Les numéraux de locaux paraissaient flous et brillants dans la périphérie du regard de Clef. Évidemment, à courir à cette vitesse, il était impossible de lire clairement les indications gravées. Peut-importe, le jeune étudiant saurait reconnaître le bureau de la directrice des autres classes normales.

À une heure si tardive, les corridors de l'école étaient plutôt sombres. Le seul bruit qu'on discernait, était le raisonnement contre le carrelage des pas rythmés de Clef. Chaque fenêtre reflétait la silhouette du garçon. Donnant à l'école, pourtant si animée la journée, un éclat fantomatique inquiétant.

Finalement, la musique monotone des pas se tut brusquement, dans un large écho. Écho qui finit par être couvert par la respiration saccadée du binoclard essoufflé.

Même s'il était déjà en retard, Clef prit quelques secondes pour reprendre son souffle. Pendant ce cours intermède, il put réfléchir à ce qui l'avait emmené ici.

N'ayant rien fait de mal, le jeune studieux se laissait à imaginer que la directrice voulait peut-être lui donner un diplôme. En effet, il avait récemment rédigé une production écrite particulièrement brillante. Celle-ci narrait l'histoire d'un jeune garçon qui se retrouve malgré lui dans un univers incroyable, portant le nom d'Invalice.

Ne souhaitant pas retarder encore plus son rendez-vous, il ouvrit la porte du local.

Quand elle laissa place à la vision de deux visages bien familiers, Clef ne put s'empêcher d'avoir un petit sourire en coin.

- Tiens, tiens ! En voilà une surprise…, s'exclama t-il, en rajustant ses lunettes à l'aide de son index.

Les deux autres étudiants tournant maintenant la tête vers lui, Clef de put s'empêcher d'ajouter sarcastiquement;

- Je me demande ce que Miss popularité et Monsieur muscle on bien put faire pour se retrouver ensemble chez la directrice.

Le regard haineux du « Monsieur muscle » rendait bien justice au commentaire lourd de sous-entendus. La « Miss popularité», elle, se contenta de passer ses doigts manucurés dans sa chevelure arc-en-ciel avant d'ajouter;

«Je pourrais bien te retourner le commentaire, Docteur Intello.»

Clef se mordit les lèvres, à cours de répliques. Il se contenta ainsi de seulement prendre place à la dernière chaise libre, à côté du baraqué. Tout de même, il fut contrains d'observer le ridicule de la situation; les trois personnalités les plus stéréotypées de l'école, rassemblées dans une même pièce. Il y avait de quoi faire des étincelles.

L'intellectuel essayait toujours de raccommoder sa légendaire répartie quand la directrice s'engouffra dans la pièce, faisant sursauter tous et chacun.

La pachydermique bonne femme prit place à son bureau, fixa les étudiants d'un œil malveillant et laissa flotter un lourds silence.

Un siècle plus tard, elle commença à sermonner;

«Et bien, Clef Clemens, Alix Maleur et Nigel Randell. Je n'aurais jamais crut vous recevoir un jour dans mon bureau…tous en même temps…et pour le même motif !»

Clef évita de regarder Alix et Nigel. Ce serait le meilleur moyen de laisser croire à la principale qu'il y est une réelle complicité entre eux. Ce qui n'était vraiment pas le cas.

La directrice se leva, commençant à pavaner son énorme carcasse autour de la pièce restreinte. Elle tenait en ses mains quelques papiers qu'elle s'amusait à plier et à déplier.

« En effet, très surprenant, poursuivit la directrice, surtout venant de vous deux…»

Elle faisait clairement référence à Clef et Alix. Nigel, lui, était reconnu pour ses travers scolaires. Ce dernier se contenta alors de seulement croiser ses énormes bras, sans répliquer.

«Quoi qu'il en soit, passons directement aux faits.»

Sur ce, elle jeta sur son bureau les trois feuilles qu'elle tenait. Ces fiches étaient toutes trois ornées d'un prestigieux « A+ ». Clef eu l'agréable surprise de reconnaître parmi elles sa rédaction sur Invalice. Les deux autres étaient probablement les écrits d'Alix et Nigel sur le thème de « Une légende à raconter».

- Et oui, trois résultats semblables, clama la directrice.

«Probablement qu'elle nous a seulement convoqué pour nous féliciter», pensa Clef, ne pouvant toute fois garder une certaine impression pessimiste.

Au fait, si tel serais le cas, pourquoi aurait-elle dit " très surprenant venant de vous deux"? Pourtant, même populaire, Alix pouvais obtenir des résultats presqu'aussi bons que ceux de l'intello de service. Alors, il n'y aurait rien de surprenant à ce qu'ils obtiennent tous deux une note parfaite…

Comme pour briser toute once de bonheur anticipé, la directrice enchaîna sur un ton hystérique;

- Pour trois examens semblables !

Quand clef comprit la situation, il jeta un regard outré au deux autres. Mais, c'est derniers avaient eux aussi adoptés la même mimique.

«S'ils veulent jouer à ça, on n'est pas sorti de l'auberge», constata t-il mentalement.

- Je ne vous apprends rien en disant que la plagia est sévèrement puni par l'école. Ainsi, j'exige que le coupable décline son identité sur le champ.

Cette phrase se suivit d'un silence gênant. Clef lui-même comprenait mal. Il lui arrivait quelques fois de se faire copier ces examens mais, jamais par deux personnes en même temps ! De plus, Alix et Nigel se trouvent à son opposé total dans la classe !

Clef jeta un regard en coin sous le côté de ses lunettes. Même dans le brouillard de sa myopie, il voyait le regard accusateur des autres étudiants.

«Ils sont d'excellents acteurs ! On dirait vraiment qu'ils pensent que j'ai copié…»

Pourtant, le silence persista.

Jusqu'à ce que l'obèse mégère, complètement furax, monopolise à nouveau toute l'attention, cette fois en hurlant.

« Alors, puisque le coupable reste muet, vous serez tous punis ! Attendez-moi ici.»

Sur ce ton de menace, elle se leva et quitta la pièce. Quand les bruits de pas s'estompèrent, Nigel se leva et s'approcha dangereusement de Clef. Ce dernier, pas le moins intimidé du monde, se contenta de fixer obstinément ses souliers.

« C'est un véritable coup bas ! Tu sais très bien que c'est mon histoire, trouve toi assez d'imagination pour inventer la tienne !», gronda Nigel, avec sa voie de baryton.

Clef, maintenant agacé, grimpa littéralement sur sa chaise, surplombant à son tour de quelques centimètres l'autre étudiant.

-T'as beau dire ce que tu veux, même si j'étais assez stupide pour copier quelqu'un, j'aurais au moins assez d'intelligence pour ne pas plagier sur un cancre !, riposta Clef, sur un ton sarcastique.

Nigel grimpa à son tour sur sa propre chaise. Retrouvant ainsi son statu de supériorité physique;

- Es-ce que c'est moi que tu traite de cancre ?, menaça t-il.

Avant que l'escalade de violence se solde par des échanges (inégaux) de coups, une voie se leva d'un coin de la pièce.

- LA FERME VOUS DEUX !

Et le silence se fut.

Tous deux se retournèrent pour voir une Alix enragée.

-Descendez de vos chaises, bande d'idiot, avant que quelqu'un se blesse !

Ils s'exécutèrent docilement.

Elle poursuivit;

- Si on prend la peine de communiquer calmement, on se rendra compte qu'Invalice est en fait une invention de ma grand-mère et que vous n'êtes qu'une bande de copieurs.

La réplique ne fut pas lente à venir pour Clef;

- Invalice est une histoire inventée par mon père !

En même temps qu'Alix, il se tourna vers Nigel. Comme s'ils attendaient de lui de faire le juge. Ce dernier, visiblement réceptif à la lourde atmosphère, ne put qu'ajouter discrètement un;

- Moi, c'est mon grand-père qui m'a tout raconté.

S'en suivit quelques secondes de temps mort, où chacun tentèrent d'assimiler la nouvelle information.

Finalement, Clef brisa courageusement le silence.

-Peut-être que c'est juste une légende qui était très répandue à une époque reculée ?

Alix secoua la tête, faisant ainsi voler ses magnifiques cheveux partout autour d'elle.

-Impossible, grand-mère Ritz elle-même s'était incluse dans l'histoire. Elle disait qu'elle avait rejoins Invalice avec un certain Marche et un autre ami. C'est surtout grâce au livre de l'ami en question. Ce garçon s'appelait emm…

Elle hésita quelque peu, regardant le plafond en se mordillant la lèvre inférieure.

- Ah, oui ! Il s'appelait Mewt !

Nigel, dans un mouvement de recul fit tomber une chaise. Il s'empressa de la ramasser en se mettant à marmonner des paroles intelligibles. Le sourcil levé, Clef regarda la scène avant d'avancer timidement;

« Emmm…ça va ?»

Il dù encore attendre quelques secondes puis l'autre garçon répondit.

-Mewt, c'est le nom de mon grand-père !

Après ces mots, Alix plaqua une main contre sa bouche, les yeux ronds comme des sous. La révélation sembla la troubler mais, Clef se contenta d'ajouter, sur son ton banal habituel;

- Vos grands-parents ont inventé cette histoire ensemble, Bravo ! Mais moi, mon père ne s'appelle pas « Marche » et mon histoire ne parle d'aucune « Ritz » et d'aucun « Mewt ». Même que je doute grandement que…

Le garçon à lunette ne put finir sa phrase qu'on lui plaça sous le nez une feuille lignée noyée d'une écriture gauche. C'était la production écrite de Nigel. Il concéda tout de même à lire à voie haute le dernier paragraphe.

- «Finalement, Mewt poursuivit ses études sans jamais plus entendre parler d'Invalice. Ce n'est que de nombreuses années plus tard qu'il rencontra un autre « voyageur». Ce dernier était un simple étudiant d'une quinzaine d'années, qui avait eu la chance de tomber sur le livre magique. Ce garçon s'appelait »…Oh mon dieu !

Clef laissa tomber sur le sol la feuille de papier. Sous le coup de l'étonnement, il eu une faiblesse au niveau des genoux. Il put se rattraper à la dernière seconde sur une chaise. Alix et Nigel jetèrent un simple regard avide sur lui.

- Alors ?, demanda la nymphette.

Clef retira ses lunettes, les essuya sur son uniforme d'école. Il prit son temps, comme pour laisser le temps à son cerveau de comprendre ce qu'il venait de lire. Finalement, il replace ses lunettes sur son nez et relut la dernière phrase.

- «Ce garçon s'appelait Luso.»…C'est le nom de mon père !

Les trois enfants se regardèrent longuement, sans prononcer une phrase. Finalement, Nigel posa la question qui brûlait toutes les lèvres.

-Alors…es-ce que c'est vrai ?

Personne ne répondit. Cette violente incursion de la fiction dans la réalité ne pouvait que les laisser troublés.

- Il ne faut pas presser les choses, dit Alix. Reste toujours la possibilité que Ritz, Luso et ton grand-père aient inventés cette histoire ensemble. Mais il n'y a qu'un moyen de le savoir…

Clef coupa l'herbe sous les pieds d'Alix.

-Il faut leurs demander pour de bon…

Alors que la directrice revenait à son bureau, Ritz et Mewt retournaient pour la deuxième fois à Invalice, le pays secret de leur enfance.