Carte de Bibliothèque

I

Mycroft Holmes était en retard. Cela ne lui arrivait jamais. Oh grand jamais! Il était l'exemple parfait du parfait élève parfaitement adoré des professeurs et du directeur.

Cela ne lui arrivait jamais de se réveiller à sept heures du matin. Généralement, il ouvrait ses yeux à six heures vingt-sept. A six heures quarante-deux, il était douché, habillé. Il prenait d'habitude un déjeuner léger vers sept heures. A sept heures trente-cinq, il était en classe, toujours au premier rang.

Sauf aujourd'hui. Il était resté tard la veille à la bibliothèque de l'internat pour terminer une rédaction sur la traite des bêtas au XVème siècle. Ce sujet particulièrement passionnant lui avait fait oublier le temps et même son lit. Il n'était rentré dans sa chambre que vers trois heures du matin, prenant soin de ne pas réveiller ses camardes et le surveillant distrait qui somnolait au lieu de faire des rondes.

— Attention! fit une voix féminine.

Trop tard, il rentra dans la jeune fille en question. Il se releva à la hâte, prenant juste le temps de grommeler ses excuses avant de repartir dans sa course. Heureusement que ses parents l'obligeaient à rester en forme. Pour une fois, cela s'avérait être utile.

— Hé! Tu as oublié un livre, continua l'adolescente.

Elle le rattrapa en quelques enjambées, sa jupe d'uniforme relevée bien haut au-dessus des genoux comme le préconisaient les magazines de modes féminines pour lycéennes. Il lui arracha son bouquin des mains, rouge de honte d'être surpris dans cet état peu digne pour un élève brillant à la réputation... absente.

— J'm'appelle Apolline mais tout le monde me surnomme Anthea, et toi? lui criait-elle dans les oreilles.

Mycroft prit enfin le temps de baisser son regard sur la jeune fille. Quinze ans, de mon âge mais seulement en onzième année comme la moyenne. Une alpha femelle, bonne élève mais sans plus, classe moyenne-supérieure, parents médecins, banlieue de Londres, fille unique, arrivée pas longtemps dans ce pensionnat privé, non boursière, assez banale avec un cercle d'amis normal mais pas proche. Bonne en mathématiques et géographie. Intéressant...

— Oh! T'as finis de m'analyser? lui demanda Apolline... non, Anthea.

— Heu... Excuses-moi, bredouilla Mycroft avant de se sentir rougir.

— Mouahhhh! Tu es adooooraaablle!

Il leva les yeux aux cieux et se rendit compte qu'elle allait dans la même direction que lui, à savoir, le cours d'histoire politique dispensé en option.

— Cool, j'ai déjà un ami alors que je suis nouvelle! s'écria la jeune fille en le traînant vers le fond de la salle, sans attendre son avis sur la question.

Mycroft leva une nouvelle fois les yeux aux cieux mais se laissa faire de toute manière. Elle lui faisait étrangement penser à son frère, Sherlock, encore en cours élémentaire dans le Kent.

— Tu es en douzième année, c'est ça? continuait de l'interroger Anthea, sans perdre une miette du cours qui se déroulait devant eux.

Pitié... ils étaient en cours!

— Oui, finit-il par lâcher après qu'elle eut lancé un regard de chien battu en sa direction.

La jeune fille ne laissait pas indifférente quelques élèves omégas et bêtas. Elle respirait la confiance et était jolie. Mycroft se sentait être épié pour la première fois et pour une raison autre que l'habituelle: ce satané génie en avance sur nous tous et arrogant comme pas possible.

Heureusement, l'intervention de leur professeur restaura un semblant d'ambiance studieuse dans la salle.

*xXx*

— Salut Myc! cria Anthea en courant vers lui.

Mycroft leva une nouvelle fois les yeux aux cieux. Son... Amie? avait pris pour habitude de le suivre tous les jours à longueur de journée. C'était étrange venant de la part d'une jolie alpha femelle plutôt intelligente et mature. Certes, elle était débordante de joie, mais elle était loyale et devenait de jours en jours la maîtresse des ragots. Elle était au courant de tout ce qui se passait, ce qui n'était pas pour déplaire à la curiosité de Mycroft.

Cela faisait à présent trois mois qu'ils se côtoyaient. Ils déjeunaient ensemble, étudiaient ensemble, passaient même parfois leurs soirées ensemble. Leur pensionnat privé avait été le premier à accepter alphas, bêtas, omégas et ceux qui ne s'étaient pas encore révélés, qu'importe leur sexe féminin ou masculin. La seule condition était de l'ordre des résultats scolaires. C'était un établissement très ouvert d'esprit et des premiers dans le classement national, à l'exception des indétrônables Eton, Saint Paul's et Westminster encore réservés à une élite alpha mâle.

Or Mycroft n'était pas alpha. Il était soit bêta, soit... oméga. Même si l'idée d'être de la dynamique des procréateurs l'horrifiait. Les omégas, quoique libres de leurs faits et gestes à présents, demeuraient encore peu présents dans les strates supérieures de la société. La majorité était cantonnée au rôle de mère de famille dévouée et en perpétuelle gestation. Mycroft redoutait cela mais savait s'y résoudre si tel serait le cas. Il avait d'autres aspirations dans la vie, comme diriger le gouvernement un jour. Il se battrait donc. Il n'était pas né de la dernière pluie et possédait les ressources intellectuelles nécessaires à sa réussite professionnelle.

— Oh non! Pas eux! cria Anthea en lui tirant la manche de sa veste d'uniforme.

Il vit se diriger vers eux la troupe des élèves populaires. Ils étaient sept, toujours ensemble. Mycroft ne savait jamais lequel était qui en raison de leurs uniformes débraillés de la même façon.

Anthea sembla comprendre son désarroi. Elle lui chuchota à l'oreille.

— Sally Donovan, une bêta. Elle sort avec Rudy Emmett, l'idiot alpha que tu vois-là avec ses cheveux blonds bourrés de gels et sa veste d'uniforme nouée à la taille. C'est le capitaine de l'équipe de rugby. Sally est première de classe en sports, présidente du conseil des élèves et lance des modes farfelues. A sa droite, la blonde platine oméga, Candice MacLowen, en mini-jupe encore plus courte que la mienne est souvent dans le bureau du directeur à cause de ses mauvais résultats et de son addiction à la nicotine et aux chemises entrouvertes. Elle a déjà été renvoyée plusieurs fois pour tenue vestimentaire inappropriée et comportement exhibitionniste. Elle sort avec le capitaine de l'équipe de foot. Tu le connais, il est dans ta classe, en douzième année. C'est Greg Lestrade. Il est alpha, beau comme un dieu et est le plus populaire d'entre tous. Il y a aussi Peter Hoover, un alpha. C'est le fils du milliardaire du même nom. Ils détiennent une bonne partie des banques anglaises et tout le reste. Mais je pense que tu es au courant de cela, hein? Il a des vues sur Sally et elle en profite pour lui soutirer des faveurs. Il a une décapotable Maserati et vit à l'extérieur du campus. Ils ont l'habitude de se retrouver chez eux pour des soirées superbes. J'aurais bien aimé aller y faire un tour... Il est assez brillant, et veut entrer dans la politique. L'autre brun, c'est Michael Dimmock, mais on le surnomme Dimmo, bêta. Il joue avant-centre dans l'équipe du lycée. Il est sympa et cool. Greg et lui sont amis d'enfance. Et puis... voici Irene Adler. Elle est oméga, meilleure amie avec Candice ou Sally, cela dépend de son humeur. Fais gaffe, c'est une langue de vipère. Elle a détruit la réputation de je ne sais plus combien de personnes et a couché avec presque tout le monde. C'est aussi l'ex de Greg Lestrade. Les deux s'entendent bien, mais sans plus. Elle lance aussi des modes comme celle de la cravate à moitié nouée en vogue en ce moment...

Mycroft Holmes constatait qu'Anthea n'était pas étrangère à cette mode. Elle-même portait sa cravate d'uniforme à moitié nouée, comme les autres filles du pensionnat.

Gregory Lestrade n'avait pas de cravate, sa veste pendait sur son dos. Sa chemise était mal rentrée dans son pantalon, le col était ouvert mais pas trop. Il était plutôt classe et bien élevé, en apparence du moins.

Pendant ce temps, le groupe des ultra-populaires passa devant eux sans un regard ni un clignement des yeux. Tout le monde s'était arrêté pour les laisser passer, comme s'ils étaient membres de la famille royale. La longue chevelure blonde de Candice aux lèvres roses hypnotisait les alphas et bêtas, tandis qu'Irene les envenimait de son regard séducteur. Elle sortit un rouge à lèvre vermeille et s'en tartina la bouche d'un geste sensuel. Sally jouait avec son portable sans quitter des yeux son idiot de petit-ami. Ce dernier riait aux éclats aux blagues de Gregory Lestrade et de Peter. Les deux adolescents portaient la même ceinture de marque internationale. Paul jonglait avec une balle de foot à leurs côtés, l'air de rien.

— Greg est le fils du secrétaire d'état à la défense. Les profs l'adorent. Mais pas pour les mêmes raisons qu'ils t'aiment, toi. Il n'a pas son pareil pour les mots.

Mycroft détourna le regard. Il ne voyait pas en quoi ce groupe d'adolescent pouvait autant plaire à tout l'établissement. Il avait une carrière à planifier devant lui et les intrigues lycéennes n'étaient pas sa tasse de thé. Anthea lui suffisait amplement comme amie et commère.

*xXx*

— Aïe, Anthea! cria Mycroft avant de frotter ses sourcils douloureux.

— Allez, un peu de nerfs! Tu dois être digne de ta dynamique, et laisses-moi faire. Dommage que je sois gay, sinon je t'aurais sauté à l'heure qu'il est!

Anthea continuait de lui épiler les sourcils. Depuis son retour des vacances de Toussaint, elle prenait soin de le rendre présentable. Or, il était toujours présentable.

— Mais tu ressembles trop à un premier de classe sans style. Tu ne vas jamais te caser avec ta dégaine crispée! Pour un oméga mâle, tu es bien peu séduisant. Vous êtes si peu nombreux pourtant!

Son amie continuait de le sermonner tout en enlevant ses poils auburn un à un. Il détestait ses gestes précis et ses connaissances sur la mode. A son retour des vacances, elle l'avait traîné dans sa chambre et reniflé de partout. Il s'était révélé à la surprise générale lors d'une réunion de famille dans le sud de Bath et sans l'aide de son père, il serait en cloque à présent.

C'était désormais un Mycroft Holmes oméga mâle sous contraception qui existait aux yeux de la société.

— Ouch! Fais gaffe! cria-t-il de désespoir.

— Comme tu peux être vulgaire! Bon, c'est fini. Regardes-toi, hein?

Elle lui tendit un miroir et il s'étrangla de stupeur face à son reflet. Ses sourcils étaient enfin dessinés, mais pas trop. Sa virilité oméga demeurait intacte donc. Ses cheveux avait poussé, Anthea aimait les styliser avec élégance et sans trop de gels. Elle lui avait acheté des chemises moins larges, ni trop cintrées, et retaillé sa cravate d'uniforme en quelque chose de plus fin. Cela avait pour but d'élancer sa silhouette affinée par des années de régimes et sa révélation en oméga. Son amie lui avait avoué son homosexualité peu de temps après leur rencontre. Elle le vivait aussi bien que possible, mais la société aimait juger.

— Parés pour la rentrée des classes! cria-t-elle une nouvelle fois avant de rouler sa jupe pour la rendre plus courte.

Mycroft ne comprenait pas en quoi cela pouvait l'aider à se trouver un petit-ami ou petite-amie alpha, mais qu'importe. Ses jambes étaient magnifiquement bronzées par le soleil de Barcelone. Et ses cheveux... ils devenaient de plus en plus catalan comme ses origines. Anthea pouvait rivaliser avec Irene Adler et même cette Candice.

Les deux adolescents sortirent de la chambre de l'oméga, tous sourires. Ils étaient devenus très proches en quelques mois. Même ses parents avaient senti le changement et accueillaient cela avec joie. Leur fils renfermé, solitaire et génial devenait sociable. Sa seule et unique amie lui suffisait amplement.

— Sherlock est revenu avec un copain d'école. Il s'appelle John Watson, un an de plus que lui. C'est un gentil garçon et un peu dérangé pour vouloir supporter mon frère, raconta Mycroft tout en se dirigeant vers le réfectoire.

— Tu me présenteras ton frère un jour, hein? J'ai hâte de le voir avec ce John. Ils doivent être troooooppp mignons! Anthea attrapa un plateau repas.

— Mignons mon oeil. Insupportables, oui! rétorqua Mycroft en s'installant à leur table habituelle.

Ils déjeunèrent entre rires et anecdotes. Mycroft établissait la liste des universités dont il voulait en faire partie et Anthea le priait de l'aider dans quelques cours afin de continuer à étudier dans la même que la sienne. Il se sentait enfin à son aise, moins timide et plus confiant. Son amie l'aidait réellement à prendre confiance. Ses notes étaient meilleures, son humeur moins sarcastique et il souriait même parfois à ses voisins de tables. Malgré tout, il inspirait crainte et rumeurs à son passage. Mycroft Holmes était connu comme étant le génie précoce insaisissable et lugubre. On disait de lui qu'il venait d'une branche de magiciens ou autres. Mais il n'en avait que faire à présent. Ce n'était pas de sa faute si tout le monde nageait tels des poissons rouges autour de lui.

— Myc? s'enquit Anthea.

Il leva les yeux et vit Gregory Lestrade, toujours aussi bronzé et débraillé à leurs côtés.

— Heu... Salut! J'me disais... heu... bredouilla l'alpha en se frottant l'arrière du crâne. Il désigna la pomme laissée de côté par Mycroft.

— Puis-je t'aider? demanda Mycroft en retour dans un ton glacial.

— Ha heu... J'voulais juste te demander si tu veux ta pomme... Tu ne les manges jamais et... ben, voilà, répondit Greg.

Mycroft haussa un sourcil et lui présenta sa pomme dans un geste presque royal. Anthea se retenait d'éclater de rire.

Gregory se confondit en remerciements avant de se précipiter vers sa table et ses amis populaires hilares.

— Que me vaut cet honneur, votre altesse? se moqua Anthea entre deux éclats de rire.

Mycroft lui lança un regard noir.

— Mais Myc! Je te taquine! Tu aurais dû voir ta tête. Il est traumatisé, le pauvre. Tu as trau-ma-ti-sé Greg Lestrade, le plus populaire des alphas du bahut!

— Je ne vois pas en quoi je fais peur aux gens.

— Tu parles comme si tu sortais d'un romain de Jane Austen et tu t'habilles dans le même style...

— Plus maintenant si je crois tes dires.

— Mouais... j'en pouvais plus de tes noeuds de cravate Windsor et de tes mouchoirs en tissus. Cela m'a fait un bien fou d'affiner ta cravate... Mais, dis-moi? Il ne serait pas en train de t'observer, ce Greg?

— Par... pardon? En quoi l'intéresserais-je?

— Oh Myc! Tu t'es révélée pendant ces vacances comme un oméga et tout le monde le sait à présent. Avec ton nouveau look, ta senteur de chocolat et ta silhouette élancée, il faut être aveugle pour ne pas le voir. En plus, tu respires l'aristocratie intouchable même si tu viens du fin fond du Kent de parents banals. Et puis... il a dit que tu laissais toujours ta pomme de côté. S'il ne t'observe pas... Il doit même t'épier depuis longtemps. C'est le premier jour depuis la fin des vacances et tu viens juste de te révéler... Donc... il s'intéressait à toi même lorsque tu n'étais qu'un gosse sans dynamique connue... Aaaaah! L'ammmooouuurrr réel et sans dynamique! chuchotait incessamment Anthea.

Mycroft leva les yeux aux cieux avant de terminer sa tartine.

— Anthea. Il est seulement vorace. Regardes-le, il est en train de demander son yaourt à Dean là-bas... pointa Mycroft en désignant l'autre bout de la salle.

— Mouais... Mais il mange pour combien, ce gars?

— Au regard de la pomme, du yaourt, des deux toasts, du jus d'orange, de l'assiette d'omelette qu'il a sur les bras et qui ne faisaient pas parti de son premier plateau repas, je pense qu'il doit bien manger pour deux ou trois.

— Ben... c'est un sportif. Faut bien qu'ils mangent.

— Mouais...

*xXx*

— Myc, Myc, Myc! cria une nouvelle fois Anthea en se précipitant vers lui. Elle avait réussi à copier la clée de sa chambre, sans qu'il en eut vent, et aimait à y entrer au gré de ses envies.

— Que se passe-t-il?

— Tu ne vas pas le croire. Les Sugary Daddys passent en concert dans le centre ville! Il faut qu'on y aille, c'est ce weekend! cria-t-elle en sautant sur son lit. Elle lui arracha son livre sur la guerre froide des mains et l'envoya valser à la fenêtre.

— Les... Sugary Daddys? interrogea avec dégoût Mycroft Holmes visiblement ne sachant pas quoi faire avec ses mains.

— Ben oui, voyons! C'est mon groupe préféré et ils commencent à vraiment devenir célèbres. Il suffit juste d'avoir l'autorisation de sortir au centre-ville. Avec tes notes et tout, je suis sûre que tu peux avoir cette authorisation. On se débrouillera ensuite pour déguiser notre âge pour entrer dans le bar.

— Mais... nous avons un examen... Et tu n'as que seize ans.

— Pas d'exams avant deux semaines, et je parle en connaissance de cause. J'ai appris ton emploi du temps par coeur. Allez Myc, faut bien sortir un peu! On est jeunes, et tu as seize ans aussi! Tu me dois bien cela. Je t'ai aidé à retrouver les chaussettes que l'on t'a volé la semaine dernière. Dis, hein?

Il était vrai que parfois, ses affaires disparaissaient mystérieusement. Sans Anthea et son efficacité d'organisatrice, il serait encore en train de les chercher.

— Bon, soupira-t-il. Mais on ne reste pas longtemps après. Je ne bois pas, je ne fume pas et je ne vais pas parler à des inconnus.

— Tu sais que je t'adore, toi? fit-elle avant de se précipiter hors de sa chambre.

Mais dans quoi m'a-t-elle entrainé?