Crédits : les personnages, à quelques exceptions près, appartiennent à Maki Murakami, nous nous contentons simplement de les emprunter.
Note : cette histoire étant un UA et contenant plusieurs personnages originaux, mieux vaut avoir lu « Ne le dis à personne » et « Amis, amants, sonate » avant pour ne pas trop se perdre.
CHAPITRE PREMIER
La scène était étrangement familière, même si le lieu était différent ; mais c'étaient les mêmes personnes assises à table qui discutaient en attendant que le repas soit servi : ses amis depuis le collège et qu'il n'avait jamais perdu de vue ; Narumi, avec qui il était de nouveau très proche ; Shinichi, qui lui avait offert une amitié indéfectible et qu'il avait toujours plaisir à retrouver. Suguru poussa un soupir intérieur. Ne manquait ce soir-là qu'Hiroshi.
Huit mois que le jeune homme avait quitté le Japon, et le temps avait pourtant filé à une vitesse incroyable. Le garçon avait cru au début que l'absence de l'ex-interne serait insupportable, et dans un sens elle l'avait été surtout que Suguru, lui, ne savait pas quand Hiroshi devait revenir. Petit à petit, cependant, les mails échangés régulièrement avaient atténué l'éloignement et les messages, au fil du temps, étaient devenus plus intimes et plus enflammés à la fois. À l'abri derrière leur écran, protégés par la distance, chacun s'était ouvert à l'autre et tout ce qu'ils n'avaient pas eu le temps de se dire s'était lentement révélé par messages interposés. À présent, les mots d'Hiroshi éveillaient un profond trouble dans son esprit, et cet amour fantasmé avait l'attrait et la saveur enivrants de tout ce qui est hors de portée.
Le pianiste aurait été incapable de dire quand, exactement, le changement s'était produit. Toujours est-il que, un jour, Fujisaki-san était devenu Suguru et le « vous » s'était changé en « tu. » Ce n'était que tout naturel. Lui, de son côté, avait mis plus de temps pour renoncer à « monsieur » Nakano, qui avait fini par se muer en Nakano et, récemment, en Hiroshi. Une familiarité qui avait paru lui brûler les doigts la première fois qu'il l'avait tapée sur son clavier, mais lourde de signification. Même séparés, ils étaient désormais plus proches.
« Tu attends encore quelqu'un, Suguru ? s'enquit Narumi, le voyant tout à coup songeur.
- Non. Tout le monde est là, je vais demander à ce qu'on serve les entrées.
- Tu penses à lui ? interrogea l'étudiante, à qui son ex-petit ami avait tout avoué de sa relation avec Hiroshi.
- Je… Oui, j'aurais aimé qu'il soit ici ce soir. C'est très égoïste de ma part, vu que je sais pour quelle raison il est parti mais… il me manque et je me languis son retour. »
Narumi lui adressa un petit sourire réconfortant. En fin de compte, elle s'en sortait beaucoup mieux que Suguru sur le plan sentimental car ne sortait-elle pas avec Itachi, l'un des anciens colocataires d'Hiroshi à présent médecin en pédiatrie à l'hôpital universitaire de Kyoto ?
« Mais il m'a téléphoné ce matin alors ça va, poursuivit Suguru, faisant contre mauvaise fortune bon cœur. Et puis il finira bien par revenir une fois qu'il aura réussi à faire ses preuves. J'ai confiance en lui, je sais qu'il y arrivera », conclut-il avec davantage de conviction.
D'ailleurs, les dernières nouvelles qu'il avait eues du jeune homme allaient dans ce sens. Hiroshi ne lui avait peut-être pas tout raconté de ses difficultés les premiers temps – décalage culture, barrière linguistique – mais nul besoin d'être grand clerc pour deviner qu'il avait dû goûter de la vache enragée et que sa priorité, une fois en Angleterre, n'avait pas été devenir une star de la pop mais trouver un logement et un emploi.
Il y était parvenu ; tout comme, avait-il assuré à son petit ami, il était parvenu à gagner de l'argent en jouant. Rien de fabuleux, bien sûr, mais suffisamment pour pouvoir payer son loyer et quelques extras. Même modestement, il avait réussi à se prouver qu'il pouvait vivre de sa musique.
« J'espère qu'il y arrivera. Je ne l'ai vu jouer que quelques fois à l'English Pub avec son amie Velouria mais j'ai trouvé que c'était formidable. Moi aussi j'ai hâte qu'il revienne. »
Un serveur apporta les entrées, et la conversation prit une toute autre orientation.
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« Vraiment ? Vous n'envisagez pas d'aller vivre à Tokyo ? »
Le repas s'était déroulé dans la bonne humeur et le dessert allait être servi. Shinichi fit « non » de la tête avec un petit sourire.
« Honnêtement, non, du moins pas pour l'instant. Mes frères et sœurs sont encore jeunes et je n'ai pas particulièrement envie de m'en éloigner de trop. C'est bon de retrouver ma famille au retour d'une tournée. Et puis, j'aime le Kansai et la vie à Osaka.
- Une chance que vous ayez intégré l'orchestre philharmonique d'Osaka, alors, intervint Rié, qui faisait des études de commerce.
- La concurrence était féroce mais j'ai beaucoup travaillé pour l'audition. Je crois bien que ce qui m'a avantagé c'est que j'étais relativement décontracté, pourtant j'avais le trac tout autant que les autres… Je suppose qu'en effet j'ai eu de la chance.
- Et si votre petite amie décidait d'aller s'installer à Tokyo ? interrogea la jeune fille.
- Hé bien… Dans ce cas, c'est une bonne chose que je sois célibataire », conclut le violoniste avec un petit rire.
Beaucoup de choses avaient changé au cours de ces huit mois, Suguru seul avait le sentiment d'en être toujours au même point. Peut-être était-ce dû à son attente ? Toujours concertiste, professeur de piano dans la même école et étudiant. Cela seul avait changé : il était passé en second cycle.
Les desserts furent placés sur la table, accompagnés par un gros gâteau au chocolat confectionné spécialement pour l'occasion. Son goût pour le sucre n'avait pas non plus disparu.
« Joyeux anniversaire ! » s'exclama Narumi, imitée par les autres convives. Sans attendre, elle ramassa la petite pile de cadeaux posée sur une chaise et la plaça devant le pianiste qui balbutia un « merci » un peu ému.
« Dépêche-toi d'ouvrir ! Tu te goinfreras après », le pressa-t-elle avec un petit coup de coude malicieux. Le garçon baissa les yeux vers les paquets – de toutes tailles, de toutes couleurs, ornés de rubans et de frisottis.
Mon plus beau cadeau aurait été qu'Hiroshi soit parmi nous ce soir… songea-t-il avec un petit pincement au cœur avant d'ôter lentement le papier irisé du paquet posé tout en haut de la pile.
La porte du restaurant s'ouvrit mais personne à table ne prêta attention au nouvel arrivant, pas même lorsqu'il se dirigea vers le petit groupe après un bref instant d'observation. Une exclamation surprise de Narumi fit relever la tête à Suguru et son cœur fit un bond violent dans sa poitrine à la vue du grand jeune homme aux cheveux longs et cuivrés qui venait de s'arrêter devant la table, un sourire indéfinissable peint sur le visage, et qui le dévorait du regard.
« Bonsoir, Suguru. Joyeux anniversaire. »
Écrire et prononcer à voix haute « Suguru » n'avait pas le même impact. Le prénom évoquait à lui seul une promesse chérie et jusque là inaccessible. « Suguru » était le mot clé d'une incantation dont eux seuls voyaient les effets. « Suguru » était devenu un mot magique et qui prenait chair aujourd'hui.
Il avait pourtant répété la scène plusieurs fois, se promettant de rester calme. Cependant, son cœur cognait dans sa poitrine et son souhait à présent était d'enlever Suguru à ses amis, le déshabiller et lui montrer combien il lui avait manqué. Ce film dont uniquement les endroits variaient, il se l'était passé en boucle depuis des mois mais il devrait encore patienter. Que représentaient quelques heures sachant qu'il attendait depuis presque deux ans ?
Ils restèrent donc quelques secondes immobiles et silencieux. Pour eux, ces secondes défilèrent à une allure effrénée. Les mots et les émotions se bousculaient dans leur tête mais rien ne vint, rien de ce qu'ils auraient voulu. Ils n'étaient pas seuls. L'arrivée d'Hiroshi avait provoqué un léger flottement d'incompréhension chez les anciens lycéens.
« Bonsoir, monsieur Nakano. C'est une chance que vous soyez là ce soir. Installez-vous donc à côté de Suguru, salua sincèrement Shinichi en se décalant.
- Bonsoir, monsieur Garai, retourna Hiroshi avec un sourire amical. Narumi, Rié, Nobu, Shinzo. »
Maîtres d'eux, les deux amoureux retinrent leur envie ardente de s'étreindre et Hiroshi, sans monopoliser la conversation, raconta dans les grandes lignes son long séjour en Europe jusqu'à son arrivée le matin même à Tokyo. Ils se séparèrent tous deux heures après.
« Je ramène Okuda-chan en taxi, décida Garai. Je vous charge de Suguru, monsieur Nakano. Bon retour parmi nous », dit-il avant de s'éloigner avec l'étudiante.
Seuls devant le restaurant, Hiroshi caressa enfin la joue de son petit ami.
« J'ai l'impression de rêver. Encore, murmura-t-il.
- Je suis bien réel pourtant, lui répondit le pianiste en se hissant sur la pointe des pieds pour l'embrasser.
- Nous pourrions aller dans un endroit plus calme pour… discuter. Qu'en dis-tu ?
- Je vous suivrais en enfer », roucoula Suguru en glissant ses doigts entre ceux de Nakano.
Ils marchèrent ainsi, main dans la main, jusqu'à un petit hôtel. Dans la chambre, leur passion trop longtemps contenue déferla avec fougue et sans réserves.
Ils s'embrassèrent de longues minutes avant de reprendre leur souffle.
« Tu m'as manqué… susurra Hiroshi au creux de l'oreille de son petit ami. Ces longs jours et ces interminables nuits sans toi… »
Oui, « Suguru » devenait un pays merveilleux, plein de couleurs, de parfums et de musicalité.
« Ton odeur, le son de ta voix, ta douceur, tout m'a manqué. C'est comme si j'avais laissé une partie de mon cœur à Kyoto.
- Vous m'avez aussi manqué… Hiroshi. Et… je suis tellement heureux que vous soyez venu pour mon anniversaire. Quelle surprise ! »
Là encore, tout se bousculait. Suguru aurait voulu l'interroger sur les mille et un détails de sa vie en Angleterre mais son corps trahissait une autre envie et y céder l'embrasait.
Sans plus hésiter, Hiroshi amena son petit ami enfin retrouvé contre le lit et tous les deux s'allongèrent. Enivré, Suguru laissa les mains du jeune homme défaire ses vêtements et frémit à leur contact. Douces et chaudes, elles allaient et venaient sur son torse offert.
Les lèvres d'Hiroshi et sa langue inscrivaient elles aussi un message sur le garçon abandonné. Tantôt douces, tantôt mordantes mais toujours gourmandes, elles exploraient la terre inconnue avec avidité.
Le guitariste ôta sa chemise et fit glisser son pantalon avant de reprendre sa position sur Suguru.
« Touche-moi », souffla-t-il.
Il défit le pantalon de l'autre garçon, qui se dégrisa à ce contact imprévu.
« J'ai ce qu'il faut, ne t'inquiète pas », le rassura Hiroshi.
Comment ça, il avait ce qu'il fallait ? Hiroshi avait prévu l'issue de la soirée ? D'un autre côté, lui aussi en avait envie, non ?
Toujours ardent et entreprenant, l'ex-interne frotta son érection contre celle de son petit ami, insensible aux doutes de ce dernier. Sa main trop curieuse et pressée en fit les frais quand elle fut stoppée avant d'abattre le dernier vêtement. Nakano s'arrêta et considéra Fujisaki.
« Tu… tu n'as pas envie ?
- Si, mais… »
Si, mais je suis vierge alors c'est un peu brusque pour la première fois et je ne suis pas prêt.
Si, mais nous sortons à peine ensemble alors c'est peut-être un peu rapide.
Si, mais… vous ne pensez qu'à ça ?
Tout s'entrechoqua chez Suguru.
« Si, mais… je ne voudrais pas gâcher notre première fois et comme je ne pourrai pas passer toute la nuit avec vous… je veux juste vous sentir contre moi. »
Le garçon enlaça Hiroshi.
« Restez contre moi et ne partez plus aussi loin aussi longtemps… »
Nakano obtempéra et se coucha contre Suguru.
« Comment ça tu ne passes pas toute la nuit avec moi ? demanda-t-il en jouant avec une petite mèche de ses cheveux.
- Ma mère. Ça n'était pas prévu que je découche. Elle pourrait s'inquiéter.
- Passe un coup de fil.
- À une heure du matin ?
- Effectivement. Tu restes encore un peu ?
Oui », répondit Suguru avant de se blottir contre son petit ami.
Ils restèrent ainsi encore quelques instants.
« Quand nous reverrons-nous ? questionna Suguru en se rhabillant.
- Je passe la journée ici avec les copains puis je remonte à Tokyo.
- Merci Hiroshi de m'avoir fait la surprise. Vous devez être fatigué avec le décalage horaire.
- Je ne te cache pas que ça m'arrange que nous soyons reposés. Mais je ne t'oublie pas.
- J'y compte bien ! s'exclama Fujisaki en se demandant comment il esquiverait la prochaine fois.
- Je t'aime et je suis très heureux d'être revenu. »
Ils s'embrassèrent et décidèrent de partager le taxi.
« Vous devez vraiment rentrer à Tokyo ce soir ? » s'enquit Suguru une fois devant chez lui.
- Je n'ai pas le choix malheureusement. Mais maintenant que j'ai choisi, je vais avoir plus de temps.
- Vous m'avez dit que monsieur Shindo revenait lui aussi ?
- Oui, il se réinstalle au Japon avec Yuki. Vous pourrez vous voir plus souvent !
- Merveilleux, ironisa le pianiste. Au revoir, Hiroshi. »
Les deux se regardèrent et se promirent de s'appeler. À peine retrouvés, ils se séparaient déjà.
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Suguru n'était pas parvenu à trouver le sommeil une fois rentré chez lui, profondément troublé par les événements de la soirée.
Il n'en avait pas cru ses yeux en voyant Hiroshi devant lui. Pendant un infime instant, il avait même cru que son imagination lui jouait des tours, mais il ne s'agissait pas d'un rêve et il avait fallu au pianiste un effort de volonté énorme pour ne pas se jeter sur le jeune homme et le serrer de toutes ses forces entre ses bras.
Il avait eu envie de lui dire tant de choses, lui poser des milliers de questions sur son séjour en Angleterre mais dans le même temps sa raison avait été complètement remisée au second plan et, une fois dans la chambre, il n'avait plus été question une seule seconde de retenue ou d'inhibitions. Contrairement à la fois où il s'était retrouvé dans la même situation, avec Narumi, il avait eu envie d'aller plus loin cependant… Cependant au final, le résultat avait été le même : il s'était dérobé. D'où était venue cette crainte subite ? Car il avait eu peur, inutile de le nier. En dépit de son excitation, il avait bloqué la main d'Hiroshi et l'avait arrêté avant que les choses n'aillent trop loin. Son manque d'expérience avait pris le dessus mais même sans cela Suguru avait été quelque peu effrayé par l'empressement du jeune homme à lui bondir dessus sitôt la porte refermée. N'avait-il pas éprouvé le besoin de faire un peu durer les choses entre eux sans aller directement à l'essentiel ? Il pouvait comprendre son impatience, mais… un peu de romantisme ne faisait pas de mal non plus, non ?
Quoi qu'il en soit, Hiroshi avait regagné Tokyo le soir même et il ne savait pas quand il le reverrait.
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« Attends, ne bouge pas. Hé bien, elle ne t'a pas raté, mon pauvre ! Aussi il faut la comprendre, tu l'as abandonné comme une vieille chaussette et tu reviens l'air de rien et la bouche en cœur ! »
Sakura referma sa petite trousse à pharmacie et alla jeter le morceau de coton ensanglanté avec lequel elle avait essuyé la joue de son ami à la poubelle. Hiroshi lança un regard de reproche à Ikkyoku, sa petite chatte, qui boudait sur le dossier d'un fauteuil.
« C'est comme ça que tu accueilles ton papa à son retour d'Europe, mauvaise fille ? lança-t-il d'un ton vexé.
- Ah, tu connais mal la psychologie des femmes, Hiro, même quand elles appartiennent à la race féline… ça ne saigne plus », conclut Sakura après inspection de la joue du jeune homme, marquée par quatre griffures bien nettes. Ikkyoku était rancunière et n'avait que fort peu apprécié la disparition subite de son humain de compagnie. Des mois d'absence et il revenait comme si de rien n'était pour lui faire des mamours ? Pareille impudence avait été dûment punie.
« Ne t'en fais pas, elle va te faire la tête quelques jours puis tout redeviendra comme avant, dit la jeune fille en déposant sur la table deux tasses de thé et une assiette de biscuits fourrés à la fraise. Mais dis-moi, tu es allé à Kyoto hier soir, c'est ça ? Alors, comment ça s'est passé avec Fujisaki ? Il ne t'a pas griffé lui, au moins ! »
Le jeune homme but une petite gorgée de son thé, l'air pensif. Non, Suguru ne l'avait pas griffé mais… il ne s'était pas attendu à être éconduit comme il l'avait été non plus. Bien entendu, l'argument du petit pianiste était valable, et c'était vrai qu'il n'avait pas prévenu de son arrivée, mais il avait été un peu déçu de ne pas avoir pu davantage approfondir leur relation toute neuve car du peu qu'il avait pu goûter… il avait plus qu'apprécié.
« Non, en effet, répondit-il après un bref instant de réflexion. Il était plutôt content de me revoir.
- Vous avez fêté dignement vous retrouvailles, j'espère ?
- Si par « dignement » tu veux dire que nous avons fait l'amour jusqu'au petit matin, alors je suis au regret de te dire qu'il ne s'est rien passé de tel », avoua Hiroshi avec un faible sourire. Sakura le considéra avec un peu d'étonnement.
« Comment ça ? Vous… vous n'êtes allé nulle part après le restaurant ?
- Si, bien sûr que si. On est allé dans ma chambre et… Bon, enfin, à un certain point il m'a arrêté, relata l'ex-interne qui n'éprouvait pas la moindre retenue à se confier à sa meilleure amie, comme il l'avait toujours fait depuis qu'ils se connaissaient.
- Ah oui ? Mais pourquoi ça ?
- Bah, il n'avait pas prévu de découcher alors plutôt qu'une première nuit ensemble précipitée il a préféré remettre à un autre jour. Dans un sens, remarque, ça m'a arrangé parce qu'avec le voyage et le décalage horaire j'étais plutôt à plat mais bon… Tu comprends, j'ai pas arrêté de fantasmer sur ce moment quand j'étais là-bas, et au bout du compte… rien », expliqua Hiroshi, piteux. Sakura pouffa.
« Allez, remets-toi, ce sera pour la prochaine fois. Je le comprends, moi aussi pour ma première fois avec celui que j'attends depuis des mois je préfèrerais prendre mon temps. Tu n'as qu'à lui offrir un week-end de détente dans un ryokan avec un onsen et tu profiteras de ce que vous êtes seuls pour le faire grimper aux rideaux toute la nuit ! Qu'en dis-tu ? D'autant que, maintenant, tu as le temps, pas vrai ? »
Le jeune homme hocha la tête. C'était vrai, contrairement à avant son départ il avait du temps libre à revendre, même s'il allait lui falloir penser à chercher rapidement du travail en attendant d'envisager de se lancer dans quoi que ce soit du domaine musical. Toutefois, il avait acquis une certaine expérience au cours de son séjour en Europe et son anglais s'était considérablement amélioré, ce qui était un plus.
Sauf qu'il y avait un hic dans ce plan de rêve : l'idée du ryokan n'était pas neuve, Shinichi Garai avait eu la même l'année précédente, à l'occasion de l'anniversaire de Suguru. Bien que le violoniste ne soit plus son rival, il n'avait aucune envie d'avoir l'air de le copier.
« Hm, oui, je… je vais réfléchir à quelque chose comme ça, répondit-il. Et comme je ne lui ai rien offert pour son anniversaire, ça vaudra pour l'occasion, avec un peu de retard.
- Si tu lui offres une nuit de passion torride ça vaudra pour l'occasion aussi, dit Sakura avec un clin d'œil en prenant un biscuit. Et tes amis de Kyoto, comment vont-ils ? Tous installés maintenant ?
- Ben ça, tu ne sais pas la meilleure ? Mon pote Itachi, un de mes anciens colocataires, est avec Narumi, l'ex-copine de Suguru, tu te souviens ? »
La jeune fille gloussa.
« La piailleuse ? Tu parles si je me rappelle ! »
C'était bon d'être de retour. Sakura lui avait manqué, tout comme ses amis de Kyoto. Bien entendu, il avait lié quelques amitiés en Angleterre mais… ça n'était absolument pas pareil. Ses attaches étaient restées au Japon, et son amour aussi.
Sa réinstallation dans l'appartement fut rapide, le jeune homme ayant laissé toutes ses affaires sur place sauf quelques effets confiés à son frère Yuji. Il aurait aimé se rapprocher de Suguru mais, une fois leur internat achevé, ses anciens colocataires s'étaient installés chacun de leur côté et il se voyait mal aller leur demander l'asile. Plus tard peut-être, mais dans l'immédiat mieux valait pour lui rester à Tokyo, d'autant que Shuichi devait revenir s'y installer également.
Mais tout d'abord, il se devait d'aller rendre visite à ses parents. Son père avait très mal pris l'abandon de sa carrière de médecin et son départ abrupt en Angleterre, et il ne faisait nul doute que les retrouvailles s'annonçaient houleuses.
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« Tu comprends que tu nous es redevable, Hiroshi ? »
Le garçon baissa le regard non pas de honte mais de colère et de déception. Son père lui demandait de lui rembourser ses trois premières années de médecine, pour les autres, recevant un salaire, l'ancien étudiant était subvenu à ses besoins.
« Je suis compréhensif, je te fais cadeaux des intérêts. »
Intérêts ou pas, il avait quand même 8 800 000 yens à rembourser et à moins de braquer une banque, il en aurait pour des années.
Le garçon se leva.
« Je vais trouver un emploi et je vous enverrai un échéancier, père, dit-il sur un ton froid dénué d'émotions. Bonne soirée. »
Il s'inclina et quitta le domicile de ses parents.
Il resta soucieux une partie de la soirée. Il pouvait peut-être re-postuler à un poste de chirurgien et l'exercer le temps de rembourser son père, après tout, le salaire était plutôt alléchant. Mais il refusait cette idée. Il n'allait pas remettre un pied dans la médecine sinon il ne la quitterait jamais. Mais alors quoi ? Ses compétences étaient plutôt maigres et le besoin pressant. Un bruit de clefs le tira de ses pensées moroses.
« Hiro ? Tu es là ?
- Je suis dans le salon.
- Et alors tu n'as pas fait à dîner ? Moi qui croyais avoir gagné un homme à tout faire. Tu parles d'un cadeau !
- Ça ne s'est pas très bien passé chez mes parents. Mon père s'estime « floué » et je dois rembourser mes trois premières années. C'est ça où il m'intente un procès.
- Vends ton corps. Je connais des tas de filles… et de garçons qui paieraient pour faire des galipettes avec toi, plaisanta la jeune fille avant de rejoindre son ami sur le canapé. Tu vas trouver, ne t'inquiète pas et puis je peux t'aider. Avec ce que tu as économisé quand tu étais interne, plus mes économies et peut-être celles de ton frère… même si ça je n'y crois pas trop, ça pourrait aider.
- Garde ton argent, c'est gentil. Je dois me débrouiller seul. En attendant, comme je suis fauché, c'est toi qui paies le repas ce soir », sourit le garçon en s'étirant et en évitant de justesse un coussin.
À suivre…
8 800 000 yens = 70 871 euros
