Appartement de Mathieu, 11h
Alors ça y est, ils en étaient arrivés à là.
Mathieu se tenait au milieu du salon, et tenaient ses poings contre ses jambes, les serrant à les faire trembler. Cette situation était ridicule, il se sentait à deux doigts de craquer. C'en était trop pour lui: il lui fallait tenter le coup, il savait qu'il ne pourrait pas tenir plus longtemps. Il priait intérieurement pour que cette tentative ultime et déséspérée soit celle qui répondrait à ses espoirs, et récompenserait tous ses efforts jusqu'à présent vains.
Relevant la tête et la tournant légèrement vers le canapé sur sa gauche, plus particulièrement vers Antoine, son ami le plus cher, alors vautré dessus, à mille lieues de s'imaginer ce qu'il se tramait dans la tête du châtain, il lâcha d'un coup, d'une voix plus affaiblie que voulu: "Antoine, je t'aime."
Aussitôt, le brun tourna lui aussi sa tête en direction de celui qui venait de parler. Un bref silence s'ensuivit, au cours duquel le petit châtain refusa catégoriquement de lâcher le regard chocolat de l'autre homme; pas avant d'avoir enfin obtenu de lui la réponse qu'il attendait. Une tension régnait dans la pièce et Mathieu s'impatientait.
Ce fut enfin le plus grand des deux YouTubers qui prit la parole:
"-Mec, tu peux pas juste me sortir ça à chaque fois que tu veux que je descende t'acheter des clopes.
-Sérieux, même ça, ça te fait plus d'effet?, râla Mathieu en allant s'affaler boudeusement aux côtés du brun sur le canapé.
-Tu sais très bien que si, répondit Antoine en souriant doucement, avant de se pencher vers l'autre et de presser ses lèvres sur les siennes, dans un baiser auquel Mathieu répondit comme instinctivement. Mais tu vas quand même te bouger le cul et aller te les chercher toi-même.
-Connard, murmura le châtain contre ses lèvres.
-A ton service", renchérit le brun en souriant franchement, avant de se reculer et d'attraper son mug de café encore à moitié plein. De son bras libre, il alla machinalement couvrir les épaules du plus petit, qui vint immédiatement se blottir contre lui. Une sensation de bien-être les saisit, et tous deux prirent un moment pour se laisser bercer par le ronronnement du faible volume de la télévision, écoutant à peine l'épisode qui était diffusé (de quelle série il s'agissait, d'ailleurs, ils n'auraient su le dire). Ils restèrent un certain temps comme ça, profitant juste chacun de la présence de l'autre, de l'odeur de ses cheveux et de la chaleur de son torse, du battement régulier et tranquille de son pouls et de sa respiration apaisante qui faisait se soulever et s'affaisser sa poitrine, comme indifférents au reste du monde.
Brisant le silence, Mathieu laissa échapper un léger baillement et marmonna:
"-N'empêche que là tout de suite, je crois que je tuerais pour une clope.
-Viens pas ruiner le moment, Sommet.
-Je crois que j'en serais vraiment capable.
-Laisse-moi me décaler de quelques mètres avant que t'en sois sûr, alors.
-Par principe je m'attaque pas aux types comme toi, ça fait baisser mon niveau."
Le plus jeune des deux YouTubers initia paresseussement une réplique cinglante (ou peut-être pas), mais ne la finit pas. La douce torpeur qui s'était emparée des deux amants reprit le dessus, ajoutée à elle les odeurs tenaces et familières de tabac froid, de bière tiède et de café chaud qui imprégnaient l'appartement. Les yeux mis-clos, Mathieu se prit à se remémorer, comme un rêve, les premières fois où ils avaient partagé des moments d'une telle intimité.
Après des mois à se tourner autour, à camoufler leurs sentiments réels derrière les plaisanteries faciles et les running gags sur leur prétendue relation, stratagèmes auxquels ni eux ni leurs fans n'avaient apparemment été dupes un seul instant, Antoine s'était finalement jeté à l'eau, au même moment où le châtain prévoyait de le faire. Ils avaient finalement décidé de se mettre ensemble. Eux qui jadis cherchaient n'importe quel prétexte pour passer le plus de temps possible ensemble étaient désormais inséparables, bien que la décision de s'installer ensemble ne fut pas encore prise. D'autre part, leurs appartements respectifs faisaient partie intégrante de leurs émissions, et donc d'eux-mêmes: s'en défaire était donc pour l'instant hors de question. Mais cela ne dérangeait pas le couple, qui passaientt le plus clair de leur temps soit chez l'un soit chez l'autre. Ce n'était peut-être pas une union parfaite et harmonieuse, mais aussi, cela n'existait pas, et ce n'était certainement pas ce qu'ils recherchaient. Tous deux sentaient qu'ils avaient pris juste la bonne décision.
A part cela, rien n'avait changé dans leur manière de vivre, ou dans leur comportement l'un par rapport à l'autre en public. Mathieu se raidit quelque peu à cette pensée. Bien que leur relation ait déjà quelques semaines, pas un mot à ce sujet n'avait été révélé à leurs fans. Pourtant, au vu des fanfictions et fanarts qui ornaient ça et là la toile, et qu'ils pouvaient désormais "apprécier" avec beaucoup moins de gêne, eux n'attendaient que ça. Mais le petit YouTuber ne se sentait pas encore près, et faisait de son mieux pour ne rien laisser paraître en public: ça avait jusqu'ici fait ses preuves.
Un soupir étouffé de la part de son compagnon le ramena à la réalité. Te prend pas la tête Mathieu, profite juste de l'instant présent. Comme pour le persuader dans cette pensée, Antoine resserra son étreinte autour de ses épaules, et les muscles du châtain se détendirent de nouveau. Relevant légèrement son bras par dessus sa tête, il se mit à jouer distraitement avec les cheveux du brun, les emmêlant encore plus, geste auquel ce dernier répondit par une petite tape affectueuse sur la tête de Mathieu, avant de lui ébouriffer les cheveux de la paume de sa main. Les deux hommes s'amusaient chaque fois de ce petit rituel.
Au bout de quelques minutes cependant, le manque refaisant surface, le plus âgé décida malgré tout de s'extirper cette étreinte confortable, au grand regret des deux concernés:
"-Bon c'est pas tout ça mais avec je sens qu'en plus on va être à court de café, donc tu sais quoi j'vais descendre nous prendre tout ça", dit-il en se redressant.
"-Merci choupinou.
-Ta gueule.
-C'était petit ça.
-Excuse, j'avais pas suivi qu'on avait commencé à parler de ton anatomie.
-Ecoute, c'est pas parce que tu te sens complexé par rapport à moi que tu dois le prendre comme ça; tu sais ce qu'on dit des mecs qui ont des grands pieds...
-Je sais pas, qu'ils ont un égo de la même taille et un QI égal à leur pointure?
-Grand coup de pied dans ta gueule, tu vas voir toi.
-Arrête, tu m'excites.
-Retire cette main de là, sale pédophile!
-Excuse, j'ai cru que c'était mon baume à lèvres...
-T'es vraiment trop gay putain."
Les deux jeunes hommes plaisantaient comme à leur habitude, alors que Mathieu s'était déjà laissé glisser hors du canapé et avait commencé à enfiler son blouson et ses tennis. Une fois fin prêt, il inspecta une dernière fois sa tenue et conclut rapidement qu'éventuellement, enfiler un pantalon par-dessus son caleçon étriqué à l'effigie de Pikachu pourrait lui être profitable. A bien y regarder, ce n'était même pas son caleçon. Il sentit la chaleur lui monter aux joues, et se précipita vers sa chambre.
Durant tout ce manège, Antoine n'avait pas bougé de sa place, et se contentait de regarder avec tendresse les agitations de son ami, un sourire qu'il n'espérait pas trop niais (il se gourait totalement) aux lèvres. Il souleva sa tasse et se renfonça dans le dossier moelleux du canapé.
"Eh Mathieu, au fait...", lança-t-il au moment où le châtain essouflé et s'acharnant encore avec sa ceinture s'apprêtait à passer la porte. Ce dernier se retourna et posa sur lui son regard gris-bleu. "Je t'aime aussi.", ajouta le brun en le regardant avec son léger sourire.
Une bouffée de bien-être et de douce chaleur envahit de nouveau Mathieu, et il s'empressa de retourner à son ami un sourire plus épanoui encore et lui envoya un baiser volant, que l'autre gratifia d'un superbe doigt d'honneur, avant de quitter pour de bon l'appartement.
Il souriait toujours lorsqu'il s'engouffra dans le vestibule, puis quelques minutes après dans la rue bondée. Quelques passants le lorgnèrent sur son passage, si bien qu'il dut se reprendre. Bordel Mathieu calme-toi, là soit t'as l'air vraiment con soit les gens te prennent pour un psychopathe. Sur cette dernière pensée, il avança d'encore quelques mètres, les mains dans les poches et le rouge aux joues, puis finit par pivoter sur sa gauche et pénétra dans le bureau de tabac.
