Bonjour messieurs dames ! Un court OS qui prend place dans l'univers de A Secret History (Le maître des illusions) de Donna Tartt. C'est une traduction de A Time to Sink de thewrinkleintime, que je ne fais que traduire. L'histoire appartient à thewrinkleintime et les personnages à Donna Tartt. Les notes de l'auteur ne sont pas de moi, mais de l'auteur original. Si la traduction de cette histoire pose problème, je la retirerai immédiatement.


Note de l'auteur : la scène prend place un certain temps après les funérailles, mais la durée de l'ellipse est laissée à l'interprétation.


Francis visita la tombe de Henry une seule fois dans les années qui suivirent les funérailles.

C'est un long voyage jusqu'à Saint Louis, mais Francis sent qu'il doit à Henry de lui dire adieu en personne. Par toutes ses fautes – et le meurtre prémédité est assurément une faute – Henry a joué un rôle immense dans la vie de Francis à Hampden, plus qu'il n'aurait jamais pu l'imaginer.

Tandis qu'il essuie une tache de terre sur la tombe et redresse le bouquet de fleurs mourantes qui repose sur le marbre, il se demande depuis combien de temps personne n'a plus entretenu la tombe. C'était déconcertant de penser qu'un personnage aussi grandiose que Henry (son intelligence, son magnétisme, ses erreurs – avaient été pareillement grandioses) pouvait être oublié si rapidement. Henry était sensé être immortel, éternellement ajustant ses lunettes et lançant des remarques réprobatrices sur les Anciens Grecs. Il n'était pas supposé être l'un d'eux. (Cette nuit-là, la nuit où le fermier mourut, Francis pensa qu'il avait vu Dionysos. Après-coup il s'était convaincu du contraire, mais dans ces bois il aurait pu jurer qu'il était en présence d'un dieu, d'un dieu qui avait pris la forme de Henry.)

Il se souvient des funérailles. Il se souvient du vide qu'il avait ressenti, comme le monde lui avait semblé vidé de sa substance, comme si Henry avait été mélangé à chaque aspect de l'existence et avait en partant emporté avec lui un morceau de toute chose ; rien n'était plus entier.

Francis prend une cigarette dans son paquet et se débat avec le briquet pendant plusieurs seconde avant qu'elle ne s'allume. Sa blessure au tendon était irréparable, et Francis avait été laissé avec le souvenir permanent de ce qu'il-voulait-faire-mais-avait-échoué-à-faire. (La prochaine fois il n'échouerait pas.)

Le vent est mordant et ne pardonne pas. Francis resserre les pans de sa veste et dit à la tombe (il ne peut s'empêcher d'imaginer que Henry est bien là, sous la terre) :

''L'âcre amour m'a gonflé de torpeurs enivrantes

Ô que ma quille éclate ! Ô que j'aille à la mer !''

Francis tourne les talons ; il a de la route à faire, trois lettres à envoyer, et un bateau à faire sombrer.


Note de l'auteur : Les vers viennent du poème de Rimbaud, Le Bateau ivre (The Drunken boat), le même que Francis cite dans sa lettre d'adieu à Richard. Les vers des deux citations se suivent :

Mais vrai, j'ai trop pleuré ! les Aubes sont navrantes

Toute lune est atroce et tout soleil amer :

L'âcre amour m'a gonflé de torpeurs enivrantes

Ô que ma quille éclate ! Ô que j'aille à la mer !