Ma peur a un nom : l'espoir. J'ai désormais peur d'espérer. Peur de perdre cette petite étincelle morcelée et infime qu'est l'espoir.

Mais qu'avais-je à espérer de la vie, aujourd'hui ? Artyom était mort. Sans doute quelques mois, une année, une décennie. J'avais perdu le compte du temps. Désormais, la vie ne m'apparaissais que comme une vaste blague. J'aurais dû être avec lui, ce jour-là. J'aurais dû mourir à ses côtés.

Mais cette saloperie le destin en avait décidé autrement. J'étais toujours là. Espérant que quelque chose ou quelqu'un vienne me tirer de cette torpeur sans fin.

J'avais perdu mon amour au sens propre et figuré du terme.

Il ne restait plus rien de notre petite maison au bout de cette allée. Ce long chemin bordé part des dizaines de rangées d'arbres aux feuilles couleurs lie de vin. Ce rouge si éclatant et immortel. L'automne était éternel sur Tardor. Un temps humide, parfois sec. La température était souvent douce et agréable. Les couleurs de cette île étaient enchanteresses. Et nous en étions tombés amoureux, Artyom et moi. C'était là, où ma famille m'emmenait, petite. Là que je voulais vivre. Loin de tout.

Artyom avait accepté, purement et simplement, sans poser de question.

Et pourtant, si j'avais su. S'il avait su. Sa décision aurait sans doute était tout autre. La mienne aussi.

Tout était tombé en cendres. Il n'y avait plus que les pierres noircies par le désastre, un souvenir constant de cette sombre journée. Je ne pouvais pas me résigner à partir. Ces murs de briques tenaient bon malgré le temps passé, et je vivais sous leur aile protectrice. Et le jour où ils s'écrouleront, ils m'emporteront avec eux dans leur chute.

Je priai chaque soir pour qu'ils s'effondrent.

Je priai pour qu'il n'y ait jamais de lendemain.


Le bruissement des feuilles tira Léna de son sommeil. Plusieurs d'entre elles étaient tombées durant la nuit. Elle inspira profondément l'odeur de la rosée matinale. Doucement, elle se releva, époussetant ses jambes et épaules pour se débarrasser des feuilles mortes. Ses yeux s'irriguèrent vers les poutres noircies par les flammes. Les bras appuyés le long de ses cuisses, Léna ne bougeait pas, contemplant les ruines.

Encore un lendemain. Encore une journée sans lui.

Fermant les yeux, elle se leva, partant pour son soi-disant travail. Matin et soir, la jeune femme repartait vers le village ouvrir sa boutique. Tous les jours, sans fautes, elle venait dès qu'elle en avait la possibilité. Elle n'était pas tenue par des horaires comme les autres commerçants. Son commerce attirait peu de personnes, puisqu'il y avait peu de voyageurs sur Tardor.

Léna était tatoueuse. Ce n'était généralement pas une profession vue d'un bon œil, trop souvent associée aux pirates et aux prisonniers. Même si les gens l'appréciaient, ils gardaient une certaines distances. Des formules de politesse par-ci, par-là, de temps en temps, ils lui demandaient comment elle allait. Elle faisait toujours en sorte de leur répondre, de leur rendre la pareille, même si cela lui demandait des efforts colossaux pour tenir une conversation. Qui plus est, les villageois semblaient à chaque fois avaler quelque chose de trop amer quand elle prenait la parole. Comme si la pilule avait du mal à passer. Sans parler des coups d'œil furtifs vers sa poitrine et l'intérieur de ses avants-bras tatoués.

Pas de quoi choquer. Des fleurs de cerisier d'un coté un bouquet de roses de l'autre. Un coquelicot ouvert et se fanant sur son torse. Les autres étaient cachés sous ses vêtements.

Ses tatouages étaient tout ce qui lui restait. Tout ce qui l'empêchait de se foutre en l'air. Du moins, le pensait-elle. Chacun d'eux représentaient un morceau de sa vie. Des bons, comme des mauvais souvenirs.

Ses clefs tintèrent lorsqu'elle inséra la bonne dans la serrure. Une fois dedans, un long soupir lui échappa. L'odeur du désinfectant et son odeur à elle flottait dans l'air. Le parquet grinça sous ses pas. Elle laissa traîner sa main sur la table de tatouage. Encore et toujours ce même schéma. Toujours ces mêmes gestes. C'en devait insupportable.

Léna regarda le siège recouvert d'une bande de papier jetable et stérile. Un siège et une table de tatouage. Un regard circulaire à la pièce. Elle avait gagné tout ça à la sueur de son front. Pour qu'elle puisse vivre de son art. Puisse vivre dignement aux côtés de son défunt compagnon. Tout cela pour rien, au final.

Tout était partit à vau l'eau. Artyom était mort. Sa maison était en ruine.

Il ne lui restait plus que son studio. Les couleurs des murs avaient été choisi par leur soin, à elle et Artyom. Le mur principal était peint couleur grenat et le reste taupe. Léna n'avait pas tout perdu. Il lui restait cette pièce, son précieux trésor. Un peu plus loin, son tourne disque demeurait silencieux. La jeune femme s'y dirigea, sortit un disque de rock et le mit en route. La musique emplie l'air d'un chants rythmé, trop joyeux au goût de Léna, mais elle se força à le laisser: elle ne voulait aucunement se retrouver dans ce silence assourdissant. Si retentissant depuis la mort d'Artyom..

Sans doute aurait-elle pu remonter la pente si elle n'avait pas été seule. Si une main secourable l'avait sortit de là. Si elle avait des amis. Une famille. Mais elle n'avait ni l'une, ni l'autre. Juste cette bonne vieille solitude en guise de compagnie.

Le carillon sonna, tirant Léna de ses pensées.

- Bonjour, salua un homme.

Léna releva la tête de sa table de travail. Un homme dépassant aisément le mètre quatre-vingt lui souriait du pas de sa porte, un chapeau orange orné de perles écarlates et de deux smileys. L'un souriant, l'autre déprimant.

- Bonjour, se força de répondre Léna. Que puis-je pour vous?

- Ce serait pour une retouche, fit-il en inclinant son épaule gauche d'un geste nonchalant.

Léna reporta son attention sur le lettrage ornant le bras de l'homme. ASCE, le s barré d'une croix.

- Ok. C'est celui sur votre bras ?

Le noiraud hocha la tête.

- Dans ce cas, ça vous fera 134 00 Berrys, monsieur.

Un silence s'installa. Léna leva de nouveau les yeux. Au vu de l'expression du jeune homme face à elle, cela devait lui paraître cher.

- Désolée, mais il faut bien se nourrir.

- Bah, j'vous comprends.

- Installez-vous sur la chaise, invita Léna en désignant du menton son siège, j'arrive tout de suite.

La jeune femme se lava soigneusement les mains, les essuya avec du papier jetable, les désinfecta et passa enfin ses gants en caoutchouc. S'asseyant à côté de son client, Léna examina le bras de l'homme. Le noir avait effectivement décoloré.

- Au vu de la dépigmentation, je vais repasser sur tout le tatouage. Ça vous va ?

- Pas de problème, tant que vous faites ça correctement.

- Dans ce cas, c'est parti.

Léna aspergea le bras tatoué de désinfectant, l'essuya et se mit à l'ouvrage. Trempant les pointes stérile du dermographe et appuya sur la pédale de démarrage. Le ronronnement de la machine résonna, vrombissant en rythme avec la musique. Léna entama la conversation par politesse, l'homme acceptant volontiers la discussion. Une heure et demie plus tard, la jeune femme se redressa, posant son dermographe sur la table.

- C'est bon. Tout vous semble nickel ? Demanda-t-elle en désinfectant à nouveau le bras du client.

- Ça m'a l'air, sourit-il pendant que Léna couvrait son bras de cellophane. Au fait, vous vous appelez comment ?

- Léna. Et vous ?

- Ace. Portgas D. Ace.

Léna hocha la tête, puis baissa les yeux sur le tatouage fraîchement refait, s'attardant sur le S barré d'une croix. Sa curiosité professionnelle pointait le bout de son.

- Le S barré n'a pas l'air d'être une erreur. C'est plutôt curieux de se tatouer son propre nom (il haussa les épaules). Pardon, ça ne me regarde pas.

-Vous en faites pas, sourit-il doucement, vous n'êtes pas la première à vous interroger sur mon tatouage. Puis, vous êtes la première à avoir comprit que ce n'était pas une erreur de mon ancien tatoueur ! S'esclaffa-t-il joyeusement.

Ace se leva, jetant son sac sur son épaule.

- Je vous remercie pour la retouche de mon tatouage.

Et sur ces mots, il prit la poudre d'escampette, ne laissant que deux pièces sur le comptoir. Léna ouvrit la bouche, mais son client avait déjà disparut. Elle reposa la crème hydratante pour tatouage. Ce sera lui le plus ennuyé des deux.


Ace détalait à toutes jambes sans trop savoir où aller, son sac ballottant au rythme de sa course dans son dos. Ses muscles protestèrent à peine de ce soudain effort, mais c'était la routine. Lorsqu'il quitta le village, il s'aventura sur un large chemin de gravillons beiges couvert de feuilles mortes. Il manqua de glisser par inadvertance à plusieurs reprises, mais se rétablit rapidement. Les arbres défilaient autour de lui, leurs feuillages passant par toutes les nuances chaude possible et imaginable. Le jeune homme ralentit la cadence, jetant une œillade par-dessus son épaule. Personne. Bien, il pourrait profiter du paysage.

Contemplant les alentours, Ace entraperçut une bâtisse, cachée parmi les arbres. Il s'arrêta lentement. C'était une petite maison en ruine, faite de pierres et de bois. Piqué par la curiosité, il prit la direction des ruines.

Ce qu'il découvrit l'étonna. Un lit de fortune et une table de nuit reposaient contre un pan de mur menaçant s'effondrer à la moindre petite brise. Le toit avait totalement disparu, sans doute réduit en cendres s'il se fiait à l'état des poutres noircies jonchant le sol. Certaines d'entre elles tenaient encore bon, soutenant le reste de la bâtisse. Le porche était noirci, brisé en plusieurs endroits. Les fenêtres étaient éclatées ou bien noires.

Sourcils froncés, Ace toucha le mur de briques, pensif. Qu'avait-il bien pu arriver à cette maison ? Ses yeux se reportèrent sur le lit recouvert de feuilles. Il semblait avoir miraculeusement survécu aux flammes. Pareil pour la table de nuit, ce qui lui parut curieux. Il s'en approcha, regardant le mobilier plus attentivement. Un cadre photo légèrement roussi avait échappé à son attention, ainsi qu'une malle contenant des vêtements de femmes pêle-mêle. Visiblement, l'endroit était encore habité.

Mieux valait-il ne pas s'attarder.

Ace tourna des talons, s'apprêtant à partir. Mais un détail retint son attention. Il s'attarda sur la photographie posée sur la table de nuit. L'un de ces visages lui semblait familier. Il lui fallut quelques secondes pour reconnaître la jeune femme dessus. Léna, la tatoueuse qu'il venait de flouer, souriant à pleines dents dans les bras d'un homme. Il avait des cheveux brun foncé, attachés en queue-de-cheval. Une mâchoire carrée, recouverte d'une barbe épaisse. Il avait des pattes d'oies naissantes aux coins des yeux, tant il souriait lui aussi. Le regard qu'ils s'échangeaient ne trompait pas ; ils étaient fous amoureux l'un de l'autre. Pourtant, les yeux de la jeune femme ne brillaient plus de cet éclat joyeux. Ils étaient éteints, comme si on avait soufflé l'étincelle qui les habitaient.

Il regarda de nouveau le lit simple, puis la malle remplit de vêtements féminin.

Lentement, les pièces du puzzle s'assemblèrent. Ace comprit. Il n'y avait plus que Léna ici.

Serrant et desserrant son poing dans un geste de réflexion, Ace contempla les ruines. Il ne connaissait pas tout les aboutissant de l'histoire, mais il n'appréciait pas l'idée d'avoir arnaqué cette femme. Il laissa son sac glisser de son épaule et le lâcha sur le sol. Bien que ça ne le regardait pas, il ne pouvait pas rester les bras croisés. Ainsi, prit-il la décision de remettre de l'ordre dans cette maison. C'était le minimum qu'il puisse faire pour la remercier.


Ne voyant plus de client arnaqueur pointer le bout de son nez, Léna décida de rentrer chez elle. Le crépuscule laissait tout doucement place à la nuit, lui signalant qu'il était temps qu'elle s'en aille. Au moins avait-elle fait sa journée. Même si le seul client qu'elle avait eue était un voleur. Cela aurait dû l'énerver, la mettre dans tout ses états. Mais non. C'était au-dessus de ses forces. Elle n'était plus qu'un gouffre sans fond où s'était noyé toutes ses émotions. Il n'y avait plus que l'apathie régnant en grande maîtresse solitaire au-dessus de cet abîme. Enfin, presque. Il lui restait la peur. Aussi viscérale que primitive.

Suite à la mort d'Artyom, elle avait développé une peur sans nom du feu. La moindre flammèche provoquait chez elle un accès de panique frôlant l'hystérie.

Cette phobie était des plus contraignante. Les bleus ornant ses jambes en attestaient douloureusement. Fermant son studio, Léna reprit son chemin habituel. Elle aurait pu retourner chez elle les yeux fermés, tant elle avait fait ce chemin. Et, qui sait. Avec un peu de chance, ce serait la dernière fois qu'elle le parcourait.

Arrivée devant chez elle, Léna constata plusieurs choses : d'une, des bruits sourd, qu'elle associa à des coups de marteau, résonnait dans sa maison. De deux, quelqu'un avait trouvé sa réserve de bougies. Ce qui ne lui plut pas du tout.

Il y a des flammes dans ta maison...

Un frisson dévala sa colonne vertébrale.

Non. Ce n'était pas de malheureuses bougies qui l'empêcherait de rentrer chez elle. Prenant son courage à deux mains, Léna se força à avancer, un pas après l'autre. Chaque pas était un calvaire. Sa phobie referma ses mains glacées autour de sa gorge, lui coupant le souffle.

Non.

Elle ouvrit la bouche, haletante, cherchant son souffle. Elle tenta de calmer son les battements frénétiques de son cœur.

Courage. Avance.

Elle se baissa, ramassant un gros morceau de bois.

Plus que cinq mètres.

Elle contourna le mur, resserrant sa prise. Pour la première fois dans la vie de Léna, la surprise dépassa sa peur. Que faisait son voleur de client ici ?

- Toi ?! S'étrangla Léna.

Ace se retourna, pas gêné le moins du monde, ni même surprit.

- Ah, salut ! Salua Ace d'un petit signe de la main. Je m'en voulais un peu de t'avoir plumé, tout à l'heure. Alors,vu que je ne suis pas mauvais pour rafistoler, j'ai consolidé un peu ta maison. (il jeta un regard au bout de bois que tenait la jeune femme). Tu comptais m'assommer ?

- Je... euh... bafouilla-t-elle encore sous le choc. Oui. Enfin, non. Je ne savais pas sur qui j'allais tomber.

Elle avisa son pauvre bâton et grimaça. À quoi s'attendait-elle ?

- Comment as-tu su que c'était ma maison ?

Ou plutôt, ce qu'il en reste...

Ace ne se retourna pas pour lui répondre, et désigna de la tête de son marteau le cadre photo.

- Je ne t'ai pas reconnu tout de suite, avoua-t-il, toujours sans se retourner. Puis, j'ai vite fait le rapprochement.

Léna en resta coite.

- Et c'est tout ? Tu n'as interrogé personne ?

- Non, répondit-il avec nonchalance en se retournant enfin. Après être parti comme un voleur, j'ai couru sans regarder où j'allai et je me suis retrouvé ici.

- Sérieusement ?

- Sérieusement.

Ace se redressa, déliant sa haute silhouette. Léna s'attarda quelques secondes sur la largeur des épaules de son voleur de client. Pour sûr, elle avait rarement vu un homme de ce gabarit. Il semblait capable de mettre K.O. n'importe quel adversaire d'une simple pichenette. Sans parler de l'épaisseur de ses biceps.

Elle déglutit.

Merde. Cela faisait longtemps qu'elle n'avait pas ressentit de l'appréhension vis-à-vis de quelqu'un.

Ace s'avança vers les bougies qui s'étaient éteintes, l'ignorant totalement. Bien, c'était ça de moins dans sa... Soudain, d'un claquement de doigts du jeune homme, les bougies se rallumèrent dans un crépitement. Léna poussa un cri et bondit sur le côté en lâchant son bâton.

Son voleur de client la regarda les yeux ronds.

Du feu. Il venait de faire jaillir du feu de ses doigts. Du feu, bon sang !

Son cœur tambourinait contre ses côtes à un rythme alarmant, sans parler de son sang, rugissant à ses oreilles.

Le feu rugissant...

Elle avait soudainement froid.

Cette chaleur insupportable...

Ses jambes étaient bien trop légères.

La fumée encrassant ses poumons.

Ace ne comprenait rien à ce qu'il se passait. La seconde d'avant, Léna allait bien, même s'il avait senti à sa posture qu'elle était tendue, elle allait bien. Puis, dès qu'il avait allumé les bougies, elle avait pété les plombs pour ainsi dire. Léna avait bondit du côté du lit et le regardait maintenant comme si elle voyait son pire cauchemar. Sa poitrine se se soulevait trop rapidement, sans parler de sa soudaine pâleur et du noir de ses pupilles noyant la couleur de ses iris.

Sans aucun doute, elle était à deux doigts de la crise de nerfs.

- Relax, Léna, dit-il d'une voix qu'il espérait rassurante, les mains levées en signe d'apaisement, tout va bien.

Elle tourna son regard paniqué vers lui. Voyant qu'il avait attiré son attention, Ace continua sur sa lancée :

- Ce n'est rien, ok ? Ce ne sont que des bougies...

- Un incendie peu naître de ces bougies, affirma-t-elle d'une voix blanche.

- Aucun incendie ne naîtra tant que je serais là, assura Ace les mains toujours en l'air. Connais-tu les fruits du démon ?

Pour toute réponse, il n'eut qu'un clignement de paupières indécis.

- Il y a quelques années, j'ai mangé un de ces fruits du démon, continua Ace, depuis, je suis capable de maîtriser le feu. C'est pour ça qu'il ne peut rien t'arriver. Regarde.

Il retourna doucement une de ses mains, paume vers le ciel et laissa couler son pouvoir tout doucement vers la pulpe de ses doigts. Une douce lueur illumina sa peau, jusqu'à ce qu'une petite flammèche naisse.

- Tu vois ? Tu n'as rien à c-...

Léna s'effondra lourdement comme une poupée de chiffon.

- Ah.

Pour l'apaisement, c'était raté.


Une chaleur réconfortante enveloppait Léna. Douce et moelleuse. Elle en savoura la tiédeur, s'enveloppant plus étroitement dedans. Ça lui rappelait Artyom. Les matinées interminables qu'ils pouvaient passer dans leur lit à se chamailler ou à lire. C'était le bon vieux temps.

Elle aurait aimé que cette sensation ne se termine jamais.

Mais il y avait ce bruit incongru et désagréable qu'elle n'arrivait à remettre. C'était... un ronflement ? Elle bloqua sa respiration. Ce n'était quand même pas elle, si ? Non. Ce bruit ne venait pas d'elle.

Soudain, la lumière se fit dans son esprit. Ace. Son voleur de client qui retapait sa maison. Sa main rougeoyante.

Ouvrant brusquement les yeux, Léna se redressa dans son lit à la recherche de Ace. Elle n'eut pas à chercher bien loin. Ce dernier s'était endormi et bullait contre le mur, face à son lit. Un frisson d'appréhension lui parcourut l'échine en le voyant. Sans parler de la honte. Ses joues s'échauffèrent malgré elle.

De toute son existence, Léna n'était jamais tombée dans les pommes.

Mais ce type contrôlait le feu. À lui seul, il représentait son pire cauchemar. Et pourtant... C'était difficile à croire en le voyant endormi de la sorte. Son estomac gronda, lui rappelant qu'elle n'avait rien mangé depuis la veille. Silencieusement, elle s'extirpa de son lit en quête de nourriture.

Baillant à s'en décrocher la mâchoire, Ace se réveilla, encore pataud. Après que Léna se soit évanouie et qu'il l'ait mise au lit, Ace s'était endormi comme une masse dès qu'il s'était posé. Dormir une nuit entière était un luxe qu'il ne pouvait se permettre en mer. Trop de danger le guettait au milieu de l'océan. Alors qu'ici, sur la terre ferme... Il pouvait se permettre de lâcher prise.

- Enfin réveillé ?

Les yeux de Ace convergèrent en direction de la voix de Léna.

La jeune femme était assise sur sa valise, un panier contenant de la nourriture à côté d'elle. Ses cheveux trempés ondulaient sur les pointes et se collaient à sa joue. Il y avait également quelques mèches épaisses multicolore, ornées de perles en bois. Des dreads. Tiens donc.

Piochant dans le panier, elle lui lança une pomme qu'il attrapa au vol d'une main.

- Ouais. Tu t'es remise de tes émotions ? Demanda Ace en croquant dans sa pomme.

La bouche de Léna se pinça légèrement.

- Oui. Désolée pour mon comportement d'hier. C'était beaucoup d'émotion d'un coup.

- Pas grave, j'aurais fait plus gaffe si j'avais su que tu étais pyrophobe.

Léna grimaça et détourna le regard. Elle reporta son attention sur une tranche de pain qu'elle badigeonna de confiture rouge et croqua dedans. Ace en profita pour l'étudier plus attentivement. Un visage rond, une bouche fine, un nez droit et mince. Sans parler de ses grands yeux verts cernés. Niveau physique, elle était pulpeuse, légèrement en surpoids. Étrangement, son corps lui faisait penser à un sablier. Un sablier très généreux, certes, mais un sablier tout de même.

Dès qu'il eut fini son analyse, Ace goba le trognon de pomme et se leva.

- Bien. Il est temps que j'y aille, dit-il en visant son chapeau sur son crâne lui tournant à moitié le dos. Merci pour ce petit déjeuné et désolé pour la frayeur que je t'ai faite hier. Ce n'était pas mon attention.

Une lueur fugace traversa les yeux de la jeune femme. Son attention s'attarda quelques secondes sur la partie visible de son dos, puis planta son regard au sien.

- Je le sais. Tu es un pirate, n'est-ce pas ?

Son regard était franc, direct. Il n'avait aucune raison de lui mentir.

- Oui.

Une réponse claire, concise. Bien. D'un mouvement du menton, elle indiqua son tatouage.

- Ce sont tes couleurs ?

- Celles de Barbe Blanche, sourit Ace. Ma plus grande fierté.

Léna encaissa la nouvelle en silence. Couleur lavande, deux os s'entrelaçant, les yeux blanc et une moustache de la même couleur. Il n'y avait pas trente-six pirates portant ce nom, mais elle ne put s'empêcher de le questionner à ce sujet-là.

- Celui-là même, oui, répondit Ace, une fierté sans nom dans la voix.

Cela la surprenait quelque peu. Sous ses yeux se trouvait un homme capable de la détruire corps et âme. De la réduire à une créature apeurée. La chair de poule se rependit sur ses bras lorsqu'elle repensa aux bougies.

Tu en es déjà à cet état, là.

Or, si elle y réfléchissait bien, il était sans aucun doute sa plus grande chance de guérir.

Ses yeux se baladèrent sur les ruines de sa maison. Plus rien ne l'attendait, ici. Voguer aux côtés de Ace, s'il voulait d'elle, lui permettrait de se reconstruire, de goûter à la liberté.

La liberté.

Oui... Elle voulait se débarrasser de cette foutue phobie, vivre pleinement. Léna se leva. L'émotion étreignit douloureusement ses entrailles. Qu'attendait-elle ? Elle tourna la tête vers Ace, hésitante.

- As-tu de la place pour un...

Elle laissa sa phrase en suspends, cherchant ses mots. Compagnon. Ce mot lui serra le cœur. Il n'y avait qu'Artyom qui eut été digne d'être appelé ainsi. Alors, donner ce mot, ce surnom à quelqu'un d'autre, même si ce n'était que durant un certain laps de temps et pour l'aventure, ça lui faisait mal. Elle inspira profondément, incapable de formuler ce mot si précieux.

- Puis-je naviguer à tes côtés ?

Ace haussa les sourcils, étonné.

- Tu as bien conscience que je suis un pirate ? Qui a en plus mangé le fruit du feu ?

- Oui, confirma-t-elle la gorge nouée.

- Que la marine se jette souvent à mes trousses, et qu'il faut savoir se battre ?

- Oui, même si je ne sais absolument pas me battre, avoua Léna de but à blanc. J'apprendrai et ruserai en conséquence.

- Y a des types devant lesquels tu ne pourras pas gagner avec de simples ruses, Léna, affirma Ace avec insistance. Il y aura des jours de jeûnes, où nous n'aurons plus d'eau, ni nourritures. Où nous devrons essuyer des tempêtes. Sans parler des îles aux climats extrêmes.

La jeune femme inspira profondément par le nez, vrillant ses yeux dans ceux du pirate.

- Encore une fois, oui. Je n'ai plus rien à perdre. Je veux vivre. Vivre pour lui. Vivre pour moi. Cesser d'avoir peur du feu, peur de continuer de vivre sans Artyom. Il a emporté une partie de mon âme dans la tombe. Je ne supporte plus ce gouffre. (elle inspira) Quitte à mourir, autant que ce soit en vivant ma vie comme je le dois, conclut-elle sèchement. Emmène-moi avec toi, je ferais en sorte de ne pas être un fardeau.

Les mains appuyés sur les hanches, Ace soupira. Je veux vivre.

- Je ne peux décemment pas refuser, se résigna Ace, le visage baissé. Le log-pose doit encore recharger pendant un jour ou deux. Ne prends que le strict nécessaire. Je vais aller voir en ville s'il n'y a pas un bateau à prendre.

- Tu n'as pas de bateau ? S'étonna Léna.

- Non, juste mon striker. Ça ressemble à une grande planche de surf sauf qu'elle est alimenté par les flammes.

Léna tressaillit à ses mots. S'il voulait que le voyage se déroule sans encombre, il valait mieux pour lui, et pour elle, un autre moyen de locomotion.

- Bref. À plus tard.

- À plus tard...

Dès qu'elle fut seule, Léna contempla les restes de sa maison.

Ne prends que le strict nécessaire.

Un petit rire sans joie lui échappa. Le strict nécessaire, c'est tout ce qu'elle possédait.

La majorité de ses vêtements tenaient dans sa valise. Ne lui restait plus que son cadre photo à emporter avec elle jusqu'au studio. Ses doigts rencontrèrent la surface lisse du cadre photo. Tendrement, elle caressa le visage souriant d'Artyom. Certains soirs, juste avant que les bras de Morphée ne se referment sur elle, le parfum de son défunt compagnon l'enveloppait, et l'accompagnait dans ses songes.

Lentement, elle regarda les derniers vestige de son rêve. Sa maison.

- Je vais partir pendant quelques temps, mon ange... avoua Léna, l'émotion lui enserrant la gorge. Je crois... Je crois qu'il est temps pour moi de partir. De me reconstruire. Je reviendrais, un jour. Peut-être. Qui sait ce que l'avenir me réserve, désormais ? Dit-elle dans un petit rire sans joie. (elle inspira profondément, refoulant ses larmes naissantes.) Tu sais, je regrette souvent de ne pas être morte avec toi ce jour-là. Tu as emporté bien plus que mon âme quand tu es mort, tu sais. Tu as également emporté mon cœur. Je t'aime, Artyom. À partir de maintenant, je vais vivre pour nous deux. Prend bien soin de la maison en mon absence, mon cœur.


Mot de l'autrice : Yop ! Étant donné que ça fait un moment que j'ai commencé cette fan-fiction (2014 ou 2015, je pense), le début me plaisant moins, j'ai décidé de réécrire ce premier chapitre dans son intégralité. Du coup, la version que tu viens de lire est la plus récente et, on va dire, définitive. Aussi, j'espère que la longueur de mon premier chapitre ne t'a effrayé. J'ai "amélioré" certains passages, approfondis certaines émotions. Il y a de fortes chances que j'améliore également mon deuxième chapitre, mais ce ne sera pas avant un moment. (ou, me connaissant, je ne pourrais pas le laisser tel quel après la sortie de cette réécriture). Alors, voilà. J'espère que ce premier chapitre t'a plus et t'a donné envie de connaître la suite de mon histoire. Des bisous, et bonne année 2018 un peu à l'avance !

N'hésite pas à donner ton avis, ça me fait toujours plaisir :) !