Disclaimer: à Disney, Ted Elliott, Terry Rossio & Gore Verbinski

Note: Oh, merveille, encore un nouveau fandom ! Oui, c'est vrai, j'avoue, mais c'est tout de la faute de ma Frudule qui aime ces gens-là autant que je l'aime elle. Et puis, c'était pour son anniversaire, donc je suis pardonnée... Et puis, il y a même un vrai alibi historique dans la fic (demandez à google votre ami ce qu'il s'est passé en juin 1692 à Port Royal ).

A situer, ça me semble clair, après le deuxième film !

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Tempête sur Port Royal

C'était la fin du printemps, et l'air était chaud, lourd, humide sur toute la Jamaïque, peut-être encore plus chaud, lourd et humide sur la très exubérante ville de Port Royal.

De la baie toute proche parvenaient de temps en temps des aiguillettes de brise légère qui portaient jusqu'à l'intérieur de la cité le parfum mêlé de l'écume et du bois mouillé des coques des navires.

Pour James Norrington, ça sentait l'Intrépide à plein nez.

« Jamesie, Jamesie, Jamesie… » marmonna une voix toute entortillée de sommeil.

James voulut cracher d'arrêter avec ça, cette familiarité irritante d'altérer son prénom dès que l'occasion se présentait, mais cela n'aurait servi à rien de plus que de provoquer la raillerie chez l'autre occupant de leur indigente cellule et de briser son vœu de silence.

Las, il préféra ignorer le moqueur et concentrer son regard sur l'horizon qui se dessinait, tronqué, entre deux ruelles filant vers la mer.

Il avait passé ainsi la plupart de ses journées depuis sa mise aux fers, un mois auparavant, perché à demi sur sa paillasse roulée et sur le petit tonnelet de bois que Beckett avait fait porter à la prison au soir de sa trahison.

« J'ai tout lieu de croire que vos lettres de marque étaient des faux, Commodore, ce qui est, vous vous en doutez, particulièrement fâcheux. Contrefaire le sceau de notre Majesté le Roi n'appelle pas d'autre châtiment que la corde… »

Lord Beckett n'avait pas cillé quand James Norrington, Commodore privé d'honneur et de navire par la forfaiture de ce maudit Sparrow, lui avait crié à la face son dégoût. Il avait pourtant passé un marché royal avec l'Administrateur de la ville quand il lui avait livré le cœur palpitant de Davy Jones ! Il lui avait offert l'océan sur un plateau d'argent, nom de Dieu !

Comme il avait été bien stupide de croire une seule seconde en la parole de cette vermine de Beckett… Dès que ce petit requin à sang froid avait mis la main sur le foulard renfermant l'objet de son commerce, il s'était retrouvé lui couvert de chaînes de la tête aux pieds.

Et ainsi, la nuit même, il lui avait fait parvenir la petite barrique de rhum, faisant dire par son bras droit de Mercer qu'il était normal qu'il offre à boire à l'armateur de son triomphe.

De quel triomphe, en plus de son incarcération, il eût s'agit ce jour-là, il n'en avait rien su tout de suite, s'escrimant à lutter contre la morsure des bracelets à ses poignets et l'envie dévorante de s'oublier, comme par le passé, dans le rhum.

Il avait résisté pourtant, et, même si le besoin piquant de goûter l'alcool sur ses papilles l'avait tenu éveillé jusqu'au matin, il n'en avait pas bu.

C'était d'ailleurs heureux car, sans cela, il se serait cru trop ivre pour aborder la réalité quand on avait fait entrer dans sa cellule, quelques instants seulement après le lever du jour, celui qui, pour l'heure, s'étirait paresseusement sur la paillasse voisine.

« Tu ne verras pas ton bateau d'ici, mon Commodore, je te l'ai déjà dit, mais tu ne m'écoutes pas… »

Ne pas l'écouter, il y arrivait assez bien depuis un mois, ou, du moins, arrivait-il à le prétendre. Mais il ne pouvait s'armer d'aucune carapace quand il s'agissait de le voir, de le sentir – et Dieu sait qu'il puait à présent… tout comme lui-même, sans doute – de l'entendre, de le frôler. Il semblait ne jamais rien vouloir faire sans y mettre de la démesure : quand il ronflait, il était plus sonore qu'un cor de combat ; quand il bâfrait sa gamelle de bouillie, il fallait que cela soit fait avec force déglutition et emphase de tournoiements de cuillère ; quand il emplissait la tinette de pisse, il ne pouvait se résoudre de procéder sans s'extasier devant la puissance de son jet ; quand il rêvait, c'était forcément toujours à guichets ouverts, articulant le moindre de ses soupirs ensommeillés d'une multitude de prénoms, féminins et autres. James avait bien cru y surprendre le sien une fois au moins.

« Je te préférais saoul, tu étais bien plus drôle qu'à guetter ainsi le vent du large et les esquifs qui passent. »

Saoul, James aurait bien voulu s'offrir le luxe de l'être chaque nuit depuis la première, depuis que, trop vertueux, trop orgueilleux, il avait refusé de lamper le rhum.

Une nuit seulement, il avait été tenté, et puis il était arrivé, recraché tout fraîchement des entrailles du kraken, et il avait tout bu, en une journée, sans même paraître touché par l'ivresse tandis qu'il avalait à grandes gorgées le liquide ambré.

Quand il avait reposé le tonnelet, il avait clamé dans un rot que le quadruple de ce qu'il venait de vider ne suffirait même pas à apaiser la soif inhumaine qui le tiraillait.

Puis, il avait dormi, dormi, dormi.

Si longtemps que, de la surprise enragée que James avait pu éprouver au moment de le voir jeté là avec lui, il ne subsistait plus à présent que la rage : la surprise s'en était allée, il pouvait, après trente jours et trente nuits, deviner sans mal la redondance de son discours, l'exagération de ses gestes. Même le dos tourné, il savait quand l'autre l'épiait de dessous son tricorne, quand il feignait le sommeil, ou qu'au contraire, il donnait l'apparence de l'éveil en étant manifestement ailleurs.

La présence de Jack Sparrow lui était toujours aussi insupportable qu'au début, mais maintenant totalement familière.

« Capitaine Jack Sparrow ! Ne le nie pas, l'ami, tu pensais encore une fois à moi… »

Ainsi, cela seul ne cessait de le troubler, qu'il semble à merveille lire la moindre de ses pensées…

James en venait à croire qu'il avait trouvé quelque pouvoir surnaturel au fond du ventre de la bête, et cela n'aurait été, en fait, pas vraiment étonnant dans ce tableau de fin de dix-septième siècle où les pirates devenaient squelettes à la pleine lune et où un océan se gagnait en enserrant un cœur au creux de la main.

De cela, James aurait voulu qu'il parle, mais il se plaisait infiniment plus dans le récit d'autres faits d'arme.

« James, mon cher, je t'ai déjà dit, n'est-ce pas, à quel point Elisabeth avait les lèvres douces ? »

Oui, ce genre de foutaises montées de toutes pièces pour provoquer son agacement, il ne se lassait jamais de les conter.

Ou bien encore… « Tu te rends bien compte, l'ami, que tu te balanceras seul au bout de la corde ? J'aurais voulu partager cet instant avec toi, mais notre brave Beckett me tient pour trop précieux. Quand on y songe, pourtant, il est plutôt normal que nous ne goûtions pas au même bout de chanvre… question de hiérarchie, tu vois ! Après tout, je n'ai jamais été sous tes ordres, alors que toi, tu m'as bel et bien servi… »

Il y avait bien sûr d'autres refrains, mais ces deux-là étaient ceux qu'il prenait le plus de jubilation à entonner.

Il pouvait lutter contre en adoptant la même technique que plus tôt, en ne l'écoutant pas.

Pour cela, il vissait son regard sur l'espace bleu entre les barreaux et ne s'en détachait qu'au moment de boire, manger, dormir ou soulager ses intestins.

Il aurait bien voulu que Sparrow réagisse à son silence en l'assommant de supplications pour que, enfin, il lui adresse la parole, mais ça ne semblait pas le déranger, ça l'amusait même plutôt.

Il ruminait son mutisme, les paupières battant sous la vigueur des rayons du soleil de ce début de juin, quand quelque chose au loin attira son attention : une vague, effrayante, gigantesque, montait rapidement jusqu'à la ligne d'horizon, semblant l'abîmer avec une vitesse folle qui faisait que, de secondes en secondes, le ciel même avait l'air de ne plus exister.

Il se passait quelque chose de vraiment anormal !

Un instant, James crut vivre l'apparition du Kraken légendaire, venu reprendre à Beckett sa proie passée, mais c'était, diablement, un fait d'une autre nature.

La vague lointaine l'était de moins en moins et, déjà, elle léchait le rivage.

Derrière lui, Jack Sparrow avait ravalé ses borborygmes moqueurs et s'extirpait de sa paillasse avec une souplesse qu'on aurait pu croire évanouie après ces semaines d'inaction.

« Norrington, bouge-toi de là, je dois voir ! »

James n'eut pas le loisir de répondre ou d'émettre la moindre opposition : Sparrow avait pris sa place sur la barrique et regardait, agrippé aux barreaux, le phénomène inquiétant qui s'approchait.

« Le… Kraken… ? » demanda-t-il, d'une voix rauque autant d'avoir été inutilisée pendant des jours que parce qu'il commençait vraiment à sentir la panique l'envahir.

« Non, non, écoute, James, ça gronde, ça gronde depuis le sol ! Ce n'est pas la mer qui se fâche, c'est la terre, et elle entraîne la mer avec elle ! » siffla Sparrow, sans détourner les yeux du dehors.

« La terre ? Mais… cette vague immense ! »

« Chut ! La terre, c'est la terre, j'ai dit, il faut qu'on file d'ici ! »

James, hébété, le vit aussitôt se précipiter sur la porte de la cellule, glisser une épaule au travers des montants de fer et tenter, dans un gémissement ahané, de la soulever.

« Mais bon sang, Sparrow, qu'est-ce que… »

« Epargne ta salive, mon Commodore, elle va être rare bientôt, quand il n'y aura plus que de l'eau salée à boire par ici ! Secoue-toi, viens m'aider ! »

« Mais… »

« Tout de suite ! Il faut qu'on soit dehors avant que la terre ne se mette à trembler ! »

Il avait l'air si sombrement sérieux, tellement peu en rapport avec sa désinvolture naturelle, que James ne protesta pas, il alla joindre ses efforts à ceux de Sparrow.

Au bout de trois han désespérés, leurs muscles conjointement douloureusement bandés vinrent à bout des gonds rouillés de la porte.

Sparrow l'attrapa par le bras et le poussa hors de la cellule tandis que les premiers frémissements furieux de l'écorce terrestre crevassaient le sol. La prison toute entière tremblait sur ses fondations et ils durent se tenir l'un à l'autre, se hisser même par moment, pour grimper les marches des escaliers qui semblaient disparaître sous leurs pas.

A l'air libre, Port Royal n'était plus que bruit et terreur !

La mer montait jusqu'à la cité, s'engouffrant dans les ruelles et les soubassements. En contrebas, le port n'était plus, les bateaux amarrés avaient coulés les uns après les autres et leurs carcasses venaient se mêler aux flots d'écume qui déchiraient la rive.

C'était une vraie vision d'apocalypse !

« Tsunami… » souffla Sparrow.

Au regard égaré de James, il ajouta : « J'en ai vu en mer de Chine, mais celui-ci va être sans pitié, il faut partir, vite ! »

James ne se posait même plus la question du doute ou de la rancune, Sparrow avait raison, quel que soit le tourment qui ravageait la ville, il fallait le fuir, au plus loin, au plus vite !

« Des chevaux ? »

Aux hennissements terrorisés qu'il entendit à quelques mètres de là, puis au bruit de sabots précipités battant les pavés, il comprit immédiatement que le salut ne viendrait pas des bêtes, elles étaient hystériques.

« Non, courir, à l'intérieur, maintenant ! »

Et James Norrington courut, dépassant d'une foulée Jack Sparrow dont la démarche toute en bras et en jambes désordonnés ne le menait pas vite, et nouant son bras sous son épaule pour lui faire tenir la même cadence.

« Avec moi, Capitaine ! » lança-t-il dans un souffle au moment de grimper les collines.

« Avec vous, Commodore… » répondit-il, resserrant la pression et se laissant mener par l'allure redevenue militaire de James Norrington.

Ils ne savaient encore vers où ils fuyaient, mais ils y allaient les bras chevillés aux corps.