nuit s'était levée.
xoxoxox
Je balançais mes jambes dans le vide, assis sur le muret devant notre maison. Non loin, le martellement des sabots des chevaux contre le pavé inégal des rues me parvenait, couvrant le son du rire des enfants qui jouaient, se poursuivant mutuellement. Leur voix, leurs pas, les plaisanteries échangés, tout me parvenait, s'en devenait presque agaçant. Pas parce que je détestais le bruit, non, mais parce que leur présence me rappelait chaque instant que je ne pouvais jouer comme eux, avec eux.
Soupirant, je sautais de mon support, manquais de perdre l'équilibre en me réceptionnant. Devant moi, une dame avançait d'un pas précipité, me percuta. Réalisant sa maladresse, elle se retourna, me tendit sa main libre, l'autre occupée par un ravissant petit panier repli de pommes.
« -Pardon petit ! Tu as mal quelque part ?
-Non, madame. » Je lui répondais poliment, relevant mon regard intimidé vers cette aimable personne.
Sitôt que mes yeux croisèrent les siens, elle se raidit, manquant de relâcher mes doigts. Comprenant sa réaction, je retirais de moi-même ma main, plongeant mes singulières irises vers le pavé. Elle bégaya quelques mots, s'éloigna précipitamment, comme poursuivie par le diable.
Pour garder contenance, j'ai pensé très fort à maman, et au joli manteau rapiécé qu'elle m'avait offert, lequel couvrait mes frêles épaules. Autour de moi, les gens du village s'éloignèrent sensiblement, déviant leur route de quelques pas, dessinant sans le voir un cercle invisible autour de mon indésirable personne. Tant pis, j'avais l'habitude. Ils faisaient toujours comme ça, les autres. Comme si ma présence les gênait. Mais ce n'était pas ma présence, le problème, juste ces yeux dégoutants, et les lumières, et les voix, et l'autre monde.
« - Eh, regardez ! C'est lui ! » A crié quelqu'un non loin de moi.
« -Espère de bizarre ! »
Les enfants qui jouaient à côté de la maison, je connaissais leur voix par cœur. Quand ils me voyaient, c'était fini. L'un d'eux a jeté un caillou vers moi, mais je l'ai évité, j'étais habile. L'habitude, je supposais. Sans me dégonfler, j'ai ramassé le projectile et je l'ai renvoyé vers lui, pour lui montrer que j'étais capable de me défendre. En vrai, je ne peux pas, parce que je suis tout fluet, même si je mange bien, et que je n'ose pas répondre quand on se moque de moi. Mais quand la pierre a tapé contre son épaule, le gamin a poussé un cri – vraisemblablement de peur – m'a jeté quelques mots blessants, puis s'est éloigné avec ses amis.
Moi je suis resté là sans savoir quoi faire, à regarder les gens autour qui m'évitaient. Je me sentais minuscule, au milieu de tout ce monde. Incroyablement insignifiant.
« -Ta place n'est pas parmi eux. »
La voix est revenue, alors j'ai serré les poings, et je me sois éloigné. Moi aussi, j'ai fui. Les silhouettes n'ont pas insisté, et je me suis retrouvé tout seul.
xoxoxox
« -Je suis obligé, maman ?
-Ce sera plus simple comme ça, Léo. » A-t-elle répondu, alors qu'elle coiffait mes longues mèches brunes d'un geste nerveux. « On ne t'embêtera plus.
-D'accord … »
J'ai regardé vers le miroir, peu convaincu, sans voir grand-chose de mon reflet. Maman avait disposé mes cheveux devant mes irises, de manière à ce que personne ne puisse les remarquer, ni elles, ni leurs étranges secrets. Elle pensait qu'en cachant la source du problème, elle règlerait les miens.
Elle était gentille, maman. Je ne pouvais pas lui dire que je me moquais pas mal des gens du village, des enfants qui riaient dans mon dos, et du cercle qui se dessinait quand les villageois se tenaient loin de moi. Je ne pouvais pas lui dire, non plus, que le vrai souci, c'était les voix qui m'embêtaient le soir, tous ces mots que je ne comprenais pas, qui me hantaient. Elle se serait fait trop de soucis, sinon.
« -Ils ne faut plus que les gens voient tes yeux, mon ange. Sous aucun prétexte, d'accord ?
-D'accord, maman.
-Jamais, Léo, jamais … »
Maman, parfois, elle a l'air ailleurs, elle répète les mêmes mots, et ses yeux me fixent sans me voir. C'est comme si son esprit partait. Je crois qu'elle a peur de me perdre, comme elle a perdu papa quand je suis né, à cause de la bête sauvage. C'est pour ça qu'elle me protège autant des autres villageois, ceux qui risquent de me faire du mal, de m'enlever à elle. Je sais qu'elle fait tout ça pour moi, alors je ne dis rien. Je veux être un gentil garçon, qui fait plaisir à maman. Comme ça elle sera heureuse et fière. Tant pis si j'y vois mal, avec les cheveux dans les yeux.
« -Personne ne te fera de mal, mon petit Léo. Personne … »
Elle a passé ses bras autour de moi, pour me serrer contre elle. Pas assez fort pour que ce soit douloureux, suffisamment pour que je me sente à l'abri dans son étreinte, comme si plus personne ne pouvait me faire de mal, pas même les voix dans ma tête. J'ai souris, faiblement, et je lui ai maladroitement rendue son câlin, de mes touts petits bras, pour la rassurer à mon tour. J'étais plus faible, mais moi aussi je voulais protéger maman.
Alors, pour la rassurer, j'ai continué à agir comme elle me l'avait demandé, pendant des années. Mes cheveux ont poussés, si bien qu'il est maintenant impossible d'apercevoir mes horribles irises sans que je ne décide de les montrer. C'est mieux comme ça. Les villageois m'évitent toujours, mais ils ne me font pas de mal, alors maman n'a plus peur. J'ai appris à vivre loin des autres, de tout. A être heureux comme ça, malgré l'autre monde, les silhouettes qui venaient le soir.
Et puis un jour, j'ai eu douze ans. Un jour, maman est partie au marché, pour trouver de quoi nous nourrir. Je l'ai attendue des heures, moi. Parce qu'elle m'avait dit qu'elle reviendrait. Et que j'avais toujours fait confiance à maman.
xoxoxox
J'étais assis dans un coin de ma chambre, silencieux. Dehors, les grillons chantaient, parce que c'était la nuit, que tout le monde dormait. Les grillons chantent toujours quand le soleil se couche, et que les enfants rentrent. Peut-être que le bruit du village leur fait peur, le jour, qui sait ?
Autour de moi, tout était noir. Le lit, les murs, l'armoire, la table, tout. Tellement que je ne pouvais même pas voir les ombres qui leur échappait. Ma fenêtre été fermée – maman me répétait toujours de m'en occuper avant que la nuit ne tombe, pour éviter que les petits insectes ne viennent me déranger. Comme d'habitude, je l'avais écoutée. J'étais un bon garçon, un bon garçon qui voulait faire plaisir à maman.
Sauf qu'elle n'était toujours pas là.
Je ne sais pas pourquoi, ce soir-là, les voix ne sont pas venues me déranger. Elles ont compris, peut-être, que j'avais déjà assez peur comme ça. Tellement que j'aurais crié, si elles s'étaient manifestées. Tout seul, dans une maison vie, je me contentais de regarder les lumières qui dansaient parfois sur le fond noir, les loupiottes de l'autre monde. Je tendais la main pour les attraper, sans succès. Elles n'existaient pas ici, je le savais bien. Mais j'avais l'impression qu'en tenir une entre mes doigts aurait suffi à les réchauffer, juste un peu.
C'était l'hiver, je me souviens. Il faisait froid.
« -Maman ? » J'ai dit, en croyant entendre un bruit non loin.
Personne ne m'a répondu. Je me suis levé, mes jambes tremblaient de peur, ce qui ne m'a pas empêché d'avancer à tâtons jusqu'à la porte d'entrée. D'une main fébrile, j'ai abaissé la poignée, puis j'ai jeté un coup d'œil dehors, incertain. Personne. Je l'ai refermée, et j'ai sentir dans mon ventre comme une boule qui se formait, quelque chose de désagréable. Un monstre qui se gonflait, cherchant à sortir. C'était froid, glacial, même. Ce sentiment, je comprends, maintenant, que c'est ce que maman appelait l'inquiétude. Et je comprends également, par la même occasion, ce qu'elle ressentait chaque fois que je rentrais trop tard, tentant de cacher les bleus laissés par les autres enfants du village.
Je me suis à nouveau assis, devant la porte cette fois, en repliant mes genoux contre mon torse. Toujours pas de silhouette fantomatique, de murmures insensés. Puis, soudain, des pas, nombreux, d'abord éloignés, de plus en plus proches. J'ai pensé à maman, mais elle rentrait rarement accompagnée. Des mots ont suivis, bientôt. Définitivement, ce n'était pas ma mère.
« -Qu'est-ce qu'on va en faire ? » A dit une voix grave d'homme.
« -Je sais pas, Fred. La police arrive, c'est eux qui s'en chargeront.
-Pourquoi c'est nous qu'on envoi le chercher …
-Faut bien que quelqu'un s'en charge. De toute façon, ils le laisseront pas ici tout seul, sans parents.
-Qu'ils l'emmènent loin. Ce sera mieux pour tout le monde, lui comme nous … »
Mon cœur s'est mis à tambouriner très fort dans ma poitrine, le monstre de glace grandissait. Quelque chose s'est coincé dans ma gorge, je ne pouvais plus avaler ma salive, ni respirer calmement. Pourquoi n'entendais-je pas la voix de maman ? C'était elle qui devait rentrer, pas les gens du village ! Eux, ils ne se préoccupaient jamais de moi, à moins de s'appliquer à m'éviter ! Mon corps s'est mis à trembler, comme s'il avait compris avant moi. Puis la porte s'est ouverte.
« -Petit ? Tu es là ? » Il s'est avancé avec sa lanterne, avant de me voir. « Léo … »
J'ai relevé mes ignobles irises vers lui, oubliant pour une fois de rabattre mes cheveux devant, comme maman le répétait toujours. L'homme s'est mordu la lèvre en les voyant, mais il ne m'a rien dit, par compassion sûrement. L'autre a simplement détourné le regard, sans cacher le dégout que je lui inspirais. J'ai tremblé, encore, et mes yeux se sont mouillés contre mon gré. Il ne parlait pas, mais je sentais, tout au fond de moi, quelque chose de terriblement douloureux, comme si la bête venait de percer une brèche dans mon corps.
« - Suis-nous, petit. » Il a repris, d'un ton calme.
Mais je n'ai pas réussi à me lever. Mes jambes, mes bras, et même mes yeux qui pleuraient ont refusé de m'obéir. Mon cœur s'est serré entre les griffes du monstre, et j'ai sangloté, sans pouvoir faire quoi que ce soit d'autre qu'avoir mal.
Je crois que j'ai compris tout seul, en les voyant, que maman ne reviendrait jamais.
xoxoxox
« -Vers quelle heure ta mère est-elle partie ?
-Dans l'après-midi.
-Tu pourrais être plus précis ?
-Non, monsieur. » J'ai ajouté, parce que j'étais poli. « Pardon. »
Les deux agents de police se sont regardés en soupirant. Je sentais bien qu'ils n'osaient pas insister, de peur que je ne m'effondre encore, comme quand les deux hommes sont venus me chercher. De toute façon, ça n'aurait servi à rien. Je ne regardais pas l'heure, moi, quand maman partait, j'attendais juste qu'elle revienne. Peut-être que j'aurais dû. Est-ce qu'elle serait rentrée, si j'avais fait plus attention à la pendule de la cuisine ?
« -Tu as de la famille, dans le village ? Des grands-parents qui vivraient un peu plus loin ?
-Je sais pas, monsieur. »
C'était vrai. Je ne savais pas, moi, si j'avais une famille en dehors de maman. Papa, il était mort, ça s'arrêtait là. Et concernant les grands parents, on en parlait jamais.
Comprenant qu'ils ne tireraient rien de moi, mes deux interlocuteurs ont brièvement parlé entre eux, indécis. Je me doutais bien de ce qui les préoccupait, j'entendais quelques brides de phrases. Personne, parmi les villageois, ne voulait me garder. Pas un seul n'aurait accepté de m'héberger. Après tout, quelle sorte de malheur aurais-je bien pu ramener avec moi, dans leur foyer ? Ma mère décédée, n'était-ce pas la preuve du danger que je représentais ? Les policiers, eux, ils ne pouvaient pas savoir, puis-ce que je me cachais derrière mes cheveux.
Ils se sont mis à m'expliquer alors, calmement, pourquoi maman ne rentrerait plus jamais. Contrairement aux gens du village, l'homme qui me parlait ne me fuyait pas du regard. Il ne trahissait pas la moindre nervosité, s'adressait à moi d'une voix douce et posée. Il m'apprit comment, une fois la nuit tombée, on avait découvert le corps de maman dans une ruelle sombre, immobile, une plaie dégoulinante de sang taillée dans ses vêtements et sa chaire. Un poignard, sûrement. Qui ? Personne ne le savait. Ce pouvait être un voyou, puis-ce qu'on ne trouva pas près d'elle le panier qu'elle remplissait habituellement de fruits et de légumes.
Il a dit d'autre choses, je crois, mais je ne faisais plus attention. J'essayais d'imaginer la jolie robe bleue de maman, revenue rouge. Son visage paisible comme lorsqu'elle dormait. Je me suis senti mal à nouveau mais, bizarrement, je ne pouvais plus pleurer. Comme si quelque chose s'était cassé à l'intérieur de moi.
« -Ecoute, petit. » A commencé le second agent. « Nous allons rester quelques jours ici, le temps de trouver le responsable. Ça te dérange, si nous restons chez toi ? Il n'y a pas de place ailleurs. »
Je n'étais pas bête. Bien sûr que si, il y avait de la place ailleurs, à commencer par l'auberge du village. S'ils voulaient rester, c'était pour me surveiller, puisque que personne ne semblait décidé à le faire. Mais j'avais peur, tellement peur de la maison vide et des voix dans ma tête, que j'ai fait semblant de ne pas avoir compris. J'ai hoché la tête.
« -Merci. On s'occupera de trouver un endroit où t'amener quand tout sera fini. »
Je n'ai pas répondu. Ils pouvaient bien me trainer où ils voulaient, qui m'aurait retenu, ici ? Moi, je n'avais plus rien à quoi me raccrocher. Oui, plus rien qui puisse me donner envie de rester. Autant partir.
Comme pour récompenser ma docilité, l'homme a caressé mes cheveux, tout doucement. D'abord, je l'ai laissé faire, parce qu'il était gentil, quand même, ce type que je ne connaissais pas et qui insistait pour s'occuper de moi. Mais quand il a essayé de relever ma mèche, par curiosité, mon cœur a fait un bon et j'ai repoussé sa main, presque violement. Il m'a regardé sans comprendre sur le moment, mais je n'ai rien dit.
« Jamais, Léo, jamais » Elle répétait, maman. Je ne devais montrer mes yeux à personne.
xoxoxox
Je n'ai pas dormi de la nuit, ce jour-là. Comment aurais-je pu ? Dans ma tête, l'image de maman morte, allongée sur le sol, ne cessait de me hanter. Parfois, je l'imaginais paisible, comme endormie. D'autre fois, son regard se tordait de douleur, exorbité, sa bouche déformée par un rictus de terreur, ses habits tachés de longs filets rouges. A quoi pensait-elle, avant de mourir ? A papa, qu'elle allait rejoindre ? A son petit ange, qu'elle laissait derrière elle ? A la peur qui la paralysait, la douleur qui la rongeait ? C'est vrai ça, à quoi on pense quand on meurt ?
C'est là qu'Ils sont revenus. Quand je croyais enfin m'en être débarrassé.
« -Tu viendras à nous, bientôt. Ce n'est plus qu'une question de temps. »
Je me suis figé. Pas encore cette voix ! Mes yeux, ce n'était pas assez, il fallait que les fantômes reviennent me hanter ! Pourquoi ? Pourquoi moi et pas un autre ? J'en avais assez de tout ça, de ce monde que j'étais seul à voir, qui m'éloignait du mien ! Des lumières qui dansaient dans mes yeux ! De ces hommes qui me condamnaient à rester loin des autres !
« -Je ne veux pas de vous ! Laissez-moi ! » J'ai crié en me bouchant les oreilles, furieux de retrouver mon grain de folie.
Avant, je devais me taire, pour ne pas inquiéter maman. Elle aurait eu peur, sinon. Ses jolis yeux verts, il se serait teintés de dégout, comme ceux des gens du village. Mais maman, elle était morte ! Je pouvais bien crier, maintenant, hurler aux spectres de me laisser tranquille, elle ne serait plus jamais là pour l'entendre ! Alors j'ai répété ces mêmes mots, encore et encore, sans me soucier des agents de police dans la chambre adjacente. J'appuyais mes mains contre mes tempes du plus fort que je pouvais, mais c'était inutile, leurs paroles raisonnaient dans ma tête, issues du plus profond de mon esprit.
« -Allez-vous en ! » Je m'égosillais, d'une voix désespérée.
« -Nous sommes indissociables, toi, nous tous. Bientôt, tu nous rejoindras. Bientôt …
-Non ! Je vous déteste ! Tout est de votre faute !
- Bientôt …
-Jamais ! »
J'aurais pu crier des heures comme ça, jusqu'à éteindre complètement ma voix, sans pouvoir les faire taire. Sans cesse, je leur répétais de partir, sans cesse, ils me promettaient nombre de choses que je ne pouvais comprendre. Et ce nom, ce nom qui revenait toujours, ces quatre lettres que je maudissais chaque fois un peu plus …
Finalement, les hommes de la police sont arrivés, interpellés par mes hurlements frénétiques. Ils m'ont attrapé alors que je me débattais comme un beau diable, suppliant pour qu'on me laisse tranquille, sans réaliser que les deux êtres qui me tenaient appartenaient bien au monde réel.
« -Taisez-vous ! Taisez-vous ! » J'implorais, perdu entre deux mondes que je ne pouvais plus comprendre.
xoxoxox
« -Une lettre du Duc Nightray, t'es sûr ?
-On ne peut plus sûr. » Affirma l'agent de police, avant de tendre le papier qu'il venait de recevoir à son collègue, stupéfait.
« -La maison Fianna ... » murmura l'homme, déchiffrant un à un les mots de la missive. « Ça doit être une sorte d'orphelinat. Tu crois que ça lui conviendra ?
- Ça fait deux jours qu'on cherche une famille pour ce gamin. » Il soupira, haussant les épaules. « Va savoir pourquoi le Duc s'intéresse à lui, moi je ne vois pas d'autre solution. Personne n'acceptera de le recueillir, ici. »
Je me cachais derrière la porte, je me souviens. C'était il y a quelques jours encore. Les deux étrangers parlaient, assis dans la cuisine, et moi je les espionnais. J'avais peur, je crois, de découvrir dans leur bouche des mots semblables à ceux des villageois lorsqu'ils croisaient ma route au hasard des rues. Au lieu de ça, je les trouvais en train de discuter de mon avenir. Moi non plus, je ne comprenais pas pourquoi le duc s'intéressait à moi, d'autant qu'aussi loin que je me souvenais, notre petit village n'avait jamais eu à faire à l'une des quatre grandes familles du pays. Mais je me moquais bien de ses intentions. Seul comptait l'opportunité qui se présentait de quitter enfin cet endroit.
C'est ainsi que, quelque jours plus tard, je me tenais là, debout face aux portes de la maison Fianna.
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Merci d'être passé lire, n'hésitez pas à donner votre avis, les reviews font toujours plaisir et ça motive :)
On se retrouve dans quelques jours pour la suite !
