Je l'ai aimé au premier regard, la façon dont elle m'a adressé la parole avec tant de calme et de considération, cette allure hors du commun et ces yeux rouges de vie dans lesquels je me suis noyée plus d'une fois. C'était il y a dix ans et pourtant cette sensation d'amour et de bien-être n'a jamais été acceptée et révélée, du moins pour moi. Oui, car deux ans après notre rencontre, elle m'a avoué cet amour « inconvenant » selon elle. L'amour …. Un sentiment qui m'a quitté depuis la mort de mon être le plus cher, ma mère, alors fière de moi et sans aucun remord je me revois ce jour-là lui dire « je ne pourrais jamais t'aimer et te retourner ton amour » et par cette phrase notre amitié et sa personne se sont brisées.

Après cela, rien n'a été pareil, elle a quitté le lycée pour l'université et moi j'ai fini avec plus d'acharnement que je ne pensais être capable ce lieu maudit à mes yeux. Mon objectif : partir loin et ne jamais revenir sur cette terre qui ne m'a amené que tristesse et désolation. Bien sûr, je la voyais presque tous les mois suite à des réunions où nous étions conviées par la main de ma meilleure amie « en souvenir du bon temps » mais rien n'était pareil. Généralement, je ne restais que quelques heures et m'éclipsais en prenant soin d'être loin de ses yeux rouges sang alors brisés par mes mots. Et pourtant, personne ne remarqua le malaise entre nous, feindre l'indifférence à toujours étais sa meilleure arme face aux questions indiscrètes, quant à moi mon caractère solitaire et de glace me laissé loin de tout questionnement.

Mon objectif fut enfin atteint après un an. Mes choix universitaires se sont concentrés vers un même lieu : l'Amérique. Et c'est ainsi que je quittais le Japon pour commencer une nouvelle vie, sans amis, sans attaches, et sans cette femme que j'aimais sans même m'en rendre compte. Je n'ai prévenu personne de mon départ car je voulais en finir avec cette souffrance et ainsi ne pas être retrouvée.

Diplômée, je suis aujourd'hui journaliste et gagne bien ma vie. Alors vous vous demandez pourquoi je repense d'un coup à mon passé, enfin c'est assez régulier pour moi mais pas aussi tenace qu'aujourd'hui, bref je m'égards. La raison, je disais, se trouve sur mon bureau de travail, un magazine sur lequel est inscrit « la firme japonaise FUJINO Family s'implante dans notre pays », avec en couverture l'héritière de cette firme, ma beauté aux yeux rouges sang, Shizuru Fujino.

Non, mon calvaire ne s'arrête pas là. Plus tôt dans la journée je revois mon boss me signaler « je te mets sur la conférence de presse Fujino alors soit ponctuelle cette fois-ci car il me faut l'exclusivité. L'erreur n'est pas acceptable Natsuki ». Alors oui vous pouvez le dire et le penser à voix haute, je suis littéralement dans la merde. Soit je réalise mon travail sans état d'âme en lui parlant comme à une étrangère, par le biais de questions, soit je rentre chez moi et me dirige vers un renvoi par mon boss. Cruel dilemme…. Et pourtant je me sens comme punie par une sorte de châtiment divin, même si je ne crois pas en tous cela, pour avoir fui il y a sept ans. La foudre aurait été une meilleure punition et surtout une excuse pour ne pas assister à cette conférence. Je regarde l'heure qui m'indique que deux heures ont passé depuis que j'ai vu cet article et la seule chose dans mon esprit qui revient en boucle, c'est quelques mots que je n'ai jamais prononcé pour personne et qui tape inlassablement à la porte de mon esprit « je l'aime depuis toujours ».

J'ai eu des relations avec des hommes pour tenter la 'straight attitude ', avec des femmes pour combler ce manque en moi d'une origine inconnue, mais sans succès. Alors depuis trois ans, je vis une vie de célibataire car je me suis rendue compte que l'amour et le sexe ne peuvent pas être segmentés. N'ayant jamais ressenti l'amour, je me suis décidée qu'avoir des rapports sexuels sans amour étaient encore plus difficile voir suicidaire alors j'ai arrêté.

Revenons au présent, de nouveau mon regard émeraude se tourne vers l'horloge me signalant que l'heure est arrivée. Comme un condamné à mort, je me lève, me regarde dans le reflet de la fenêtre et me dirige vers la sortie de mon bureau. Je descends alors de mon building et rejoint mon cameraman déjà prêt et tout excité. Il me lance avec amusement « tu as l'air vidé de toute ton énergie, les nuits sont faîtes pour dormir Kuga. T'as intérêt à retrouver ton énergie car la beauté qui nous attend vaut vraiment le coup d'œil et si on a l'exclusivité je ne veux pas que ta sale tronche de déterré vienne saloper mon travail ». Face à cela, je le regarde et entre dans la voiture. N'ayant pas l'habitude de ma réaction il me regarde incrédule et entre à son tour dans la voiture du côté conducteur. Le trajet se fait dans le silence, mon regard perdu sur la route. Après quelques temps nous arrivons à la conférence de presse, je sors de la voiture sans prendre en compte les cris de mon cameraman me demandant de l'attendre et entre à l'intérieur. Un fois entrée, je me dirige vers la salle de conférence indiquée par des flèches et m'assieds sur la chaise ayant le nom de ma boîte. A partir de là, le temps s'est comme arrêté. Je me souviens juste m'être assurée que mon cameraman était derrière pour filmer et ensuite j'ai comme été déconnectée de la réalité. Je l'ai vu se dirigeant sur la scène derrière le petit écriteau « S. Fujino » et s'asseoir à sa place. Elle n'a pas vraiment changé, l'âge n'est pas son ennemi, bien au contraire. Ses cheveux châtains clairs sont un peu plus courts que dans mon souvenir, ses formes sont plus fermes, sans doute dû à une pratique sportive régulière, mais à part cela, elle est la même. Attendez, il lui manque quelque chose, quelque chose que je remarque en remontant mon observation vers son visage, ses yeux, ils sont toujours aussi rouges, mais pourtant il manque cette lueur d'étincelle dont je me souviens, son regard est comme éteint et en y réfléchissant j'ai déjà vu ce regard, lors de mon refus de son amour, ce regard m'a transpercé mais a vite été masqué, source de sa déception, tristesse et honte. Alors pourquoi ce regard aussi vide Shizuru est aujourd'hui présent sur ton visage ? Je suis sûrement la seule à te connaître aussi bien et à l'avoir remarqué mais celui-ci me replonge dans le passé. J'ai comme une douleur lancinante dans mon estomac. Je ne prête pas attention aux questions des autres journalistes qui te tournent autour comme des requins assoiffés de sang, je remarque juste tes lèvres sans comprendre les mots qui en sortent.

Ce qui devait arriver, arriva, ton regard croise le mien déjà fuyant et perdu. Je me sens alors absorbée et cette douleur qui ne cesse d'augmenter…. Je me lève d'un coup et me retourne, je commence à faire quelques pas vers la sortie sur le regard incrédule de certains de mes confrères. Arrivée à proximité de mon cameraman, il m'attrape par le bras et me secoue « qu'est-ce-que tu fous bon sang ? T'as même pas posé une seule question ! Vas te rasseoir et fais ton job avant que le boss te vire !» et la seule chose que j'arrive à lui répondre, ne me rendant pas compte que cette altercation a fait tourner tous les regards sur nous, c'est « je ne peux pas lui faire face, pas après ce que je lui ai fait » et perdue dans mes pensées je sors de l'immeuble et marche dans la rue direction mon appartement.

Le lendemain, je retourne à mon travail, avec un léger pressentiment c'est la dernière fois que je rentre dans ces locaux. N'ayant même pas passé la porte du building, je me fais assaillir par mon boss « DANS LA SALLE DE CONFERENCE KUGA ! MAINTENANT ». A quoi je m'attendais d'autre ? Mon cameraman a dû signaler mon comportement et l'échec de la conférence, alors oui je le savais que mon boss n'allait pas me louper ! Serais-ce dû au fait que j'ai refusé ses avances à mon arrivée ? Je ne le serais sans doute jamais. Prenant une légère inspiration, sous le regard de certains de mes collègues je m'avance vers ma destination. Je cogne à la porte et entend un « entrez» provenant de l'intérieur. Avant de saisir la poignée j'essaie de trouver un moyen de me tirer de là. En choisissant les bons mots peut-être que…. Non, je n'ai jamais été bonne sur les explications improvisées. J'aurais dû y réfléchir hier soir en rentrant chez moi au lieu de m'affaler sur le sofa avec une bouteille de Vodka à la main….. Nouvelle inspiration, et j'ouvre la porte. Je regarde mon boss assied sur le siège en face de la porte et commence à parler sans savoir où mes mensonges vont m'amener « Avant toute chose bo… Heu monsieur le directeur, je voudrais vous dire que ce n'est pas ma faute…. Enfin si c'est ma faute mais la raison est assez difficile, non … délicate mais ….je suis sûre que si je vous le dis vous ne me croirait pas….ou me virerais encore plus vite que prévu si je ne trouve pas un moyen plus direct de me faire comprendre… je vous prierais de bien vou…. ». Je n'ai pas le temps de finir mes explications, qui d'ailleurs ne ressemblent pas à grand-chose comme je m'y attendais, que mon boss prend la parole « KUGA SILENCE ! » A ceci je ne peux que me recroqueviller sur moi-même et attendre la sentence de mon bourreau. Il me regarde droit dans les yeux et je commence à sentir une goutte de sueur perlée le long de mon dos puis il reprend « C'EST UN TRAVAIL VRAIMENT FANTASTIQUE, JE SUIS FIER DE VOUS AVOIR DANS L'EQUIPE ». Mes jambes me font faux bond et j'ai un mal fou à rester debout. Je m'attendais à tout oui à TOUT et surtout à une phrase du genre « combien de temps vous faut-il pour vider votre bureau ?» mais certainement pas à cela. La seule chose que j'arrive à répondre est « hein ? ». Mon boss me regarde avec un air soucieux puis reprend « j'ai besoin que vous soyez au maximum de vos conditions, je vous charge de suivre Mlle FUJINO durant sa découverte de l'Amérique et lors de ses différents voyages pour avoir un hors-série consacré à sa réussite ». Etant tellement sous le choc je n'ai pas noté la présence d'une tiers personne à l'autre bout de la salle de conférence jusqu'à ce que mon boss reprenne « soyez à la hauteur KUGA, car les présents contrats signalent que seule vous et vous seule suivrait Mlle Fujino et que ceci n'est pas négociable…. N'est-ce pas Mlle ? ». A cette question, je me demande s'il n'a pas totalement disjoncté puis entend une voix qui m'achève de ma transe « c'est exact Monsieur Philli, je ne traiterais qu'avec elle ». Je me retourne alors vers la voix et là je suis comme paralysée. Je n'ai pas remarqué que mon boss a quitté la pièce et que je suis à présent seule avec Shizuru. Je n'ose pas la regarder et reste en admiration sur mes chaussures, seule chose qui me permet de rester droit comme un piquet et de ne pas taper un sprint à l'extérieur de cette pièce. Je suis tellement concentrée que je ne l'entends pas se lever et se diriger vers moi jusqu'à ce qu'elle reprenne la parole et me dit « pourquoi ne peux-tu pas me faire face Natsuki ? Que crois-tu m'avoir fait ? ». Je ne lui réponds pas mais je sens une humidité légère brouillée ma vision et des tâches apparaître sur mes chaussures. Larmes ? Je n'ai jamais pleuré depuis la mort de ma mère et là je ne m'en rends même pas compte et je pleure. Je sens alors sa main relever mon menton et essuyer mes larmes « réponds-moi Natsuki ». Je ne dis toujours rien. Je rassemble le peu de force qui me reste et tourne les talons vers la sortie et là tel un coup de poignard je l'entends me dire « tu fuis encore sans même me donner une explication ». A cela je sens une boule dans ma gorge, brûlante, étouffante mais arrive à faire sortir un semblant de phrase « demain…. Début interview….. Tes coordonnées….. Accueil » et je referme la porte, me dirigeant vers mon bureau pour enfin pleurer toutes les larmes qui n'ont pas coulées depuis mon enfance.

Je suis restée dans mon bureau jusque le début de soirée. Voyant les lumières des lampadaires s'allumer petit à petit dans la rue, je décide qu'il était tant de rentrer chez moi. Sans plus attendre je sors de mon travail, direction mon appartement situé à quatre rues de là. L'avantage d'être proche de son travail c'est d'éviter les embouteillages mais surtout de se lever plus tard le matin. Oui je ne suis toujours pas du matin et pour maintenant ça ne changera plus. Je grimpe les deux étages me séparant de mon appartement et sans plus attendre, retire mon blouson, me dirige vers le réfrigérateur à la recherche de quelque chose de fort, devenu une mauvaise habitude : Vodka. Après avoir entamé la moitié de la bouteille, je me lève, me dirigeant vers la salle de bain. Me faire couler un bain est la seule chose qui pourrait me détendre à faute de ne pas pouvoir arrêter de penser. Je me glisse dans l'eau chaude et émet un soupir de satisfaction. Peu à peu je me détends et commence à somnoler. Ma somnolence m'emmène loin de mon bain, loin de l'Amérique, dans un petit jardin rempli de roses blanches, rouges et roses. Je me vois en version plus jeune, quand j'avais dix-sept ans, je me vois avec une jeune femme en pleure, je la prends dans mes bras et lui susurre des paroles que je me croyais pas capable de dire « je suis là, ne t'en fait pas, je ne te laisserais pas, tu es ma précieuse personne et je t'aime ». La fille dans mes bras semble se calmer et sans savoir pourquoi je passe ma main chaude sur sa joue glacée, puis sur ses lèvres et d'instinct j'approche mes lèvres des siennes tout en gardant ma main sur sa joue. Elle ne bouge pas et se laisse attirer vers moi. Je sens son souffle m'enivrer et ne faire qu'un avec le mien. Nos lèvres restent soudées pendant quelques instants et quand je me décale pour la voir, je fais face à cette fille qui me sourit et me dit « je t'aime Natsuki ». Je vois distinctement son visage, …. Shizuru….

D'un coup un bruit externe me fait sursauter et me fait revenir à moi, mon téléphone fixe…. J'entends le répondeur s'enclencher puis revenant à moi distingue la voix d'une femme « Bonsoir, Mlle Kuga, je vous appelle pour vous signaler que Mlle Fujino vous attend à l'hôtel AMERICA'S Dreams demain à quatorze heures. Présentez-vous à l'accueil avec votre badge pour pouvoir débuter l'interview. Bonne soirée ». Je reviens peu à peu à la réalité, l'eau est maintenant froide et je tremble, mais je ne saurais dire si c'est dû à la température de l'eau, ma somnolence me rappelant mon erreur ou l'énonciation de ce rendez-vous. Je me sens d'un coup vide dans cet appartement. Je me lève, enfile un vêtement et décide de faire quelque chose que je n'ai pas fait depuis bien longtemps. Je sors aux environs de mon appartement, me dirigeant avec ferveur vers un petit local et l'ouvre. Je retire une bâche se trouvant entre moi et mon envie soudaine et commence à chevaucher ma moto et démarre sans même prendre le temps de mettre une combinaison ou un casque. La vitesse, cette même vitesse qui me permettait plus jeune de me vider la tête, je regarde le compteur, 180km/h et pourtant je pense encore, j'évite de peu une voiture mais continue à accélérer vers la rocade, une ligne droite, mon compteur indique alors 230km/h mais toujours pas je n'arrive pas à ne pas penser et d'un coup je me revois à l'âge de seize ans, recouverte d'égratignures et à côté de moi Shizuru me disant avec une voix douce « tu ne devrais pas jouer avec ta vie, certaines personnes seraient tristes de te perdre, alors je t'en prie si tu ne le fais pas pour toi, fais-le pour ces personnes ». Je me souviens qu'à ce moment-là j'ai pensé à mes amis Mai, Nao, Mikoto, Midori et tous les autres mais au final une seule personne pensait réellement ces propos et cette personne était celle en train de me faire la morale, Shizuru. J'évite de peu une voiture roulant à la limite autorisée et arrive à une voie d'arrêt d'urgence pour camion. Je décide alors de piller net me souvenant des propos de ma douce Shizuru. Prenant un temps pour reprendre mes esprits, je décide de retourner à mon appartement et de finir ma bouteille de Vodka sans doute moins dangereuse pour moi.