Depuis la construction de l'extension et la fin des travaux du bâtiment principal avec sa belle verrière, le complexe hospitalier de Saint-Greys dégageait une image extérieure plus en accord avec l'excellence des soins qu'elle prodiguait aux londoniens depuis une trentaine d'années.
L'équipe médicale devait encore prendre ses marques, notamment avec les locaux qui étaient en travaux depuis un moment, tout en continuant, de part son label d'hôpital universitaire, de former de futurs médecins et de faire tourner les urgences qui leur étaient attachés. Cela faisait une quinzaine d'années également que l'hôpital travaillait étroitement les services secrets et l'armée britannique: cela allait des blessés de guerre, aux espions plus ou moins maltraités, qu'à la collaboration concernant tout sujet où des connaissances médicales étaient requises. C'est d'ailleurs dans cette optique que le premier blessé amené en ambulance arriva le lundi.
Owen Hunt, responsable du pôle de traumatologie et à ce titre habitué des urgences, se prépara pour l'accueillir, accompagnés par l'externe qui le suivrait toute la journée. April Kepner entamait sa deuxième année et avait un vrai intérêt et talent pour la traumatologie, même si ce domaine n'était pas son premier choix. Les sirènes de l'ambulance s'arrêtèrent et les portes arrières du véhicule s'ouvrirent, révélant un patient en habit militaire avec une carrure solide, le teint pâle, un filet de sang indiquant qu'il 'était explosé l'arcade sourcilière, très agité et malmenant les ambulanciers enfermés dans le véhicule avec lui. Owen se précipita pour aider les ambulanciers à maîtriser l'individu qui s'agitait malgré sa minerve et les sangles qui l'attachaient au brancard et veiller à ce qu'il ne fasse pas mal.
"Kepner ! Appelle des renforts !"
L'externe ne se fait pas prier deux fois et se précipita à l'intérieur pour revenir avec des bras supplémentaires, et, il espérait, de quoi calmer l'individu rapidement...
"LAISSEZ MOI ! LAISSEZ-MOI ! IL FAUT QUE J'Y RETOURNE... RETROUVER ! JE L'AI LAISSÉE LA BAS ! CE N'ÉTAIT PAS SENSÉ ÊTRE RÉEL"
L'ambulancière cria en direction de Owen pour expliquer la situation.
"Homme de 24 ans...en formation au MI5. Avait disparu depuis vendredi, il est réapparu au centre de formation ce matin, l'air hagard et désorienté. Il aurait été kidnappé sans s'en rendre compte...il serait alors reparti du centre et a été renversé par une voiture et s'est cogné à la tête contre le sol...on n'a pas pu prendre ses constantes, ni le mettre sur perf, il bougeait trop ...les services nous suivaient pour vous expliquer..."
Comme s'ils avaient été appelés, une voiture noire aux vitres fumées arriva, se garant derrière l'ambulance. Un homme en tenue militaire d'une cinquantaine d'années, dossier en main, en sortit, saluant Owen de loin, avec une expression désolée.
Entre temps, Kepner était revenue avec l'injection et deux infirmiers qui se placèrent de part et autre du brancard et plaquèrent sans ménagement le blessé, libérant les ambulanciers.
"Merci, April, je prends le relais. Va parler au monsieur et prends toutes les infos qu'il a pour nous, on va en avoir besoin, puis rejoins-moi"
Le patient cria quand les deux infirmiers le plaquèrent sur le brancard, serrant les dents
"Pitié... laissez moi...vous ne comprenez pas...je l'ai laissée..."
L'espace d'une seconde, Owen réfléchit: l'injection qu'il avait dans la main serait suffisant pour assommer cette homme au moins une heure. Il vit ses poignets, couverts d'hématomes qui s'agitaient malgré les sangles. Son arcade sourcilière. Sa peau pâle, ses yeux enfoncés, trahissant un état de déshydratation problématique. Une seconde d'hésitation, et un des infirmiers faillit se faire envoyer valser dans le décor.
Une seconde de trop.
C'était trop dangereux.
Prenant la place de l'infirmier, Owen injecta la totalité de la seringue dans le biceps du patient, dont le corps se détendit enfin.
Après s'être assuré que l'infirmier allait bien et leur demandant de conduire le patient inanimé à l'intérieur, Owen se retourna pour aller en direction du militaire et de Kepner, qui regardaient en leur direction en tirant la tête.
Le militaire, l'air ennuyé, demanda:
"Est-ce vraiment nécessaire ? Nous avions vraiment besoin de lui et de prendre son témoignage au plus vite..."
Owen retint un rire incrédule.
"Est-ce que vous vous moquez de moi ? Votre apprenti met en danger mon équipe et n'était clairement pas en état de vous aider. Il faut qu'on s'occupe, laissez-nous faire notre travail"
Puis, sans attendre la réponse, il se tourna vers Kepner.
"April, viens, on y va, on a du pain sur la planche."
Le militaire resta planté là, coi, regardant les deux médecins s'engouffrer à l'intérieur du complexe. Il croisa le regard de l'ambulancière, qui se remettait du rush, avec la satisfaction d'avoir réussi à délivrer un patient. Elle haussa les épaules avec un sourire mi-narquois, mi-désolée : pour elle, Owen Hunt avait eu raison, il fallait qu'il fasse avec.
Défait, le militaire soupira et rebroussa chemin, pour attraper son téléphone portable. Il n'y avait pas à dire, ces machins se démocratisaient et étaient fort utiles.
Il y avait urgence. Le temps était à présent compté.
