Chapitre 1

Chapitre 1

L'arrêt de bus

Ça ne m'étonne pas que Noé ait construit l'Arche, pensait -elle en courant sous la pluie. De porte à porte cela faisait une demi heure qu'elle courait. Peut importe ce qu'elle avait pu faire pour essayer de rester sèche ses vêtements étaient trempés et elle était fatiguée. Les larmes des deux dernières heures s'étaient mêlées aux gouttes de pluie sur ses joues. Le temps d'arriver à la station de bus les larmes et la pluie auraient pu remplir des seaux. Qu'est qui peut encore aller de travers? Dit-elle à haute voix en poussant la porte vers la sombre station de bus. Un type était là endormi dans un coin sur un banc. Un autre homme lisait un journal et une mère était assise dans le coin essayant de réconforter son nourrisson.
Qu'est que je fais ici ? Pensait-elle.

Comme la porte grinça en s'ouvrant tout le monde se retourna pour voir qui venait d'entrer à peine avait-elle sentit leurs regards fixes que c'était reparti : Mince, je dois vraiment ressembler à Miss Amérique pensait-elle en fronçant les sourcils.

Aussi fatiguée qu'elle était elle marcha vers le guichet, elle appela le caissier : Monsieur
-Oui dit-il ne prêtant pratiquement pas attention à elle il regardait une petite télé en noir et blanc posée sur le guichet il avait une trace de moutarde sur sa lèvre inférieure il tenait dans ses mains un sandwich à moitié mangé

« Je me demandais si le bus pour New York s'arrêtait à Fairfield Connecticut?
- Non madame mais il s'arrête à Bridgeport à seulement quelques kilomètres de Fairfield »
- Savez-vous s'il est à l'heure?
- Oui il l'était! Dit-il en se retournant finalement pour la regarder, ça fait 10 minutes qu'il est parti!
- Vous êtes sûr? Elle baissa les yeux et constata que sa montre s'était arrêtée.
- Oui Madame! Vous voulez un ticket?
- Non Monsieur, j'ai un ticket qui peut être utilisé n'importe quand.
- Journée difficile hein? Dit le caissier tout en essuyant sa lèvre, vous devrez attendre deux heures de plus avant qu'un autre bus n'arrive. Il tentait d'avoir l'air sympathique mais pour elle les mots perdirent tout leurs sens quand il recommença immédiatement après à regarder la télé

L'accumulation de désagréments tout au long de la journée fit qu'elle était prête à fondre en larmes, elle tenta de se retenir mais il n'y avait pas autre chose à faire. Elle était trop fatiguée pour se battre. Il ne lui restait que 5 dollars en poche. Elle voulait rentrer à la maison et elle voulait y rentrer maintenant. Assise pendant 2 heures sur un banc ça n'était pas de cette façon qu'elle se voyait passer la soirée. Elle s'avança d'une façon réticente vers le siège le plus proche et se laissa littéralement tomber dessus. Il n'y avait vraiment pas autre chose à faire que d'enfouir sa tête dans ses doigts tout fripés par la pluie. Elle était assise là se cachant les yeux avec ses mains peut-être que si elle restait assise assez longtemps le monde défilerait.

- Mademoiselle? Dit une voix qui venait du banc situé derrière elle.
Elle releva la tête et ouvrit les yeux pour trouver un mouchoir qui gigotait pendu devant-elle. Sans y réfléchir à deux fois elle leva le bras pour l'attraper
- Merci.
C'était tout ce qu'elle pouvait balbutier. Elle sécha les larmes et les gouttes de pluie restée sur ses joues.
- Je vous en prie dit-il
Cette voix apaisante l'avait prise par surprise, elle lui semblait familière mais elle ne pouvait pas dire où elle l'avait entendu. Soucieuse de mettre un visage sur cette voix elle se retourna pour regarder. Oh, non, elle ne le connaissait pas. Ses yeux cependant. Ses yeux cependant étaient d'un marron des plus profonds qu'elle n'ait jamais vu. Il lui semblait même qu'il avait eu le nez cassé plusieurs fois.

- Merci encore dit-elle en reniflant.
- Pas de problème vous avez l'air de quelqu'un qui a passé un mauvais moment ce soir, vous allez bien? Y a-t-il quelqu'un que je puisse appeler pour vous? Il paraissait tellement sincère.
- Non, non ça va bien et vraiment il n'y a personne que vous puissiez appeler. J'ai simplement vraiment besoin de rentrer à la maison de ramper jusqu'à mon lit et de me fourrer la tête sous les couvertures pour les 60 ou 70 prochaines années.
-Allez allez les choses ne peuvent pas aller si mal je veux dire comment cela ce pourrait-il étant donné que vous êtes dans un endroit comme celui-ci?
Elle tentait de s'accrocher à la douleur qu'elle ressentait mais ça faisait du bien de sourire. Qui cet homme pouvait-il bien être? Pourquoi ce parfait étranger essayait-il de lui remonter le moral? Bon sang pourquoi lui avait-elle ne serait-ce que parlé? Mais il y avait quelque chose dans sa voix qui l'interpellait.
- Vous avez un joli sourire dit-il
- Vous êtes gentil répondit-elle en se mouchant. Elle était contente d'avoir ne fussent que pour quelques minutes pensé à quelqu'un d'autre qu'à « lui ».
- Non vraiment je ne dis pas ça pour vous faire plaisir je le pense vraiment, votre sourire est joli. Il est évident que les choses ne vont pas très bien pour vous et pourtant vous gardez votre beau sourire. »

Leurs regards se croisèrent. L'espace d'un instant elle se sentit perdue dans son regard et se mit à espérer n'être jamais retrouvée.
- Hey dit-il interrompant leur échange. Il se pencha et ouvrit la valise qui se trouvait à ses pieds. Il en sortit un pull à fermeture éclair et se dépêcha de passer de l'autre côté du banc.
« Vous frissonnez »
- Oh non vous n'êtes vraiment pas obligé, elle essaya de l'en dissuader mais il insista tout en mettant le gilet sur ses épaules.
- Hey je ne veux pas que vous m'attrapiez un rhume à cause de quelque chose pour lequel ma mère me disputerait si je ne le faisait pas ».

- D'accord, d'accord dit-elle allant à l'encontre de son jugement. Il retourna vers son banc et remonta de nouveau la fermeture éclair de sa valise. Quand il eut terminé il leva les yeux vers elle et lui sourit.
« Bon puisqu'il n'y a personne que je puisse appeler, verriez-vous un inconvénient à ce que j'essaie?
- Je vous demande pardon? A cet instant elle était un peu décontenancée. Elle n'avait pas l'habitude d'être le centre d'intérêt de quelqu'un du moins pas ces derniers temps.
« Je veux dire, vous voulez parler? J'ai râté mon bus aussi il semble que nous ayons quelques minutes devant nous » Il y avait ce petit quelque chose dans sa voix qui lui inspira tout de suite confiance. Bien que sa tête lui disait de s'enfuir son cœur lui disait que c'était quelqu'un qui pouvait l'aider.

« J'aimerais ça oui
-Avez-vous une urgence à la maison que vous essayer de rejoindre?
- Non rien de ce genre. C'est juste que mon petit ami, Michael et moi nous nous sommes disputés » Elle leva les yeux et regarda les lumières essayant de nouveau d'empêcher ses larmes de couler. « Mes cours ne se passent pas très bien ce semestre et je suis juste fatiguée de tout ça.
-Vous avez un petit ami? Son timbre de voix était hésitant
Surprise par la question, elle dit :
- Eh bien après aujourd'hui je ne crois pas vraiment.
Pourquoi lui disait-elle cela? Pourquoi était-elle si ouverte face à un parfait étranger? Elle ne pouvait s'arrêter elle continua à parler.
- On s'est disputé. C'est une sommité du journalisme à Harvard et moi je suis à Wellesley et il n'a plus de temps pour moi. Ses histoires sont toujours plus importantes à ces yeux que je ne le suis. L'aventure, l'excitation. Je crois que pour lui je ne suis plus qu'un poids mort. Aujourd'hui je lui ai dit que j'en avais marre de cette situation il a dit d'accord et avant même que j'ai eu le temps de dire ouf il avait déjà pris la porte. Il a choisi son boulot plutôt que moi plutôt que l'amour. »
- Pardonnez mon français mais si vous me le demandez je ne crois pas que cet idiot de « Michael » vous aime. »
« Je suis désolée Monsieur mais Michael est tout sauf un idiot n'avez-vous pas entendu que je vous ai dit qu'il allait à Harvard?
- Si j'ai entendu mais il y a des choses sur terre qui ne s'apprennent pas dans les bouquins. Des choses comme le respect, la tendresse, la compassion et l'amour. Ce sont des choses que vous n'apprenez que dans le monde réel. »
Avant même qu'elle ne s'en aperçoive elle ne frissonnait plus. Elle sentait ses joues rougir subitement elle n'avait d'autre choix que de baisser les yeux. Rien qu'elle puisse dire ne lui venait à l'esprit. S'il devait lui arriver une fois dans sa vie de vouloir serrer dans ses bras un parfait inconnu ce moment était arrivé. Comment pouvait-il lui dire tout ce qu'elle avait eu envie d'entendre? Pourquoi ne pouvait-elle pas entendre quelque chose d'aussi sincère de la part de Michael? Elle l'avait tant aimé et il venait de partir. Comment quelqu'un qui vous dit qu'il vous aime peut-il préférer la froideur de sa carrière plutôt que la chaleur de l'amour? Avec tout le courage qu'elle avait pu rassembler elle dit simplement :
- D'où tenez-vous tant d'intelligence?
- Trop de claques dans la figure de la part de trop de filles qui pensaient que je les traitait comme Michael vous traite. Il a fallu que je me brûle pour apprendre. Il tapa sa propre joue en signe de souvenir.
« Je crois que ce genre d'apprentissage n'est pas inné pour tout le monde.
- Non ce n'est pas vrai, les filles en général apprennent ce genre de leçons BIEN PLUS TOT que les garçons. Ils ont besoin de deux claques pour être sûr que ça rentre.
- Comment vous faîtes ça ? Demanda-t-elle changeant de sujet
- Fait quoi?
- Me faire rire alors que je tiens tant à être en colère
-Je crois que c'est un don, dit-il en faisant une grimace.
-Arrêtez! Essayant de se retenir de rire, elle laissa échapper quelques gloussements qui se transformèrent rapidement en sanglots. Je suis désolée, moi-même je dois bien admettre que Michael est un idiot mais c'est juste que que je…
-Tiens trop à lui? Pense trop à lui? Avez-vous déjà choisi le prénom de vos futurs enfants?
- Oh nooon je n'ai jamais fait ç… Jonathan et Samantha
- Comment je l'ai su? Dit-il d'un ton gai c'est que toutes les filles décident de choisir les prénoms de leurs enfants quand elles pensent être follement amoureuses »
« Et qu'il y a-t-il de mal à ça?
- Et bien ne mettez-vous pas un peu la charrue avant les bœufs? Il ne vous a peut-être même pas encore demandé de l'épouser me trompais-je?
- Comment avez-vous…?Bon ce n'est pas la question.
- Bon alors c'est quoi la question?
- Bon je crois… je crois que j'ai vu un avenir avec lui.
- Et maintenant ça n'est plus le cas?
- Je ne sais pas. Je crois qu'au fond de moi j'espère qu'il y a une chance qu'on en ait un mais pour l'instant je ne veux pas envisager cette idée.
- Si vous me le demandé je pense que cette idée me semble bonne
-Comment pouvez-vous dire ça? Être seule dans ma chambre, pleurant parce qu'il est parti peut-être en quelque sorte une bonne chose?
- Oui parce que vous allez probablement pleurer pendant quelques jours peut-être quelques semaines et après vous sortirez dans le monde et rencontrerez de nouveau les gens. Un jour vous rencontrerez quelqu'un qui tiendra à vous autant que moi je… - Il s'arrêta au beau milieu de sa phrase - …autant que Michael devrait le faire. » Balbutia-t-il.
Elle devait faire une double déduction : Elle savait qu'il était sur le point de dire quelque chose d'important. Pourquoi ne l'avait-il tout simplement pas dit?
Tout deux essayèrent de trouver un moyen de changer rapidement de sujet. Elle baissa les yeux et vit l'immense chaussette brodée sur le pull.
- Je n'y connais pas grand-chose en sport mais je pense avoir déjà vu ce symbole quelque part.
- Oui, dit-il plein de reconnaissance, c'est celui des Boston Red Socks je rentre à la maison j'étais monté à Boston pour être candidat au recrutement
- Pour quelle genre d'équipe seriez vous recruté?
- L'équipe de Base Ball.
- Pour l'équipe de Base ball des Red Socks de Boston?
Mince alors, pensa-t-elle, je suis sûre qu'il a deviné que je ne sais pas du tout de quoi il parle. - Oh c'est bien pour vous. Est-ce qu'ils vous ont pris?
- Je ne sais pas encore. Ils paraissaient satisfaits de mon jeu mais ils m'ont dis qu'ils m'appelleraient.
- Oh dit-elle solennellement.
- Oh ? Ay oh oh ay qu'est-ce que vous voulez dire par oh?
- Rien. Elle regrettait ses mots. Je suis sûre qu'ils vont vous appeler.
-Ça ne vous paraissait pas si évident que cela il y a un instant.
-Et bien, quelquefois on vous appelle pour vous dire oui mais la plupart du temps… c'est pour vous dire non.
- Vous croyez?
- Je suis désolée j'espère ne vous avoir pas trop déçu c'est juste que j'ai été plus rejetée ces derniers temps qu'habituellement donc je ressens en quelque sorte ces choses.
- Oh nom d'un p'tit bonhomme! - dit-il balançant sa tête - J'aurais dû me douter de quelque chose quand un nombre plus important de gens avaient les maillots gratuits… »
Maintenant c'était à son tour de le consoler. Elle regarda dans sa direction et remarqua que sa main était posée sur le haut du banc. Avec hésitation elle mis sa main sur la sienne.
- Je suis sûre que ça va marcher d'une manière ou d'une autre.
- Merci j'espère que vous avez raison.
- Bien sûr que j'ai raison.
Elle sentit son cœur battre la chamade quand elle réalisa qu'il avait bougé son pouce qui se trouvait sous sa main à elle pour l'enrouler autour du sien.
Au plus profond d'elle-même elle hurlait, oh mince cet homme ce si bel homme (avait-elle fini par admettre dans son fore intérieur) fait attention à moi, il me parle, oh mince qu'est-ce que je vais faire maintenant?!
- Regardez il s'est arrêté de pleuvoir.
Elle était si contente qu'il ait parlé le premier
- Oui c'est vrai.
- Aimeriez-vous vous joindre à moi pour une tasse de cacao?
Elle pouvait deviner à son regard que le fait de poser cette question l'embarrassait.
- Eh bien, si ça ne vous fait rien d'être vue avec moi en public, je veux dire habillé comme ça. Je crois que ça ira. Dit-elle en serrant sa main.
- Vous avez une très belle allure.