Wittfield. Un nom connu, un nom méprisable. Quelques lettres qui, lorsqu'elles étaient prononcées - ou, le plus souvent, crachées - n'auguraient rien de bon. Oui, on disait que ce nom était maudit. Porteur de grands malheurs. Ceux qui devaient l'arborer à la suite de leur prénom étaient, la plupart du temps, nés une cuillère en or entre les lèvres, d'ores et déjà assis sur un trône décoré de pierreries, ainsi que sur un héritage familial plus que difficile à supporter. Ils étaient riches comme Merlin n'oserait jamais même envisager le devenir, ils étaient célèbres dans le monde entier et leur vie était étalée au grand public. De l'affreux bambin gazouilleur au vieillard édenté qui occupait toujours la même chaise abîmée, lors des repas de famille. Si on pouvait appeler ça des « repas de famille ». Conférence aurait été le mot le plus amène de convenir. Seul le bruit des couverts se croisant et s'entrechoquant dans les assiettes interrompait le silence gracieux qui meublait l'espace. Et lorsque quelqu'un décidait de prendre la parole, tous cessaient de manger pour écouter le petit discours. Le menton relevé, les épaules droites et raides, les mains soigneusement posées sur les genoux, avec ce petit air de grande attention, comme si ce qui allait être dit pouvait mettre en péril leur vie. Ah, ces chers Wittfield. Ils avaient des manières que peu d'aristocrates possédaient, des traditions qui se transmettaient de bouche à oreille, de génération en génération, ne perdant pas de cette ampleur discrète qui les caractérisait, et ils étaient toujours au courant de tout. C'était eux les personnalités les plus en vue d'Angleterre. Les sorciers et sorcières que la population toute entière devait connaître. Eh oui, pas facile à porter comme nom, un point pour vous, cher lecteur. Mais, que voulez-vous, il fallait bien que quelqu'un s'y colle ! Et ne pensez pas un instant que cette tâche pourrait s'avérer distrayante, voir qu'elle pourrait vous apporter quelque chose. Se nommer Wittfield ne vous rapportait rien, excepté si vous vous intéressiez au superficiel. L'argent, la gloire et toutes les portes ouvertes. Ce qui est déjà pas mal, c'est vrai. Toutefois, comme toujours avec les bons plans, il y a ce revers de la médaille, celui moins glorieux dont personne ne parle. On le met sous silence, on le cache et on prétend que tout va bien, car c'est ce qu'il faut faire pour ne pas nuire à cette réputation si brillante, trop bien lustrée par toutes ces années de secrets. On ne parle jamais des critiques, des jugements erronés, ces préjugés qui vous collent comme une seconde peau, ou encore de la perte de toute vie privée. On ne vous parle jamais de cette sensation de poids dans le ventre, quand on sait qu'il faudra se montrer à la hauteur sous peine de sanction ou de cette absence d'atmosphère familial dans cette, justement, si belle et grande famille au blason doré. On ne vous parle jamais du rejet, de la souffrance et de ce chemin tout tracé qui glacerait le sang à n'importe quelle personne un tant soit peu indépendante. Non, on ne vous en parle jamais, car cela enlèverait bien trop de charme à cette image de bonheur sur papier glacé. Et on ne vous indiquera pas non plus que cette famille fricote avec Lord Voldemort, qu'elle est celle qui l'aide pour monter en puissance. Car ce ne sont pas des choses qui se disent. Il suffit juste de garder le sourire et de rester bien droit, comme si toutes ces responsabilités n'existaient pas vraiment. Un nom connu de tous, un nom méprisable pour elle, à son humble avis. Parce qu'il n'est jamais facile d'être la fille d'une famille comme les Wittfield.
Peu importe qui vous êtes, peu importe ce que vous faîtes ; vous n'existez pas. Il n'y a que ce nom qui est présent, qui est comme étiqueté sur votre front. « Wittfield ». Ils s'imaginent une garce, ou une petite soumise qui suivra le parcours rocambolesque et peu anodin de ses parents, ils voient un beau morceau de viande à qui on pourrait marier un fils ou un symbole, celle qui les représente. C'est elle, la fille de. Ils visualisent une fille à papa qui finira dans les jupons du Lord Noir ou une écervelée qui obéit aveuglément et suit les idées de la mère. Eh oui, les gens sont bourrés d'idées toutes faîtes et ils adorent les partager, mieux, les colporter. Ils sont avides de ragots, ils se nourrissent des histoires des autres pour alimenter leurs vies sèches et moroses, ils se nourrissent du malheur d'autrui et se régalent des faux pas qui conduiront les rejetons en Enfer. Quoi ? Vous pensiez sincèrement que la compassion existait ? L'altruisme aussi, pendant que vous y êtes ? Oh, sans blague. Arrêtez cinq minutes, s'il vous plaît, ce sentiment n'est qu'un conte colporté aux plus jeunes. On ne fait jamais rien pour aider son prochain, pas si cela ne nous rapporte pas quelque chose. Cela va des gallions à la propre satisfaction personnelle. On n'est jamais gentil que pour soi-même. Fataliste ? Pas vraiment. Le terme réaliste conviendrait mieux. Alors, oui, c'était ainsi. Dans une famille comme les Wittfield, personne n'avait vraiment sa place. Et surtout pas Eléonora, la cadette. Parce qu'en plus de porter ce nom qu'elle jugeait maudit, elle était loin d'atteindre les espérances de ses chers parents chéris. Cherchez l'ironie.
Bref, il n'est pas temps de dévoiler l'entièreté du passé tumultueux des Wittfield, plutôt l'avenir chaotique de Nora Field. Peu recherché, mais au moins, avec ça, elle avait eu la paix. Tout du moins, pendant cinq ans. Cinq longues années où elle avait savouré cette tranquillité de n'être reconnue que pour soi-même. Puis, un jour, sa route avait croisé celle d'un autre, celle d'un jeune homme au nom déchu. Alors, tout avait changé.
oOo
Cinq ans plus tôt.
Pourquoi ne tremblait-elle pas comme ses camarades ? Pourquoi restait-elle de marbre face au spectacle qui se déroulait sous ses yeux ? Elle aurait dû être terrifiée, mais ce n'était pas le cas. Pour elle, la répartition dans les diverses maisons de Poudlard n'était qu'un petit bouleversement dans son programme. Elle savait d'ores et déjà où elle finirait. Tous les membres de sa famille y avait été, son père lui avait assuré que c'était la meilleur maison et sa mère l'avait menacée du regard durant un long intermède, lorsqu'elle avait demandé de sa petite voix fluette si ce serait vraiment si grave qu'elle ne soit pas envoyée à Serpentard. La maison des rusés, de ceux qui préféraient attendre patiemment leur heure avant de ne faire qu'une bouchée de ce qui entravait leur chemin. La couleur des lâches, soufflaient certains. Pour sa part, Nora ne pensait pas vraiment qu'on puisse être aussi catégorique. C'est vrai, personne ne se ressemblait, elle n'avait pas entendu quelque part que chacun était censé être unique ? Alors, pourquoi un chapeau moisi et rapiécé les envoyait vers quatre orientations différentes, en leur affublant des qualités et des défauts déjà tout préparés, leur faisant ensuite porter durant toute leur scolarité le poids de ce choix ? C'était ridicule. Peut-être même encore plus que ceux qui avaient frissonnés dans le Poudlard Express, en entendant certaines rumeurs sur la Répartition. Comme quoi il faudrait se jeter d'une falaise pour savoir vers quelle maison on serait dirigé. Non, mais vraiment. Si l'élève rebondissait, c'était Poufsouffle, s'il s'écrasait piteusement, c'était Serpentard, s'il réussissait à voler, c'était Serdaigle et s'il ne sautait pas du tout, c'était Gryffondor. Sérieusement, plus que ridicule. Comment certains pouvaient croire à ces âneries ?
- Nora Field !
Nora releva les yeux vers la jeune professeur de métamorphose qui l'appelait à son tour. Heureusement, pour son propre bien, son père avait accepté qu'elle change de nom. Déjà toute petite, elle savait que raccourcir son identité lui serait plus que bénéfique. Au prix d'un grand effort, sa mère avait à son tour dit « oui ». Comprenez, ce n'était pas de la générosité de sa part, c'était surtout au cas où « si, par le plus grand des malheurs, Merlin la détestait vraiment et l'envoyait dans cette affreuse maison de blaireaux ». Mieux valait épargner le nom, pour qu'il ne subisse pas d'autres éclaboussures de scandales, comme lorsque son grand-père avait assassiné son épouse, rendue aigrie et colérique, par le coup de sabot d'un hippogriffe enragé. Putain de famille maudite, Nora en était certaine. Toutefois, repoussant à plus tard ce flot de pensées sordides, elle s'avança d'un pas tranquille et assuré vers le tabouret miteux qui trônait au milieu de toute cette agitation palpable. Elle y prit place et se sentit tout de même un peu nerveuse, à être observée ainsi. Tous ces yeux qui la fixaient la mettaient plus que mal à l'aise. Elle sentit qu'on lui posait le choixpeau sur le sommet de son crâne et attendit quelques secondes, avant d'entendre une voix grave susurrer à ses oreilles.
- Tiens, tiens, la deuxième Wittfield…
Nora se tendit aussitôt sur sa chaise et ses yeux s'écarquillèrent, alors qu'elle les relevait discrètement vers la foule. Les personnes présentes avaient-elle entendu, elles aussi, ce qu'il venait de murmurer ? Il ne lui semblait pas, car aucun murmure excité ne rompit le silence. Aussi tenta-t-elle de se détendre, sans trop de succès, puisqu'il reprit :
- J'ai l'impression que tu cherches à rester méconnue aux yeux de tous, n'est-ce pas ? Pourtant, tu pourrais accomplir de grandes choses et devenir célèbre, si tu te rendais à Serpentard…
Oui, Serpentard. C'était bien. Même si la célébrité ne l'intéressait guère.
- Serpentard, hein ? Pourtant, tu te fonderais bien mieux parmi les…
Pas les lions, ô grands dieux, non. Sa mère la tuerait.
- SERDAIGLE !
Son cœur manqua un battement et elle se redressa, un peu étourdie par ce choix auquel elle ne s'attendait pas. McGonagall passa une main dans son dos et la poussa un peu pour qu'elle cède sa place au prochain nom et elle se laissa aller jusqu'à la table des aigles, avec des pas maladroits. Un peu plus loin, elle croisa ce regard vert si semblable au sien et elle haussa les épaules pour signifier qu'elle non plus ne comprenait pas. Puis, elle rompit la connexion et prit place sur le banc, entre une petite blonde joyeuse qui ne cessait de battre des mains et un garçon plus âgé de septième année qui l'accueillit avec une tape de félicitation sur l'épaule. Sous le coup, pourtant léger, elle se pencha malgré elle en avant et s'assit avec des gestes un peu plus désordonnés. Aussitôt assise, la blonde lui tendit une de ses minuscules quenottes et se présenta, avec un engouement qu'elle n'était pas certaine de partager :
- Anthéa Cartwight.
Elle répondit cependant sans faire de vagues et serra cette main qu'on lui tendait.
- Nora. Nora Fi…
- Oui, Field. Je sais, j'ai entendu, la coupa avec un sourire jovial la dénommée Anthéa, sous son regard surpris.
Puis, elle reporta son attention sur la cérémonie, sans plus se préoccuper de sa voisine, dont les épaules s'étaient affaissées. Elle n'arrivait pas à savoir si la décision du choixpeau lui plaisait. Elle n'arrivait à se concentrer que sur un unique visage et ce n'était pas le plus agréable de tous. Nom d'une citrouille empalée, comment allait-elle donc annoncer cela à sa mère ?
La Répartition avait fini par prendre fin et cette question n'était toujours pas réglée. Le repas était apparu, après le discours avenant du directeur Dumbledore, mais Nora n'avait pas tellement faim. Pourquoi n'avait-elle pas été acceptée chez les verts et argents ? Cette question lui trottait dans la tête et elle n'arrivait pas à se détacher de l'idée qu'elle allait apporter avec elle un paquet de déception, que ses parents auraient beaucoup de mal à encaisser.
- Tu devrais manger, le voyage a été long, intervint sa voisine.
- Fort aimable de ta part, mais mon appétit ne concerne que moi, alors tu seras sympa de retourner à tes brochettes de canard, répliqua distraitement Nora, les yeux dans le vide, sur un ton monocorde.
- Si tu partages mon dortoir, je n'ai pas envie de devoir supporter les gargouillements de ton ventre affamé toute la nuit, alors mange donc ça.
Tout en parlant, Anthéa s'était penchée en avant et s'était saisie d'un gros plat de purée encore intact. Elle l'avait pris pour ensuite le placer juste sous son nez. Elle avait également prit une grosse cuillère et l'avait plantée dans le plat de patates écrasées, tout en gardant une attitude très posée et ce sourire amicale, sûre de ce qu'elle faisait. Nora la regardait, à présent, outrée.
- Je peux me nourrir moi-même !
- Je n'en suis pas vraiment sûre.
Elle fronça les sourcils et perça de son regard la blondinette. Cette dernière arborait un air satisfait et lui rendait son œillade avec une aisance non dissimulée. Déconcertant. Alors, Nora finit par capituler.
- Très bien.
Elle prit la cuillère et se mit à manger à même le saladier, en soutenant sans ciller le regard amusé d'Anthéa, alors qu'elle enfournait une nouvelle bouchée de purée. Ses propres lèvres frémirent finalement et elle se mit à rigoler, en songeant à la scène vue de l'extérieure. Elle n'avait décidemment aucune manière. Mais, cela ne semblait déranger aucune des deux, puisqu'elles finirent par rire toutes les deux, jusqu'à en avoir les larmes aux yeux.
Le repas fini, les deux filles se levèrent et rejoignirent la file qui se formait devant le préfet de Serdaigle, qui ne cessait d'apostropher tel ou tel élève un peu trop bruyant. Lorsque vint le moment de franchir les hautes portes de la Grande Salle, elles se retrouvèrent à côté d'un groupe turbulent de Gryffondor. Nora planta son coude dans les côtes de sa voisine et fit un petit signe de la tête vers deux garçons qui s'esclaffaient bruyamment sur une blague à deux mornilles, tout levant les yeux au ciel. Anthéa rigola discrètement et détourna le visage, gênée, lorsque l'attention des deux griffons se porta sur elles. Le brun, celui qui n'avait pas les lunettes, s'avança vers elles et lui demanda :
- Je suis Sirius Black. T'es pas celle qui s'appelle Field, par hasard ?
- C'est moi, Nora Field.
Nora hocha la tête de bas en haut, pour lui indiquer qu'il était sur la bonne voie, tout de même un peu anxieuse de savoir pourquoi il venait la voir. Peut-être l'avait-il vu se moquer de lui et de son ami ? Le brun fit alors mine de réfléchir, un instant, et reprit à l'adresse de ce dit ami :
- Eh, James, viens voir ! Il n'y a pas une famille qui s'appelle Wittfield ? Ils ont pas une fille ? Elle me dit quelque chose !
Celui qui s'appelait James l'observa plus attentivement, avant d'approuver les dires du brun, sous son regard soudainement affolé.
- Ouais, t'as raison, elle ressemble à l'héritière Eléonora Wittfield !
Anthéa s'approcha du petit groupe qui s'était formé et examina plus attentivement Nora, les sourcils froncés, le regard inquisiteur.
- Tiens, c'est vrai qu'ils n'ont pas tort…
Nora secoua vivement la tête et tenta de se tirer de ce mauvais pas, s'exclamant :
- Je ne suis pas cette Eléonora Witt… je-sais-pas-trop-quoi !
Et comme à chaque fois qu'un mensonge s'échappait d'entre ses lèvres, ses joues s'empourprèrent violemment. Elle était horrifiée. Dès le premier jour, démasquée. Avait-elle vraiment une étiquette plaquée sur le front ? L'envie de se le toucher pour le savoir avec certitude la démangea. A moins que ce ne soit juste son apparence qui faisait d'elle une fille de la famille maudite à coup sûr. Elle n'en savait trop rien. Toutefois, elle n'eut pas le temps de statuer plus longtemps sur la question, car ce crétin aux cheveux bruns se mit à brailler :
- Eh ! Remus, viens voir, on a besoin d'un avis ! Tu ne trouves pas que cette fille ressemble à Eléonora Wittfield ?
Mais pourquoi Diable le criait-il si fort ? Toute la population de Poudlard s'était arrêtée de marcher et leurs regards avaient maintenant convergés vers eux. Bon, d'accord, elle dramatisait un peu, mais quelques-uns s'étaient quand même retournés. L'espace de quelques secondes. Oh, puis flûte. Il fallait juste qu'elle se défende, maintenant. Toutefois, avant qu'elle n'ait pu dire quoi que ce soit pour tenter de défendre corps et âme son secret, Anthéa s'avança d'avantage et trancha, venimeuse :
- Cette fille ne ressemble pas à un nom, cette fille est une personne et cette fille est mon amie. Par contre, en ce qui te concerne, je trouve qu'en plus d'être un Black, ce qui est loin d'être un compliment vue ta famille soi dit en passant, tu ressembles étrangement à un pauvre idiot. (Pause.) Voilà.
La blonde ponctua sa tirade énergique par un vigoureux hochement de tête et se détourna, saisit la main de Nora et l'entraîna à sa suite, le regard étrangement calme. Elles regagnèrent rapidement les rangs des Serdaigle, en silence et reprirent leur marche. Quelques minutes et Nora craqua finalement, avouant dans une moue grimaçante :
- J'aurais pu me défendre moi-même.
- Je n'en suis pas vraiment sûre, répondit posément Anthéa avec un sourire discret aux coins des lèvres.
Le silence reprit. Puis, la question arriva :
- Tu es bien Eléonora Wittfield, pas vrai ?
Nora haussa vaguement les épaules, consciente qu'elle n'avait pas vraiment d'arguments pour lui prouver que non.
- Est-ce que ce serait si important que ça ?
La petite blonde secoua la tête et ses yeux gris la transpercèrent du regard, alors qu'elle répondait :
- Non pas vraiment.
Et encore ce silence. Seulement troublé par tout le brouhaha des élèves autour d'eux. Puis, Nora hésita avant de demander :
- Est-ce que c'était vrai ce que tu as dit, tout à l'heure ?
- À propos de quoi ?
- Que j'étais ton amie.
Un sourire effleura les lèvres d'Anthéa.
- Oui, je crois.
oOo
3 ans plus tôt.
Black s'était finalement détourné de Nora, sans plus prêter attention à elle ou à ce nom qu'elle aurait très bien pu porter, selon lui. Il oublia rapidement tout de cette petite scène, tout de la jeune fille qu'était Nora Field. Seule une haine enfantine se mit à gonfler en lui vis-à-vis d'Anthéa, celle qui avait osé parler de sa famille, la seule qui avait remis sur le tapis, dès le premier jour, un sujet tabou et qui l'avait sévèrement critiqué. Il ne se souvenait plus de pourquoi elle s'était mise à lâcher tout ça sur lui, car il avait juste été obnubilé par la fin de sa phrase. Il était resté silencieux, le regard sombre, sans rien trouver à répliquer. Et par la suite, de nombreuses personnes suivirent l'audace de cette blondinette, le provoquant et le méprisant pour ce nom qu'il portait et qu'il finit par renier. Toutefois, pour lui, Anthéa restait son ennemi public numéro un. Celle qu'il fallait humilier comme elle l'avait fait devant ses premiers amis, celle qui avait réussi à la laisser sans voix, sans défense. Il ne pouvait pas en supporter plus. C'est pour cette raison qu'il continuait à s'acharner sur elle, même après deux ans. Cette histoire, il ne pouvait décemment l'enfermer dans un tiroir et faire comme si elle n'avait jamais existée. Elle l'avait rendu faible, l'espace de quelques secondes, et il avait détesté cette sensation.
Alors, c'est avec une cruelle satisfaction qu'il versait de la bave à veracrasse savamment mélangée à du venin d'acromentule trouvé dans la réserve du professeur de potions dans les gants de botanique de la blonde. Et c'est avec un contentement encore plus grand qu'il constata que cela agissait comme ce qu'il avait escompté, à l'entente de ses cris. Car, Anthéa ne cessait d'hurler d'effroi et de de douleur. La mixture la brûlait, lui rongeait la peau et la chair et ses mains ne cessaient de rougir, même après avoir enlevé les gants. Elle se laissa tomber sur le sol boueux, les genoux dans la terre, les joues ruisselantes de larmes, et se mit à balbutier entre deux sanglots :
- Mes mains… mes… je ne vais pas les perdre, hein, Nora ?
Nora s'agenouilla à ses côtés et appela une énième le professeur Chourave, qui était parti chercher une mandragore en plus pour un élève qui en avait été dépourvu. Puis, elle tourna son visage vers son amie et lui caressa affectueusement la joue, avec un calme qui n'était qu'apparent.
- Ne t'inquiètes pas, Théa, tout ira bien. Non, arrêtes, ne te gratte pas !
Elle allait une fois encore tourner la tête pour crier d'aller chercher de l'aide, paniquée, lorsqu'elle sentit qu'on la poussait, que quelqu'un se faisait une place à ses côtés. Elle tourna la tête et découvrit un jeune brun à l'apparence sereine, qui entreprit de relever Théa et de la soulever comme si elle ne pesait pas plus lourde qu'une plume. Attends, mais que faisait-il donc ?
- Non, mais… Qu'est-ce que tu fais là ?
- Remus, qu'est-ce que tu fous ? Demanda une voix étranglée, à quelque pas d'elle.
- Je l'emmène à l'infirmerie, vos petits jeux ont assez durés pour aujourd'hui, répondit d'un ton implacable l'interpellé, qui s'éloignait avec la blonde.
Ses « petits jeux » ? Elle ne comprenait pas. Elle ne jouait pas. Théa et elle étaient sagement en train d'enfiler leurs gants, quand tout ceci était arrivé.
- Comment ça, mes petits jeux ont ass…
Elle se figea soudainement, en entendant des rires et se souvint de cette question qui avait été posé en même temps que la sienne. Oh… Donc, une fois de plus, c'était à cette bande d'abrutis congénitaux qu'on devait cette blague. Pourquoi n'y avait-elle pas pensé plus tôt ? Très bien. Elle faisait confiance quant au plus calme de la bande pour emmener Théa à l'infirmerie, elle ne l'accompagnerait donc pas. Elle avait des comptes à régler. Elle fit donc volte-face, se débarrassa d'un geste rageur de la paire de caches-oreilles qui lui ceignait le crâne et s'avança comme une furie vers le groupe des Bouffondors. Les trois qui restaient abordaient de larges sourires et se tenaient les côtes pour s'empêcher d'éclater de rire. Nora pointa du doigt celui qui semblait être à l'origine de tout ça et s'exclama :
- Vous êtes complètement malades ! Sérieusement, où étiez-vous donc partis à la distribution des cerveaux ? Elle peut perdre l'usage de ses mains, vous y avez pensé ? ou cela n'a pas traversé le petit pois qui remplace dans votre crâne ce qui manque à l'appel ?
Toutefois, les garçons ne l'écoutaient pas, ils étaient fiers de cette vengeance délicieuse. Ils ne pensaient pas aux conséquences, en cet instant même. En fait, pour tout dire, ils n'y pensaient jamais. Aussi Nora préféra plus sage pour leur survie, pas qu'elle lui importe vraiment, de les dépasser en les bousculant et de courir jusqu'au château, à l'infirmerie.
oOo
Actuellement, sixième année, 1976.
Alors que les années passaient, Nora s'était remise en question une ou deux fois. Enfin. Pour être honnête, beaucoup plus que cela. En réalité, elle se demandait encore et toujours pourquoi elle avait été envoyée dans cette maison. Elle n'aimait pas bosser. Bon, d'accord, elle avait quelques facilités, mais tout de même ! Cet unique trait ne pouvait pas vraiment tout expliquer, pas vrai ? Elle avait bien tenté de chercher la raison du pourquoi, en discutant avec d'autres élèves par exemple, mais… disons qu'elle était contente que Théa lui ait adressé la parole, le premier jour. Car il n'était guère aisé de se trouver une place parmi les aigles. Un esprit de compétition qu'elle n'avait jamais retrouvé ailleurs régnait dans ces lieux. Il fallait toujours être le meilleur, se dépasser constamment et donner tout, pour être accepté. Le problème, forcément, c'était que tout le monde ne pouvait pas être le meilleur. Alors, il y avait un classement dans la salle commune, qui se mettait à jour automatiquement dès que l'un des bleus recevait une note. Ce qui divisait pas mal les troupes, à vrai dire. Celui qui trônait en tête de liste était un septième année du nom d'August Boncoeur et beaucoup recherchait sa compagnie pour cette raison. Ils pensaient que s'ils se mettaient à traîner avec le meilleur d'entre eux, ils deviendraient à leur tour comme lui. Populaire, intelligent et complètement imbu de lui-même. Car, Boncoeur n'était pas le nom qui reflétait le mieux son caractère exécrable. Et puis, ceux qui étaient en fin de liste, ceux dont les noms étaient si petits qu'on ne les voyait presque plus pour certains, étaient les rebus. Tout le monde se demandait pour quelle raison ils avaient été envoyés dans cette maison, s'ils n'étaient pas foutus de produire de quelconques résultats positifs. Nora, pour sa part, trouvait tout ce système d'un ridicule pitoyable. Pour sûr, les résultats n'étaient pas ce qui caractérisait l'intelligence et Serdaigle en était la preuve vivante ! Toutefois, elle, si on ne l'appréciait guère, ce n'était pas parce que son nom n'apparaissait même pas. C'était justement car il était bien trop voyant - quatrième position, pour une sixième année, tout de même - sans même qu'elle n'ait à faire grande chose pour se maintenir dans ce top cinq. C'était trop facile pour qu'elle soit bien acceptée. Ridicule, oui.
Tout étant que Théa était sa seule et sa meilleure amie. Et qu'une fois encore c'était elle qui la réveillait de son lourd sommeil avec un agréable aguamenti.
- J'espère pour toi que t'as perdu la tête au sens littéral, car sinon je ne te pardonnerais jamais ça ! S'insurgea-t-elle en se redressant sur son séant, les yeux encore clos, le visage dégoulinant, une expression furieuse.
Elle entendit le petit rire étouffé de Théa, ce qui la mit encore un peu plus en rogne, jusqu'à ce qu'elle réplique :
- Non, pas ma tête, mais celle de Teddy, oui !
Un sourire fit finalement frémir ses lèvres, alors que la blonde évoquait son ours en peluche, avec lequel elle avait la fâcheuse tendance de dormir, même encore à son âge. Et tout récemment, ce cher Teddy avait inexplicablement perdu la tête, après que Théa se soit servi de lui pour frapper Nora avec et ainsi la réveiller. Elle était heureuse que sa camarade n'ait toujours pas pensé à fouiller sa valise, sinon elle aurait la preuve formelle que c'était bel et bien elle qui avait fait cela pour se venger. Elle finit par s'essuyer les yeux et marmonna :
- Je ne sais toujours pas ce qui a bien pu se passer avec ton ourson…
- Un jour, je retrouverais le reste du corps et j'accumulerais assez de preuves contre toi pour te faire enfermer, promit Théa d'un air faussement solennel.
- Tu peux toujours essayer.
Néanmoins, Nora finit par se lever et se dirigea vers la salle de bain. À son ô grand étonnement, la porte était fermée. Tiens, tiens, Diana Derson avait donc fini par se trouver un autre pigeon à séduire ? Peu lui importait, ce n'était pas son problème. Ce qu'elle voulait, c'était se doucher et pouvoir s'habiller, avant que l'heure d'aller en cours ne sonne. Aussi n'eut-elle aucune pitié lorsqu'elle frappa avec force sur le battant en interpellant la jeune fille et, mieux encore, qu'elle entendit certaines choses tomber, sans doute sous le coup de la surprise.
- Merde… par Salazar, c'est qui encore ? Grommela celle à l'intérieur.
- Le ministre de la magie.
- La salle de bain est occupée.
- Oui, par tes grosses fesses, alors contente-toi de les bouger, Derson !
Elle n'avait aucune pitié et s'attaquait sans vergogne à cette précieuse Diana, tout simplement parce que celle-ci faisait de même avec elle. Elle dépassait Nora d'une tête au moins et avait une taille de guêpe qu'elle n'obtiendrait jamais, mais pourtant, elle adorait se plaindre et critiquer les autres. Nora ne faisait pas exception à la règle. En fait, c'était surtout Nora. Alors, pas de pitié envers cette dinde de Noël fourrée avant l'heure.
Pour la forme, elle redonna deux coups violents contre le bois de la porte et alla chercher ses affaires, ravie d'entendre la rousse à l'intérieur pester contre « cette garce qui faisait peur à voir ». Elle s'empara de son uniforme, de sa trousse de toilette et fit un bref sourire amusé à Théa qui galérait à enfiler sa chemise, avant de retourner vers la petite salle d'eau, dont la porte s'ouvrit à ce moment-là. Derson était vraiment très grande et très mince. Elle avait une crinière d'un roux foncé qu'elle laissait toujours libre sur ses épaules, et qui était aussi raide que des baguettes. Elle avait sur le nez ces petites taches de rousseur que possèdent souvent les gens ayant des cheveux comme les siens. Mais, ses yeux étaient d'un brun profond, presque noir, et le regard qu'elle lui envoyait par-dessous ses longs cils était tout aussi sombre. Elle était magnifique, c'est vrai. Elle ressemblait à un de ces mannequins russes qui ont tout pour eux. Exceptés la sympathie, la compassion, le cœur et l'âme. Ah, et le nom. Pour ça, c'était Nora qui la battait à plate couture. Même si, en fait, la rousse ne le savait pas.
- Ne redis jamais que mes fesses sont grosses.
- Je clame haut et fort ce en quoi je crois, lui répliqua-t-elle d'un ton mielleux.
Derson leva un sourcil méprisant et passa à côté d'elle, en lui donnant un coup d'épaule. Elle lutta pour garder son équilibre et ne pas être déstabilisée. Ce qu'elle réussit à faire, à son plus grand étonnement, elle la maladroite. Puis, sans plus s'attarder, elle entra dans la salle de bain, verrouilla derrière elle et abandonna sa large chemise de nuit bleu roi, pour entrer dans la cabine de douche.
Un quart d'heure plus tard et elle était prête. Ses cheveux bruns étaient démêlés et elle les avait attachés en une queue de cheval négligée, d'où s'échappaient quelques ondulations gênantes. Elle avait passé son uniforme - jupe plissée jusqu'aux genoux, chemise rapidement boutonnée, blazer aux couleurs de sa maison enfilé, hautes chaussettes blanches et mocassins cirés, le truc classique, quoi - et s'était brossé les dents. Elle avait omit de mettre tout maquillage sur son visage, comme habituellement. Elle n'était pas ce genre de fille à vouloir toujours être parfaite, elle était juste elle et ne voulait pas s'appliquer quelque chose comme du fond de teint gras qui finirait par lui donner des rides prématurées. Non, être féminine comme Darson, très peu pour elle. En plus, à quoi croire que ces choses rendaient aigrie, aux vus des nombreuses filles mauvaises qui peuplaient Poudlard et qui étaient tartinées à en étouffer de produits de beauté dont elle ne connaissait même pas le nom. Elle avait toujours eu peur de rester collée à la joue de l'une d'entre elles si elle lui claquait la bise.
Tout est-il qu'elle fut prête en un temps record et qu'elle sortit de la salle de bain pour rejoindre Théa, qui fourrait dans son sac un encrier fermé.
- Je crois que j'ai grossi.
- Dis pas de conneries, Théa.
- Je te jure. Diana m'en a fait la remarque.
Nora lui jeta un regard blasé et accusateur. Elle enviait les formes de Théa. Elle n'était pas grosse, mais elle avait ce qu'il fallait où il fallait et elle n'était pas une de ces filles minces. Le problème, c'est qu'elle l'assumait mal. C'était sans doute les magazines de mode que lui passait Lisa. Là-dedans, ils prônaient une société superficielle basée sur la taille zéro et ça avait tendance à lui monter à la tête. Quant à elle, ce qui avait tendance à l'agacer, c'était les filles de leur dortoir. Théa était douce, franche et amical avec tout le monde. Tout le monde semblait l'apprécier, car si ce n'était pas le cas, c'était que, vraiment, vous étiez difficiles. Le problème, c'était que les filles du genre de Darson ou Lisa Truman ne pouvaient aimer qu'une seule personne : elle-même. Elles ne faisaient que semblant avec elle et Théa ne voyait pas clair dans leur petit jeu, un brin naïve. Elle écoutait tout ce qu'elles lui disaient et elle le prenait pour acquis. Nora avait bien essayé de lui ouvrir les yeux, mais dans ces cas-là, la blondinette la traitait alors d'associable. Et alors elle ne pouvait pas faire grand-chose de plus, même si cela la bouffait de ne pas pouvoir intervenir. Car Théa, depuis le premier jour, avait toujours été là pour elle, veillant sur sa personne un peu dérangée avec la plus grande attention. Elle se détestait de ne pas pouvoir lui rendre la pareille.
Quoi qu'il en soit, elles gardèrent le silence jusqu'à la Grande Salle, préférant toutes deux éviter un sujet qui pourrait vite tourner à l'esclandre.
oOo
- Vous ne pensez pas qu'elle va être vraiment en colère, si vous faîtes ça ?
Sirius eut un sourire carnassier.
- Là est tout l'intérêt de ce plan machiavélique, mon cher Remus.
James approuva avec un vigoureux hochement de tête. Le premier soupira.
- Je voulais dire que c'était peut-être un peu trop poussé.
- Que toutes mes affaires se soient retrouvées colorées en une affreuse teinte verte, affublées de « S » gros comme mon poing n'était peut-être pas poussé ? Cartwight n'a aucune pitié. Alors, moi non plus.
- Tu oublies que, bien avant cette histoire, tu lui as rasé une partie du crâne, alors qu'elle dormait en cours d'histoire de la magie. Je peux comprendre sa colère, répliqua un poil amusé le brun.
- J'ai juste profité de l'absence de sa voisine pour faire d'un rêve de toujours une réalité.
Remus eut un petit rire et allait répondre, lorsque James intervint.
- Les mecs, arrêtez de vous chamailler pour savoir qui de Sirius ou de Cartwight a commencé, elle est juste devant nous.
Tous les regards convergèrent vers les deux filles qui se tenaient devant eux. La silhouette de cette petite peste de Cartwight était facilement reconnaissable. Un petit mètre soixante-cinq, un chignon blond à moitié défait sur le haut de la tête, un air fermé pour une fois, mais des traits qui restaient doux. Pas de doute.
- C'est le moment, Patmol, lui souffla James à l'oreille d'une voix enjouée.
- Attends, c'est qui la brune à côté d'elle ?
- Une amie, elles sont toujours fourrées ensemble.
- Se pourrait-il que Cartwight n'agisse pas seule et qu'elle ait une aide ?
- Maintenant que tu le dis, je crois que c'est elle que j'ai vu sortir de ton dortoir, avec l'autre. Tu sais, juste avant qu'on ne retrouve tes affaires en vert…
Les deux conspirateurs se regardèrent avec un air entendu, qui n'augurait rien de bon. Oui, cette blonde haute comme trois pommes ne pouvait avoir agi avec la moitié de cervelle encore valide qu'elle semblait utiliser pendant les rares cours en commun qu'il avait avec elle. Il lui fallait une seconde partie de cerveau et il y avait fort à parier que son amie n'y était pas non plus pour rien dans leurs mésaventures.
oOo
Alors qu'elles marchaient comme des condamnées à mort, le moral quelque peu soufflé par leur précédente conversation, Nora sentit soudainement une chaleur diffuse dans tout son corps. C'était comme une étincelle se déplaçant dans ses veines, qui courait et se faufilait entre ses organes, touchant ci et là un poumon ou son cœur. C'était comme un feu liquide qu'elle aurait avalé ou du poison qui se serait dissout dans son sang pour l'achever lentement. Étrange. Elle jeta un bref coup d'œil à Théa pour voir si elle aussi avait remarqué cette chose, mais la sensation s'amenuisait déjà, alors elle préféra laisser tomber. Elles passèrent les portes de la Grande Salle et prirent la direction de leur table, lorsqu'une voix les retint.
- Cartwight, attends ! On aurait une question à vous poser, à toi et ton amie.
À ses côtés, Nora sentit la blonde se tendre imperceptiblement et se tourner avec mécanisme vers celui qui lui pourrissait la vie. Pourtant, face à lui, elle arbora immédiatement un sourire qui, si on ne la connaissait pas très bien, semblait tout à fait sincère.
- Tiens, Potter. Black. Que puis-je faire pour vous ?
Potter, celui qui les avait interpellées, s'avança vers une Théa plus raide que jamais, alors que Nora remarqua avec déplaisir que Black s'approchait d'elle. Alors qu'il semblait décider à vouloir encore s'approcher de moins d'un mètre, elle leva une main et le prévint :
- Pour ma propre santé mentale, gardons un périmètre de sécurité, tu seras gentil.
Après toutes ces années, elle gardait une certaine rancœur envers lui. Il l'avait oubliée, mais pas elle. Il était celui qui avait failli foutre en l'air sa tranquillité, tout ce pour quoi elle s'était battue, et il n'avait aucun regret. Il n'en avait rien eu à faire de son malaise, il avait juste continué à brailler son nom et elle avait eu terriblement peur d'avoir fait tout ce chemin avec ses parents pour rien, pour que, dès le premier jour, tout soit révélé. Et alors, elle aurait eu droit aux critiques, aux préjugés et aux lèches-bottes. Non, merci, elle préférait passer son tour.
Le brun hésita un bref instant, puis s'arrêtât, avant de lui servir un sourire charmeur.
- En fait, je voulais te demander quelque chose.
Elle le regarda, l'interrogeant d'un haussement de sourcils. Il garda un instant le silence, ménageant un petit suspense qui semblait lui plaire. Durant ce court laps de temps, elle put ainsi s'apercevoir que tous les regards étaient tournés vers eux. Oh, bon sang, elle détestait ça. Elle allait le tuer. Lentement, si possible.
- Je sais que tu ne me connais pas, mais je me suis dit que tu n'y verrais aucun problème. Je crois que tu es ce genre de filles. Ou tout du moins, tu en as l'apparence. Alors, ne te vexe pas, mais…
Tous les élèves buvaient ses paroles. Parce qu'il parlait fort en plus de ça, le crétin ! Bigre, de quoi donc allait-il lui parler ? Elle ne comprenait rien à son charabia décousu, tant son cœur battait fort dans ses oreilles.
- Est-ce que tu veux coucher avec moi ?
Ses yeux s'écarquillèrent et elle manqua de s'étouffer avec sa propre salive. Sérieusement ? Il était encore plus bas que ce qu'elle ne pensait. Elle le dévisagea, attendant la chute de la blague, qui ne vint pas. Aussi, se mit-elle à rigoler. Cela ne pouvait être qu'une histoire drôle. Pourtant, il semblait attendre une réponse, planté devant elle. Très bien, alors il allait l'avoir sa réponse. Elle le ridiculiserait, lui mettrait le râteau de sa vie devant Poudlard tout entier, si c'était cela qu'il attendait. Car, elle n'était PAS une fille facile. Et il lui semblait encore moins qu'elle en avait le physique. Alors, ce petit prétentieux allait retomber de son balai et avec violence. Car la réponse était claire et nette, sans appel possible. Bien sûr que non. Elle lui servit un large sourire et s'exclama pour que tout le monde entende, en levant les yeux au ciel, comme si sa réponse était une évidence :
- Bien sûr que oui !
Elle se figea, retint son souffle et perdit instantanément son sourire. Rembobinons. Quel était le mot exact qui venait de sortir de sa bouche ? Comment ça « oui » ? Non !
- Je veux dire… Oui !
Mais que lui arrivait-il ? Pourquoi trois petites lettres ne voulaient pas sortir de sa bouche ? Non n'avait pourtant pas une syntaxe très compliquée. N.O.N. Mais, c'était comme si les lettres se déformaient en cours de route, comme si ce mot qu'elle essayait désespérément de sortir se changeait en une autre dans sa gorge, lui laissant un goût amer de non-dit sur la langue. Elle essaya, à nouveau.
- Oui, je…
Elle s'interdit d'aller plus loin et plaqua ses mains contre ses lèvres, hoquetant devant ce qu'il lui arrivait. C'est lorsqu'elle vit le maraudeur ne plus pouvoir retenir son rire qu'elle comprit. Il avait les yeux brillants et son sourire ne pouvait la tromper. Il était à l'origine de tout ce merdier. Mais, il y avait pire. Tout le monde avait entendu. Ils riaient tous très fort, eux aussi, certains sifflant et d'autres tapant sur les tables. Qui aurait pu penser que la très discrète Nora Field était une fille facile, qui craquait comme de nombreuses autres pour le bellâtre qu'était Sirius Black ? Tout lui semblait se passer au ralenti, elle arrivait à discerner distinctement tous les détails de la scène. Elle tourna lentement la tête derrière elle et croisa le regard horrifié de Théa, qui parlait quelques secondes plutôt avec un Potter plus aimable qu'habituellement, qui se tenait pourtant les côtes à l'heure actuelle sous le fou rire qu'il peinait à contenir. Tiens, qu'il se craque une ou deux côtes, si Merlin était de son parti. Malheureusement, puisque son visage continua à n'exprimer qu'un profond amusement, elle se sut abandonnée de tous, même par les divinités.
Une colère sans précédent se mit à gonfler en elle, une rage comme elle en avait rarement eu, qui la fit trembler toute entière. De quel droit se permettait-il de la ridiculiser ainsi ? La gorge nouée, les entrailles serrées, elle sentit les larmes couler sur ses joues, avant même qu'elle ne puisse avoir l'espoir de les retenir. C'était trop. Il fallait qu'il arrête de rire, ou qu'elle sorte de cette salle maudite. Toutefois, elle était comme paralysée. Il lui lança une œillade amusée, sans doute celle de trop, car la gifle partit aussitôt.
