Sur les rives du Styx
Partie Une
Harry laissa trainer ses doigts sur la couche de poussière qui recouvrait le dessus du piano, formant quatre lignes parallèles jusqu'à atteindre un bouquet de fleurs séchées. Il regarda distraitement le bout de ses doigts avant de les essuyer sur son jean. Le bouquet devait être au moins aussi vieux que lui, mais il avait un certain charme désuet qui attira son attention. Des fleurs rouge sang étaient alignées contre des épis de blé et d'autres tiges aux bourgeons beiges, carmins et bleu nuit. Harry l'attrapa délicatement, des pétales de roses secs tombant tout de même sur les touches d'ivoire jauni du piano, et le remit dans son vase noir. La poussière lui chatouilla le nez.
Il savait que le piano était toujours accordé, un enchantement le gardant intact, mais il était bien incapable d'en jouer. Il aimait la musique, mais devait avouer manquer de sens artistique. Il se détourna de l'instrument, avisant l'ensemble du vieux salon de la Maison Black, et fourra les mains dans ses poches. Il était certes mieux ici que chez les Dursleys, mais sans Ron et Hermione, le temps était long. Depuis son arrivée une semaine plutôt, il avait passé ses journées à explorer la maison. L'Ordre était désorganisé depuis la mort de Dumbledore et les visites de ses membres se faisaient rares.
Seul dans une maison pleine de souvenirs de son parrain, cœur de la lutte contre Voldemort, Harry alternait entre ennui, colère, tristesse et désespoir. Il n'attendait que Ron et Hermione pour enfin se mettre en action.
Du bruit dans la cuisine attira son attention. Il ne s'agissait pas des habituels râles de Kreature, et cela ne ressemblait pas non plus aux cris d'un oiseau. Quelqu'un semblait s'agiter et faire grincer les chaises en bois contre les dalles de la cuisine. Sortant sa baguette plus par réflexe que par réelle crainte, Harry sortit du salon et longea le couloir pour rejoindre la cuisine, où il trouva un elfe de maison drôlement vêtu d'un assortiment de chaussettes colorées, dont une très large sur la tête, et de ce qui avait l'air d'une petite robe de chambre.
« Dobby ? » Demanda Harry en retirant la chaussette qui couvrait les yeux de l'elfe, qui cessa enfin de foncer dans le pied d'une chaise en bois.
« Harry Potter ! » S'exclama Dobby de sa voix suraigüe en levant ses énormes yeux vers lui.
« Qu'est-ce que tu fais ici ? Comment es-tu entré ? » Fit Harry en rangeant sa baguette. Il tendit la chaussette à Dobby qui la remit sur sa tête, cette fois-ci la laissant au dessus de ses oreilles.
« Dobby est en mission, Harry Potter ! »
Harry haussa les sourcils avec étonnement, et s'assit sur la chaise dans laquelle l'elfe avait foncé.
« En mission ? Pour qui ? »
« Le professeur Dumbledore, Harry Potter ! »
« Dobby, Dumbledore est … »
« Oui, Harry Potter, Dobby sait … » Fit tristement l'elfe en baissant la tête, crispant le poing autour d'un petit paquet qu'Harry venait seulement de remarquer.
« Dobby rend quand même service au Professeur Dumbledore, et est venu porter ceci à Harry Potter. » Expliqua-t-il en tendant le paquet.
Harry le prit rapidement, et le posa sur la table pour en retirer la ficelle pendant que Dobby grimpait difficilement sur une chaise. Se pouvait-il que Dumbledore ait préparé des instructions à confier à Harry après sa mort ? Peut-être y avait-il des informations sur les Horcruxes ?
Le paquet déballé révéla une petite boîte en bois gravé de feuilles de vigne. Contre toute prudence, Harry l'ouvrit prestement, et découvrit une enveloppe lui étant adressée. L'écriture était familière, mais ce n'était pas celle de Dumbledore. Lorsqu'il la souleva, il vit en dessous une série de petites fioles déposées dans l'écrin de velours noir de la boîte, qui devaient chacune contenir un souvenir. Six en tout.
« Il me faut une Pensine. » Réfléchit Harry à voix haute, hésitant à appeler Kreature.
« Dobby peut la chercher, Harry Potter ! » Fit le petit elfe à côté de lui.
Harry lui jeta un coup d'œil, l'enveloppe toujours en main.
« Elle est dans la vitrine du salon, la porte de gauche du couloir, juste avant l'entrée. »
Dobby hocha la tête et sauta de la chaise, dérapant sur le sol de la cuisine.
« Dobby y va ! »
Pendant que l'elfe s'éloignait d'un pas vif, Harry retourna son attention vers l'enveloppe. Il la retourna, pour constater que le sceau était celui d'Poudlard. Le cœur battant, il le brisa et ouvrit l'enveloppe, en retirant un parchemin qu'il déplia rapidement.
Snape. L'écriture était celle de Snape.
La réalisation coupa le souffle d'Harry, qui éloigna le parchemin de lui avec un frisson de panique. Mais en la voyant trembler entre ses doigts, il se sentit stupide d'être effrayé par un bout de papier et sentit une colère familière l'envahir. Il rapprocha la lettre et lut avec une haine cuisante les mots de celui qui avait tué son mentor.
« Potter,
Le temps presse et je n'ai que ces souvenirs pour vous convaincre. Regardez-les dans l'ordre, de gauche à droite, et vous comprendrez ma demande suivante.
J'ai besoin de trois accès au quartier général : pour Poppy Pomfrey, Draco Malfoy et moi-même, le plus rapidement possible. Confiez-les par écrit à Dobby.
Je vous en supplie, Potter.
S. »
En lisant ces mots, Harry passa par une multitude d'émotions, de la fureur à l'indignation, du soupçon à l'incrédulité. Comment osait-il ? Comment pouvait-il croire qu'Harry ferait quoi que ce soit pour lui ? Et pire, lui donner l'accès à l'Ordre ? Et à Malfoy ? Pourquoi Pomfrey ?
Le plus étonnant était sans doute la dernière phrase. Snape le suppliant était tellement hors du commun qu'il doutait que ce fut réellement lui l'auteur de cette lettre.
Harry entendit les pas de Dobby se rapprocher de la cuisine, mais son esprit était trop chaotique pour qu'il prête attention. Devait-il vraiment regarder ces souvenirs ? Cela pouvait-il être dangereux ? Il y avait peut-être une chance pour qu'Harry apprenne quelque chose de décisif sur Voldemort, que Snape l'ait voulu ou pas importait peu.
Un bruit de métal le ramena au présent alors que Dobby déposait la pensine sur la table.
« Voilà, Harry Potter. »
« Merci Dobby. » Dit rapidement Harry en posant la lettre. « C'est Snape qui t'envoie ? »
« Oui Harry Potter. » Acquiesça l'elfe avec un air grave.
« Tu m'as dit que c'était Dumbledore ! »
« Dobby rend service au Professeur Dumbledore en aidant Severus Snape. » Expliqua Dobby en battant des paupières.
« Dumbledore te l'a demandé ? Il t'a demandé d'aider Snape ? » S'étonna Harry, furieux de constater encore à quel point l'ancien directeur d'Poudlard avait pu faire confiance à son meurtrier.
« Oui Harry Potter. » Répéta Dobby en hochant la tête, faisant gigoter sa chaussette.
Harry se tut, baissant les yeux vers les fioles, puis vers la lettre. Il souffla par le nez. Il se sentait coupable envers Dumbledore d'envisager de regarder ces souvenirs. Mais il savait au fond de lui qu'il le fallait. Qu'il le ferait un jour ou l'autre.
Pris d'une impulsion, il tendit le bras pour attraper la Pensine sous les gros yeux globuleux de Dobby, et la déposa devant lui. Il prit la première fiole dans la boîte, observant le liquide bleu et argent remuer faiblement. Il en retira le bouchon de liège et regarda s'écouler le souvenir dans la pensine, provoquant des remous blanc argenté sous la surface.
Harry inspira profondément et plongea.
Le lendemain, en début d'après-midi, Severus Snape retourna à l'Ordre du Phoenix.
La porte d'entrée se referma violemment, et le temps qu'Harry sorte de la cuisine, Snape entrait déjà dans le salon. Il eut juste le temps de voir l'habituel tourbillon de robes noires avant qu'il ne disparaisse à l'intérieur de la pièce. Harry se précipita à sa suite, et le retrouva en train de déposer ce qui devait être Draco Malfoy sur le lit sommaire qu'il avait préparé dans la matinée.
« Et Madame Pomfrey ? » Demanda Harry, remarquant son absence, sans même prendre la peine de saluer Snape. Celui-ci se redressa et se débarrassa rapidement de sa robe en répondant.
« Si tout va bien, elle est en route. »
C'était étrange d'entendre à nouveau la voix grave du professeur qu'il avait le plus haï. Presque autant que de le voir retrousser les manches de sa chemise blanche, exposant sa marque des ténèbres, avant de s'accroupir avec la baguette à la main.
« Draco. » Appela-t-il, alors qu'Harry s'approchait. Ce qu'il vit le choqua presque autant que les souvenirs qu'il avait vu la veille.
Si Malfoy avait eu l'air malade l'année précédente, il était à présent dans un tel état qu'il en était méconnaissable. Cela ne faisait pourtant que quelques mois qu'il l'avait vu s'échapper avec Snape après la mort de Dumbledore.
Son teint était aussi pâle que les draps blancs du matelas, mais il y avait dans son teint une couleur verdâtre, morbide. Ses cheveux n'avaient pas dû voir de peigne depuis quelques temps, et ils collaient à son front, ses tempes et son cou humides de transpiration. Il ouvrit un œil vitreux, émettant un râle en le refermant alors que son corps entier semblait se crisper brutalement. Il eut l'air de tenter de se recroqueviller sur lui-même, mais Snape l'en empêcha en lui tenant une épaule. Son visage était tordu par la douleur.
« Je … Je peux faire quelque chose ? » Demanda Harry, la gorge nouée et le cœur au bord des lèvres. Il avait beau ne pas aimer Malfoy, il ne souhaiterait pas à son pire ennemi de vivre ce qu'il venait de traverser. Ce qui était impossible de toute manière, puisque son pire ennemi en était justement l'auteur.
Snape sembla l'ignorer, occupé à faire disparaître la robe de Malfoy d'un coup de baguette, révélant un corps tremblant couvert d'une de ces longues tuniques qu'affectionnent les sorciers pour dormir. Si la situation avait été différente, Harry aurait sans doute éclaté de rire à cette vue. Sauf que le vêtement avait l'air tâché de ce qui ne pouvait être que du sang. Il déglutit.
« Des couvertures. » Fit finalement Snape en passant sa baguette au dessus de Malfoy. En se précipitant vers un coin de la pièce, Harry l'entendit murmurer des incantations. Il récupéra le tas de couvertures qu'il avait préparé, et l'amena près du lit alors que la porte de la maison s'ouvrait pour la deuxième fois de la journée.
Sans attendre, Madame Pomfrey entra dans le salon, une mallette de médecin à la main et un air paniqué au visage.
« Severus. Comment va-t-il ? » Demanda-t-elle tout de suite, ignorant elle-aussi Harry. Malfoy grogna, ses sourcils blonds se fronçant avec douleur au-dessus de ses yeux clos. Son corps entier sembla être pris d'une crampe, et son pied nu tapa le tas de couverture qu'Harry tenait.
« Mal. Visiblement. » Répondit Snape avec exaspération et un soupçon de désespoir. Il posa sa baguette et tendit son bras tatoué de la marque de Voldemort vers Harry pour lui arracher les couvertures des mains. Il en déposa une sur le haut du corps de Malfoy pendant que Madame Pomfrey déposait sa mallette dans un cliquetis de fioles et d'instruments. Harry frémit, avant d'observer, hébété, des larmes perler au coin des yeux de Malfoy et disparaître dans ses cheveux alors qu'il se mettait à gémir comme une bête blessée.
« Potter, dehors. » Fit sèchement Snape.
Harry lui offrit un regard ahuri.
« Vous croyez franchement que je peux encore être choqué après ce que j'ai vu hier ? » Demanda-t-il, sincèrement étonné. Un côté très immature de son esprit n'aimait pas non plus être traité comme une gêne dans sa propre maison.
« Monsieur Potter, sortez s'il vous plaît. » Demanda fermement Madame Pomfrey, son front plissé par l'anxiété. « Vous ne pouvez pas nous aider, vous allez nous gêner. »
Harry capitula avec un léger soupir, avant de regarder à nouveau Malfoy. Celui-ci le fixait d'un œil rougi par les larmes, le regard embué, vide. Sa paupière se referma à nouveau alors qu'il serrait la mâchoire. Son corps fut agité d'un sursaut et il porta ses mains à son ventre en tournant la tête vers le côté. Entre ses doigts crispés, Harry pouvait voir un début de rondeur qui lui souleva le cœur.
Il sortit de la pièce et ferma la porte, les grognements et gémissements de Malfoy aux oreilles.
Bien qu'il paraisse plus raisonnable de retourner attendre dans la cuisine, il s'arrêta à l'entrée de la pièce. Il la fixa sans la voir, ses yeux passant sur la théière et la cafetière qui trônaient encore sur la table avec leurs tasses respectives. Harry avait passé une partie de la nuit et la majorité de sa journée dans la cuisine, quand, incapable de s'endormir après avoir vu les souvenirs de Snape, il avait décidé de l'attendre au rez-de-chaussée. Le choc et l'horreur lui avaient fait vomir le peu qu'il avait mangé dans la journée, et il n'avait été capable que de boire du thé et du café depuis. Il sentait ses membres trembler légèrement, mais il n'aurait su dire s'il s'agissait de l'effet de la caféine ou de l'angoisse. Harry posa les mains sur ses bras opposés, comme pour retenir la masse de panique et de tristesse qui menaçaient de déborder. Il se força à souffler, tremblant, et fit demi-tour dans le couloir. Il s'assit en face de la porte du salon, les genoux remontés, et posa son front dessus en entourant ses jambes de ses bras.
Il resta là un long moment, écoutant les voix étouffées de l'autre côté de la porte, les gémissements de Malfoy. Il l'entendit demander une potion anti-douleur, mais si ses cris de souffrances étaient une indication, il n'avait pas dû en obtenir, ou bien elle n'avait pas fonctionné. Harry se sentait pris d'une envie incontrôlable de pleurer, et malgré ses dents serrées, son corps fut soulevé d'un sanglot plus violent que ceux qui l'avaient secoué depuis la veille. Lorsqu'il avait écrit trois fois l'adresse du quartier général, il s'était à peine rendu compte qu'il pleurait. Il avait essayé de retenir les larmes qui étaient venues ensuite, pendant la nuit et la journée, mais il était à présent tellement épuisé qu'il se laissa enfin aller.
Personne ne pouvait l'entendre de toute façon.
Un cri particulièrement déchirant de Malfoy lui fit lever son visage rouge et baignant de larmes. De longues minutes s'étaient écoulées depuis qu'il s'était assis là, peut-être même une heure. La voix de Snape se fit plus forte, mais Harry n'eut pas le temps d'enregistrer ce qu'il disait. Une violente douleur au niveau de sa cicatrice sembla lui ouvrir le crâne en deux. Aveuglé par la souffrance, il essaya de se lever, mais ne réussit qu'à se rouler en boule contre le mur, ses propres gémissements étrangers à ses oreilles jusqu'à ce qu'il s'évanouisse.
Les images se succédaient dans son esprit, des flashs sans lien entre eux.
Sa mère, petite fille, s'envolant après avoir sauté de sa balançoire.
« Tu es … Tu es une sorcière.» Chuchotait un jeune Snape.
« —Si vous allez à Gryffondor, vous rejoindrez les courageux ! » S'exclama son père.
« Tu lui plais, tu lui plais, à James Potter ! » Snape encore.
Le visage de sa mère, décomposé, en entendant son ami la traiter de Sang-de-Bourbe.
« Mettez-la… mettez-les… à l'abri. S'il vous plaît. » Plaidait Snape à Dumbledore.
« Si vous aimiez Lily Evans, si vous l'aimiez vraiment, la voie qui s'offre à vous est toute tracée. » Disait Dumbledore d'une voix sombre, le visage dévasté.
« Si seulement vous m'aviez appelé un peu plus tôt, j'aurais pu faire davantage, vous gagner un peu plus de temps ! » Criait Snape au Directeur d'Poudlard avec colère pendant que celui-ci regardait sa main noircie.
« Le Seigneur des Ténèbres ne s'attend pas à ce que Draco réussisse. Il s'agit d'un simple châtiment destiné à punir les récents insuccès de Lucius. Une torture lente pour que ses parents voient Draco échouer et en payer le prix. » Snape, toujours.
« En résumé, ce garçon est condamné à mort aussi surement que moi. » Dumbledore, à présent.
« Une partie de Lord Voldemort vit ainsi à l'intérieur de Harry. »
« Alors, ce garçon… ce garçon doit mourir ? »
« Que j'ai espionné pour vous, menti pour vous, que j'ai couru des dangers mortels pour vous. Tout cela devait assurer la sécurité du fils de Lily Potter. Et maintenant, vous m'annoncez que vous l'avez élevé comme un porc destiné à l'abattoir… »
Snape agitant sa baguette pour en faire sortir son patronus, une biche.
Malfoy regardant avec terreur Voldemort lever sa baguette vers Charity Burbage, le Professeur d'étude des Moldus.
Snape aidant un Malfoy blanc comme un linge à retourner à sa chambre.
« Lucius … J'ai besoin d'un sacrifice et de Draco. Maintenant. » Faisait Voldemort en caressant son serpent.
Malfoy tentant de s'enfoncer dans les ombres de la salle à manger avant que Voldemort ne lui lance un imperium.
« Ton propre fils ! » Hurlait Snape à Lucius Malfoy, l'attrapant par le col de sa robe.
Le visage pétrifié de Snape alors qu'il entendait les hurlements de Draco.
« Pourquoi Draco, Maître ? Pourquoi pas moi ? » Geignait Bellatrix Lestrange. « J'aurais pu vous donner un fils beaucoup plus facilement ! »
Le regard vitreux de Malfoy alors que Snape essayait de lui parler.
Voldemort faisant tourner son vin dans son verre.
« Délicieux, Lucius, délicieux … Ton fils, bien sûr. »
Malfoy essayant en vain d'ouvrir d'un sort la fenêtre de sa chambre, avant de s'y attaquer à coup de poings en hurlant, Snape se précipitant vers lui pour l'en empêcher.
« Sortez-le de là. Mais n'oubliez pas, Severus, vous devez protéger Poudlard. » Faisait gravement le portrait de Dumbledore.
Snape se détournant d'une Narcissa Malfoy à l'air absent.
« Cet enfant pourrait nous être utile. » La voix de Dumbledore.
« Vous êtes mort, Dumbledore ! » Hurlait Snape. « Et vous ne pourrez pas en faire un autre Harry Potter, un autre sacrifice ! »
Snape fixant les yeux rougit de Malfoy, fouillant son esprit avant de prendre la parole. « Sois patient. »
Malfoy hochant la tête avant de se recroqueviller dans son lit.
« Lucius … J'ai besoin d'un sacrifice et de Draco. Maintenant. »
Harry se réveilla soudainement et s'assit en ouvrant les yeux.
« Un Horcruxe ! » S'exclama-t-il, agrippant les draps, avant de prendre une grande inspiration.
« Baissez d'un ton, Potter. » Chuchota la voix agacée de Snape.
Harry cligna des yeux, respirant difficilement. La pièce était plongée dans l'obscurité, il n'arrivait pas à déterminer où il était.
« Vos lunettes sont sous votre oreiller. »
Il se tourna brutalement pour les en extirper et les posa sur son nez, les mains tremblantes. Il était dans le salon, dans un lit contre un mur, à droite de celui où gisait toujours Malfoy.
« Snape. » Fit-il en tournant les yeux vers lui. « Le bébé, c'est un Horcruxe. »
Le professeur de potion soupira depuis le fauteuil près de la fenêtre aux rideaux tirés où il s'était installé. Une lampe éclairait ce coin de la pièce d'une lumière jaunâtre qui lui donnait l'air malade.
« Était … » Fit-il doucement, comme avec douleur. « Je le soupçonnais d'en avoir créé mais … » Il se pinça l'arrête du nez en fermant les yeux.
Harry déglutit, dérangé par l'attitude atypique de son professeur, mais surtout à l'idée de ce que Malfoy avait dû traverser. Il tourna les yeux vers lui, notant sa respiration régulière. Il ne pouvait pas bien le voir, sans lumière.
« Comment va-t-il ? » Demanda-t-il difficilement.
Il ne vit pas Snape hausser les épaules, mais l'entendit soupirer. Il le regarda à nouveau.
« Il faudra attendre qu'il se réveille pour le savoir. Mais j'ai peur de ne pas en avoir le temps. » Il désigna le piano. « Si je dois partir avant que ça n'arrive, donnez-lui cette boîte. »
Harry regarda dans la direction indiquée et réussit à distinguer une petite boîte posée au dessus de l'instrument.
« Des souvenirs ? Les mêmes ? » Demanda-t-il avec surprise, réussissant néanmoins à garder la voix basse.
« Bien sûr que non, imbécile. » Fit sèchement Snape.
Harry lui jeta un regard noir. Son professeur souffla, et étrangement, baissa les yeux.
« Potter. » Fit-il après un silence, relevant la tête. « Merci. »
Harry laissa le mot monter à son cerveau pendant quelques secondes, presque choqué. Puis il hocha doucement la tête avant de tourner de nouveau les yeux vers Malfoy.
A présent qu'il était habitué à l'obscurité, il pouvait voir une partie de son visage. Il n'avait pas exactement l'air détendu, mais il ne semblait pas souffrir. Il avait dû finir par obtenir sa potion anti-douleur. Sur son bras droit, il pouvait voir distinctement la marque des ténèbres, d'un noir d'encre sur sa peau blanche. La mâchoire d'Harry se crispa légèrement.
« Il ne voulait pas vraiment devenir Mangemort, pas vrai ? » Demanda-t-il doucement, sans la quitter des yeux.
« Ce qu'il voulait ou pas n'est jamais entré en ligne de compte, Potter. Contrairement à moi, il n'a pas eu le choix. » Répondit Snape d'un ton las.
« A cause de son père … » Ce qui aurait dû être une question était en fait une affirmation. Les souvenirs de Snape à propos de ses discussions avec Dumbledore avaient été assez clairs pour qu'Harry comprenne que Lucius Malfoy et Voldemort n'avait jamais laissé aucun choix à Malfoy.
L'horreur de toute la situation le frappa à nouveau, plus fort encore maintenant qu'il avait compris ce que Voldemort avait fait à Draco. Son souffle se bloqua dans sa poitrine, et il posa une nouvelle fois son front sur ses genoux, les mains crispant ses chevilles à travers les draps. Il l'avait violé, l'avait forcé à porter un enfant Horcruxe, une part de son âme sous forme humaine. Déglutissant pour s'empêcher de pleurer à nouveau, Harry savait qu'il était inutile de rechercher une raison à cette folie. Voldemort avait tué, torturé, mais en voyant les souvenirs de Snape, Harry avait réellement compris à quel point il était malfaisant. Les images du petit garçon malheureux à l'orphelinat disparurent. Il n'eut plus aucune pitié pour la créature que Tom Jedusor était devenue.
« C'est le bébé qui le rendait malade ? » Demanda Harry, sans bouger.
« Oui. Je pensais d'abord que c'était parce que la magie de Draco avait été bloquée, mais … Si c'était un horcruxe, alors ça explique ses symptômes. » Répondit Snape. Malgré sa voix calme, Harry pouvait entendre qu'il essayait de se maîtriser. Il était sans doute aussi horrifié que lui.
« Pourquoi est-ce que le bébé est mort ? Vous l'avez tué ? » Ses propres mots le choquèrent.
« Potter. » Fit sèchement Snape, visiblement secoué lui aussi. « Bien sûr que non. »
« Pourquoi pas ? C'était une partie de l'âme de Voldemort. »
« Ce que j'ignorais. Et Draco aussi. »
Harry releva la tête, le visage décomposé, mais avant qu'il ne puisse dire un mot, Snape lui fit signe de se taire en désignant Malfoy. Il le vit poser un sort d'alarme sur lui, qui le préviendrait au cas où il se réveillerait, et se lever. Harry l'imita, et ils sortirent en silence du salon.
La porte à peine fermée, il reprit la parole.
« Vous voulez dire que Malfoy voulait le garder ?! » Fit-il, horrifié, en suivant Snape jusqu'à la cuisine. Il cligna des yeux, agressé par la lumière du jour qui filtrait par les fenêtres. C'était encore le milieu de l'après-midi, pas le soir comme Harry l'avait cru.
« Six ans dans le monde sorcier et vous réfléchissez toujours comme un moldu, Potter. » Répondit Snape avec agacement en se dirigeant vers la bouilloire toujours posée sur la plaque de gaz. Il la remplit d'un sort et la mit en marche.
« Draco est un sorcier, ces choses ne fonctionnent pas de la même façon que chez les femmes. »
« Hier encore je ne savais même pas que c'était possible… » Soupira Harry avec un frisson, s'installant en bout de table et écartant de la vaisselle pour pouvoir croiser les bras dessus.
Snape lui jeta un coup d'œil dubitatif, puis poussa un soupir en s'asseyant lui aussi, laissant l'angle de la table entre Harry et lui.
« Et je suppose qu'il en est de même pour beaucoup de sorciers issus de familles moldues … C'est un point qu'il faudra aborder à Poudlard, une fois la guerre terminée. » Marmonna Snape presque pour lui-même. « Quoiqu'il en soit, Draco semblait persuadé que l'enfant ne survivrait pas. Et lui non plus … J'avais la même crainte … » Termina-t-il en fixant un nœud de bois de la table, pendant que la bouilloire se mettait à siffler. Il agita sa baguette en silence et du thé se prépara sous leurs yeux.
Harry ne sut plus quoi dire pendant un long moment, et regarda Snape faire tourner sa cuillère dans sa tasse.
Après quelques minutes, il secoua la tête et soupira.
« Est-ce qu'il va retrouver sa magie ? »
« Oui, je lui ai lancé le contre-sort. Ça devrait l'aider à se remettre. Poppy s'en assurera. »
Harry hocha la tête. Il avait du mal à imaginer Malfoy sans magie, et était certain que son rival ne supporterait pas de vivre comme un moldu.
« Et … Et maintenant, qu'est-ce qu'on fait ? »
Snape but une gorgée de son thé.
« Draco va devoir rester ici. Il ne peut pas retourner à Poudlard. » Il fixa Harry, semblant chercher à évaluer sa réaction. Le Gryffondor fronça les sourcils.
« Vous allez continuer à espionner Voldemort ? »
« Autant que possible. Je vais effacer ma mémoire des événements d'aujourd'hui et la remplacer par des souvenirs sans importance que j'ai déjà rassemblés. Nul doute qu'Il cherchera qui a aidé Draco à s'échapper. »
« Et vous allez effacer la sienne ? »
Snape eut une légère grimace, et soupira à nouveau.
« Non. » Il serra les dents. « Si je le fais, Draco ne se souviendra pas pourquoi il est ici et pas au manoir avec ses parents. Il sera un danger pour l'Ordre et pour lui-même. »
Harry hocha doucement la tête, comprenant parfaitement à quel point cela pouvait déranger Snape de ne pas effacer les souvenirs horribles que devait avoir Malfoy. Néanmoins, ils ne pouvaient pas prendre ce risque.
Snape termina sa tasse de thé et s'en servit une deuxième, alors qu'Harry n'avait même pas touché à la sienne. Il était trop occupé à tenter de faire le vide dans sa tête, à échapper aux souvenirs de Snape et ce qu'ils signifiaient. Mais après de longues minutes, il se rendit compte qu'il tournait une seule et même question dans sa tête. La poser à voix haute était encore plus difficile que d'y penser.
« Professeur Snape … » Commença-t-il sans le regarder. « Est-ce que … Est-ce que je vais vraiment devoir mourir ? »
Snape ne répondit pas tout de suite. Le silence s'étira entre eux, douloureux, et Harry sentit une irrésistible envie de pleurer lui piquer le nez. Il n'avait jamais autant versé de larmes que ces deux derniers jours.
Finalement, son professeur de Potions soupira une nouvelle fois, les mains autour de sa tasse brûlante.
« C'est ce que Dumbledore avait l'air de penser … »
« Parce que je suis un Horcruxe ? »
« Vous n'en êtes pas un. » Fit Snape presque sèchement. « Une partie de l'âme de Voldemort se serait logée en vous lorsqu'il a essayé de vous tuer. Ce n'est pas la même chose. Vous êtes et avez toujours été Harry Potter. Pas une création de Voldemort. »
Harry réprima difficilement un frisson, baissant la tête vers ses mains aux doigts entrelacés. Le sous-entendu de Snape était limpide. Il parlait du bébé de Malfoy.
« Et pour la détruire, et le faire disparaître définitivement, il faudrait que je meurs. » Résuma-t-il à voix basse, la portée de ses mots refusant de s'insinuer complètement dans son esprit.
Snape ne répondit pas.
Harry ferma le robinet lorsque la vaisselle fut enfin entièrement nettoyée. Il soupira, le ventre contre le bord du plan de travail, ses mains tremblantes crispées de part et d'autre de l'évier. Kreature marmonnait des insanités dans son placard, remplissant l'angoissant silence de la maison de grincements désagréables. Harry souffla, la tête baissée, puis inspira profondément. Son corps était toujours pris de tressaillements d'horreur et son cœur était prisonnier d'un étau de douleur. Il avait beau tenter de s'occuper, rien ne parvenait à détourner son esprit du garçon étendu dans son salon. Seules les activités manuelles, comme faire le ménage (d'une façon bien plus efficace que Kreature) étaient productives. Il n'arrivait pas à se concentrer sur une activité intellectuelle. Son cerveau ne parvenait pas à s'extirper du chaos qu'étaient ses pensées.
Harry déglutit. Son cœur était constamment au bord de ses lèvres, et sa nuque se crispa alors qu'il carrait les épaules pour tenter de contrer sa nausée. Si lui, qui n'avait été que spectateur de toute cette horreur, se sentait aussi mal, il ne pouvait qu'espérer que Draco ne se réveille jamais.
Il n'avait pu fermer l'œil de la nuit. Il n'était pas capable de rester allongé plus de quelques minutes, son corps épuisé était trop agité, son esprit trop angoissé et révulsé.
Il souffla une nouvelle fois avant de se décoller du plan de travail, faisant lentement volte-face pour tirer une chaise. Ses cuisses étaient agitées de brefs sursauts, ses genoux étaient faibles, mais il n'avait pas envie de s'asseoir. Il s'essuya les mains sur son jeans trop large et remit la chaise sous la table. Il se mordit la lèvre inférieure, arrachant un petit bout de peau avec ses dents en fixant le vide. Sa main droite monta lentement jusqu'à sa cicatrice, son index l'effleurant comme avec crainte. Là-dedans, sous sa peau, quelque part dans son crâne, un morceau de l'âme répugnante de Voldemort avait fait son nid. Son ongle caressa la peau chaude de son front, et Harry serra la mâchoire en tentant de repousser l'irrésistible envie d'arracher sa propre peau pour la forcer à sortir. Il laissa retomber sa main, la crispant en un poing et sentit un nouveau haut-le-cœur l'assaillir.
Refusant d'écouter la douleur psychologique envahir son corps jusqu'à le rendre malade, Harry se mit en marche. Il sortit de la cuisine d'un pas mal assuré, et avança jusqu'à la porte du salon. Il pinça les lèvres avec hésitation puis posa sa main sur la poignée. Il la tourna doucement et ouvrit la porte. Il entra dans la pièce, avisant avec angoisse la forme étendue dans le modeste lit de camp. A pas de loup, il marcha jusqu'au vieux fauteuil poussiéreux à côté du lit, et s'installa doucement dedans, gardant les yeux rivés sur les paupières fermées de Draco.
Celui-ci avait toujours cette blancheur maladive qu'il arborait depuis presque un an, mais il avait perdu l'aspect cadavérique qu'Harry avait pu constater la veille. Ne plus porter d'Horcruxe semblait lui faire du bien. Le Gryffondor se demanda distraitement ce que Snape et Pomfrey avaient bien pu faire du bébé.
Draco n'avait l'air ni détendu ni agité. Il gisait dans les draps blancs avec une expression grave, les bras visibles le long de son corps. La marque des ténèbres ondulait, menaçante, sur la peau d'albâtre. Harry la percevait comme il voyait sa cicatrice à présent. Comme un souvenir répugnant, l'horrible cadeau qu'une créature démente leur avait offert, les marquant pour toujours. A côté de son poignet, et ainsi de profil, Harry pouvait distinctement voir la légère rondeur du ventre de Draco. Il détourna le regard avec un nouveau haut-le-cœur.
En regardant à nouveau son visage, Harry fut frappé par le souvenir de la fin d'un match de Quiddich où Draco s'était avancé vers lui avec la fureur d'un mauvais perdant. Ses cheveux étaient aussi désordonnés et sales qu'aujourd'hui. Le match avait été long et difficile, une fine pluie avait été entraînée par un vent glacial et Harry ne devait pas avoir l'air plus propre que Malfoy. Ce dernier avait une trace de boue sur la joue, et Harry se souvint l'avoir vu parler rageusement sans l'entendre. Il avait été choqué de voir le Serpentard dans un tel état, lui qui semblait d'habitude passer son temps à se recoiffer et à ajuster sa robe hors de prix. Il n'avait absolument rien écouté de ce qu'il lui criait, notant juste les muscles crispés de son cou, la boue, l'aspect terne et fou de ses cheveux et l'éclair furieux dans ses yeux.
« D'accord. » avait répondu Harry d'une voix neutre avant de se détourner de lui. Il avait ensuite célébré la victoire de Gryffondor et n'avait plus pensé à ce moment jusqu'à aujourd'hui.
Draco avait changé depuis, comme eux-tous. Il avait grandi, son visage pointu avait adopté la fermeté de l'âge adulte. Les contours de sa mâchoire étaient plus visibles maintenant que ses joues avaient perdu de leur rondeur d'enfance. Ses pommettes hautes et ses fins sourcils blonds étaient les seuls éléments qui contrebalançaient la dureté de son visage par un peu de douceur et de finesse. Il ressemblait affreusement à son père.
Sa bouche était presque trop bien dessinée pour celle d'un homme. Sa lèvre inférieure était un peu plus pulpeuse que la supérieure, mais elle était rougie, sèche et abimée de coupures.
Harry se rendit compte qu'il n'avait jamais été moins parfait. Il était particulièrement triste de constater qu'il avait enfin l'air humain à ses yeux. Il crispa les doigts sur ses cuisses. Fallait-il qu'une telle horreur arrive pour qu'il se rende compte que Draco n'était comme lui qu'un gamin de dix-sept ans ?
Il força son dos à s'appuyer contre le fauteuil et ses mains à se détendre sur ses jambes. Il fixa longtemps Draco jusqu'à ce que ses paupières se ferment d'elles-mêmes.
Un tintement magique dans son crâne le fit se réveiller en sursaut. Il se redressa dans le fauteuil, en panique, et remonta prestement les lunettes qui avaient glissées le long de son nez. Draco était toujours allongé, les sourcils froncés au-dessus de ses yeux clos. Harry avisa la pièce obscure. Il n'y avait personne.
Ce ne fut que lorsqu'il entendit un grognement s'échapper des lèvres de Draco alors que sa main se posait doucement sur son ventre qu'il comprit d'où était venu le tintement. C'était le sort d'alarme que Snape avait posé sur le Serpentard, qui devait prévenir Harry lorsqu'il se réveillerait.
Le corps tendu comme un arc, il fixa Draco avec angoisse. Son visage se figea dans une grimace de douleur alors qu'il ouvrait les yeux. Ses deux mains se crispèrent sur les draps, Harry se refusant à regarder celle sur son ventre, et leurs regards se croisèrent. Il put voir à quel instant précis Draco se souvint de tout ce qui lui était arrivé. Ses yeux rouges s'écarquillèrent avant de se fermer brutalement, son corps entier se crispant dans le bruissement des draps.
Harry ne bougea pas un muscle. Il voyait et entendait la respiration de Draco s'accélérer jusqu'à ce que son souffle se bloque dans sa poitrine comme s'il essayait de ne pas pleurer. Il rouvrit les yeux, fixant le plafond strié de fissures avec un air dévasté. Ses deux mains étaient à présent sur son ventre, et Harry comprit que les larmes qui s'accumulaient dans ses yeux grands ouverts étaient dues à la tristesse et non pas à la douleur ou au soulagement d'être enfin sorti de l'horreur. Mais il ne comprenait toujours pas pourquoi. Pourquoi Malfoy tenait tant à ce bébé ? Les explications de Snape n'avaient fait que rendre Harry plus confus. Qui voudrait d'un enfant de Voldemort si ce n'est cette cinglée de Bellatrix ? Peut-être cela n'avait-il rien à voir avec Voldemort …
Harry sentait qu'il était sur la bonne piste mais que la réponse n'était pas à sa portée. Il serra les dents et détourna le regard de l'expression d'effroyable tristesse de Draco qui ne tentait plus de retenir ses larmes. Le Serpentard lui tourna le dos, se recroquevillant sur le côté pour sangloter dans l'oreiller. Son corps entier était pris de tremblements, et Harry était partagé entre l'émotion et la raison. Il voulait s'approcher de Draco pour lui montrer son soutien, mais en tentant de s'imaginer à sa place, il se rendit compte qu'il ne supporterait pas que qui que ce soit le touche. Il déglutit et se força à rester dans le fauteuil, ses doigts entrelacés tellement serrés que le bout de ses phalanges devint blanc.
Il resta de longues minutes à fixer le dos de Draco secoué de sanglots, mais son cœur battait tellement fort dans ses oreilles qu'il l'entendait à peine pleurer. Seuls ses gémissements lui déchiraient les tympans. Ses cheveux blonds lui collaient à la nuque et le drap qui avait glissé jusqu'à sa taille ne cachait plus à quel point il était maigre sous sa tunique blanche. Il détourna une nouvelle fois le regard et cacha son visage dans ses mains, les coudes posés sur ses cuisses. Il contrôla sa respiration et son cœur, tentant de résister à la contagieuse tristesse de Malfoy.
Peu à peu, les gémissements laissèrent la place à des reniflements. Les sanglots s'espacèrent, toujours présents mais moins violents, comme si Draco n'avait plus la force de pleurer. Regardant de nouveau vers lui, Harry le vit avancer le bras vers une chaise posée de l'autre côté du lit pour prendre les mouchoirs que Snape avait laissé là, à côté d'un grand verre d'eau.
Draco se moucha plusieurs fois avant d'en poser un tas humide sur la chaise. Il se redressa doucement sur un coude en prenant le verre d'eau et le but doucement et sans un bruit. Après l'avoir remis sur la chaise, il se rallongea dans le lit. Il sembla se frotter le visage avant de soupirer douloureusement.
Harry dû se mordre la langue pour s'empêcher de parler et de dire des choses idiotes pendant les minutes qui s'écoulèrent ensuite. Draco ne bougeait pas, ne faisait pas un bruit, sa respiration était lente et contrôlée. Le silence lui brûlait les oreilles.
Puis le Serpentard prit une grande inspiration avant de pousser sur son coude pour s'asseoir dans le lit. Il tourna le visage vers Harry et celui-ci fut frappé par le regard qu'il lui offrit. Malgré ses yeux gonflés et son nez rouge, son expression était celle d'un homme résolu et déterminé.
Cette fois-ci, il comprit le sentiment de Draco. Ses yeux gris étaient emplis d'une fureur effrayante, sa mâchoire serrée criait silencieusement sa soif de vengeance. De ses cheveux désordonnés jusqu'à ses pieds nus qui se posaient doucement sur le sol, en passant par ses poings serrés sur ses cuisses, tout dans son corps hurlait de rage. Sa position était le parfait miroir de celle d'Harry. Celui-ci inclina doucement la tête.
Oui, quelqu'un allait payer. Très cher.
Vivre avec Draco était étrange. Ils n'étaient plus ennemis, mais ils n'étaient pas amis pour autant. Le blond parlait peu, et Harry avait lui-même du mal à lui adresser la parole. Un accord tacite semblait s'être installé entre eux. Ils ne parleraient pas ce qui était arrivé à Draco. Jamais. Seulement, c'était une des seules choses qu'ils avaient à l'esprit. Harry ne parvenait pas à repousser les souvenirs de Snape, et le fantôme des hurlements du Serpentard hantait toujours le rez-de-chaussée de la maison. Draco devait y penser lui-aussi, avec une foule de détails qu'Harry n'osait même pas imaginer. Après un cauchemar mettant en scène Draco et Voldemort, il avait eu à peine le temps d'atteindre les toilettes avant de vider le contenu de son estomac.
Mais Draco semblait bien plus fort que lui. Harry traînait sa peur et sa douleur comme un boulet. Draco les portait comme un bouclier. La tête haute, il semblait refuser d'être une victime. Harry ne pouvait pourtant pas s'empêcher de le voir ainsi.
C'était d'autant plus vrai quand il entendait la mélodie lancinante du piano depuis sa chambre. Draco savait en jouer, et n'exprimait ses sentiments que par le biais de l'instrument. Si son visage était déterminé lorsqu'il le croisait dans la cuisine, le morceau qu'il jouait un peu plus tard pouvait être incroyablement triste, sombre, furieux ou les trois à la fois. Harry comprenait son besoin de garder la face, en particulier devant lui, mais ne pouvait s'empêcher de penser que ce n'était pas très sain.
Le troisième jour après le réveil de Draco, Harry brisa la règle silencieuse qui stipulait qu'ils mangeaient séparément. Il s'installa à table en face du blond qui leva les yeux vers lui avec un regard las. Il était encore très faible, avait du mal à manger un repas complet et dormait très mal. Ses cheveux étaient humides après l'heure et demie qu'il avait passé sous la douche. Chaque matin, lorsqu'Harry entendait couler l'eau dans la salle de bain, il imaginait Malfoy recroquevillé sous le jet. Pour y rester autant de temps, il devait sans doute s'endormir sous l'eau chaude.
« Draco. » Dit Harry sérieusement, établissant une nouvelle règle.
« Po - » Commença Draco, s'arrêtant en voyant le brun secouer subrepticement la tête. « Harry. » Se corrigea-t-il alors.
« Voldemort a créé huit Horcruxes. » Fit Harry en posant les bras sur la table, regardant Draco frissonner de dégoût et déglutir en entendant le nom du Mage Noir. Mais ses yeux ne quittèrent pas ceux d'Harry, prouvant ainsi la simple force de son caractère et de sa détermination. « Trois ont été détruits. » Ajouta-t-il, grimaçant intérieurement en constatant qu'il sous-entendait que le bébé de Draco avait été détruit comme un vulgaire objet.
« Des horcruxes ? » Demanda Draco à voix basse, rauque comme s'il n'avait pas parlé depuis longtemps.
« Des parties de son âme, cachées dans des objets. Pour diviser son âme, il lui faut un sacrifice. » Expliqua doucement Harry, espérant que Draco comprendrait de quoi il parlait sans avoir besoin de l'expliciter plus que cela.
Après un instant de silence, Draco prit une grande inspiration frissonnante. Il posa ses couverts et passa une main sur son visage puis dans ses cheveux humides. Il posa ensuite son menton dans sa main, ses doigts cachant sa bouche comme pour l'empêcher de trembler.
Il ferma brièvement les yeux et Harry se mordit les lèvres.
« Un … un sacrifice. » Répéta Draco en rouvrant des yeux humides. « Il … il a utilisé un… quand … » Bégaya-t-il difficilement. Harry lui facilita les choses en hochant simplement la tête à l'affirmative, confirmant que ses craintes étaient fondées.
« Merlin. » Souffla Draco, sa voix se brisant dès la première syllabe. Ses mains posées l'une contre l'autre, cachant son nez et sa bouche comme s'il priait, il baissa à nouveau les paupières, des rides d'expression se formant autour de ses yeux tant il les fermait fortement. Ses cils blonds s'imbibèrent de larmes, mais il plaqua brutalement les mains sur la table en faisant sursauter ses couverts et son assiette comme pour se rebeller contre elles.
Il rouvrit les yeux, des gouttes salées dégoulinant tout de même sur ses joues.
« Pour le tuer, il faut les détruire, n'est-ce pas ? » Demanda-t-il fermement, presque certain de la réponse. Harry hocha à nouveau la tête.
« Quels sont les autres ? » Son air était plus déterminé que jamais.
Draco jouait du piano dans le salon lorsqu'Hermione et Ron ouvrirent la porte de Square Grimmauld après avoir transplané sur la plus haute marche du perron. Harry essayait vainement d'ignorer les notes doucement mélancoliques du piano, mais avant abandonné lorsque les gémissements d'un violon s'étaient superposés à la mélodie. Fronçant les sourcils, il s'était levé de sa chaise dans la cuisine et était entré dans le couloir au même moment que ses meilleurs amis.
Il était terriblement heureux de les voir, mais encore plus inquiet d'entendre deux instruments jouer dans le salon alors que seul Draco était censé s'y trouver. Il leur fit signe de se taire d'un doigt sur les lèvres et sortit sa baguette alors qu'Hermione refermait la bouche. Ils se tournèrent tous les trois vers la porte du salon et Harry posa sa main sur la poignée.
La musique était à la fois forte et douce, le piano une tranquille berceuse pour le chant lancinant du violon. C'était une très jolie mélodie, aussi triste que toutes celles qu'Harry avait entendues jusqu'ici, mais moins sombre, plus lente, comme une berceuse chantée à un enfant pour qu'il s'endorme.
L'inquiétude d'Harry s'estompa, et il ouvrit doucement la porte pour comprendre comment Draco pouvait jouer de deux instruments à la fois. La mélodie ne pouvait provenir que de lui, et il était hautement improbable que qui que ce soit soit entré dans la maison pour jouer avec lui. Harry ouvrit assez grand la porte pour voir Draco perché sur le tabouret du piano, dos aux touches et face à eux. Il avait les yeux fermés et la tête penchée sur le côté, contre le violon qu'il était en train de caresser d'un archet sans les voir. Derrière lui, le piano semblait jouer tout seul.
« Malfoy ?! » s'exclama Ron, la baguette pointée vers le blond, brisant le charme du moment. L'interpellé sursauta et se retrouva debout devant eux, le violon prenant la forme du bouquet de fleurs séchées qui trônait auparavant sur le piano, et l'archet de sa baguette. Le piano termina sur une fausse note alors que Draco les fixait avec stupeur.
Harry posa sa main sur le bras de Ron pour lui faire baisser sa baguette.
« Ta magie est revenue. » Nota-t-il simplement en direction du Serpentard. Celui-ci quitta Ron des yeux pour le regarder, son visage reprenant une expression neutre. Il ne répondit pas et se tourna pour reposer le bouquet sur le piano. Il y avait quelque chose de poétique dans le fait qu'il ait transfiguré des fleurs séchées en violon.
« Qu'est-ce qu'il fiche ici ? » Grogna Ron d'une voix énervée en luttant contre la poigne d'Harry sur son bras.
« Range ta baguette Ron. » Lui demanda Harry en se tournant légèrement vers lui. « Allons dans la cuisine pour parler. »
Son meilleur ami le jaugea avec agacement avant de jeter un coup d'œil mauvais à Draco qui rangeait sa baguette dans la manche de sa robe. C'était le seul vêtement qu'il portait qui lui appartenait, puisqu'il était arrivé à Square Grimmauld avec. En dessous, il avait été obligé de vêtir un ancien t-shirt de Dudley, un jean et des tennis d'Harry. Ce dernier supposait que porter sa robe le rassurait, lui donnait un sentiment de familiarité.
« Ron, allez. » Encouragea Hermione malgré son expression perplexe, tirant sur le bas du T-shirt du garçon.
Les meilleurs amis d'Harry le précédèrent jusqu'à la cuisine, Draco derrière lui. Ils s'installèrent autour de la longue table, Ron et Hermione côte à côte, Harry en bout de table et Draco en face de Ron, de façon à ce qu'Harry soit entouré du blond et du roux. Ce dernier envoyait des regards suspicieux à Malfoy, et bien qu'agacé, Harry ne pouvait pas le blâmer.
« Draco veut – » commença-t-il avant d'être coupé par l'intéressé.
« Je vais chercher et détruire les Horcruxes, avec ou sans vous. » Corrigea-t-il d'une voix bien plus froide que ce qu'Harry avait pu entendre ces derniers jours. « Je tuerai moi-même ce malade si je le peux. » Son regard gris clair était glacial alors qu'il soutenait le regard effaré de Ron.
« Comment … ! Comment tu es au courant pour les horcruxes ?! »
« Je lui en ai parlé. » Répondit Harry en regardant ses mains posées à plat sur la table.
« Quoi ?! »
« Harry ! » Protesta Hermione d'un ton réprobateur. Celui-ci pinça les lèvres en levant les yeux vers ses amis.
« On peut lui faire confiance. » Affirma-t-il, sachant parfaitement qu'il faudrait bien plus que ça pour les convaincre.
« Qu'est-ce que tu as fait à Harry, Malfoy ? » Demanda Ron d'une voix menaçante en fixant l'intéressé avec rage. Draco soutint son regard sans faillir malgré la tension visible dans tout son corps.
« Rien. » Répondit-t-il avant de tourner la tête vers Harry avec un léger froncement de ses étonnants sourcils blonds. Le Gryffondor réprima une grimace. Il voulait convaincre ses amis sans partager le fardeau qu'il portait. Il était évident que Draco ne voulait pas qu'ils sachent non plus, mais sans doute pas pour leur en épargner l'horreur. Ils avaient néanmoins le même but.
« Ecoutez. Vous allez devoir me croire sur parole. Draco a une excellente raison d'en vouloir à Voldemort et je lui fais confiance. »
« Il a essayé de tuer Dumbledore ! » S'exclama Hermione.
« Mais il ne l'a pas fait. » Rétorqua Harry. « Dumbledore a demandé à Snape de le tuer, sachant qu'il allait bientôt mourir à cause de la malédiction de la bague de Serpentard. » Expliqua-t-il rapidement. Il balaya les protestations de ses amis d'un geste de la main. « J'ai un souvenir de Snape à vous montrer à ce sujet. »
Ses deux amis fermèrent la bouche, cherchant sans doute une autre raison de confondre Draco.
« Depuis quand Snape est-il un espion ? » Demanda le blond. Harry tourna les yeux vers lui pour voir son expression neutre.
« Il a commencé peu avant la mort de mes parents. » Répondit-il. Ron et Hermione allait lui ordonner de se taire lorsqu'ils virent Draco sourire en coin.
« Ah ! Impressionnant. Il joue drôlement bien le jeu. »
Harry haussa doucement les épaules. Il jouait tellement bien le jeu que sans avoir vu ses souvenirs, il l'aurait attaqué à vue sans la moindre hésitation.
« Il a fait entrer les Mangemorts dans Poudlard. » Nota Hermione à voix basse, les mains fermées en poings sur la table. Harry pinça les lèvres, avant de regarder Draco pour entendre sa défense.
« Il menaçait ma famille. Si je ne l'avais pas fait, il aurait tué mes parents. »
« Quelle perte ! » Ironisa Ron, ignorant Hermione qui le foudroyait du regard.
Au bout de la table, Harry sentit son cœur se serrer douloureusement. Il savait parfaitement ce que Draco pensait derrière son expression figée et son menton haut. S'il avait su de quoi son père était capable, il n'aurait sans doute pas fourni le même effort. Harry le vit déglutir, sa pomme d'Adam montant et descendant dans sa gorge. Il se leva assez brutalement.
« Excusez-moi. » Fit-il étrangement avant de quitter la pièce d'un pas raide.
« Ron, enfin, comment tu peux dire une chose pareille ?! » Chuchota furieusement Hermione après qu'ils eurent entendu la porte du salon se refermer.
« Est-ce que c'est pire que de te traiter de Sang-de-Bourbe ? » Demanda rageusement Ron en se tournant vers leur meilleure amie. Celle-ci lui offrit un regard horrifié et serra les dents en même temps que ses poings.
« Ron ! » Souffla Harry avec une expression sidérée.
« Son père a failli faire tuer Ginny ! » se défendit son ami en se tournant vers lui.
Harry le fixa un moment avant de souffler, son corps se détendant peu à peu.
« Son père a failli le faire tuer aussi. » Avoua-t-il finalement d'une voix calme, tentant d'apaiser l'atmosphère. Il ne supporterait pas de voir Hermione pleurer.
Les deux Gryffondors semblaient attendre la suite de son explication, mais Harry savait qu'il ne pouvait guère aller plus loin.
« Je ne veux pas vous en dire plus … » Soupira-t-il en frottant le côté droit de son visage avec sa main. « Son père l'a … offert en pâture à Voldemort. Snape l'a amené ici pour le sauver. »
« Pourquoi tu ne veux pas ? » Demanda doucement Hermione. Harry grimaça.
« C'est une histoire horrible, je ne veux pas vous infliger ça. » Expliqua-t-il, misant sur l'honnêteté.
Ron croisa les bras sur sa poitrine avec un air renfrogné.
« Comment penses-tu nous convaincre si tu ne nous racontes pas toute l'histoire ? »
« Ce n'est pas juste si tu es le seul à porter tous les fardeaux, Harry. »
A cette phrase, Harry jeta un regard douloureux à Hermione.
« Vous avez les votre. Draco aussi. Snape a partagé les siens avec moi pour me convaincre de le laisser venir ici. Maintenant qu'il est en sécurité, il n'y a plus de raison d'en parler. »
Ni l'un ni l'autre n'avait l'air impressionné par son raisonnement.
« Harry, tu es terriblement agaçant quand tu joues au héros. » Remarqua Hermione.
« Arrête de nous traiter comme ça Harry. Je refuse de laisser Malfoy nous accompagner sans savoir toute l'histoire. » Se buta Ron avec les sourcils froncés.
« Comment est-ce que je vous traite ? » Demanda Harry avec énervement. Il essayait de les protéger, ne le voyaient-ils pas ?
« Avec condescendance. » Lâcha Hermione, coupant le sifflet à Harry qui ouvrit puis ferma la bouche. Ça faisait mal. Il serra les poings.
« Avec condescendance. » Répéta-t-il d'une voix froide.
Ron hocha la tête alors qu'Hermione évitait son regard.
« Tu n'es pas tout seul dans cette histoire. Tu as besoin de nous, que tu le veuilles ou non. Si tu es assez fort pour supporter quelque chose, alors c'est que nous le sommes aussi. »
« C'est bien ça le problème, Ron, je ne suis pas assez fort ! » S'énerva Harry en se levant brutalement, sa chaise grinçant sur le carrelage en reculant.
En voyant l'expression ahurie de ses amis, il déglutit, sentant le familier picotement d'imminentes larmes lui piquer le nez et les yeux. Il avait tellement de choses à dire, mais elles étaient toutes trop horribles pour qu'il puisse former les mots nécessaires. Ça lui faisait déjà tellement de mal d'y penser, il ne voulait pas infliger cette douleur et cette peur à ses amis. Il se rendit compte qu'il plaçait l'histoire de Draco et la sienne dans la même catégorie. Il avait honte, peur, et il était rempli de dégoût à l'idée de ce qui se cachait dans son crâne.
Il se rassit lourdement. Il retira ses lunettes et se frotta les yeux en reniflant discrètement.
« Harry … » Souffla doucement Hermione. « Ne porte pas tout ça tout seul … Ca va te rendre fou … »
Il se mordit la lèvre inférieure et remit ses lunettes sur son nez avant de regarder son amie. Après un long moment de silence, il toussota pour s'éclaircir la gorge, et baissa les yeux vers la table.
« Voldemort a utilisé Draco pour créer un Horcruxe. » Dit-il finalement, la gorge nouée et la voix rauque.
« Il a essayé de l'utiliser comme sacrifice ? » Demanda Ron avec une grimace.
« Non. Comme réceptacle. » Répondit Harry, à défaut de trouver un meilleur mot.
Ses deux amis le fixèrent sans comprendre. Il détourna le regard. Il n'arriverait pas à s'expliquer. Certains mots refusaient de se former dans sa bouche, et il n'avait pas la force de les y contraindre. Mais à l'idée d'infliger à ses amis la vue des souvenirs de Snape, il serra les dents.
« Sous quelle forme était le Horcruxe ? » Interrogea Hermione, semblant comprendre qu'Harry n'arrivait pas à s'exprimer.
Harry déglutit à nouveau, sentant la nausée refaire surface, et il tenta de garder une respiration profonde.
« Humaine. »
« Malfoy est un horcruxe ?! » S'écria Ron en se levant presque de sa chaise.
Hermione posa doucement sa main sur le bras de Ron qui se rassit. Leur amie fixait Harry avec horreur, semblant finalement comprendre la situation. Il baissa les yeux, incapable de soutenir le regard d'Hermione, qui exprimait tout l'effroi qu'il ressentait.
« Le horcruxe … C'est un bébé ? » Demanda-t-elle d'une voix chevrotante. Doucement, Harry hocha la tête avant de relever les yeux vers ses amis. Tous deux affichaient le même mélange de stupéfaction, d'horreur et de dégoût.
« Etait … » Corrigea-t-il doucement avant d'esquisser une grimace en se souvenant de la tristesse et de la douleur de Draco à son réveil. « Ça l'a rendu tellement malade, et il ne pouvait pas s'enfuir parce que Voldemort lui a lancé un sort l'empêchant d'utiliser la magie. Snape a monté tout un plan pour pouvoir le sortir de là, mais quand il est arrivé ici, c'était déjà trop tard. »
« Je vais être malade. » Fit soudainement Ron en se levant. Il contourna la table et quitta la cuisine. Hermione et Harry l'entendirent grimper les escaliers à toute vitesse.
Les deux Gryffondors restèrent silencieux un moment. Hermione semblait trop choquée pour parler. Harry, lui, ne savait pas comment il ferait pour avouer à ses amis que lui aussi portait un Horcruxe, et que le sien était toujours actif.
Des notes de piano résonnèrent à nouveau dans la maison, la main gauche rapide et sombre et l'autre lente, douce, suppliante. Rapidement, le violon s'ajouta à la mélodie, le tout offrant une certaine note d'espoir bien vite écrasée. Les coups d'archet se firent plus rapides, puis forts, du grave à l'aigu, jusqu'à ce que la mélodie tourbillonne dans tous les sens dans une sensation d'urgence, de chaos. Le piano était lourd et grave, les notes de violon de plus en plus courtes et vives. Harry imaginait le bras de Draco bouger à toute allure au-dessus du violon, la force de ses coups d'archet secouant tout son corps alors que le piano jouait seul derrière lui.
Assez soudainement, alors que le cœur d'Harry battait à tout rompre dans sa poitrine en suivant le rythme, le piano surpassa le violon, forçant celui-ci à se calmer, à tenter d'apaiser les notes graves du lourd instrument. Mais le répit fut de courte durée. Le violon reprit la main sur la lente mélodie du piano et fit virevolter ses cris dans toute la maison.
C'était étrange, cette dualité. Le piano, sombre et doux, devint dans son esprit le cœur de Draco, continuant de battre malgré tout. Le violon, violent et tumultueux, représentait l'âme de Draco, cherchant une échappatoire, une vengeance. Harry laissa son propre cœur et sa propre âme rejoindre la mélodie, et après une longue inspiration, il y trouva une chose surprenante. L'apaisement.
