CHAPITRE 1

Chapitre 1

Une cliente charmante

Tsukushi et Yûki sont assises à même le sol dans la chambre de Yûki. Un oreiller plaqué sur sa poitrine, Yûki soupire d'envie.

- Comme tu as de la chance Tsukushi ! Je t'envie, tu sais.

- Hein ?! Le visage de Tsukushi s'arrondit, ses sourcils se dressent en accent circonflexe au-dessus de ses yeux noirs.

- Je parle du F4 ! Dans mon lycée public, aucun garçon ne peut rivaliser avec eux.

Tsukushi émet un curieux couinement étranglé en signe de protestation.

- Attends Yûki, je t'assure que tu fais erreur ! Ces quatre-là n'ont vraiment rien d'extraordinaire…

- Hormis le fait qu'ils sont tous les quatre beaux comme des dieux, et qu'ils sont riches ! Qu'est-ce que je ne donnerais pas pour être à ta place !

Abasourdie, Tsukushi reste coîte. Toutes les humiliations subies à Eïtoku depuis que son chemin a croisé celui du F4 lui reviennent en mémoire. Son amie se trompe, sa vie de lycéenne à Eïtoku n'a vraiment rien d'un comte de fée !

- Ouais, ils ont peut-être l'air beaux, mais ils ne sont pas du tout fréquentables !

- Ah ?

- Oui, tu ne sais pas ce que moi je donnerai pour être à ta place !

Le visage de Tsukushi se ferme, ses mains se crispent sur un pli de sa robe. Yûki demeure silencieuse. Tsukushi est sa meilleure amie, elles se connaissent depuis des années maintenant. La jeune fille sait que derrière l'épaisse armure qu'elle présente au reste du monde et son masque de fierté, Tsukushi cache en elle des trésors de sensibilité.

- Tu sais Tsukushi, je suis sûre que tout finira par s'arranger à Eïtoku. Tout le monde reconnaîtra ton courage et ta valeur !

Le sourire tranquille de la jeune fille réconforte Tsukushi. Yûki si douce et gentille qui a toujours su lui remonter le moral même au cœur des heures les plus sombres. Comme le jour où son père avait appris son licenciement. Yûki avait été la seule à comprendre ce que cela représentait réellement pour Tsukushi : une vie de responsabilité, de dévouement. Une vie de jeune fille sacrifiée ; un enfer. Tsukushi sourit, son premier vrai sourire depuis déjà bien longtemps.

- Merci Yûki…

Les genoux remontés contre sa poitrine, Yûki est rêveuse.

- Dis-moi Tsukushi, où en es-tu avec Hanazawa ? A-t-il décidé de ramasser une mauvaise herbe comme toi ?

- Yûki, qu'est-ce que tu imagines ? Il n'y a strictement rien entre Rui Hanazawa et moi !

- Vraiment ? L'innocence de Yûki confronte Tsukushi à ses propres sentiments.

- Vraiment. Rui Hanazawa est amoureux de Shizuka.

- Shizuka Tôdô, n'est-ce pas ? C'est vrai qu'elle est très belle. Ils doivent former un couple superbe.

Tsukushi hoche la tête en signe d'assentiment. Yûki a raison, Rui Hanazawa et Shizuka forment un couple magnifique. Tsukushi porte distraitement la main à son cœur. La douleur qu'elle ressentait lorsqu'elle était encore amoureuse de Hanazawa, a disparu. Tsukushi est tiraillée entre nostalgie et mélancolie. Avec le temps, Rui Hanazawa lui laissera le souvenir d'un premier amour.

- Mais si tu ne ressens plus rien pour Hanazawa… Es-tu amoureuse de quelqu'un d'autre ?

- Amoureuse ? Alors ça, pas du tout ! Je n'ai pas de temps à perdre avec ce genre de choses…

Yûki éclate de rire.

- C'est vrai que tu n'as jamais été douée pour « ce genre de choses » !

- Ce n'est pas sympa de te moquer de moi !

Tsukushi lance un oreiller en direction du visage de Yûki qui lui en lance un à son tour ; s'ensuit une bataille de polochons pleine de rires des deux jeunes filles. Lorsque enfin, essoufflées, elles se rassoient, Yûki tourne son regard limpide vers Tsukushi.

- Tu sais Tsukushi, moi j'aimerai rencontrer un garçon. Un garçon qui m'aimerait et que j'aimerais tout autant. Un garçon qui me protégerait…

- Je suis sûre que tu rencontreras bientôt le garçon de tes rêves.

- Ce serait bien ! Et j'espère que toi aussi tu rencontreras très bientôt, un garçon qui sera assez fort pour te soutenir et te protéger.

Tsukushi demeure songeuse. Elle n'a jamais compté que sur elle-même. Pourra t-elle accepter un jour que l'on s'occupe d'elle ? Soudain, le visage de Dômiôji lui vient à l'esprit. Le cœur de Tsukushi manque un battement, et elle étouffe un cri d'horreur. Dômiôji ? Il ne manquait plus que ce poulpe ! Pourquoi a-t-elle pensé à lui ? Cet idiot est pourtant tout sauf son chevalier servant. Ah ça non alors ! Pas question ! Tsukushi secoue énergiquement la tête de droite à gauche pour effacer le visage de Dômiôji.

- Euh… Tout va bien Tsukushi ?

- Ah ah ah ! Oui Yûki, je vais très bien ! Allez dépêchons-nous maintenant où nous allons arriver en retard au travail !

- Quelle énergie !

- Eh oui ! Ah ah ah !

- Et dire qu'il nous faut travailler ce week-end alors qu'il fait si beau !

- C'est vrai… Mais bon, je dois supporter ma famille avec l'argent que je gagne à la boutique.

- Mais une ballade en amoureux par un temps pareil serait tellement plus agréable !

Tsukushi ne répond pas. Une pauvre comme elle n'a pas de temps à perdre en bagatelle. Le temps c'est de l'argent. Peu de monde pénètre la boutique de gâteau, et à travers les vitrines étincelantes, elle peut apercevoir les couples ou les groupes d'amis qui passent en riant sans s'arrêter. Elle aussi elle aimerait tant pouvoir marcher dans les rues avec insouciance, sans avoir à penser à l'appartement misérable et minuscule dans lequel elle doit vivre. Sans avoir à penser qu'elle est pauvre, que ses parents sont malheureux et que tous comptent sur elle. Que tout repose sur elle. Puis une vague de fierté la submerge. Oui, elle est pauvre ! Elle n'a pas les moyens de s'acheter les derniers vêtements à la mode ou de partir en vacances à Hawaï. Mais il lui reste ses rêves, ses espoirs. Et un jour, elle quittera Eïtoku et ses parents. Elle trouvera un bon emploi, elle travaillera dur et gagnera assez d'argent pour pouvoir faire et acheter tout ce qui lui plait. Elle y arrivera c'est sûr ! Après tout, elle est une mauvaise herbe que rien ne peut parvenir à écraser pour de bon. Quelles que soient les épreuves qu'elle devra traverser, elle fera face avec la même conviction. Une flamme nouvelle brûle dans les yeux de Tsukushi. Pour l'instant, elle doit travailler dans cette boutique de gâteaux et gagner de l'argent, c'est tout ce qui compte !

- Allez Yûki, courage !

Yûki éclate de rire, l'entrain de Tsukushi est contagieux. Les deux amies échangent des plaisanteries, lorsque enfin, pour la première fois de l'après-midi, la porte de la boutique s'ouvre. Une jeune fille aux longs cheveux raides et châtains apparaît, vêtue de ce qui semble être un coûteux ensemble Channer. Son visage est savamment maquillé ce qui met en valeur ses grands yeux bruns, et des pendants d'oreilles brillent à ses lobes. Yûki et Tsukushi échangent un bref regard. Elles n'ont pas l'habitude de ce genre de clientèle. La jeune fille est très belle et bien sûr ses manières sont distinguées. Quelque chose en elle impressionne les deux amies. Sûrement l'aura d'élégance qui semble flotter en permanence autour d'elle. Cependant, depuis qu'elle est entrée, elle ne leur a pas encore adressé la parole. Elle se contente de regarder le présentoir à la recherche probablement d'une pâtisserie digne d'elle. Bien que la jeune fille soit très belle, son silence pèse à Tsukushi qui se hasarde à lui adresser la parole.

- Bonjour Mademoiselle, puis-je vous venir en aide ?

A l'instant où son regard croise celui de la jeune fille, Tsukushi sait qu'elle a commis une erreur. Le visage de la nouvelle venue se serre dangereusement, une moue de dégoût déforme ses lèvres délicates peintes au crayon.

- Qui vous a permis de m'adresser la parole ? Le ton est sec, les mots détachés. Yûki et Tsukushi n'en reviennent pas.

- Excusez-moi, mais je vous proposais seulement de…

- Quelle grossièreté ! Je ne vous ai pas autorisé à vous adresser à moi, que je sache ! Voilà bien les manières détestables du petit peuple ! Pour la peine, je n'achèterai aucune de ces vilaines pâtisseries !

La patronne de la boutique interpellée par les cris de la jeune fille quitte l'arrière boutique.

- Mais que se passe-t-il donc ici ?

- Ce qui se passe ! Il se passe que vos vendeuses ont des manières déplorables !

- Pardonnez mes vendeuses mademoiselle, quoi qu'elles aient pu faire, ce ne sont pas de méchantes filles !

- Je me moque qu'elles soient des méchantes filles ou non, comment ont-elles pu seulement oser m'adresser la parole alors que ne les y avais pas invité ?

La patronne se tourne alors Tsukushi et Yûki qui assistent stupéfaites à cet échange surréaliste. Elle leur fait signe de ne pas bouger.

- Je comprends mademoiselle, pardonnez leur ignorance. Cela ne se reproduira pas.

- Bien sûr que non ! Autrement je ne remettrai plus jamais les pieds dans cette…boutique !

La jeune fille crache ces derniers mots avec mépris puis regarde avec satisfaction les visages figés de Yûki et Tsukushi. Elle quitte la boutique sans avoir acheté un seul gâteau et en ayant insulté la patronne de la boutique. Une fois que la porte se referme, que la jeune fille disparaît de leur vue, la patronne soupire.

- Eh oui, tous les clients ne sont pas sympathiques et bien élevés ! Bien que cette jeune fille semble avoir bénéficié des meilleurs soins, ses manières sont loin d'êtres admirables. Allez les filles, ne laissez pas ce triste incident vous gâcher le reste de la journée ! Dîtes vous simplement que l'argent ne rend pas les gens plus vertueux…

Le reste de la journée se passe sans autre problème, des clients de tout âge et des deux sexes viennent acheter des gâteaux, et Yûki et Tsukushi finissent même par oublier la jeune fille en costume Channer. Lorsqu'elles finissent enfin leur journée de travail, les deux amies décident de se rendre dans un café avant de rentrer chez elles.

- Ouah ! Tsukushi réprime un bâillement à grand peine. Quelle journée !

- Eh oui ! répond Yûki, encore une journée passée à travailler. Ah ! Tu sais ce que j'aimerais faire ? J'aimerai partir.

- Où ça ?

- Je ne sais pas trop. Mais parfois, comme aujourd'hui, il me vient l'envie de fuir ma vie.

Tsukushi comprend ce que Yûki tente de lui dire. Il lui arrive aussi bien souvent de vouloir fuir sa condition et ce qu'elle est. Si elle avait plus d'argent, serait-elle heureuse ? La jeune fille n'aime pas trop se laisser aller à ce genre de pensées. Elles lui rappellent trop à quel point elle est seule à Eïtoku.

- Allez Yûki, courage ! Nous sommes jeunes, et nous avons encore du temps devant nous. Profitons-en !

- Et si nous sortions ce soir ? Ma sœur serait ravie de nous emmener à Joliana avec elle !

- Et pourquoi pas ? Tsukushi ne se reconnaît pas. Elle a simplement envie de fuir encore un

peu elle aussi la réalité. Elle ne veut pas rentrer chez elle.