Warai enleva le casque de ses oreilles, et s'étira sur sa chaise, avant de finalement se lever. Devant lui, son ordinateur projetait encore quelques raies de lumière, qui bientôt disparurent, ne laissant place qu'à une nuit plus noire que les ténèbres.
D'un pas sûr, il se dirigea dans la direction de son lit : L'obscurité ne le gênait pas plus que ça, il connaissait presque par cœur sa chambre. Se jetant à plat ventre sur le lit, il saisit d'une main distraite son Vokit, le passant en mode Radio, puis, sortant les écouteurs intégrés, les enfila, se laissant bercer par le son.
La musique tenait une place majeure dans la vie de Warai : Selon lui, c'était grâce à cette dernière qu'il était encore dans ce monde. Sans elle, il se serait tué depuis bien longtemps.
Warai allait avoir dix-sept ans demain.
Dix-sept. Déjà.
Dans sa tête défilaient des souvenirs de ses années précédentes vécues, souvenirs fugaces, fragiles, qui s'envolaient au sein des pensées perturbées du jeune homme comme de fragiles pétales de fleur que le vent emporte au loin.
Finalement, il ne gardait qu'une seule chose de ces années.
L'impression de ne pas avoir vécu en tant que lui-même.
Le garçon se retourna sur son lit, tout à ses vagabondages.
Sa famille était riche, et il n'avait jamais manqué de rien. Il était l'ainé de trois frères, et ses parents avaient toujours vécus en parfaite harmonie. L'ambiance au sein de la famille était joyeuse, tous semblaient s'aimer, vivre une vie calme et sereine.
Et pourtant, l'impression que quelque chose manquait subsistait.
Les parents de Warai, Christophe et Agnès, étaient des scientifiques renommés à travers le monde. Etudiant les pokémons, ils étaient sans cesse à la recherche de moyens pour améliorer le commun entre ces créatures et les humains. Récemment, ils avaient mis au point de nouveaux appareils qui permettraient les greffes d'organes entre pokémons. Grâce à eux, le domaine médical avait fait un bond en avant considérable.
Le frère cadet, Guillaume, était l'archétype de ce que Warai définissait de "Petit con". Orgueilleux et prétentieux, il ne ratait jamais une occasion de faire les gros bras pour impressionner son entourage, et son pokémon, un Férosinge, n'aidait en rien à améliorer ce trait de caractère.
Le benjamin, enfin, nommé Mathias, était encore un peu petit et ne rêvait donc que de ressembler à ses frères, mais son enfance, un peu trop gâtée sur les bords, l'avait changé en un gosse boudeur, et qui pouvait rapidement piquer des crises de colère si personne n'était d'accord avec lui. Malheureusement, son Marill en faisait fréquemment les frais.
Warai était le seul de la fratrie à ne pas posséder de pokémons. Il avait toujours refusé lorsque cela lui avait été proposé, si bien que ses parents avaient rapidement laissé tomber.
La raison de ce refus était simple : L'orgueil. Warai rêvait de pouvoir impressionner lui-même ses parents, de les rendre fiers de lui.
Chaque jour, il avait joué un rôle qui n'était pas lui : souriant quand il le fallait, se montrant sociable quand il ne le souhaitait pas, il faisait tout pour gagner par lui même l'estime de ses parents, espérant qu'il serait reconnu pour ce qu'il était et non pour les prouesses de son éventuel pokémon.
Et demain, il aurait dix-sept ans.
Jamais ses parents n'avaient accordé la moindre faveur, la moindre souplesse à leur fils. C'était peine perdue. La moindre erreur était punie sans parcimonie, alors que chaque centaine d'action positive n'était couronnée que d'un vague merci, quand encore ce merci était présent.
Alors Warai avait pris sa décision.
Jamais il n'avait vécu sa vie, après tout. Il avait toujours vécu derrière un masque, cachant sa véritable personnalité, jouant sur une scène de théâtre grandeur nature une tragédie sans but.
Le jeune homme se redressa sur sa couche, son visage éclairé par la faible lueur de son Vokit.
Demain, il s'offrirait pour la première fois à lui-même un cadeau d'anniversaire.
Demain, il s'offrirait le droit de vivre sa vie.
A coté de son lit, le sac à dos, qui contenait quelques gâteaux secs, de la viande séchée, et deux ou trois pokéballs vides, attestait de sa décision.
Demain, il s'offrirait le droit de fuguer, et de s'offrir cette vie qu'il n'avait jamais pu avoir...
