Disclaimer : les personnages appartiennent à Haruichi Furudate
Auteur : LilaCookies
Titre : Je ne suis pas perdu
Genre : romance tragi-comique, yaoi
Rating : T
Commentaires : « Un joueur dans le train » était du point de vue de Hajime, au tour d'Oikawa d'être mon protagoniste en pleine crise de la trentaine avant l'heure.
Bonne lecture !
…
…
Il n'est pas question de rebrousser chemin. Je ne suis pas perdu.
Des rues inconnues continuent de défiler sous ses chaussures mais il s'entête.
Je ne suis pas perdu, toutes les routes mènent à Rome.
Ses amis l'ont quitté depuis plus d'une heure pour retourner sur leurs pas. Ils n'ont pas sa détermination à se battre pour le néant. Oikawa Tooru ne choisit pas ses batailles, il met un point d'honneur à toutes les remporter.
Le Soleil commence à se lever et le ciel s'illumine droit en face. Très bien, il marche donc vers l'Est.
Pourquoi pas ?
Tooru se laisse facilement porter par le hasard, ça évite de devoir prendre des décisions trop radicales. De toute façon, il ne sait plus où il voulait initialement se rendre mais l'important n'est pas là.
Toujours prétendre avoir un objectif, foncer tête baissée, ça donne un sens à l'existence. Ça donne un sens à son existence.
Il aime marcher, spécialement à l'aube. Il a quitté le centre-ville depuis un moment, quelques habitations bordent sa route.
Le jeune homme fêtait son anniversaire, vingt-neuf ans, un marathon de vingt-neuf bars, ça vaut le coup, non ?
Il n'est plus vraiment saoul, il n'est jamais vraiment saoul. Il ne déteste rien de plus que de perdre le contrôle.
Je ne suis pas perdu.
Un chien aboie sur son passage, il s'arrête et aboie en retour. Le chien est sans doute surpris, en tout cas il fait silence. Le jeune homme continue de l'observer mais l'animal lui tourne ostensiblement le dos et s'allonge dans l'herbe. Il passe sa main dans ses cheveux châtain, un brin vexé. Heureusement il n'y a aucun témoin pour notifier l'affront.
Il continue. Peu importe où il se trouve, il est fatigué, sa tête est toute cotonneuse. Son cerveau en pause lui fait du bien.
Le jeune homme devrait peut-être appeler sa grande sœur. Elle se moquerait gentiment de lui et de son sens de l'orientation des plus déplorables. Non, il n'est pas prêt à affronter ça.
Je ne suis pas perdu.
Quelques notes… De la musique ? Comme c'est agaçant de si bonne heure. Il tourne la tête : de la lumière. La porte d'un café est ouverte. La musique s'en évapore. Il rentre. Personne pour l'accueillir. Il s'assoit. Toujours personne…
…
- Hey ho !
Une injonction ?
- Hey ho ? répète-t-il lentement.
Il s'est endormi ? Sa tête est lovée sur ses bras, affalés sur la table. Le jeune homme cligne trois fois des yeux pour défroisser son visage.
- Le café n'ouvre pas avant une heure.
Il lève la tête. Un homme de son âge le dévisage. Ses sourcils noirs sont tout froncés, ses cheveux de jais sont coiffés en pétard et ses yeux sombres lancent des éclairs comme un célèbre Pokemon.
- Pikachu est fâché ?
Son interlocuteur se déride, surpris.
- Hein ? Nous ne sommes pas ouverts, répète-t-il froidement.
- Votre porte est grande ouverte. Réveillez-moi avec un café, exige t-il.
Vu le rouge de ses joues, le serveur va le dégager à coups de pieds. Tooru l'ignore et repose sa tête dans ses bras pour soupirer de lassitude. Il ne doit pas être loin de six heures et sa vie à la lumière du jour naissant lui semble pathétique et la journée insurmontable.
Peut-être son interlocuteur a-t-il pitié de lui car il réplique doucement :
- Demande gentiment, connard.
Pas si sympathique… Le brun attend la version gentille de la commande, les bras croisés sur le torse. Tooru se surprend à trouver ce gars antipathique et sexy à la fois alors -de mauvaise grâce- il s'exécute :
- S'il vous plaît !
Le serveur tourne les talons et monte derrière le bar pour faire fonctionner la machine à expresso.
- 1,50€ s'il vous plait.
Tooru sourit, le fixe impunément tout en portant le café brulant à ses lèvres. Son œsophage hurle sous la chaude morsure.
Il ne lâche pas le barman des yeux : il est grand, un bon mètre quatre-vingt. Le châtain est tenté de se lever pour vérifier s'il le dépasse. Sans doute pas…
Il détaille le t-shirt blanc et le jean usé de son interlocuteur. Son visage est droit, dur mais avec un je-ne-sais-quoi de bienveillance. Il lui rappelle un peu sa sœur, l'énorme paire de seins en moins. Il a d'autres atouts pour lui, comme ce regard brulant. Il attise sa curiosité :
- Quel âge avez-vous ?
- Vingt-huit ans. Le serveur répond du tac-o-tac sans réfléchir avant d'ajouter, agacé : ça ne vous regarde pas !
- Vous avez répondu…
- Vous devriez partir maintenant.
Il s'effondre sur la table et la tasse de café valdingue par terre. Le barman se demande un instant si son client matinal -et dérangeant- n'est pas mort.
Il s'approche, le redresse, pour constater que l'énergumène fait semblant d'être endormi.
- Levez-vous !
- Laissez-moi fermer les yeux un instant.
Il le demande avec tant de douceur dans la voix que l'autre se contente de ramasser la tasse qui, miraculeusement, n'est pas cassée.
Le client matinal s'endort à nouveau.
…
Le cliquetis de tasses qui s'entrechoquent, comme c'est désagréable… Arraché au sommeil, Tooru se redresse en douceur. Sa nuque est raide, ses yeux lourds.
- La Belle endormie se sent mieux ?
- Hum ?
Le beau brun est derrière le bar et le fixe, hausse un sourcil et ses lèvres s'étirent comme s'il cherchait à contenir un sourire.
- Belle endormie ? Vous avez profité de moi dans mon sommeil ?
- Il est 14 heures, vous devriez partir. Nous allons fermer.
Le châtain sent une bouffée de panique exploser son plexus.
- Vous me faites une blague ?
Le mal-réveillé se précipite sur son téléphone portable, 14 : 00.
Et merde, il a trop dormi. Un dimanche des plus productifs. Il se masse la nuque et étire ses membres douloureux. Une table de café n'est vraiment pas confortable pour roupiller.
- Vous avez le sommeil lourd…
À nouveau des lèvres qui s'étirent imperceptiblement.
Le châtain se redresse complètement. Il croise les bras, le regard suspect.
- Vous avez bel et bien profité de moi… Que me cachez-vous ?
- Disons que certains de mes jeunes clients se sont amusés avec vous…
Tooru prend un air courroucé :
- Et je suppose que vous n'avez rien fait pour les arrêter ?
L'autre prend un air désolé :
- Ils m'ont payé, vous comprenez… Le client est roi.
- Le client est roi ? Et moi, je ne suis pas un roi ?
Tooru sourit, Tooru aime jouer, ça évite d'être soi-même.
- Vous n'avez pas payé votre café.
C'est un bon point, surtout que le presque-client est presque sûr que son portefeuille n'est plus dans sa poche.
- Je le concède, pouvez-vous m'indiquer les toilettes ?
- Au fond à gauche.
En d'autres circonstances, il aimerait mieux connaître ce gars. Il a l'air d'être un excellent partenaire de jeu.
Il se lève donc, s'étire à nouveau, se dirige vers les toilettes. Un petit miroir rond lui dit « Bonjour, tu as l'air d'un con » : du rouge à lèvre trace des dessins allant du mignon à l'obscène sur son visage, des paillettes multicolores ont été parsemées dans sa chevelure, des pailles sont entortillées comme des bigoudis.
Le jeune homme est trop fatigué pour fulminer et éclate de rire : « Oh putain, j'ai vraiment l'air d'un con ! »
Il sort des toilettes.
- Venez m'aider, c'est de votre faute après tout !
- Pardon ?
- Allez !
Agacé mais docile, le jeune serveur mouille un torchon et lui balance au visage, un rictus mauvais sur les lèvres.
- Mission accomplie, connard !
- Trop aimable.
Tooru retourne aux toilettes et tente consciencieusement de se débarbouiller face au miroir. Une fois terminé, il se détaille le visage : la majorité des stigmates de cette sieste ont disparu, il reste cependant quelques paillettes.
Il a l'air d'un zombie pailleté. C'est exactement ce qu'il est : un mort gominé à la poudre aux yeux.
Ses cernes lui renvoient une image peu flatteuse et le vide l'étreint. La tristesse est venue le prendre sans qu'il ne se rende compte. La traitresse, il n'aurait pas dû baisser la garde.
Le clown triste s'appuie au lavabo et soupire. Qu'est ce qu'il fout là ? Où va-t-il aller maintenant ? L'idée de retourner dans son appartement, dans sa vie, lui fait horreur. Son existence est vide, voilà ce que l'image dans le miroir lui dit.
Il est fatigué et aimerait se noyer dans ses larmes, mais Tooru ne pleure jamais. Ce n'est pas une question de fierté, il ne peut juste pas, ça ne sort pas, ça reste au fond, ça brûle en silence.
Le temps s'étire, il faut reprendre constance. L'acide vérité des lendemains de soirée le tétanise : à quoi bon rentrer chez soi ? Tooru se prend à se moquer intérieurement de lui : il est en pleine crise de la trentaine !
Je suis perdu. Je n'arriverai jamais à Rome.
…
Trois petits coups sur une porte le sortent de sa torpeur mélancolique.
- Si vous dormez à nouveau, je vous vire à coup de pieds !
Le châtain se redresse et ouvre la porte à regret. Il n'a pas envie que sexy-barman le voit dans cet état.
Le brun le fixe intensément et sort sans sommation :
- Vous n'allez pas bien.
Démasqué.
- Je suis fatigué.
La réponse parfaite, être fatigué justifie toujours d'avoir une sale gueule. Les gens n'ont d'ordinaire pas envie de savoir que vous êtes mal.
Tellement mal que vous devez vous concentrer pour ne pas oublier de respirer.
Le serveur ne bouge pas.
- Vous n'allez pas bien.
Tooru évite le regard du brun et sourit nonchalamment pour esquiver l'ardeur résolue des yeux noirs qui le fixent.
- Vous me traitez mal, évidemment que je vais mal !
Un rire forcé sort de sa gorge, décidément trop épuisé pour être crédible.
L'autre n'insiste pas une troisième fois. Après tout, ils ne se connaissent pas. Le brun invite Tooru à sortir et ils se dirigent tous deux hors du café et alors que le jeune barman ferme la boutique, le châtain avoue, presque confus :
- Je ne peux pas vous payer le café…
- Je sais.
- Vous avez ri à mes dépends, ça devrait compenser.
- Ou vous pouvez revenir demain et le payer ?
Tooru se poste devant son interlocuteur et répond avec insolence :
- Vous me donnez un rendez-vous ?
Le brun rosit légèrement à cette remarque et bafouille :
- Les bons comptes font les bons amis !
- Nous allons devenir amis ?
Les yeux se rencontrent à nouveau, avec sérieux cette fois :
- Vous avez l'air d'avoir besoin d'un ami.
- Je n'ai besoin de personne.
- Vous n'allez pas bien.
- Je suis fatigué.
- Vous l'avez déjà dit.
- Mais il semble que vous soyez bouché.
- Revenez demain.
Ce n'est pas une invitation, ce n'est pas une demande, presque une supplique. L'inquiétude pointe sur le visage du serveur.
- Pourquoi vous souciez-vous de moi ?
- Vous avez l'air de vouloir vous jeter d'un pont.
- Je… Non. Ne vous inquiétez pas, je prends mon mal en patience. Ne perdez pas votre temps à avoir pitié de moi.
Pourquoi je lui dis ça ?
Tooru est dépité par lui-même et la honte d'avoir été percé à jour lui fait détourner les yeux. Il se dégage de leur trop grande proximité.
L'autre ne répond pas. Il en profite et enchaîne :
- Bon, j'y vais. Merci pour le café.
- Je n'ai pas pitié de vous.
- Ça n'a pas d'importance, au revoir.
Le châtain n'a plus qu'une envie : fuir. Fuir loin de ce moment de faiblesse, de ses paroles, de ce témoin. Il veut s'enterrez chez lui et oublier les dernières vingt-quatre heures.
Le serveur en a décidé autrement et le retient par le bras. C'est la première fois qu'ils se touchent et Toora a l'impression de prendre une décharge.
- Je veux vous voir sourire.
- Hein ? J'ai passé mon temps à vous sourire !
- Non, vous avez passé votre temps à faire semblant de sourire.
Ce gars ne le connaît ni d'Eve, ni d'Adam. Qu'est ce qu'il raconte, comment il sait ça ?
- Qu'est-ce que ça peut vous faire ?
- J'en ai envie, c'est tout.
- Vous êtes très maternel avec vos clients. Je n'ai pas besoin que l'on s'occupe de moi.
Le brun lève les yeux au ciel, exaspéré :
- Alors ?
Tooru tergiverse. Il doit bien se l'avouer, ces petites joutes verbales ont été sa bouée dans cette matinée. Il ne veut pas que ça s'arrête, mais il n'est pas sûr que son orgueil supporte de revoir le spectateur de ses faiblesses.
Le serveur perd vraiment patience et ses yeux recommencent à lancer des éclairs.
- Ok, je viendrais à notre rendez-vous.
- Vous me devez 1.50€.
Tooru le regarde avec malice :
- Mais oui… Avouez que vous avez simplement eu le coup de foudre pour moi !
- Ta gueule ! A demain !
Le brun tourne les talons et le laisse seul devant le café sans se retourner.
Tooru est toujours fatigué, définitivement perdu mais soudainement moins vide. Il décroche son téléphone, appelle sa sœur, prêt à entendre un des ses sermons.
…
…
J'espère que vous avez passé un bon moment à lire cette rencontre ? Je ne suis pas sûre que ça mérite une suite, seulement si Sainte-Inspiration se pointe.
