J'ai écrit ça il y a un moment. En juillet je dirais. Ce sera une fic à plusieurs chapitres, sachant que j'en ai écrit quatre pour le moment. Je ne sais pas quand j'aurais le temps de continuer, si seulement j'aurais le temps de continuer – pour être honnête je n'y ai pas retouché depuis plusieurs mois. (Rien n'est abandonné, j'adore cette histoire, ça me soûlerait méga de devoir la laisser tomber.) Je poste quand même, pour être sûre, ce que j'ai déjà écrit, un par semaine peut-être ? On verra pour le reste plus tard.

Il s'agit donc d'un UA. Les passages en italique sont du point de vue de Derek, le reste concerne tous les autres. Ils ne sont pas sur la même longueur d'ondes. Pas dans la même réalité ? Méfiez-vous des vérités uniques. Je n'y crois pas. N'hésitez pas à poser des questions si vous êtes largué, je ne suis pas une fille claire. Allez, bonne lecture !


Les miroirs sous la peau


Ondulant comme un pantin, le corps brisé de son béta pénètre dans le loft en envoyant valdinguer derrière lui la lourde porte métallique.

Il a les mains dans les poches de son jean troué et les dents alignées à la lisière de ses lèvres pleines, comme pour dire pardon. Les épaules remontent en rectangle, les mâchoires en carré ; il a la gueule d'un théorème de géométrie. Ses yeux s'égarent dans le vide, troubles, puis l'ado se ressaisit et plante son regard dans la paire cramoisie de son maker. Un sourire forcé déchire sa gueule d'ange. Flingué ! Isaac est rarement autre chose que flingué. Derek l'invite à s'asseoir d'un signe de tête qui pue la testostérone, s'affirmant en mâle dominant tout en honorant son rôle de père de papier mâché. Le mouflet se pose en face de lui, sur le canapé défoncé à l'image de la décoration globale de l'appart. Il tend à son alpha la bouteille de Dos Equis qui a laissé une marque humide sur sa cuisse en denim, et le regarde la décapsuler du bout des griffes avant d'en revenir à ses propres ongles, ronds et maladroitement coupés.

Derek engloutit une longue lapée de bière fraîche. Il tend le breuvage à son gosse qui le refuse en secouant à peine la tête, trop concentré sur ses mains enroulées sur ses genoux. Le goulot retourne entre ses lèvres, tinte un coup sur ses dents de loup puis se vide de son jus dans la gorge de Derek. Il s'essuie la gueule du revers de la manche.

« Ca va pas ? »

Le boss des lycans s'épargne d'en passer par les politesses ordinaires, car les choses ne fonctionnent pas ainsi entre eux. Isaac n'est pas un livre ouvert mais un putain d'écriteau en néon, la bande-annonce avant le film, un phylactère sur le point d'étrangler son saint : pas besoin de tourner les pages car les regards évités, les dents plantées dans la lèvre et les épaules crispées suffisent à traduire le malaise du garçon, à dénoncer le piège de ses sourires. Et Hale n'en peut plus de le voir jouer les héros ; les martyrs, ça le fait chier, et les mensonges quotidiens d'Isaac le soûlent tellement qu'il n'a plus besoin d'alcool. Alors il économise les détours et va droit au but :

« Qu'est-ce qui va pas ? » Il s'enfonce plus confortablement dans sa chaise, les pattes écartées comme un cow-boy au cuir puant.

Isaac hausse les épaules négligemment, sourit encore, se passe les mains sur le visage en copié-collé de Stilinski. Il ne se sent pas chialer. Sur ses mains en branches noueuses roulent des veines bleues, violettes, mauves comme celles des schémas anatomiques des salles de classe. Les épaules se soulèvent et retombent, montagnes russes bien que l'ambiance soit plutôt à la roulette, et on sent tout le corps se tendre pour retenir les tremblements. Piqués de cils en croissants, ses yeux passent pour des boules de sorbet en train de fondre. Le sel lui coule dans la bouche.

« Rien de grave, » articule-t-il d'une voix qu'il ne parvient pas à empêcher de s'érailler.

La pulpe de ses paumes écrase l'eau contre ses joues, cherche à en tarir la source à force de puissance pure. Bon sang ! Que les globes tombent à l'intérieur de ses orbites, que la cécité l'arrache du monde pour le conforter dans un cocon douillet ! Il sanglote connement. « Merde », il a envie de gueuler. Pourtant il se tait, il essaye de se reprendre comme on reprend la maille d'un tricot, du bout de l'aiguille, à la limite de la perdre et de niquer son jersey. La boule qu'il a dans la gorge risque de l'étouffer s'il l'ignore, mais là encore : merde. Celui-là, il le murmure entre ses dents, et déjà la pression qui lui tenaille les côtes le libère de ses passions. Un reniflement met fin au bref laisser-aller, ses poings serrés pressent ses paupières, ébouriffent les paquets de cils collés.

« Excuse, » lâche-t-il en un sourire d'un nouveau genre, mal assuré mais sincère.

Il ne veut pas infliger à son alpha ses états d'âmes stupides d'adolescent entre deux eaux, mais les sourcils froncés et les jambes refermées, Derek est ailleurs.

Il s'est figé à l'instant où le t-shirt s'est soulevé pour donner en spectacle un ventre bleui dès le chemin des dames. L'alpha cherche des traces de griffes, mais la peau de son môme ne semble pas fendue le bassin saillant ne révèle que des hématomes.

« Isaac, il s'est passé quoi ? Un garou t'est tombé dessus ?

T'inquiète, » coupe l'autre en passant son poignet sur ses yeux bleu homme une dernière fois.

Il n'a clairement pas l'intention de répondre à l'interrogatoire ; le rôle d'un garde dans une tragédie grecque serait trop demander à son jeu d'acteur mais il s'en fout d'être si transparent, Derek attendra une course nocturne sur la bonne longueur d'onde pour des révélations plus lourdes. Bon sang, les confessions à la fraîche pourraient devenir leur sport national ! A croire que seule la falaise surplombant Beacon Hill a l'alchimie suffisante pour décortiquer les cœurs comme on dissèque des fruits de mer. Isaac tend le bras pour récupérer la bouteille de bière vide, s'excuse une dernière fois à demi-voix et sort du loft en refermant précautionneusement la porte derrière lui. Derek renverse la tête en arrière et se masse le crâne comme pour en extraire la migraine qui commence à lui tordre les tempes.

La main fine de Melissa McCall chope le poignet nu d'Isaac quelque secondes après qu'il soit sorti de la chambre, l'air pressé, encore embué par ses histoires. Le jeune homme s'immobilise, lève des yeux rosés cernés de gris vers la mamá de son colocataire. Les doigts le lâchent mais c'est déjà trop tard, il se fait hameçonner par le regard ferme de l'infirmière dont la veste liberty n'adoucit pas la détermination. Sa voix claque dans l'air d'un ton qui sous-entend qu'elle connaît déjà la réponse :

« Ca va, Isaac ?

— Oh, hm… Aucun souci, » répond-il, faussement désinvolte, tandis que sa main balaie ses cheveux coupés courts d'un geste nerveux. « Il a tout pris sans problème, comme d'hab, et il avait pas mauvaise mine.

— Ne joue pas à ça avec moi, » poursuit Melissa d'une voix de mère à en faire chialer Jésus, en fronçant les sourcils. « Je parle de toi, tu es sûr que ça va ? Scott t'a fait du mal ? »

Lahey pourrait éclater de rire si sa gorge ne l'arrachait pas, si son ventre endommagé comme un fauteuil de saloon ne le niquait pas avec la force d'une locomotive échappée du même western. Il secoue la tête en souriant sincèrement, tout en gribouillant quelques mots de son écriture désarticulée sur le tableau plaqué sur la porte de la pièce qu'il vient de quitter.

« Votre fils est un fichu prince charmant, Melissa. Je lui fais plus de mal qu'il m'en fait, croyez-moi. Non, ça va, des soucis familiaux, mais ça va. Flippez pas, de toute façon Scott vous balancera tout dès que j'aurais le dos tourné. »

Le sourire tendre que lui renvoie la belle est doucement réprobateur. Elle aimerait lui dire de faire attention à lui mais elle n'en fait rien, car si l'orphelin en demi lui a toujours attiré une certaine affection, les mines sérieuses de ses collègues s'activant à grands pas dans les couloirs lui rappellent le professionnalisme auquel elle doit se soumettre. Elle le regarde ranger son marqueur dans la poche de sa blouse et s'éloigner avec un petit signe de tête, un « A plus » entre les lèvres. Melissa acquiesce puis vérifie les notes du jeune interne en peinant à déchiffrer certains hiéroglyphes tagués sur l'ardoise ; lorsqu'elle relève les yeux, la statue grecque et ses fêlures ont disparu dans la foule de patients en balade et d'infirmiers stressés par le bipper pulsant à leur ceinture. Le soupir qui lui file entre ses lèvres, grasses d'une fine couche de rose, a le même goût que celui du jour où elle s'est résignée à ce que son fils acquière d'une moto. Mon garçon va mourir, pire que tatoué dans la chair maternelle. Je vais perdre mon…

« Maman ? »

Le fantasme s'évanouit : Scott est bien entendu en vie, dans le dos de sa mère surprise, presque le nez dans ses bouclettes brunes.

Fringuant comme jamais, fringué d'un perfecto qui parfait son costume de jeune motard et ses airs de bad boy romantique, le beau gosse est accompagné du BFF de tous les temps, lui-même souriant comme une boule disco. Melissa embrasse son fils d'un baiser qui claque, avec un « Bébé » qui fait ricaner les deux nouilles puisqu'il lui faut grimper sur la pointe des pieds pour atteindre la joue de son poupon. Il lui fourre entre les mains un Tupperware dont l'attention la fait fondre, sourit encore, lâche une remarque sur ses progrès culinaires que Stiles s'empresse de crever d'une vanne adroitement lancée. Les vieux ados se marrent ensemble, s'envoient un ou deux coups de coude, et Melissa se fait remarquer qu'elle aurait aimé les voir grandir plus doucement. Qu'ils n'ont finalement pas grandi. Elle remercie son fiston en passant une main dans ses cheveux, martyrisant la mèche sans pour autant la maîtriser.

Les joyeux larrons repartent après quelques minutes de discussion sur l'état de Hale, Stilinski insistant auprès de l'infirmière pour qu'aucune des élucubrations du jeune homme, même des plus absurdes, ne soit négligée. Le gosse prend son job au sérieux, et cela a un côté attendrissant. Melissa se surprend de ne noter qu'à l'instant le pourcentage d'orphelins de mère à BH ; son froncement de sourcils change de sens lorsqu'elle conseille à Scott de veiller sur son colocataire qui, pour reprendre ses mots et l'euphémisme allant de paire, n'a « pas bonne mine ces derniers jours ». Le kiss-kiss passé, la mère McCall intime d'un regard concerné le deputy Stilinski d'en faire autant avec son propre fils. Le coup d'œil qu'il lui renvoie s'exclame « Vous vous foutez de moi ?! ». Il dit aussi bien sûr.

La promesse éternelle autour du cou, Stiles rattrape son Scottie-boy à grandes foulées de sauterelle – il faut dire aussi que le kaki de sa veste de flic concourt à l'illusion. Il lui lâche une bêtise sur son déhanché à l'oreille, dans un souffle chaud, et le BFF éclate de rire avant de se mettre à rouler exagérément des épaules. Les singeries ne cessent que lorsqu'une jeune femme brune percute l'assistant véto de plein fouet, manquant de les renverser l'un et l'autre.

Désolée, sorry, elle ne regardait pas où elle allait, non c'est moi, flirte limite McCall avec des yeux trop pleins de cils. On s'éloigne sans un dernier regard, quoi Twenty-four ? Tu sais que c'est la sœur Hale ? Putain, pas reconnue. Le bruit vif de ses talons s'estompe derrière eux, ils retournent à leur adolescence en débordement.