Disclaimer : Kingdom Hearts (Square Enix, Disney) et Final Fantasy VII (Square Enix) ne m'appartiennent pas.
Alors, il s'agit seulement d'une fic de deux chapitres, sur ce couple qui m'a semblé étrange la première fois que je suis tombée dessus, et puis j'ai décidé d'écrire dessus aussi.
J'ai décidé de le mettre dans la catégorie crossover avec FF7 plutôt que juste dans KH parce que les personnages de FF7 ont une grande importance dedans.
Bonne lecture !
La Lumière du Jardin Radieux
Partie 1: Fleur brûlée
Les mains de l'homme se crispèrent dans ses cheveux et un cri douloureux s'échappa de sa gorge, tandis qu'il se recroquevillait davantage contre le mur sale avec tant de force qu'il meurtrit son dos. Ses genoux se pressèrent contre sa poitrine comme pour protéger son précieux contenu des griffes avides des Ténèbres, tentative vaine : il avait déjà presque perdu, oscillant au bord du gouffre. Une petite poussée et il sombrerait et serait perdu. Les Ténèbres de la nuit silencieuse insensible à ses souffrances le guettaient avec impatience, se refermant peu à peu sur lui, dans la sombre ruelle sans nom où il s'était isolé. Il avait tenté d'y trouver refuge pour échapper à ses tourments, mais il n'était parvenu qu'à se livrer à la gueule béante de ce qui attendait dans les Ténèbres, hors du regard de ses concitoyens. Il gisait assis à même le sol poisseux, près d'une vieille poubelle renversée qui déversait ses détritus autour de ses pieds, entre deux hauts murs aveugles qui étouffaient ses plaintes.
L'homme faisait peine à voir : à bout de souffle, ses ongles sales pénétrant dans la peau de son crâne après avoir écorché ses bras et lacéré ses vêtements, ses yeux fous exorbités fixant la pénombre, il parvenait encore à laisser échapper de ses lèvres sèches des plaintes douloureuses, mais il avait presque sombré. Agité de tremblements incontrôlables, il tentait désespérément de se replier sur lui-même, comme pour se soustraire aux griffes froides qui se tendaient vers son cœur, lequel battait douloureusement, comme s'il était sur le point de lui être arraché.
Il songea que c'était la fin. Ses pensées s'évanouirent dans le néant et le désespoir glaça son cœur et éteignit son regard.
Il ne voulait pas lutter plus longtemps.
Ce fut alors que dans l'abîme profond où il avait sombré s'éleva soudain une voix claire et jeune, un peu timide mais chaleureuse.
« Monsieur ? Est-ce que vous m'entendez ? »
Une étincelle de lumière dans les ténèbres. Il tremblait et souffrait toujours mais trouva curieusement en lui la volonté de relever légèrement la tête, pour dévisager entre ses bras l'intruse et sa sauveuse.
Au cœur de l'obscurité se tenait une jeune fille. Penchée vers lui, l'observant avec inquiétude et sympathie, elle semblait déplacée dans cet abîme glacé, avec sa longue robe rose au bord élimé qui trempait dans la boue, ses grands yeux verts innocents, où on ne lisait pas le désarroi si commun aux gens de ce monde, le ruban dans ses cheveux et la fleur qu'elle tenait entre les doigts.
Était-ce un ange ? Était-il mort, enfin ? Ou était-ce un autre piège des Ténèbres ? Pourtant, de cette vision ne s'échappait pas la moindre malice, seulement espoir et sérénité.
« Vous irez mieux bientôt, l'assura-t-elle. Je vous le promets. »
L'homme réalisa que son cœur s'était calmé. Une douleur lancinante s'élevait toujours de sa poitrine, mais il n'avait plus l'impression que son cœur allait lui être arraché.
La fille le regardait de ses grands yeux sans bouger. Était-ce de la peur ? se demandait-il. Il ne parvenait pas à décrypter son expression. Mais elle esquissa un sourire rayonnant de bonté et lui tendit la fleur dorée, sa main glissant dans les Ténèbres sans un son.
« Prenez ceci. Ça vous aidera à retrouver le chemin du retour. »
Il ne sut combien de temps s'écoula sans qu'il n'esquisse un geste, se contentant de la regarder d'un air hébété, toute pensée morte, mais elle ne fit pas mine de renoncer. Il finit par lever une main tremblante et refermer ses doigts crasseux autour de la tige de la petite fleur dorée. Il la ramena contre sa poitrine, intrigué. Elle brillait dans les Ténèbres et brusquement, le monde lui sembla plus clair : l'issue de la ruelle se dessina dans le lointain.
La jeune fille s'était redressée. Elle épousseta le devant de sa robe, arrangea son petit panier de fleurs et lui adressa un autre de ses sourires radieux.
« Tout ira bien maintenant. Au revoir. »
Aeris ne put s'empêcher d'être soulagée quand elle parvint en vue de sa maison. Il faisait déjà nuit et les taudis étaient plongés dans une obscurité opaque et étouffante où seules brillaient les lueurs s'échappant des fenêtres, guidant ses pas jusqu'à son propre foyer. Elle pouvait parfois percevoir du coin de l'œil des mouvements furtifs à son approche, ceux des malheureux vivant à même la rue se blottissant dans les ombres et dérobant leur regard. Elle y était habituée, mais elle ne cessait de s'en sentir malheureuse.
La jeune femme raffermit sa prise sur son panier, jeta un regard machinal par-dessus son épaule pour s'assurer qu'elle n'était pas suivie, et tourna au coin d'une ruelle sans vie, se dirigeant à grandes enjambées vers sa maison, une bâtisse aux pierres vieilles et aux tuiles brisées qui se distinguait uniquement des habitations conjointes par les pots de fleurs venant égayer les fenêtres et le bouquet séché cloué à la porte. Son œuvre.
Aeris accueillit avec joie la lumière et la chaleur de la salle principale et se hâta de verrouiller la porte à double tour, la refermant sur les ténèbres glacées des taudis extérieurs. Elle s'était parfois dit que s'aventurer dans les rues sales et obscures en valait la peine juste pour la sensation de retrouver la chaleur et la sûreté de son foyer. Bien évidemment, cela ne marchait que pour ceux qui avaient un chez-soi.
Une bonne odeur s'échappait de la cuisine où s'affairait Elmyra, sa mère adoptive, qui vint passer sa tête par l'embrasure de la porte et lui sourit. On lisait un soulagement manifeste dans ses yeux.
« Aeris, ma chérie, tu es enfin rentrée ! Tu sais bien que je n'aime pas quand tu restes trop longtemps dehors la nuit...
-Désolée maman, s'excusa Aeris avec un sourire. Je suis allée un peu loin, je n'ai pas vu le temps passer. »
Elle savait que sa mère n'était jamais parvenue à chasser l'inquiétude de savoir sa fille unique arpenter les ruelles et les moindres recoins de la cité, surtout ces derniers temps où la ville était loin d'être sûre : des gens disparaissaient chaque semaine, et Elmyra avait comme pire hantise que vienne un jour le tour de sa fille. Cette dernière ne s'inquiétait pas autant pour sa propre sécurité, mais elle comprenait les peurs de sa mère.
Le dîner fut succinct et plutôt silencieux, bien que la jeune fille s'efforça de redoubler de bonne humeur pour apaiser les inquiétudes d'Elmyra, qui ne cessait de lui jeter des regards troublés, le front plissé. Elle finit par se retirer et monta dans sa chambre, une petite pièce étroite mais qui était la sienne, et s'assit sur son lit.
De la petite fenêtre qui s'ouvrait difficilement, elle apercevait la rue déserte plongée dans l'obscurité. Elle avait sommeil et ses jambes lui faisaient mal après toutes ces péripéties – elle était sûre d'avoir obtenu quelques ampoules supplémentaires – et elle avait bien besoin d'une douche, mais il était encore tôt, bien qu'il faisait déjà nuit...
« J'avais prévu d'aller vérifier les fleurs », murmura-t-elle dans le vide.
Le silence de sa chambre lui répondit et ce fut avec un soupir qu'elle se releva et quitta la pièce. La salle principale était déserte – un bruit d'eau lui signala que sa mère était sous la douche. Elle ne prit pas le temps de la prévenir : Elmyra était habituée à la voir partir à toute heure du jour et de la nuit, même si elle détestait cela. Aeris songea avec une pointe de tristesse que cela finirait inévitablement par déboucher sur une dispute un jour ou l'autre.
Ressortir dans les ténèbres après avoir goûté à la lumière de son foyer ne fut pas chose facile. Ses pas résonnaient sinistrement dans le silence glacial des ruelles tortueuses et le moindre bruit lui faisait tourner vivement la tête, tous ses sens en alerte, mais elle ne s'inquiétait pas vraiment pour sa sécurité. La jeune femme connaissait bien le quartier, et elle avait rarement le déplaisir de faire de mauvaises rencontres. Il n'y avait pas âme qui vive à part un vieil homme qui prenait l'air sur le pas de sa maison et qui ne lui accorda qu'un bref regard ennuyé. Cependant, elle serra discrètement son panier vide contre elle – elle avait placé les fleurs restantes dans un vase avant de partir, sachant que cela faisait plaisir à sa mère – et ne relâcha pas sa vigilance.
En traversant la vieille aire de jeux abandonnée et envahie par les détritus et les orties, ses yeux balayèrent les alentours et se posèrent sur le vieux toboggan rouillé. Il y avait rarement de l'animation par ici : elle n'y avait jamais vu que deux ou trois enfants en loques qui en avaient fait leur terrain de jeu, mais l'endroit était désert ce soir-là. Elle en ressentit une pointe de déception : les enfants étaient ceux qui amenaient vitalité et lumière, car il étaient moins touchés par les Ténèbres qui avaient envahi ce monde et le rongeaient peu à peu.
Elle descendit d'un bon pas l'allée boueuse se faufilant entre les baraques en ruines et les montagnes de détritus qui menait à l'église abandonnée, son sanctuaire, qu'elle avait dénichée et adoptée car plus personne ne s'y rendait depuis des années. Personne, ou presque : quand elle poussa la lourde porte d'entrée, elle constata que l'attendaient à l'intérieur deux enfants, une fille et un garçon. Ils ne devaient pas avoir plus de six ou sept ans, mais leurs grands yeux tristes et leur corps famélique traduisait toutes les horreurs qu'ils avaient déjà dû endurer ou auxquelles ils avaient assisté.
Aeris afficha un sourire avenant malgré sa fatigue et se dirigea doucement vers eux pour ne pas les effrayer.
« Bonjour ! Ne vous inquiétez pas, je ne suis pas méchante ! »
Etaient-ils venus la voir ? Le garçon et la fille échangèrent un regard, puis la fillette s'avança d'un pas timide.
« Merci pour la dernière fois, madame », dit-elle en tendant la main.
Une pomme reposait au creux de sa main, une petite pomme qui commençait à vieillir. Un instant perplexe, Aeris contempla le visage de la petite fille et se souvint brusquement. Elle les avait déjà vus dans le quartier. En fait, elle avait même secouru cette enfant, deux semaines auparavant, alors qu'elle était sur le point de sombrer. Elle n'avait plus eu de nouvelles après l'avoir ramenée à sa famille.
Oh, elle s'en est sortie ! songea-t-elle en souriant. Cette nouvelle lui réchauffait le cœur.
Mais elle n'était pas sûre de pouvoir accepter le cadeau de cette enfant. Et si c'était tout ce qu'elle avait pour manger ?
« Vous pouvez la prendre, insista la fillette, comme ayant lu ses pensées. Papa et maman en ont tout un jardin. C'est vraiment rien.
-Oh ! Alors dans ce cas... J'accepte avec plaisir. Merci beaucoup ! »
Elle lui tapota la tête et la fillette gloussa, l'air un peu embarrassée.
« Non, c'est moi qui dois dire merci...
-C'est bon ! Je ne demandais rien en retour... Ah, mais vous devriez rentrer chez vous... Il commence à être tard, vos parents doivent s'inquiéter. »
Les deux enfants suivirent ses conseils et s'éclipsèrent aussitôt. Ils semblaient même soulagés de pouvoir rentrer chez eux. Aeris contempla la pomme fripée au creux de sa main. On lui faisait rarement des cadeaux, si bien que celui-ci la ravissait, mais elle espérait qu'ils ne s'étaient pas mis en danger pour le lui apporter. Peut-être devrait-elle les raccompagner ? Mais les deux enfants avaient déjà disparu à l'extérieur et la porte de l'église claqua derrière eux.
Elle se retourna vers l'église. Cette dernière baignait dans la pénombre, mais pas l'obscurité opaque et agressive de la rue, plutôt une pénombre douce et sereine dans laquelle se découpaient nettement les contours des murs et des imposants piliers. Le plancher s'effondrait par endroits, la plupart des bancs étaient inutilisables, et le plafond était inexistant au-dessus du chœur, pourtant, il y régnait une grandeur sereine, tel un sanctuaire au cœur des ténèbres et de la crasse des taudis. Les murs épais dont la peinture se détachait par plaques et la lourde porte la coupaient du monde, lui donnant la sensation d'être protégée, plus que dans son propre foyer.
Quand elle s'avança, le plancher grinça sous ses pas et les sons résonnèrent dans la nef silencieuse. Elle s'arrêta devant le chœur, où l'on avait arraché les planches du parquet. C'était ainsi qu'elle avait trouvé cet endroit la première fois qu'elle y avait mis les pieds ; elle s'était contentée d'y apporter terre, eau et soin pour y aménager son jardin personnel. Un parterre de petites fleurs dorées s'étendait devant ses pieds, de la vente desquelles elle faisait son travail, pour apporter un peu de lumière et de chaleur dans leur monde agonisant.
Beaucoup trouvaient cette activité futile, mais Aeris n'en avait cure et fermait ses oreilles aux persiflages. Quand elle distribuait ses fleurs si soigneusement cultivées, elle pouvait apercevoir le visage des clients s'illuminer brièvement. Ces fleurs, aussi petites soient-elles, apportaient une nuance de vie et de couleur dans le monde. Même si ce n'était pas grand-chose, cela n'en valait-il pas la peine ?
Ce monde était en train de sombrer, songea-t-elle, se remémorant tout en s'agenouillant sans se soucier de la terre qui macula sa robe. On ne savait pas trop comment. Elle arrangea ses fleurs, arrachant quelques mauvaises herbes qui toujours trouvaient leur chemin dans son jardin. Il y avait quelques années de cela, quelque chose s'était produit, et depuis, le monde n'avait cessé de s'avancer vers les Ténèbres. C'était un monde à la dérive, qui sombrait peu à peu : elle le voyait dans les paysages qui se fermaient, les gens qui se repliaient sur eux-mêmes, les liens qui se fendaient. Eux-mêmes, qui avaient pourtant été inséparables... Elle secoua la tête, chassant cette pensée. Et puis, les gens disparaissaient, s'effaçant l'un après l'autre, emportés par les ténèbres de leur cœur.
Mais elle était confiante. Elle savait que la lumière reviendrait, qu'il ne fallait pas perdre espoir ! Elle restait optimiste : elle pouvait faire de son mieux.
Dans une des salles annexes encore utilisables, elle avait déniché un vieux robinet à moitié rouillé, et un seau sous les gravats. Le sol était encore humide et deux aller-retours lui suffirent pour abreuver ses fleurs, avant de se laisser tomber au sol, à bout de souffle. Ses jambes ne la portaient plus.
Aeris leva les yeux vers le plafond obscur de la nef, comme cherchant la confirmation que tout se passerait bien. Cet homme était-il rentré chez lui ? Elle laissa son esprit se retirer de la réalité, cherchant en son cœur la voix de la Planète, qu'elle priait toujours car elle savait qu'elle ne l'abandonnerait pas. Ils vaincraient les Ténèbres. Ils réussiraient.
Ce fut sur ces pensées faussement optimistes qu'elle se recroquevilla au milieu des fleurs et laissa ses yeux se fermer, envahie par un engourdissement profond.
Aeris se réveilla brusquement. Une odeur de terre humide envahissait ses narines et quand elle bougea des feuilles chatouillèrent sa joue. Désorientée, elle se redressa sur un coude et constata qu'elle s'était endormie au milieu de son jardin de fleurs. Oh non, elle avait dû en écraser ! Un rayon de soleil tombant par le trou du plafond la fit plisser des yeux. C'était déjà le jour. Combien de temps s'était-il écoulé ?
La jeune fille lâcha un bâillement en s'étirant sans retenue, et entreprit de retirer les feuilles de ses cheveux. Elle se sentait beaucoup mieux après cette nuit de sommeil : son esprit avait rafraîchi et un vrai optimisme, bon et pur, occupait son cœur. Mais curieusement, elle se sentait observée...
Saisissant un mouvement du coin de l'œil, elle se retourna vivement avec une exclamation étouffée. Son cœur bondit de joie dans sa poitrine quand elle découvrit l'identité de l'intrus. A mi-chemin dans la nef, Cloud se tenait, droit et raide, tout de noir vêtu comme d'ordinaire, son habituelle épée dans son dos. Il n'avait en rien changé depuis la dernière fois qu'elle l'avait vu (il y avait quatre semaines ? peut-être même plus?).
« Cloud ! » s'écria Aeris, ravie et indifférente à son air fermé.
Sans lui retourner son enthousiasme, le jeune homme détourna la tête, comme vaguement gêné de s'être fait surprendre.
« J'étais venu m'assurer qu'il ne t'était rien arrivé », marmonna-t-il.
Il était resté veiller sur elle ? Aeris s'en sentit flattée et attendrie. Elle se releva et lissa sa robe en lui envoyant un grand sourire.
« Merci beaucoup ! »
Il lâcha un soupir imperceptible, comme s'il la soupçonnait de se moquer de lui, et ne répondit rien. Mais Aeris n'abandonna pas et, décidée à le sortir de sa morosité, s'avança vers lui d'un pas guilleret, les mains dans le dos. Oui, elle se sentait décidément mieux ce matin.
« Alors, tu es enfin venu nous voir ? » dit-elle d'un ton taquin en se penchant pour observer son visage obstinément tourné vers le sol.
Cloud se détourna d'un air irrité.
« Je dois partir, asséna-t-il sèchement, déjà tourné vers la porte. J'ai des affaires à régler. »
Aeris fronça les sourcils, laissant sa déception transparaître sur son visage. Elle s'était attendue à cette réponse, mais elle n'en avait pas moins le cœur lourd.
Cloud, qui avait déjà la main sur la poignée de fer de la porte, s'arrêta pour jeter un regard par-dessus son épaule, dans sa direction, tout en prenant soin de ne pas la regarder dans les yeux.
« Aeris... Sois prudente. »
Il n'attendit pas sa réponse. Quelques secondes plus tard, la lourde porte claquait derrière lui et le silence revint dans la nef plongée dans la lumière du jour. Aeris n'avait même pas tenté de le retenir. Il était toujours comme cela, après tout, songea-t-elle, attristée.
Les douze silhouettes aux manteaux noirs étaient rassemblées au cœur de la grande salle vide, d'une blancheur immaculée qui pourtant ne dégageait aucune lumière. Du haut de leurs sièges perchés sur les colonnes disposées en cercle autour de la salle, ils tenaient leur réunion habituelle. Aucune vie ne s'échappait de cette scène ni de ces individus, ni même les Ténèbres, seulement une indifférence froide commune au néant. Comme s'ils n'étaient rien de plus que des récipients vides.
Ce jour-là, leur chef, qui s'était attribué le siège le plus imposant, contemplant du haut de son trône ses collègues en contrebas, écoutait sans manifester la moindre émotion le rapport que récitait d'une voix monotone son second, un homme aux cheveux bleus et au regard glacial.
« … cependant, il y a une anomalie au... Jardin Radieux. Ce monde aurait dû sombrer depuis longtemps, mais sa lumière brille encore. Les Sans-cœur sont en sous-production là-bas.
-Est-ce vraiment un problème, Saïx ? demanda finalement son chef d'une voix grave après un instant de réflexion quand son subordonné se fut tu.
-Sur le long terme, non, admit Saïx. Il y a assez de Sans-cœur dans les autres mondes auxquels nous pourrions récupérer des cœurs quand l'Élu de la Keyblade sera arrivé. Mais j'ignore actuellement ce qui cause ce phénomène et ce serait gênant qu'il se reproduise ailleurs. »
Perdre des Sans-cœur signifiait perdre des cœurs pour forger leur Kingdom Hearts, le but de leur organisation et de leur vie. Et, surtout, Xemnas devait admettre être contrarié par cette importunité.
« Axel », décida-t-il.
Ce dernier, assis nonchalamment dans son siège, tourna la tête vers lui, l'air ennuyé. On aurait dit qu'il n'avait pas écouté durant toute la réunion, mais Xemnas savait que ce n'était qu'un masque.
« Je te charge de cette mission. Rends-toi au Jardin Radieux et ne reviens que lorsque tu auras découvert la cause de ce problème. »
Axel sourit sans joie.
« Vous pouvez compter sur moi. »
« Ça fait 5 munnies. Tenez.
-Merci madame ! »
Serrant au creux de sa main le fruit de sa transaction, Aeris se redressa, observant avec un sourire les enfants s'éloigner, un bouquet de petites fleurs dorées tout juste acheté à la main et un air ravi illuminant leur visage. Elle les connaissait vaguement : ils faisaient partie de ses clients les plus fréquents et, à chaque fois qu'ils la croisaient, la bonne humeur redonnait vie à leur visage crasseux.
Aeris compta l'argent qu'elle avait accumulé cette matinée. Elle avait eu de la chance : il faisait beau, les habitants étaient de meilleure humeur et plus enclins à lui acheter des fleurs. Elle-même n'était pas indifférente au soleil radieux qui perçait entre les nuages et réchauffait sa peau. Elle avait presque envie de se laisser aller à courir et sauter dans les rues de la ville !
Il était près de midi mais, emportée par sa bonne humeur, la jeune femme continua son travail, flânant d'un pas dansant le long de l'avenue bondée. Les gens ici la connaissaient bien et la saluaient à son approche, parfois l'interpellant pour acheter une de ses fleurs, qu'ils appelaient éclats de lumière. Il était vrai que ses fleurs avaient le don de ramener une lueur dans le regard éteint des plus malheureux...
Après une transaction avec une fillette timide à la tunique élimée qui l'avait arrêtée en tirant sur sa robe, Aeris songea à aller manger. Elle parcourait du regard la rue pleine de vie, prenant soin d'éviter les passants qui allaient et venaient autour d'elle, à la recherche d'une échoppe quelconque où acheter de quoi se nourrir quand quelqu'un l'interpella dans son dos.
Aeris se retourna vivement, sourire aux lèvres. Elle avait reconnu cette voix !
« Tifa ! » s'écria-t-elle en joignant les mains, s'empêchant tout juste de bondir de joie comme une enfant.
La jeune femme se dirigeait vers elle à travers la foule, et ni sa tenue entièrement noire ni son air las et sombre qui rivalisait celui de Cloud ne put porter un coup à sa bonne humeur.
« Je suis ravie de te revoir ! Ça faisait longtemps ! continua-t-elle quand Tifa l'eut rejointe. J'étais passée à ton auberge la semaine dernière mais tu n'étais pas là.
-... C'est un bar. Et je l'ai confié à Barret pour quelques temps, murmura Tifa, sans se dérider.
-Oh, c'était donc ça ! Si j'avais su...
-Je cherche Cloud. »
Aeris sentit son cœur se serrer et son sourire fléchir. Elle baissa la voix, tentant de ne pas montrer davantage son trouble.
« Tu ne l'as toujours pas trouvé ? »
Tifa secoua la tête, évitant soigneusement son regard. Un voile de cheveux sombres vint dissimuler ses yeux, mais Aeris avait pu remarquer qu'elle semblait à deux doigts de pleurer.
« Je l'ai vu il y a deux jours, admit-elle, et Tifa tressaillit, relevant brusquement la tête en écarquillant les yeux. Mais il est parti très vite. On n'a pas eu le temps de parler. Il a dit qu'il avait des affaires à régler. »
Tifa soupira et se mordit les lèvres avec une grimace inquiète.
« Oui, c'est ce que je craignais. Il s'est remis en chasse.
-Tu veux dire, demanda prudemment Aeris, il cherche encore Sephiroth ? »
La tristesse dans le regard de Tifa confirma sa peur.
« Il n'abandonnera donc pas ? Pourquoi n'abandonne-t-il pas ? Est-ce qu'il ne comprend pas que...
-Tifa ? »
Les yeux marrons de Tifa revinrent sur elle. Aeris jouait nerveusement avec une mèche tout en la contemplant avec pitié.
« Tu veux qu'on aille boire un verre ou manger quelque chose ? Il est plus de midi...
-Non merci, répondit Tifa en se détournant, sans prendre le temps d'écouter sa proposition jusqu'au bout. Ce serait avec plaisir mais... je dois aller chercher Cloud. Il est peut-être encore dans les parages.
-Tu es sûre que tu ne veux pas... Oh. »
Tifa s'éloignait déjà sans un regard en arrière et Aeris demeura plantée sur place au milieu de la foule mouvante, se contentant de la regarder disparaître.
Tifa... Toi aussi ? Que t'est-il arrivé ? Pourquoi es-tu ainsi ?
Suite à cette rencontre, Aeris n'avait plus très faim et laissa ses pas la guider dans les rues de la ville. Sa bonne humeur avait été ternie, même si elle ne pouvait en blâmer Tifa ni même y songeait, et elle fixait le sol d'un air morose, répondant du tac au tac aux salutations des passants mais sans vrai enthousiasme.
Elle décida de faire un détour. Ses pas la menèrent jusqu'au petit cimetière où elle se rendait très souvent, coincé entre deux ruelles et désert comme à son habitude. Elle retrouva le champ des tombes qui s'alignaient parmi les mauvaises herbes car il était rare que quelqu'un songe à venir l'entretenir. En ces temps obscurs, les habitants peinaient trop à s'occuper des vivants pour s'occuper des morts et elle les comprenait. C'est pourquoi elle ne dit rien tout en se faufilant entre les ronces et les pierres tombales vandalisées jusqu'à trouver celle de Zack, un simple rectangle de pierre aux bords effrités. Ils prenaient soin de la nettoyer régulièrement, d'arracher les mauvaises herbes qui la recouvraient et d'en effacer les graffitis. La jeune fille déposa les fleurs restantes en un bouquet désordonné devant la tombe, constatant que Tifa était venue récemment déposer un bouquet, un vrai bouquet qui avait beaucoup plus de charme et des fleurs beaucoup plus belles.
Ses yeux furent attirés par un autre objet qui reposait sur le sol, à côté des fleurs de Tifa. Elle le ramassa avec des gestes précautionneux. On aurait dit... un fragment d'épée. Était-ce... ? Elle l'examina plus soigneusement. Oui, elle reconnaissait cette épée. Le cœur lourd, Aeris le reposa doucement devant la tombe de son propriétaire.
Ce doit être un cadeau de Cloud. Alors il y est retourné...
Elle leva les yeux vers le ciel qui s'était voilé. Elle pouvait presque sentir la pluie prochaine, mais son esprit était perdu dans un monde de souvenirs.
Pourquoi... pourquoi avait-elle l'impression que Cloud et Tifa s'éloignaient d'elle si vite qu'elle ne pouvait les retenir ?
Aeris ne s'attarda pas bien longtemps et finit par laisser derrière elle le cimetière et les souvenirs amers.
Axel laissait ses yeux errer le long de la rue tortueuse, tentant de reconnaître l'endroit. Ce monde avait beaucoup changé, nota-t-il distraitement. La lumière et la joie de vivre dans lesquelles sa jeunesse avait baigné y persistaient à peine. Ce n'était plus que le fantôme du monde qu'il avait connu.
Le soleil de l'après-midi rencontra ses yeux tandis qu'il levait la tête vers le ciel recouvert de lourds nuages noirs. Un orage se préparait, comme l'indiquaient la lourdeur de l'air et le claquement du vent dans les cimes et les volets des échoppes. Il laissa échapper un soupir, espérant que sa mission ne s'éternise pas trop longtemps, et se mit en marche.
Malgré sa tenue insolite, les gens ne lui accordèrent pas la moindre attention tandis qu'il fendait la foule d'un pas agile en s'efforçant de ne pas se faire remarquer. Scrutant en douce les visages qui l'entouraient, il pouvait affirmer que les esprits étaient tournés vers des préoccupations plus graves : la lueur éteinte qu'il apercevait dans le regard des habitants maigres et sombres qui allaient et venaient en tous sens pour vaquer à leurs occupations indiquait que la vie n'avait pas dû être facile dans ce monde depuis bien longtemps. Il ne trouva pas en lui la volonté de s'en émouvoir alors qu'il remontait la rue bordée de bâtisses à peine entretenues, à la peinture vieillie et aux fenêtres brisées, devant lesquelles croupissaient sur le sol des mendiants entre les ordures, auxquels personne ne faisait attention. Des odeurs d'égout empoisonnaient l'air et il songea que cet endroit était bien loin de la cité étincelante de propreté et d'eau claire dans laquelle il avait grandi.
Il chassa aussitôt ces pensées : il n'était pas venu pour cela. Il avait une mission à remplir. Fendant la foule en adoptant une attitude avenante pour ne pas attirer l'attention par sa singularité, il laissait mine de rien son regard scruter les environs, relevant chaque détail avec adresse.
Un grondement lointain parvint à ses oreilles entraînées et quelques gouttes de pluie s'écrasèrent sur les dalles crasseuses. Ce n'était pas son jour de chance : voilà qu'il se mettait à pleuvoir ! Et bien sûr, ni Xemnas ni Saïx n'avait jugé utile de lui donner des renseignements susceptibles de l'aider dans sa mission : il n'avait pas la moindre idée de ce qu'il était censé chercher...
« C'est vraiment génial, marmonna-t-il pour lui-même. Comment je vais trouver cette anomalie, moi... »
Personne n'attirait spécialement son attention dans la foule. Il était en fait le seul individu à pouvoir être considéré une anomalie. Était-il supposé fouiller chaque rue de cet endroit ? Il... préférerait s'en abstenir.
« Aïe ! Hé, vous pouvez pas faire attention ?! »
Axel cligna des yeux et s'arrêta net, le visage neutre. Il avait sans le vouloir bousculé un vieil homme, l'envoyant tituber contre le mur sale d'une échoppe. L'homme reprit son équilibre en marmonnant et lui envoya un regard noir.
« C'est toujours pareil avec vous les jeunes ! Vous pouvez pas avoir un minimum de respect, non ? »
Axel le considéra sans un mot ni la moindre once d'intérêt. Il ne se sentait en rien désolé de son impolitesse, cependant, il lui vint à l'esprit que cette altercation pouvait lui être utile. Après tout, il n'était pas intéressé par continuer à vagabonder dans cette cité en ruine. Peut-être que les habitants savaient quelque chose sur cette anomalie, et il ne risquait rien à demander, à part peut-être la perte de leur invisibilité et discrétion si chères à Xemnas et Saïx. Mais bon, ce n'était pas comme si cette affaire avait la moindre importance pour lui, pour commencer.
Plaquant sur son visage un air humble, il prit une voix douce :
« Pardonnez-moi, monsieur. C'est de ma faute, j'aurais dû faire attention.
-Ouais ouais... »
Le vieil homme l'écoutait à peine, occupé à ramasser quelque chose sur le sol en grognant.
« Au moins, tu es plus poli que les autres ! dit-il en se redressant avec une grimace. Mais je l'ai laissée échapper à cause de toi. Je viens de l'acheter, et elle est déjà abîmée. »
Axel baissa le regard vers ce que le vieil homme venait de récupérer et serrait à présent dans son poing, en ôtant la poussière de la rue avec une mine inquiète. Ce n'était qu'une petite fleur aux pétales dorés, mais il était évident qu'elle était importante pour lui : il l'observait avec une expression de ravissement béat et on aurait presque dit que la lumière de la fleur se reflétait sur son visage. Serait-ce... ?
« De quoi s'agit-il ? demanda-t-il d'un ton badin avec un geste vers la fleur. Si ce n'est qu'une fleur, je peux très bien en racheter une... »
Le vieil homme eut un soupir affligé.
« Ce n'est pas qu'une fleur, expliqua-t-il comme s'il pensait qu'Axel était incapable de le comprendre, et tu aurais du mal à en trouver des semblables. Il n'y a qu'une personne qui vend ces merveilles... Oh, mais tu as de la chance. Je viens de l'acheter, elle doit être encore par ici. »
Le vieil homme fixa la foule en se grattant le menton, l'air de meilleure humeur.
« Ah la voilà. Aeris ! Hé, Aeris ! »
A quelques pas de là, une jeune femme vêtue d'une longue robe rose à la couleur fanée, en pleine discussion avec une marchande, se retourna vers eux avec un regard curieux. Axel la regarda saluer la femme et s'avancer vers eux, tout sourire, balançant dans sa main son petit panier à moitié rempli de fleurs dorées. C'était une jeune femme qui ne semblait pas sortir de l'ordinaire, avec son habit élimé et vieilli et ses cheveux châtain noués à la va-vite. Seuls ses yeux d'un beau vert pur brillaient d'une lueur absente des autres regards...
« Vous en voulez une deuxième, monsieur ?
-C'est celui-là qui m'en doit une », précisa le vieil homme en pointant Axel du doigt.
Aeris se tourna vers lui sans perdre son sourire.
« Bien sûr ! C'est un munny par fleur.
-Mmh ? Oh, bien sûr ! »
Par chance, il avait pensé à emmener un peu d'argent. La transaction fut rapidement effectuée et Aeris les salua avant de s'éloigner. Axel la regarda se perdre dans la foule, tournant la fleur entre ses doigts.
Un sourire sans joie étira ses lèvres. Il n'était pas encore tout à fait certain, mais il était possible qu'il ait trouvé son anomalie. Cette mission avait été bien plus rapide qu'il n'avait espéré.
Sans écouter les protestations du vieil homme qui réclamait sa fleur, il décida de la suivre.
« Alors, Axel ? As-tu rempli ta mission ? »
Axel prit son temps pour répondre, s'installant confortablement dans son siège avec un sourire mystérieux tandis que ses onze collègues le fixaient sans la moindre trace d'émotion et parfois d'intérêt.
« Plus ou moins, dit-il tranquillement. J'ai identifié la source de notre problème. C'était du gâteau. »
Saïx lui jeta un regard éloquent, le poussant à continuer, mais Axel fit mine de l'ignorer : les yeux dans le vague comme plongé dans ses pensées, il jouait avec la petite fleur jaune entre ses doigts.
« Alors ? insista Saïx que l'attitude d'Axel n'amusait pas. De quoi s'agit-il ?
-Du calme, répliqua-t-il avec un geste nonchalant. Je vais tout vous raconter, puisque c'est aussi important pour vous. »
Le regard irrité, Saïx se renfonça dans son siège. Leurs collègues laissèrent échapper un soupir.
« Tu sais, t'avais raison : ce monde aurait dû sombrer depuis longtemps, commença Axel en contemplant la fleur d'un regard absent. Vous auriez dû voir l'état de cette ville. Et l'aura des gens. Les Ténèbres se sont saisi de ce monde et sont bien décidées à l'emporter.
-Mais quelque chose fait obstacle, objecta calmement Xemnas.
-Ouais... C'est cette marchande de fleurs. Elle distribue ses fleurs dans toute la ville et je ne sais pas trop comment elle fait, mais d'une manière ou d'une autre, elle empêche les gens de sombrer.
-Une marchande de fleurs ? ricana Xaldin.
-Pouvons-nous voir cette fleur ? » exigea Xemnas d'un ton songeur.
Axel sourit.
« Bien sûr. »
Il fit léviter la fleur jusqu'au centre de la salle, de manière à ce que tous puissent la contempler. La plupart des hommes en manteau noir semblaient trouver toute cette affaire complètement futile car ils lui jetèrent à peine un regard, mais Xemnas l'examina pendant de longues secondes.
« Cette fleur déborde de lumière, constata-t-il enfin.
-C'est quoi, une fleur magique ? fit Demyx en bâillant.
-Non. Cette fleur en elle-même n'est qu'une fleur. Cependant... »
Les yeux perçants de Xemnas revinrent sur Axel.
« Qui est cette marchande de fleurs ? »
Axel lança un regard appuyé à Saïx.
« Aeris Gainsborough. Une fille des taudis. Elle n'a pas vraiment d'importance dans ce monde.
-Apparemment, ce n'est pas vrai, le contra Xemnas qui ne se laissait pas duper. Cette fleur, cultivée par quiconque d'autre, ne serait qu'une fleur ordinaire. Mais par l'action de sa cultivatrice, elle s'est emplie d'une lumière si pure que j'en suis dégoûté. Cette fille n'est pas qu'une personne ordinaire. Ce sont ces pouvoirs qui empêchent ce monde de sombrer.
-On pourrait dire que c'est la lumière du Jardin Radieux, c'est ça ? » répliqua Xigbar qui semblait trouver toute l'affaire hilarante.
Xemnas l'ignora et se tourna vers Axel.
« Il va sans dire que nous ne pouvons pas laisser les choses se passer ainsi. Quiconque défie l'Organisation, même involontairement, doit être écarté. Axel. Je te charge de te débarrasser de ce problème. Même si cette fille faisait partie de ton passé. Est-ce clair ? »
Un sourire sans joie tordit les lèvres de ce dernier.
« Bien sûr. Pas de problème.
-Comment peux-tu être aussi sûr de réussir ? l'apostropha Xigbar. Cette fille est dangereuse, non ?
-Moins que vous ne semblez le penser, répliqua-t-il tranquillement. Elle aussi, comme tous les autres, a sa propre part d'ombre, dissimulée dans son cœur. Je le sais, parce que je l'ai connue. Elle est humaine, il est impossible qu'elle ait vécu ça, et toutes ces années dans ce monde, sans en être marquée. Elle essaie de se faire passer pour une fleur épanouie, mais elle aussi a été brûlée, tout au fond d'elle-même. Il y a juste à faire ressortir cette brûlure. »
A genoux au cœur de son champ d'or et de verdure, mains jointes devant son cœur et yeux clos tournés vers le sol, Aeris priait. Elle priait de plus en plus souvent ces derniers temps. Elle savait qu'elle fuyait la réalité ainsi, qu'au désespoir et aux souffrances des vivants elle préférait la sérénité des morts, mais cela ne la détournait pas de son extrême dévotion. Le crépuscule s'engouffrait par le trou du plafond, tapissant les fleurs et les murs de teintes orangées. Elmyra devait probablement commencer à s'inquiéter de ne pas la voir rentrer. Elle avait un peu faim, n'ayant rien avalé de la journée. Mais elle ne parvenait pas à se résoudre à ouvrir les yeux et à quitter les lieux.
Les énergies bienfaisantes tourbillonnaient autour d'elle, résonnant de mille voix et caressant ses cheveux. Elle pouvait entendre, au fond de son cœur, la voix lointaine de la Planète lui parler, tout comme elle parlait à tous les êtres vivants. Elle, elle ne l'abandonnerait pas. Elle serait toujours là pour elle, contrairement à Cloud ou à Tifa, qu'elle ne parvenait pas à retenir. Oh, elle se sentait coupable d'avoir pensé cela.
« Maman, murmura-t-elle, les paupières closes. Que dois-je faire ? »
Les murmures d'amour maternel et de réconfort résonnèrent dans son cœur, et la jeune femme se laissa bercer, comme si elle était de nouveau une enfant dans les bras protecteurs de sa mère.
« Maman, j'ai peur. Il fait tout noir ! Où est Papa ?
-Je ne sais pas, ma chérie. Ne t'inquiète pas, je ne les laisserai pas nous faire du mal. Surtout, ne t'éloigne pas de moi, et tout ira bien, je te le promets. »
Les souvenirs anciens affluaient sans qu'elle ne puisse les interrompre. Pourtant, elle aurait tant voulu ne pas les conserver en elle...
« Aeris ! A mon signal, cours, d'accord ?
-Maman, qu'est-ce qui se passe ?
-Je ne peux pas t'expliquer pour l'instant. Fais-moi confiance. Quand je te ferai signe, il faudra que tu coures de toutes tes forces, d'accord ? Ne te soucie pas de moi.
-Mais... tu as dit que je devais rester avec toi...
-Aeris, écoute-moi ! »
Le Jardin Radieux et tous ses habitants avaient failli être emportés lors de cette tragédie, celle dont ils souffraient toujours des conséquences. Mais sa mère avait bien été emportée.
« Maman, qu'est-ce qu'il se passe... ?
-Madame, vous ne vous sentez pas bien ? »
Une femme s'approchait d'elles, le visage inquiet. Son expression se mua bien vite en affolement.
« Allez chercher de l'aide, vite ! Cette femme est en train de mourir ! »
Ce n'avait pas été la seule fois qu'elle avait perdu un être cher. Cela c'était reproduit par la suite et, bien qu'elle aurait pu s'y attendre dans un monde à l'agonie, ce n'en avait pas été moins douloureux. Aujourd'hui encore, elle se demandait pourquoi les choses avaient dû se passer de la manière dont elles s'étaient passées, pourquoi Zack avait dû...
Aeris sursauta et écarquilla les yeux, brusquement arrachée à sa prière et à ses sombres souvenirs. Elle n'était plus seule dans son sanctuaire.
Un homme grand et mince, entièrement vêtu de noir, se tenait à mi-chemin dans la nef, à moitié dans l'ombre, dans laquelle il passerait inaperçu sans le moindre effort sans ses cheveux rouge flamboyant. Elle se demanda pourquoi elle ne l'avait pas entendu entrer. La vieille et lourde porte de l'église ne pouvait s'ouvrir avec discrétion. Était-elle tellement absorbée dans ses prières ?
Aeris se rappela d'accueillir le nouveau venu et se redressa avec un sourire serein. Il était rare d'avoir des visites ici, mais après tout, l'église ne lui appartenait pas.
« Bonjour, monsieur, dit-elle en s'avançant d'une démarche guillerette. Qu'est-ce que... Oh, vous êtes... ! »
Elle le reconnut brusquement : c'était l'homme qu'elle avait rencontré la veille lors de sa tournée, qui lui avait même acheté une fleur ! Son manteau insolite et ses cheveux voyants le rendaient aisément reconnaissable. Peut-être venait-il chercher une autre fleur ?
L'homme aux cheveux roux fit un petit signe de salutation de la main, prenant un air avenant.
« Bonjour ! Je ne sais pas si vous me reconnaissez, mais vous m'avez vendu une fleur hier... »
Une arrière-pensée demeurait au fond de l'esprit d'Aeris : il était fort probable que ce n'était pas la raison pour laquelle il l'avait suivie jusqu'ici. Elle avait déjà par le passé eu affaire à des gens louches et, bien qu'il ait des manières affables, elle remarquait bien son regard alerte qui examinait rapidement chaque détail autour de lui et s'attardait sur son visage comme s'il tentait de lire son âme. Elle allait devoir se montrer prudente. Elle avait bien un bout de matéria offensive peu puissante au fond de sa poche, mais elle préférait ne pas avoir à l'utiliser.
« Oui, je vous ai reconnu ! » s'écria-t-elle. Elle conservait sa vigilance mais cela ne l'empêchait pas de montrer sa traditionnelle bonne humeur, ravie de la visite.
« Je peux faire quelque chose pour vous ? »
L'autre rit en se grattant la nuque, comme embarrassé.
« En fait, je n'ai pas eu l'occasion de vous remercier pour hier. Votre fleur... m'a beaucoup aidé, vous savez ? Avant, j'étais... comment dire ? Perdu ? Mais maintenant, je me sens beaucoup mieux. »
Aeris laissa échapper un petit rire gêné. L'homme continua d'une voix basse, comme pour faire une confession, avec un regard humble :
« Et donc je suis venu vous remercier, puisque vous êtes ma sauveuse. Mais je ne connais même pas votre nom... »
Voilà qu'il jouait le charmeur ! Sans doute ignorait-il que ce n'était pas la première fois qu'elle avait affaire à ce genre d'homme. Amusée par la situation, Aeris décida de jouer le jeu :
« Je m'appelle Aeris Gainsborough, dit-elle avec un sourire éblouissant. Et vous êtes ?
-Axel. »
Il n'avait pas donné son nom de famille, hein ? Peut-être aurait-elle dû également s'en abstenir ? Mais s'il était parvenu à trouver cet endroit, il aurait trouvé son nom sans aucune difficulté. La plupart des habitants la connaissaient.
Ses lèvres s'étirèrent en un sourire séduisant.
« Hé bien, Aeris, c'est un honneur de faire votre connaissance. »
Son regard dériva par-dessus l'épaule de la jeune femme et elle le vit plisser des yeux avec une expression qu'elle ne sut décrypter.
« Ah, alors c'est ici que vous cultivez vos fleurs », dit-il d'un ton badin.
Elle se retourna d'un pas léger, se sentant fière malgré elle de présenter son travail qu'elle avait gardé secret jusqu'ici. Non pas que ce soit confidentiel, mais l'occasion ne s'en était jamais présentée.
« Oui ! Personne ne vient jamais et les fleurs poussent bien ici, dit-elle en recouvrant son champ de fleur d'un regard affectueux.
-Mmh je vois. »
Axel s'était rapproché et fixait les fleurs d'un air intéressé.
« Est-ce une espèce spéciale ? Pour qu'elles dégagent autant de lumière...
-Euh je ne crois pas, répondit-elle en inclinant la tête d'un air songeur. Je leur apporte beaucoup d'amour et d'énergie en les faisant grandir. C'est l'essentiel. C'est un peu ma formule magique. »
Elle pouffa dans ses mains, avant de s'exhorter à la prudence. Mais même s'il était dangereux, il ne pourrait rien tirer de cette conversation, non ?
« Donc cette lumière provient bel et bien de toi », l'entendit-elle murmurer. Il n'avait sans doute pas escompté qu'elle l'entende, mais il n'avait pas compté sur son ouïe développée. Elle fit cependant mine de ne pas l'avoir compris.
« Alors, Axel ? dit-elle en se retournant vers lui, affichant un sourire éclatant. Vous êtes nouveau ici ? C'est la première fois que je vois quelqu'un porter un manteau de ce genre... Vous l'avez acheté où ? »
Il cligna des yeux, comme pris au dépourvu et elle put en juger qu'il n'avait pas prévu que la conversation diverge vers lui. Il répondit néanmoins d'un ton plaisant :
« On peut dire que je suis de passage.
-Pour de la famille ? continua-t-elle sur un ton innocent, s'amusant beaucoup.
-Vous savez, répliqua-t-il avec une seconde d'hésitation, c'est un sujet un peu délicat de nos jours. Rares sont ceux ayant encore la chance d'avoir de la famille... »
Aeris abaissa les yeux.
« Vous avez raison. Excusez-moi... »
Elle manqua le sourire en coin de son interlocuteur qui disparut aussitôt sous une façade neutre.
« Non, c'est à moi de m'excuser. Vous avez dû vivre ça aussi, c'est impoli de ma part de vous faire la leçon.
-Oui... je veux dire, j'ai encore Elmyra », laissa-t-elle échapper.
Elle commençait à être mal à l'aise. Il lui tardait de changer de conversation.
« Mes parents ne sont plus là, admit-elle d'une voix qu'elle voulait légère. J'ai toujours ma mère adoptive, mais vous avez raison. La famille... c'est une chance de nos jours. »
Mais ma mère sera toujours avec moi. Cette certitude renforcée, elle se tourna vers l'homme qui la dévisageait d'un air curieux.
« Y avait-il quelque chose d'autre que vous vouliez ?
-Ah, excusez-moi. Je dois vous gêner dans votre travail, non ? J'étais seulement curieux. Après tout, vous êtes la seule à vous occuper de ces fleurs et avoir un tel talent ? »
Aeris hocha la tête.
« A ma connaissance, oui. »
Il écarquilla les yeux. Elle ne sut dire s'il feignait sa réaction ou non.
« Vraiment ?! C'est impressionnant. Vous portez sur vos seules épaules le poids du salut de cette cité entière ! »
Aeris le considéra une fraction de seconde, incertaine de ce qu'il cherchait, puis laissa échapper un sourire un peu crispé.
« J'imagine ? Le « salut », c'est un peu...
-Vous êtes la seule à apporter un peu de lumière, enchaîna-t-il, les yeux brillants. Vous pouvez être fière de vous. Depuis combien de temps ?
-Depuis... depuis que j'ai 15 ans, je crois... ?
-Ça fait sept ans ! Incroyable... C'est dommage que vous soyez seule... Si vous étiez plusieurs à avoir ce don, vous pourriez sans aucun doute empêcher ce monde de sombrer et vous l'auriez peut-être déjà sauvé. »
Elle tressaillit et replia ses mains vers sa poitrine comme un geste défensif.
« Que voulez-vous dire ?
-... Que vous faites du bon travail ?
-Non, ce n'est pas ça. Vous dites que le monde sombre... ? »
Il ne parut pas savoir à quoi elle faisait référence.
« Vous l'ignorez donc ? Ce monde est en ruine. Il ne tiendra pas longtemps, je peux vous le garantir.
-Non, vous vous trompez, le corrigea-t-elle d'une voix qu'elle voulait convaincante. Il peut encore être sauvé ! Je sais que la lumière reviendra, il faut garder espoir ! »
Il grimaça et se gratta la nuque, comme répugnant à la contredire.
« Je ne veux pas détruire vos espoirs mais... à vous seule, malgré vos bonnes intentions, vous ne pourrez pas sauver tout un monde. Vous ne faites que retarder l'inévitable. Surtout si vous vous sacrifiez dans le processus...
-N-Non ! Je ne sacrifie rien ! »
Elle parlait trop fort mais les paroles d'Axel réveillaient en elle des vérités qu'elle aurait voulu ne pas avoir à affronter. Alors qu'elle cherchait ses mots, son téléphone, objet de luxe dans cette cité que Cloud lui avait offert il y avait longtemps, sonna, les faisant tressaillir tous les deux.
Elle tira l'objet de sa poche et y jeta un coup d'œil : c'était Tifa. Et elle savait qu'elle ne l'appellerait que pour des sujets de la plus haute importance. Son cœur se serra tandis qu'un mauvais pressentiment faisait son chemin en elle.
« Excusez-moi », dit-elle d'un ton préoccupé à Axel, sans le regarder.
« Tifa ? Est-ce que... ? »
Cette dernière lui coupa la parole.
« Aeris, j'ai besoin de ton aide ! »
Elle parlait d'une voix précipitée, erratique, comme à bout de souffle. Aeris eut un instant d'hésitation ; est-ce qu'elle pleurait ?
« Tifa, qu'est-ce qu'il se passe ?
-Cloud... il... il...
-Hé, calme-toi ! »
Aeris se détourna pour dissimuler l'expression de son visage de la vue d'Axel. Tifa paniquait, cela s'entendait dans sa voix, et elle paraissait épuisée, comme si elle avait couru pour la prévenir.
« Il a retrouvé Sephiroth ! s'écria Tifa. Il sait où il est et il est décidé à l'affronter. J'ai essayé de le retenir, mais il a refusé de m'écouter. »
Aeris sentit son cœur sombrer. Elle avait su que ce jour viendrait, mais elle avait tant espéré...
« Aeris, s'il te plaît ! Si tu lui parles, peut-être qu'il t'écoutera, toi ! Après tout – la voix de Tifa descendit jusqu'à un murmure – il a toujours été plus ouvert avec toi qu'avec moi, alors...
-Je vais... Je m'en occupe, répondit Aeris sans relever la jalousie difficilement réprimée transparaissant dans la voix de son interlocutrice. Où est-il ?
-Sephiroth est quelque part dans la vallée, à l'extérieur de la ville ! Tu pourras rattraper Cloud si tu passes par la porte des fortifications derrière la forteresse !
-D'accord. Ne t'inquiète pas, je m'en occupe. »
Aeris raccrocha et se retourna vers Axel qui ne disait pas un mot, se contentant de l'observer.
« Je suis désolée. Je dois partir de toute urgence, s'excusa-t-elle en forçant un sourire. Peut-être que nous pourrons... reprendre cette conversation plus tard. »
Il inclina la tête.
« Ne vous excusez pas, répliqua-t-il d'une voix agréable. C'est moi qui suis venu vous importuner. Mais je serais ravi de parler de nouveau avec vous. Nous nous reverrons sans doute bientôt. »
Aeris hocha distraitement la tête, le salua rapidement, puis se hâta de quitter les lieux au pas de course.
Axel ne bougea pas. Il la suivit du regard jusqu'à ce que la lourde porte claque derrière elle et qu'il se retrouve seul dans le silence de l'église. Son sourire s'était évaporé de ses lèvres dès qu'elle l'avait quitté des yeux. Il aurait été impossible pour un observateur de deviner ses pensées.
Son regard retourna vers le champ de fleurs qui s'agitait doucement sous un petit courant d'air, tandis qu'il repassait dans sa tête toutes les informations qu'il avait réussi à lui soutirer. C'était l'unique but de sa visite après tout, et l'unique raison pour laquelle il avait dû jouer l'admirateur charmé. Elle avait tout avalé... Enfin, peut-être pas. Il avait décelé en elle une once de méfiance, qui ne s'était pas éteinte pendant toute leur conversation. Elle n'était pas idiote : vu le monde dans lequel elle vivait, il était impossible qu'elle fasse aveuglément confiance à un inconnu, aussi charmant soit-il.
Au moins avait-il obtenu ce qu'il cherchait. Il avait la confirmation qu'elle était la seule dans ce monde à posséder le don de ramener la lumière dans le cœur des gens. Il s'agissait bien de leur anomalie. Et il avait découvert ses faiblesses. Un rictus dénué d'émotion étira ses lèvres.
Il devait cependant s'avouer surpris qu'elle déborde à ce point d'énergie et de vie, malgré ses blessures. Il avait même été surpris de constater qu'elle avait survécu. Lui et Saïx s'étaient retrouvés dans la même situation, des années plus tôt, et voyez ce qu'il était advenu d'eux. Il s'en souvenait encore... de la puanteur et de l'obscurité de leur cellule.
Il pouvait sentir la chaleur d'Isa, qui était parvenu à s'endormir, recroquevillé contre lui. C'était un maigre réconfort contre l'air glacial et l'obscurité hostile de la cellule, dont la seule lumière filtrait entre les barreaux de la petite fenêtre de la lourde porte de fer qui donnait sur un couloir lumineux le long duquel s'alignaient des cellules semblables.
Il ne savait plus depuis combien de temps ils étaient enfermés là, ayant perdu toute notion du temps dans cet endroit souterrain où le jour et la nuit n'existaient plus, mais ils ne l'avaient pas quitté depuis que le groupe d'hommes armés, des gardes du palais, les avaient arrêtés. Était-ce à cause de leurs visites interdites dans la forteresse ? Quelque chose lui soufflait que c'était bien plus grave. Depuis, ils s'étaient contentés de demeurer assis contre le mur à même le sol, le ventre noué par la peur, se levant seulement pour aller chercher leur maigre repas qu'un garde faisait passer régulièrement par une trappe dans la porte, où aller aux « toilettes », un trou fermé d'une grille dans le sol, au fond de la pièce. Il gardait espoir : les secours allaient venir, ou on se rendrait compte qu'ils n'étaient que des gamins insouciants, et on les laisserait partir, n'est-ce pas ?
La cellule était remplie d'autres habitants, aussi décontenancés et apeurés qu'eux, de tous âges et origines sociales. Personne ne leur avait dit la raison de leur emprisonnement, mais des rumeurs couraient dans les cellules : des rumeurs sur des expériences scientifiques interdites, menées par Ansem le sage lui-même, sur les mystères du cœur. Il ignorait si c'était vrai, mais il ne pouvait ignorer que les prisonniers étaient emmenés peu à peu, pour ne plus revenir et être remplacés par de nouveaux détenus. Il savait, même s'il tentait de l'oublier, qu'un jour viendrait leur tour.
Parmi les détenus qu'ils connurent le plus longtemps, bien que connaître soit un bien grand mot car presque personne ne se parlait, il y avait cette femme aux longs cheveux châtain, aux traits fatigués et à la robe déchirée, et sa fille qui lui ressemblait comme deux gouttes d'eau, de quelques années plus jeune qu'eux. Elles étaient déjà là à leur arrivée et ils finirent par s'habituer à leur présence : elles demeuraient toujours assises en face d'eux, et la mère était l'une des rares à ne pas montrer de signe évident de peur, bien que sa fille dévisage les autres détenus avec de grands yeux effrayés. Il avait songé que s'il devait coopérer avec quelqu'un pour planifier une fuite, ce serait à elle qu'il ferait confiance. Mais leur tour avait fini par arriver, et la mère et la fille furent emmenées pour ne plus revenir.
Axel se secoua et se mit en marche, chassant ces pensées malsaines.
« Pourquoi je pense à ça maintenant ? », marmonna-t-il.
Après tout, les gens de cette ville n'étaient plus rien pour lui désormais.
« Cloud ! »
Le jeune homme s'arrêta net, montrant qu'il l'avait entendue, mais ne se retourna pas vers elle. Elle continua sa course jusqu'à n'être plus que quelques pas derrière lui, épuisée. Elle avait traversé la moitié de la ville à toutes jambes, persuadée qu'elle ne parviendrait pas à le rattraper, jusqu'à atteindre une des portes de la ville, près d'un quartier peu fréquenté, presque abandonné, endroit lugubre surtout maintenant, à la tombée de la nuit. Derrière eux, la ruelle mal entretenue parsemée de débris remontait jusqu'à la forteresse qui se dressait au-dessus de leurs têtes, menaçante, et où plus personne ne vivait. Devant eux, les remparts aveugles aux briques sombres les dominaient, les plongeant dans la pénombre de leur ombre. Et entre deux fontaines murales vides, à quelques pas de Cloud, s'ouvrait la bouche de l'entrée, au-delà de laquelle elle pouvait apercevoir le sentier escarpé qui descendait dans la vallée rocheuse.
Comme Cloud ne faisait pas mine d'ouvrir la bouche, attendant manifestement qu'elle parle, Aeris prit la parole une fois qu'elle eut récupéré son souffle :
« Tifa m'a dit que tu allais affronter Sephiroth. »
Il répondit par un signe de tête affirmatif, la tête légèrement tournée vers elle, mais sans lui faire face. Son épée brillait dans son dos et elle remarqua avec tristesse que la lame en avait été nettoyée et que des matérias avaient été encastrées dans la poignée.
« Tu as vraiment l'intention de faire ça ? souffla-t-elle. Pourquoi ? Je croyais qu'on en avait parlé, qu'on s'était juré tous les trois de ne plus se séparer.
-Sephiroth doit être arrêté, Aeris, dit Cloud d'un ton neutre. Qui sait ce qu'il prépare ? Je ne peux pas...
-La vengeance ne ramènera pas Zack ! s'écria-t-elle, consciente qu'elle abordait un terrain dangereux. Elle ne pourra que te perdre à ton tour ! »
Il se tourna enfin vers elle, faisant brusquement volte-face, serrant la mâchoire.
« Je ne cherche pas à le venger ! Si je fais ça c'est pour le bien de tous !
-C'est faux ! rétorqua Aeris qui sentait la colère et le désarroi monter en elle. Je sais que tu es retourné là où il est mort ! J'ai vu que tu avais ramené sur sa tombe un morceau de sa vieille épée, avant que tu ne la fasses réparer. Tu n'as pu récupérer ça qu'en retournant là-bas. N'essaie pas de me faire croire que tu ne penses pas à Zack à présent. La vengeance est la seule chose qui tu poussais pendant toutes ces années à pourchasser Sephiroth », acheva-t-elle dans un murmure.
Avec un grognement frustré, Cloud se détourna à nouveau.
« Sephiroth est le meurtrier de Zack, lança-t-il sèchement. Il doit être arrêté ! Je ne comprends pas pourquoi vous ne comprenez pas ça.
-Cloud, ne... !
-Je n'ai plus rien à ajouter. Ne me suis pas plus loin. »
Sans un mot de plus, ni écouter ses supplications, Cloud s'engagea dans le tunnel et Aeris le regarda franchir les fortifications et s'enfoncer dans l'obscurité du sentier. Elle pressa ses mains sur sa poitrine, remuant des pieds mais plantée sur place, incertaine : devait-elle le suivre ? L'extérieur était dangereux et elle n'était pas armée. Mais elle devait faire quelque chose avant qu'une nouvelle tragédie n'ait lieu !
« On peut parler d'adieux déchirants. »
Aeris jeta un coup d'œil autour d'elle, cherchant l'origine de la voix qu'elle avait reconnue. Elle ne fut guère surprise de découvrir Axel, assis en haut d'un mur effondré, quelques pas derrière elle, l'air neutre. Alors il l'avait suivie jusqu'ici...
Elle fit à nouveau face à l'entrée pour constater que Cloud avait déjà disparu.
« Qu'est-ce que tu comptes faire ? » lança la voix dans son dos.
C'était une excellente question, et elle ne savait que répondre.
« Tu ne le suis pas ? Je croyais que tu voulais éviter un nouveau sacrifice inutile.
-Qu'est-ce que tu sais ? demanda-t-elle, plus sèchement qu'elle n'aurait voulu, et renonçant à son tour à rester polie.
-Rien de plus que ce que je viens d'entendre, petite.
-Ce ne sont pas des choses qui vous concernent. Allez-vous-en et laissez-nous en paix », lui enjoignit-elle.
Elle crut entendre un rire étouffé mais ne se retourna pas pour vérifier.
« Pourquoi êtes-vous venu, pour commencer ? Pourquoi m'avez-vous suivie ?
-On peut dire que j'étais curieux, dit la voix derrière elle. Je ne comprenais pas comment tu pouvais espérer sauver ce monde alors que tu es incapable de te sauver toi-même. »
Aeris ne répondit pas.
« Tu es brisée comme les autres habitants de ce monde, continua-t-il d'une voix où perçait une nuance de ruse menaçante. Tu ne peux sauver personne avec ton cœur brisé, quoi que tu en dises. Regarde ça ! Tu ne l'as pas arrêté, tu ne peux même pas sauver tes amis. Ils disparaîtrons les uns après les autres et tu ne fais rien. »
La jeune femme abaissa le regard. Elle savait que ses paroles n'étaient que malice, mais elle ne parvenait pas à cesser d'écouter. Et elle avait mal dans sa poitrine.
« Je... je...
-Tu ne peux aider personne si toi-même manque de lumière et d'amour. Tu as sacrifié ton être dans ta quête vaine pour sauver ce monde : tu as pris sur tes épaules le poids des souffrances de tous ces gens, en oubliant de calmer les tiennes. Combien de temps as-tu passé à consoler ces malheureux, à les encourager, à panser leurs blessures, à les tirer de leur désespoir et de leurs ténèbres ? Et qu'as-tu eu en retour ? Personne ne t'as réconfortée, n'a soigné tes propres blessures. Tes propres amis ne t'écoutent même plus et t'abandonnent...
-C'est vrai, mais je dois le faire, répliqua-t-elle faiblement. Si je ne fais rien... »
La voix de l'homme tomba en un murmure qui s'éleva lugubrement dans le silence des ruines.
« Ton combat est admirable, mais inutile. Dans ton état, tu ne peux que réussir à te détruire. Tu n'as pas assez de lumière pour toi, pas la peine de penser à en apporter au monde. Mais tu le sais, n'est-ce pas ? »
Il avait raison, non ? Elle avait pendant longtemps réprimé ces pensées, mais il avait raison. Elle avait tant donné pour ce monde, convaincue de mener un combat qui porterait ses fruits, qu'elle en avait négligé son cœur et sa propre volonté depuis des années. En fait, elle s'était convaincue que sa volonté et ses désirs étaient devenus cette lutte vers ce but altruiste, aider les gens en détresse, sauver ce monde de sa destruction...
Elle ne voulait pas se rappeler qu'elle était une humaine comme les autres, avec ses désirs égoïstes et ses peurs. Sinon, comment pourrait-elle apporter le salut à ce monde ?
La tête basse et le cœur lourd, Aeris laissa ses pas la ramener à l'église. Elle se sentait bizarre, comme nauséeuse et la tête embrumée. Elle ne croisa personne sur le chemin du retour, ou plutôt, ne remarqua pas les citadins qui allaient et venaient autour d'elle, enfermée dans ses pensées confuses.
Elle ne parvenait plus à réfléchir correctement. Peut-être devrait-elle rentrer chez elle. Les rues étaient dangereuses pour qui était distrait et le soleil avait disparu à l'horizon depuis bien longtemps. Mais elle tenait à revoir ses fleurs, à se revigorer de leur parfum, comme pour se convaincre que ce n'était pas un rêve, que son but était bien réel, que l'espoir qui l'animait depuis tout ce temps existait encore.
Cependant, alors qu'elle arrivait en vue de l'église, elle reprit peu à peu ses esprits. Il lui fallut du temps pour s'en apercevoir, tant elle était engluée dans des émotions contraires qui se mélangeaient en elle, mais quelque chose n'allait pas. Quelque chose de grave. Comme... Était-ce de la fumée qui s'échappait du toit de l'église ? Et cette odeur... ?
Elle demeura figée sur place pendant de longues secondes, incapable d'en croire les implications. Puis, laissant échapper un « oh non ! » entre ses dents, la jeune femme se précipita, les yeux écarquillés, et ses ennuis précédents déjà oubliés. Elle se jeta contre la porte de l'église, perdant dans sa panique quelques précieuses secondes à l'ouvrir, et entra en trombe à l'intérieur, pour se figer d'horreur.
Son champ de fleurs était en feu. Les flammes s'élevaient avec une joie cruelle entre les piliers de l'église, se repaissant de ces fleurs dans lesquelles elle avait déversé tant de son être, et elle les voyait mourir et disparaître en cendres dans le brasier et elle ne pouvait rien faire...
Elle tomba à genoux.
Elle était perdue à son tour, n'est-ce pas ? Elle avait perdu aussi facilement ?
Le cri de désespoir qui s'échappa de la gorge d'Aeris emplit l'église, étouffant même le chant des flammes et résonnant dans le cœur vide d'Axel, qui l'observait en douce, adossé les bras croisés derrière un pilier.
