« Je sais ! Tu n'as qu'à embrasser Malefoy ! »

« Quoi !? »

La journée de Ronald Bilius Weasley avait mal commencé, de toute façon. Mal dormi, pas envie de se lever, gueule de bois. La veille, ils avaient joué aux cartes jusqu'à très tard dans le dortoir, et il avait perdu. Lamentablement. Toutes les parties. Absolument toutes. Alors il avait bu. Beaucoup. Et donc, dès le matin, Ron avait su que la journée qui se présentait serait mauvaise. Au petit-déjeuner, Coq l'avait ridiculisé en s'écrasant dans son assiette. Et comme la lettre était de sa mère, il avait été humilié une seconde fois. Ensuite, ils avaient eu cours de Potions. Ron n'aimait pas les potions. Ça ne l'intéressait pas, il n'était pas doué, et le prof avait pris son chaudron comme modèle de ce qu'il ne fallait pas faire. Ron s'en moquait un peu, il quittait Poudlard pour de bon à la fin de l'année et il n'avait pas besoin d'un Optimal en Potions. Mais il avait fait perdre des points à Gryffondor, et ça, il ne s'en moquait pas.

Mais il ne savait pas encore que le pire restait à venir. Midi arriva. À table, Seamus Finnigan reparla de ses défaites pitoyables de la veille, et de l'argent qu'il leur devait.

« Mais on n'a jamais parié d'argent ! » paniqua Ron.

« Tu m'en dois un paquet de toute façon » rétorqua Seamus.

Ron se sentit rougir jusqu'aux oreilles. Il avait affronté des trolls, des araignées et des mangemorts, mais il était toujours embarrassé par ses problèmes financiers. Poudlard lui avait coûté cher. Il avait dû remplacer son matériel défectueux qu'il tenait de George qui le tenait de Charlie, acheter son équipement de Quidditch qu'il n'avait pas osé demandé à ses parents qui venaient d'en offrir un neuf à Ginny, sans compter toutes ses dépenses à Préaulard. Il savait que sa mère se saignait déjà pour payer les frais habituels, alors il avait emprunté de l'argent à ses potes. Surtout à Harry, qui faisait semblant d'oublier les dettes, mais pas que. Et Seamus venait de le lui rappeler.

« On n'a qu'à lui donner un gage, dit Seamus. Tu fais un gage, et j'efface toutes mes dettes. »

Un gage... Ron n'aimait pas ça du tout. Quand il l'avait décidé, Seamus pouvait être une vraie pourriture. Il avait forcément une idée derrière la tête. Le fait que Dean s'empresse de suivre l'exemple de Seamus et réclame lui aussi un gage n'était pas en sa faveur. À la fin, même Harry et Néville se laissèrent entraîner dans l'affaire. Merci les copains. Seule Hermione leva les yeux en disant qu'ils étaient pires que les premières années. Ron lui en était reconnaissant, mais il fallait admettre qu'il aurait probablement fait pareil s'il avait été à leur place. C'est alors que Seamus eut l'éclair de génie qui allait finir de pourrir sa journée.

« Je sais ! Tu n'as qu'à embrasser Malefoy ! »

« Quoi !? »

Le gage parfait. Rapide, sans douleur, humiliant au possible, l'efficacité même. Seamus avait l'air si fier de lui, et Harry et Dean trouvèrent cela très amusant eux aussi, la surprise passée. Hermione, elle, avait détourné son attention de la discussion immature. Ron était seul avec son gage. Embrasser un mec... Et Malefoy en plus ! Qu'il détestait depuis la toute première année, et sans doute avant ça, avant même de le connaître. Ron rit jaune avec les autres. Il était presque sûr qu'ils le charriaient, qu'ils n'étaient pas vraiment sérieux. Mais voilà, Seamus Finnigan prononça les paroles fatidiques, et une fois prononcées, Ron sût qu'il ne pourrait échapper à son destin.

« Alors, l'asticota l'irlandais, tu te dégonfles ? »

Le sang de Ron ne fit qu'un tour.

Chez les Weasley, on ne se laissait pas marcher sur les pieds. On faisait ses preuves. On relevait les défis. Ron avait beau être le moins notable de sa fratrie, il avait lui aussi cet orgueil tout familial. C'était plus fort que lui, ce n'était pas pour se faire remarquer, ni pour jouer aux durs à cuire, simplement, on ne provoquait pas impunément un Weasley. Tout jeune, Ron avait toujours répondu aux « chiche » et autres « même pas cap' ». Là, ce que disait Seamus, c'était la même chose.

Et comme même le hasard avait décidé de s'y mettre, pile à ce moment-là, Drago Malefoy passa les portes de la grande salle. Les dés étaient jetés. Weasley sixième du nom se leva de table avec détermination, sans prononcer un seul mot, s'approcha de l'héritier Malefoy, qui ne le remarqua qu'au dernier moment, et prit son visage dans ses mains.

Il essaya de l'embrasser. Vraiment. Il y réussit en partie ; ses lèvres étaient bien sur celles de Malefoy, et quelques secondes passèrent sans que rien n'arrive. Ron avait toute l'expérience nécessaire pour savoir ce qui était sensé se passer ensuite, mais il se voyait très mal demander : « Malefoy, ça te dirait d'ouvrir un peu la bouche pour que j'en mette plein la vue à Seamus ? ». Le Serpentard resta tétanisé un instant, puis commença à se débattre. Ron recula à la première résistance, en priant Merlin pour que Seamus ait bien vu. Il se tourna vers la table des Gryffondor en s'essuyant la bouche avec dégoût. Ses amis avaient les yeux exorbités et Seamus avait laissé tomber sa fourchette. Ils avaient vu, donc. Tant mieux, il n'avait pas l'intention de recommencer.

Malefoy aurait bien aimé pouvoir tuer Weasley d'un seul regard. Plusieurs jurons bien sentis se bousculaient dans sa tête, mais aucun ne sortait, la surprise était trop importante et la colère pas encore assez.

« C'est quoi ton problème, Weasley ? » cracha-t-il enfin.

Ron aurait préféré disparaître, mais puisqu'il était là, autant fanfaronner un peu.

« Merci, Malefoy, dit-il avec le sourire, tu viens de me faire gagner un paquet de gallions ! » Et, criant vers la table des Gryffondor : « Un Weasley ne se dégonfle jamais ! »

Drago ne lui laissa pas le temps de se retourner, et lui décocha un bon coup de poing dans le nez. L'imbécile tomba à la renverse, complètement sonné. C'était la première fois que Drago frappait quelqu'un. Il ne se serait pas cru capable de frapper si fort. Ils se regardèrent un instant, aussi surpris l'un que l'autre. Weasley avait les cheveux qui lui retombaient devant les yeux et un filet de sang lui coulait du nez. Il avait l'air ridicule. Drago tourna les talons et quitta la grande salle à grand pas en refusant de prendre en compte ses jointures douloureuses. Hors de question que ses idiots de Gryffondors se rendent compte qu'il s'était fait mal en frappant.

Ron essuya distraitement son nez sur sa manche. Il n'y avait pas été de main morte, l'enfoiré. Ça faisait un mal de chien ! Il sentit ses amis arriver dans son dos.

« Ron ? Ça va ? » « Il faut qu'on t'emmène à l'infirmerie ? »

Harry et Hermione.

« Désolé, mec, je pensais pas que tu le ferais vraiment ! »

Là, c'était Seamus.

« Qu'est-ce que tu crois, répondit Ron en reniflant avant d'accepter le mouchoir de Néville, faut pas me chercher. Et merci pour la dette. »