Voilà une petite fic assez dramatique sur Lord of the flies ^^ J'espère que vous apprécierez n'hésitez pas à commenter !


Combien de temps avaient-ils passé sur ce bateau ? Ralph n'en savait rien. Depuis leur sauvetage sur l'île, il n'était plus qu'un fantôme. Il avait du mal à parler, à regarder les gens dans les yeux, à répondre, à écouter. Il vivait continuellement dans une sorte de brouillard. Dans une bulle. Les voix étaient lointaines, les visages flous. Ils avaient suivi les marins et leur expédition pendant de longs jours, de longues semaines, de longs mois peut-être. Ils avaient été incapables de dire pourquoi ils avaient atterri sur cette île déserte. Parmi les plus petits, certains avaient même eu du mal à se souvenir de leur nom. Comme Percival Wemys Madison qui, dans un temps lointain, connaissait par cœur son adresse et numéro de téléphone.

Les marins avaient dit que la guerre allait bientôt se terminer. L'Allemagne ne tenait plus. C'en était fini d'elle. Mais, pour une obscure raison, Hitler s'obstinait. Il envoyait ses hommes à l'abattoir. Il les expédiait se faire charcuter à l'Est. Pourquoi ? Nul ne le savait. Certains prétendaient qu'il était devenu fou –s'il ne l'était pas déjà bien avant.

Ralph ferma les yeux. Il était allongé sur un matelas, à l'étroit dans cette cabine qu'il partageait avec d'autres garçons. Il ne savait pas bien qui. En réalité, il avait encore du mal à différencier les visages, remettre des noms sur des traits familiers.

Il entendait toujours un bourdonnement dans ses oreilles. Et derrière ce bourdonnement, des cris. Il n'arrivait pas à se les enlever de la tête. Kill the pig! Cut his throat! Kill the pig! Bash him in ! Ce slogan… scandé sans répit dans son esprit.

Le visage de Ralph se contracta. Il se roula en boule. Comment arrêter ces voix ? Comment les faire taire ? Il se prit la tête entre les mains, plongea ses doigts dans ses cheveux blonds. Il avait l'impression de devenir fou. Il fallait que cela cesse ! Au plus vite.

Kill the pig! Cut his throat! Kill the pig! Bash him in !

Toujours accompagné de ces terribles paroles, Ralph plongea dans un gouffre profond et ténébreux. Il se sentit tomber, flotter, puis de nouveau sombrer, sans fin. Et ces voix, qui étaient toujours là… Qui ne le lâchaient pas…


-Ralph !

En entendant murmurer son nom, il ouvrit difficilement les yeux. Au début, il ne vit qu'un ovale flou. Il battit des paupières. Il avait l'habitude de ne pas bien distinguer les visages, depuis qu'on l'avait arraché de cette île infernale. Mais là, il avait vraiment envie de savoir qui lui parlait. Pendant un instant, il crut voir Simon. Ces cheveux sombres et ces yeux brillants. Simon… comment était-ce possible ? Il était pourtant…mort. Mais en se concentrant plus, Ralph remarqua que les yeux, qu'il avait vu un instant auparavant brillants, ne l'étaient pas du tout. Au contraire, ils étaient sombres, assez durs. Quelques secondes de plus et il reconnut Roger en face de lui. Il sentit son corps se contracter. Des garçons présents sur l'île, c'était certainement lui qui l'avait le plus terrifié. Bien plus encore que Jack.

Ralph tenta de parler mais aucun son ne sortit de sa bouche. Roger secoua la tête, lui signifiant qu'il était inutile qu'il fasse des efforts pour dire quoique ce soit.

-On va arriver, lâcha-t-il simplement. Prépare-toi.

Il lui jeta un dernier coup d'œil avant de sortir de la cabine. Ralph se releva maladroitement, tira sur sa chemise froissée. Arriver. La maison. Ses parents. Son lit. La sécurité d'un foyer familial.


De retour sur la terre ferme, d'autres grandes personnes prirent en charge les garçons. Ralph se sentait perdu. Il se laissait guider par les mains, les voix. On les emmena dans un bâtiment. Trois femmes étaient là, avec un bloc note. Elles demandaient le nom des garçons avant de cocher sur leur papier. Au fond de la salle, retenus par du personnel, il y avait des journalistes. La nouvelle d'une bande de collégiens retrouvés abandonnés sur une île déserte avait vite fait le tour des médias. Des photographes tentaient de prendre des clichés des garçons en question.

-Comment t'appelles-tu ?

Ralph releva la tête. Sa vue s'était améliorée. La femme qui le regardait avait un joli sourire. Ses cheveux bruns étaient retenus en arrière par des peignes et elle portait de lourdes boucles d'oreille. Elle réitéra sa question de sa voix suave.

-Ralph, lâcha le garçon d'une voix qui lui sembla soudain si étrangère.

La femme lui fit un nouveau sourire avant de poser une main contre son omoplate, comme pour le guider.

-Viens, dit-elle d'un ton maternel.

Elle l'amena jusqu'au seuil d'une autre salle où un homme l'invita à entrer. Chancelant, Ralph pénétra dans la pièce. Il y avait plus de lumière que dans l'endroit précédent, ceci étant dû au nombre de fenêtres qui permettaient au soleil d'éclairer le lieu.

Lorsqu'il entra, une femme se leva de son siège et se précipita vers lui. En clignant des yeux et en voyant quelques petits en pleurs dans les bras d'une ou deux grandes personnes, Ralph comprit que c'était les parents qui étaient là. La famille. La civilisation.

La femme l'étreignit violemment. Elle pleurait. Elle répétait son nom. Ralph aurait été incapable de dire avec certitude si cette femme était sa mère ou non. Ses sens ne fonctionnaient plus très bien. Mais si personne ne les avait séparés, c'était que ce devait être elle.

-Ma…man, murmura-t-il, sans pouvoir bouger ses bras pour les enrouler autour de ce corps rassurant.

-Ralph, Ralph, répéta la femme.

Lorsqu'elle le relâcha, elle le fixa de ses yeux clairs. Un pâle sourire vint couronner ses lèvres trempées de larmes. Elle lui caressa la joue. Le front. Le menton. L'embrassa.

-C'est fini, murmura-t-elle. C'est fini, je te ramène à la maison.

Ralph aurait voulu dire quelque chose. Lui dire qu'il l'aimait. Il aurait voulu se blottir contre elle, pleurer toutes les larmes de son corps. Mais son corps n'obéissait plus à ce que son esprit embrouillé tenter d'envoyer comme ordre. Alors sa mère lui prit la main, pour le mener vers la sortie.

-Papa renvient demain soir, lui dit-elle dans un souffle. Il… il sera là demain soir, répéta-t-elle, comme pour le convaincre de la véracité de ses paroles.

-Jack !

Ce cri fit se retourner Ralph. Derrière son brouillard, il vit une grande femme aux cheveux blonds tirant sur le roux. Elle portait une robe cintrée verte et un sac à main noir. Elle se précipita vers celui qui avait été –dans un temps si lointain- chef de chœur, écolier modèle et anglais à l'éducation irréprochable.

Jack, bien que certainement moins perdu que Ralph, mit un temps avant de réaliser que la femme qui lui caressait les cheveux était sa mère. Elle lui murmurait des mots, des phrases qu'il avait du mal à capter. Il n'arrivait pas à se dire que l'épisode sur l'île était fini. Ils étaient à nouveau en société. Finies les parties de chasse avec des bâtons. Finis jours oisifs dans la jungle, les maquillages sur le corps et le visage. Tout était fini. Les parents étaient là. Et avec eux la loi, la civilisation, les punitions. Il fallait de nouveau apprendre à vivre avec les autres, sur les mêmes règles qu'eux.

En tournant la tête de l'autre côté, Ralph vit une femme à l'air strict, au chignon serré et tiré en arrière. Elle ne portait pas de vêtements de haute marque mais son maintien et sa grâce pouvaient facilement la faire passer pour une femme de famille aristocratique. Elle se dirigea sans un son vers un garçon taciturne qui ne semblait pas oser la regarder dans les yeux. Quand la mère et le fils furent face à face, celui-ci leva prudemment la tête. Ils restèrent ainsi un moment, sans mot dire. Puis la femme passa le pouce à la commissure de ses lèvres, retirant une petite saleté que ses yeux perçants avaient détectée.

-Bonjour Roger, dit-elle simplement, d'un ton plutôt froid et maintenant sa position raide et droite.

Le garçon fut incapable de répondre quoique ce soit. Il baissa les yeux, peut-être se remémorant l'île, ce qu'il y avait fait, et confrontant ses actes horribles à cette mère, qui incarnait à elle seule un monde dans lequel ses actions auraient été intolérables et sévèrement punies. La femme fixa son fils un long moment tandis que celui-ci tentait d'éviter son regard. Finalement, ses lèvres minces s'étirèrent d'un petit sourire :

-Je suis heureuse de te revoir, murmura-t-elle d'une voix plus douce. Je me suis inquiétée.

A ce moment-là, elle fit un geste que jamais Roger n'aurait pu imaginer : elle passa sa main dans ses cheveux dans une tendre caresse avant de l'embrasser sur le front. Puis, le poussant par l'épaule, elle commença à l'emmener vers la sortie.

Ralph ferma les yeux quelques secondes.

-Tout va bien ? demanda alors sa mère d'une voix très inquiète.

Il rouvrit les paupières, hocha doucement la tête et réussit à esquisser un sourire. Un peu plus loin, près de la porte qui conduisait certainement dehors, ou à défaut dans un couloir, un couple était là pour réceptionner leurs jumeaux. Samneric. Les garçons sautèrent dans leurs bras et fondirent en larmes. Les parents les cajolèrent un long moment, sans poser de question. Certainement qu'on leur avait dit que leurs enfants risquaient d'avoir des problèmes de réadaptation, peut-être des traumatismes, qu'ils allaient devoir avoir des suivis médicaux et psychologiques. Ralph regarda les jumeaux, chacun dans les bras d'un de leurs parents. Samneric… les seuls à lui être restés fidèles jusqu'à ce que… jusqu'à ce que la peur, la violence, la haine et la douleur prennent le dessus et qu'ils abdiquent. Ralph leur vouait une certaine affection.

Soudainement, au milieu de ces retrouvailles, un cri déchira l'air. Tous se retournèrent. Au centre de la salle, une grosse femme tomba à genou. L'homme en face d'elle –celui qui avait invité Ralph à entrer dans la salle- se mit à sa hauteur et lui tapota l'épaule, gêné. La grosse femme pleurait sans retenu, les mains sur le visage. Ses épaules, son dos furent secoués de spasmes. Et pleurait, criait, murmurait un nom entre deux hoquets.

Ralph resta immobile face à ce tableau tragique. Ce devait être la tante de cet ami fidèle et avisé que l'on appelait Piggy. Que dire face à un parent qui apprend que son fils, sa fille ou dans ce cas son neveu ne reviendra jamais d'une île infernale ? Qui comprend qu'il n'aura même pas la dépouille de cet être cher pour lui rendre les derniers hommages. Ralph se mordit les lèvres. Il croyait son âme vide de toute larme depuis son départ de l'île. Mais il avait tort. Il sentit ses yeux se brouiller. Il ne savait pas s'il voulait laisser libre court à son émotion, ou se retenir devant tous ces gens.

Dans un autre coin de la salle, un couple, qui attendait depuis un moment, se mit également à pleurer lorsqu'un homme leur annonça que leur fils n'était pas parmi les rescapés. La femme se blottit contre son mari pour fondre en larme. Celui-ci l'étreignit, l'embrassa, les joues trempées, les traits déformés par la douleur.

Simon…pensa Ralph en les voyant.

Une femme s'approcha d'eux, leur murmura quelques mots et se mit aussi à pleurer. Le couple passa ses bras autour de ses épaules. Se soutenir, tous ensemble. Même si l'on ne se connait pas.

Ralph en déduisit que cette femme était la mère du gosse avec la tâche de naissance sur le visage. Cet enfant dont il ne se rappelait pas le nom –l'avait-il jamais su ?- et qui avait disparu après l'incendie accidentel sur l'île, le premier jour.

Les trois parents en deuil se dirigèrent vers la grosse tante de Piggy et pleurèrent ensemble la mort de leur enfant bien-aimé.

La salle était plongée dans le silence. Personne ne savait que dire. Nul n'osait bouger. Quand Ralph sentit les larmes couler sur ses joues, il s'approcha du groupe. La mère de Simon, en le voyant, lui fit un sourire derrière la cascade qui se déversait de ses yeux.

-Je… commença Ralph.

Il tenta d'articuler quelque chose mais n'y parvint pas. Finalement, il prit une grande inspiration :

-Je suis désolé, finit-il par dire.

La mère de Simon lui ébouriffa les cheveux. Puis Ralph vit Jack s'approcher. Il devait connaître les parents de Simon. Lui aussi semblait avoir du mal à contenir son émotion. Il ne savait pas quoi dire face à un tel désarroi. La mère de Simon posa une main sur son épaule et étreignit les deux garçons.

Ralph se sentait tellement coupable. S'il avait été un meilleur chef, il aurait pu éviter l'incontrôlable feu du premier jour. Et le gosse serait toujours en vie. Il aurait pu éviter la scission du groupe. Simon et Piggy seraient encore là, avec eux. Et il n'y aurait plus que des larmes de joie. Pas des larmes de deuil.

Du coin de l'œil, Ralph vit d'autres garçons s'approcher du groupe. Certainement se sentaient-ils aussi coupables que lui. Le cercle s'élargit. Même Roger finit par venir. Il tenta de dire quelque chose à la tante de Piggy. Mais quoi ? Que dire quand on est l'assassin du garçon déploré ? Plusieurs fois il tenta de sortir une phrase. Plusieurs fois il referma la bouche sans avoir rien exprimé.

Petit à petit, tous se regroupèrent au centre de la salle, autour des parents effondrés. Tous pleuraient ou du moins partageaient l'émotion. Ils avaient besoin de se sentir ensemble, réunis autour du même chagrin. De se sentir unis. Pour une fois.


Alors ? Vos avis ? :3