Titre : Le requiem de la renarde
Blabla inutile de l'auteure : Et voilà ma première fic sur Ghost Hunt est postée ! Cela faisait un petit moment que l'envie d'écrire sur ce fandom me titillait ! Voici chose faite ! J'espère que vous prendrez autant de plaisir à la lire que moi j'en ai eu pour l'écrire ! Et ne soyez pas trop durs au niveau de la grammaire : je n'ai malheureusement pas de bêta-lecteur et malgré mes différentes relectures, je suis sûre que certaines fautes sont restées. N'hésitez pas à m'avertir afin que je les corrige !
Note : un « ryokan » est une auberge traditionnelle japonaise.
Un « kiseru » est une longue pipe japonaise ayant des extrémités en métal (Si vous connaissez xxxHOLiC, vous devriez voir de quoi je parle; Yuuko étant une fervente fumeuse XD )
Une « okiya » est une maison de geisha.
CHAPITRE I
Comment s'étaient-ils fourré dans un pareil bourbier ? Comment la situation avait-elle pu autant se dégrader en si peu de temps ? Pourquoi tout avait dégénéré aussi rapidement sans que l'on puisse y remédier !?
Impuissantes, Ayako et Masako regardaient leur amie secouée de violents spasmes qui n'espaçaient guère que de quelques secondes. Cela faisait deux heures à présent que Mai hurlait sans discontinuer, les pupilles dilatées par quelque horreur invisible à leurs yeux. Deux heures que Lin, Naru, Bô-san et John s'efforçaient de la ramener sur terre et deux heures qu'ils échouaient lamentablement.
Mais comment en étaient-ils arrivés là… ?
xXx
Quelques jours plus tôt…
« Waouh ! Quel ryokan impressionnant ! C'est vrai qu'il y a un énorme onsen derrière ?! Dîtes c'est vrai ?!
- Cesse de t'extasier, Mai, grogna Naru avec toute l'amabilité qu'il avait en réserve après des heures harassantes de voiture et des kilomètres interminables de bouchons. Nous ne sommes pas ici pour nous amuser…contrairement à ce que certains semblent penser d'ailleurs, rajouta-t-il en lançant un regard critique à un certain moine affublé d'une chemise à fleurs, d'un long short de bain fluo, de tongs multicolores et d'une paire de lunettes de soleil dont les verres étaient d'un diamètre impressionnant.
« Il ne manque plus que le tuba pour l'exploration sous-marine, ricana Ayako.
- Ma tenue est tout de même beaucoup mieux adapté que la tienne. Qui aurait idée de porter de la fourrure partout en plein mois d'août ! »
La miko renifla dédaigneusement.
« C'est la dernière mode à Paris ; c'est un Dior - qui a coûté assez cher d'ailleurs- mais elle est en vraie fourrure de renard ! Il paraît que ce sont des chasseurs de la région de…»
Fashion Victime. C'est le seul mot qui vint à l'esprit de Mai, médusée, alors que la miko se lançait dans une diatribe interminable qui louait toutes les qualités de son affreux manteau roux. La jeune fille ne semblait d'ailleurs pas la seule à partager cet avis si l'on en croyait John qui lui trouvait une grande ressemblance avec certaines américaines… Mais bon passons, Ayako restait Ayako, n'est-ce pas ?
Pendant ce temps, Lin et Naru était déjà arrivé au perron de l'auberge sans se préoccuper de ces autres imbéciles –qui a dit collègues ?- qui se croyaient en classe verte. Se hâtant de les rejoindre, Mai se put s'empêcher de lancer un coup d'œil à l'enseigne du ryokan : le « Shimizu ». C'était un joli nom pour une auberge traditionnelle qui abritait un onsen. La porte d'entrée coulissa lentement et une servante vêtue d'un élégant yukata turquoise s'inclina courtoisement pour saluer les invités.
« Murasaki-sama vous attend dans son bureau. Si vous vouliez avoir la bonté de me suivre… »
Naru hocha sobrement la tête et tous se mirent à suivre la jeune femme dans le dédale de couloirs et de pièces. Quelques minutes plus tard, alors qu'ils arrivèrent devant une grande porte coulissante, la servante se retourna et s'inclina de nouveau.
« Voici le bureau de Murasaki-sama. Veuillez m'excuser, je dois retourner travailler… Elle vous recevra dans quelques secondes. »
Une nouvelle courbette et le joli yukata bleu disparût aussitôt au détour d'un couloir. Quelle politesse protocolaire ! Mai en était stupéfaite. Au même instant, la voix rauque d'une femme retentit.
« Allez-y, entrez ! N'attendez pas, voyons ! »
Lin fit coulisser la porte et la jeune assistante retint un hoquet de stupeur en découvrant leur interlocutrice…et quelle interlocutrice !
Devant eux était lascivement allongée une superbe femme trentenaire vêtue d'un somptueux kimono pourpre aux broderies dorées. La propriétaire du ryokan passa la main dans sa cascade de cheveux acajou et esquissa un léger sourire (Mai se retint de rire lorsqu'elle vit Ayako donner un bon coup de coude dans les côtes de Takigawa dont le regard s'était brutalement perdu dans les profondeurs du décolleté de leur future employeuse). Le tableau aurait pu s'avérer absolument magnifique…si on ôtait l'affreux kiseru en bambou qui s'évertuait à enfumer la pièce de vapeurs de tabac. Mai comprenait mieux pourquoi la voix de cette femme était si rauque : elle fumait comme un pompier ! Les larmes lui montaient déjà aux yeux à cause de la fumée âcre.
« Merci de vous être déplacés, fit-elle apparemment soulagée. Comme vous le savez déjà, je suis la propriétaire de cet établissement : Murasaki Kaede. J'espère que vous arriverez à sortir mon auberge de cette situation infernale.
- Commencez d'abord pour nous expliquer précisément les faits, répondit Naru. Madoka m'a dit que cette affaire pourrait nous intéresser. »
Madoka connaissait Murasaki depuis plusieurs années déjà et cette dernière lui avait confié les difficultés que connaissait son ryokan. Madoka s'en était donc immédiatement remis à Naru pour élucider cette affaire (elle devait sûrement s'imaginer que des « vacances » dans un si beau ryokan le décoincerait un tant soit peu mais Mai ne se faisait guère d'illusions quant à l'influence du milieu sur son patron taciturne.) Les yeux bleus, presque violets, de Murasaki se voilèrent légèrement.
« J'ai hérité de cette demeure voilà quelques années de cela et, récemment, j'ai décidé de rénover cette bâtisse en ruines. Les intérêts financiers étaient non négligeables avec une telle superficie et cette source d'eau chaude. C'est ainsi que naquît le « Shimizu ». Vers la fin avril, les travaux étaient presque terminés et les réservations allaient bon train ; tout allait pour le mieux. Mais la situation commença à se dégrader le jour de l'inauguration du ryokan et de l'arrivée des premiers clients. »
Murasaki s'interrompit pour inspirer une goulée de fumée.
« Alors que mes employés et moi-même accueillions les invités, le son d'un koto se fit subitement entendre. Je dois avouer que la musique était vraiment magnifique. J'ai envoyé une servante fouiller la maison entière afin de trouver ce musicien et le remercier - voir l'engager s'il le désirait – mais bien sûr, nous ne trouvâmes rien. Au début, nous ne nous sommes pas trop préoccupés de cet incident qui se révélait être plutôt agréable, mais quelques jours plus tard, les clients vinrent se plaindre que le lieu était hanté. Plusieurs affirmèrent avoir aperçu des monstres dans les bains, les couloirs, leurs chambres. La nuit, le son du koto ne cessait de les tirer de leur sommeil. Un autre répétait sans cesse avoir vu son compagnon de chambrée disparaître devant ses yeux comme par enchantement pendant quelques minutes. Une autre fois, un feu se déclencha dans le jardin alors qu'il pleuvait à torrents. Puis nos hôtes affirmèrent être victimes de farces grossières. On crut d'abord à un gamin insolent. Mais force fut de constater qu'aucun enfant n'était à l'origine de ces plaisanteries grotesques… Alors les rumeurs se répandirent comme des traînées de poudre : le « Shimizu » est hanté, quiconque loge au « Shimizu » subit une malédiction séculaire et je ne sais quelle ânerie encore ! La fréquentation de mon ryokan est en chute libre tandis que les incidents se multiplient de plus en plus ! C'est pourquoi… »
Murasaki se redressa et s'inclina le plus bas possible devant le groupe.
« C'est pourquoi je vous supplie de me venir en aide. »
xXx
« Mais c'est pas vrai ça ! Combien il y a de pièces dans ce ryokan ?! Naru n'aura jamais assez de caméras pour tout surveiller ! »
John ne put s'empêcher de sourire. Cela faisaient trois bonnes heures que Mai et lui installaient le matériel de Naru sans qu'ils en voyaient la fin. Ayako et Bô-san se promenaient dans l'auberge, soit disant pour glaner des informations et repérer le terrain tandis que Lin et Naru se terraient dans la base aménagée dans une des chambres de l'auberge. Mai bougonnait encore et le jeune australien s'empressa de la calmer.
« Rassure-toi nous avons presque terminé. Il ne reste plus que deux ou trois pièces.
- J'espère bien ! »
Puis, ayant enfin branché les derniers câbles, la jeune fille se releva en s'étirant longuement pour détendre ses muscles tout endoloris.
« Hunn…au moins on va pouvoir se reposer dans l'onsen après, fit-elle joyeusement, sa mauvaise humeur subitement envolée à la simple pensée des sources d'eau chaude. On n'avait pas ce luxe dans les précédentes enquêtes.
- Je n'ai pas vraiment l'habitude de ça…on ne trouve pas ce genre de choses en Australie, répondit John, légèrement mal à l'aise, alors qu'il soulevait les deux dernières caisses contenant le reste des machines à installer.
- J'imagine ! » répondit-elle en riant.
Et c'est une demi-heure plus tard, après avoir enfin fini d'installer tout le « bardas » de Naru, que Mai eut enfin l'immense plaisir de pouvoir s'immerger dans l'eau chaude de l'onsen, non sans laisser échapper un énorme soupir de contentement. Qu'est-ce que cela faisait du bien sur les crampes de ses avant-bras ! Évidemment, Ayako était déjà là. La jeune fille lança un regard envieux lorsqu'elle vit les atouts que la nature avait généreusement offert à la miko. Ce qui n'échappa à cette dernière.
« Ne t'inquiète pas Mai, fit-elle avec un sourire tout miel. Ça va bien pousser un jour… »
Le sentiment de jalousie s'estompa aussitôt au profit de la rage pure et Mai regretta l'espace d'un instant l'absence de Masako, laquelle aurait sûrement lancé une réplique bien cinglante avec son flegme habituel.
Mai grogna puis laissa doucement bercer par l'eau, laissant une agréable torpeur l'envahir. Le paradis, s'il existait, il devrait ressembler à ça… ! Mai se massa les tempes : la tête lui tournait légèrement à cause des vapeurs. Bientôt le flot de paroles discontinu de sa compagne de bain se fit plus lointain. Beaucoup plus lointain… Sa tête dodelina un peu. Ne discernant même plus la voix d'Ayako, Mai s'affaissa un peu plus dans l'eau laissant inexorablement une lourde torpeur l'envahir. Ses paupières se fermèrent tout doucement. Elle lâcha un dernier soupir.
Et tout devint noir.
xXx
Quelle était donc cette douce musique qui résonnait dans les ténèbres ? Mai rouvrit lentement les yeux. Encore un rêve ? Partout où son regard se posait il n'y avait que de pâles lumières fantomatiques sur un fond noir d'encre, tels des feux follets solitaires au milieu de la nuit. Le son lyrique du koto lui parvint encore à l'oreille et sa mélancolie pénétra au plus profond du cœur de Mai. Les larmes lui montèrent aux yeux : cette mélodie cristalline était tellement triste. Comment une personne pouvait-elle jouer de cette manière ? Assurément elle ne devait pas être humaine, songea-t-elle alors que les larmes menaçaient à tout moment de couler sur ses joues..
Soudain, la musique s'arrêta et le décor changea. D'abord très flous, les contours du paysage devinrent par la suite plus nets et plus précis, révélant à Mai une énorme bâtisse du style de l'ère d'Edo.
Le koto résonna à nouveau. Une autre mélodie cette fois. Un air plus joyeux mais aussi un peu plus académique. Il manquait ce quelque chose qui avait donné cette sensation de surnaturel à la première mélodie dans les ténèbres…
Le son provenait de l'extérieur. Mai avança et sortit dans le jardin. Sur la terrasse était assise une femme d'une grande beauté, un koto posé devant elle. Alors que les doigts longs et fins jouaient avec les cordes de l'instrument, Mai remarqua les vêtements que portaient la musicienne : des vêtements de geisha. Ainsi donc se trouvait-elle dans une okiya ? Au côté de la jeune musicienne se trouvait également un très bel homme –quoique plus âgé que la geisha- vêtu d'un kimono vert d'eau qui avait du coûter incroyablement cher au vu de la qualité du tissu . Il devait sûrement s'agir du danna de la geisha. Cette dernière acheva son morceau et l'homme applaudit aussitôt mais Mai se rendit compte que cela ne venait pas directement du cœur : un franc pli venait barrer son front tellement ses sourcils étaient froncés. La geisha le remarqua également.
« Danna-sama, y a-t-il quelque chose qui vous contrarie ? Votre visage n'exprime que tourment. »
Le danna eut un sourire légèrement grimaçant et lui assura que tout allait très bien.
« En êtes-vous sûr, s'enquit la jeune femme, septique. Vous avez vraiment mauvaise mine, vous savez. Désirez-vous écouter un autre morceau pour vous détendre ?J'ai appris une nouvelle mélodie récemment et…
- Kurenaï-san, la coupa-t-il. Vous aimez vraiment la musique, n'est-ce pas ? »
Le visage de l'intéressée s'illumina.
« Évidemment ! Je ne puis envisager une vie sans koto ! Il représente quasiment tout pour moi.
- Tout ?
- Bien sûr ! »
Ce fut la chose à ne pas dire. Sans prêter attention à l'expression blessée de son danna, Kurenaï refit glisser ses doigts sur les fines cordes de l'instrument. Après un moment de silence, l'homme se leva, vint d'agenouiller derrière la geisha et posa sa tête sur son épaule. Surprise, elle sursauta et arracha un son horrible à la harpe.
« Danna-sama, s'écria-t-elle en se dégageant brusquement. Imaginez un seul instant que l'une des cordes se soient brisées… ! »
L'homme, meurtri, renifla dédaigneusement et répliqua d'un ton acide.
« Dois-je en conclure que la présence de votre koto vous importe plus que la mienne ? La perte d'une des cordes vous causerait-elle plus de chagrin que ma mort elle-même ?
- Je n'ai jamais dit une chose pareille, danna-sama, s'offusqua-t-elle.
- Pire : vous les insinuez. »
L'homme se leva une nouvelle fois.
« Mes sentiments à votre égard sont purs et sincères, Kurenaï-san. Mais votre attitude me blesse au plus profond de mon cœur et je ne puis continuer à vous voir dans ces conditions si vous persistez nourrir plus d'égards envers votre instrument qu'envers moi.
- Attendez danna-sama ! »
Mais il était déjà en route vers la sortie.
« Au revoir Kurenaï-san. »
La porte claqua. Le danna était parti. Kurenaï resta un long moment silencieuse puis, instinctivement, se tourna vers son koto et enchaîna un nouveau morceau. Sauf que cette fois, les larmes coulaient sur son visage aux traits délicats, creusant de longs sillons sur le maquillage couleur craie. Mai contempla la scène, atterrée.
« Peu de gens ont de véritables passions et pourtant en avoir ne signifie pas forcément connaître le bonheur. »
Ce fut au tour de Mai de sursauter. Cette voix si familière…
« Naru ! »
Ce dernier esquissa un doux sourire. Ah quelle différence entre le Naru des rêves et le Naru de la réalité ! C'en devenait frustrant ! Soudain, le regard de Naru se posa sur les buissons verdoyants du jardin et leva le bras pour désigner quelque chose aux pieds des arbustes.
« Regarde Mai. »
Une renarde était en train de mettre bas.
xXx
« Mai… ! MAI ! »
Le susnommée grogna et essaya d'entrouvrir ses paupières qui semblaient peser du plomb. Il faisait chaud. Beaucoup trop chaud. Et humide pour couronner le tout. Le visage d'Ayako lui apparût soudain, franchement inquiet. Voyant que l'assistante -qui a dit boniche ?- de Naru commencer à se réveiller, la miko eut un gros soupir mi-soulagé, mi-agacé.
« Franchement Mai…quand on ne supporte pas la chaleur, on évite d'aller dans un bain bouillant ! C'est du bon sens quand même… »
Retrouvant peu à peu ses esprits, Mai eut un petit sourire gêné. Elle était sur le point de s'excuser lorsqu'elle vit Ayako se raidir subitement, le regard fixé sur un point derrière Mai. Une telle expression chez la jeune femme ne présageait rien de bon et Mai sentit son pouls s'accélérer subitement.
« Ayako ?
- Mai…retourne-toi…tout doucement… »
Sentant son cœur faire des bonds, Mai obéit en déglutissant difficilement et, lentement, se retourna.
Il y avait quelque chose sous la cascade.
A y regarder de plus prés, cela ressemblait vaguement à une sorte tortue anthropomorphe au teint verdâtre et aux cheveux en filasses de même couleur avec un bec crochu et acéré. Son œil jaunâtre –qui était absolument tout sauf humain- se posa sur Ayako et Mai. Il leva une de ces patte palmée et leur fit signe en guise de salut en poussant un gros croassement rauque.
Il y eut un long blanc, durant lequel les deux camps se toisèrent…et puis s'en suivirent deux terribles hurlements qui retentirent dans tout l'auberge…
xXx
« Un kappa ! Il y avait un kappa dans l'onsen ! »
Takigawa passa une main dans ses cheveux, se sentant soudain très fatigué.
« Mai, Ayako, reprit-il en articulant le plus possible, histoire de mieux faire passer le message. Savez-vous quel est le pourcentage de chances de trouver un kappa dans un onsen ouvert depuis à peine quelques mois dans une zone essentiellement urbanisée et contrôlée par l'homme ? »
Silence.
« Quasiment au-dessous de ZERO ! »
Ayako, les cheveux encore mouillés, fit la moue.
« Je ne suis pas stupide et je sais ce que j'ai vu sous la cascade. Mai en est également témoin. Il y avait bien un kappa !
- Ayakooo…
- Et tu sais, Bô-san, renchérit Mai, ce n'est pas la première apparition de ce genre dans le ryokan d'après Murasaki-sama…
- Excusez-moi de vous interrompre mais…c'est quoi un « kappa » ? »
L'ex-moine lança un regard en biais à John qui avait silencieusement écouté la conversation depuis que Mai et Ayako avaient débarqué dans la base en hurlant au monstre.
« C'est un yôkai. »
Le jeune Brown, de nature pacifique, s'abstint de répliquer que cela ne l'avançait guère mais Mai remarqua son regard perplexe et continua l'explication.
« C'est une divinité mineure des eaux que l'on les trouve généralement dans les rivières. On les représente souvent dans le folklore japonais comme des tortues bipèdes plutôt malfaisante qui s'amusent à piller de la nourriture –du concombre notamment. Ça adore le concombre les kappa ; va-t-en savoir pourquoi…- ou noyer les enfants et les manger après.
- Ah.
- Ils ont aussi un renfoncement dans le crâne, poursuivit Ayako en désignant sa propre tête. Ils mettent de l'eau dedans pour pouvoir survivre hors du milieu aquatique. J'ai entendu dire que le premier réflexe lorsque l'on croise un kappa est de le saluer : il s'incline pour répondre et déverse ainsi toute son eau par la même occasion. D'après les croyances, ça l'affaiblit.
- Et pourquoi vous ne l'avez pas fait alors ? »
Silence.
Mai lança un regard à Ayako laquelle grimaça.
« Les kappa sont également très réputés pour être des yôkai très pervers avec les femmes...,commença Ayako.
- …et ce sont des créatures censées être imaginaires quand même ! acheva Mai.
- Et pourtant on ne devrait plus s'étonner de ce genre de chose après ce que l'on a vécu dans le manoir de l'ancien premier ministre. » fit remarquer le moine.
Un long frisson glacé traversa l'échine de Mai au simple souvenir de cette monstrueuse apparition. Il y eût un long silence pesant. Puis Takigawa, conscient d'avoir légèrement plomber l'ambiance, esquissa un sourire un peu crispé :
« Au fait, quand est-ce que la grande Hara-sama daignera-t-elle venir sur ces lieux ? »
Mai sortit de ses pensées glauques et s'empressa de répondre :
« Demain matin si tout va bien.
- On s'en serait bien passé…marmonna la miko. Sinon on fait quoi pour le kappa ?
- Pour la dernière et ultime fois, il ne peut PAS y avoir de kappa dans cet établissement !
- Mais on n'est pas folle tout de même !»
Alors que le moine, l'assistante et la miko se mirent à polémiquer férocement sur le yôkai en question, John sourit à la vue de ce spectacle et sortit de la base à la recherche de Naru. C'était la moindre des choses que d'avertir le grand ponte de la chasse aux fantômes de ce petit incident. Tandis qu'il marchait tranquillement dans un des couloirs extérieurs, un bruissement se fit entendre. Un peu refroidi par cette histoire de « kappa » et de « yôkai » comme les autres disaient si bien, John se figea et observa nerveusement les alentours. Ses iris bleues voyagèrent rapidement d'un bout à l'autre du jardinet et soudain une ombre rousse émergea d'un buisson tout proche. Rassuré, le jeune prêtre soupira. Un renard. Ce n'était qu'un simple renard. Mais la bestiole hérissa le poil et feula violemment. Ses yeux mordorés jaugèrent longuement l'australien dont l'assurance repartit aussi vite qu'elle était revenue. Depuis quand les canidés avaient-ils un regard si expressif ? Si humain ? La bête cracha et montra des crocs une dernière fois avant de fuir à toute vitesse à la recherche d'un nouvel abri.
John resta immobile un petit moment puis se mit à rire nerveusement.
« Je dois voir le mal partout… »
xXx
« Pour finir, Bô-san ne nous a toujours pas cru, fit Mai d'une petite voix plaintive.
- Et Naru, n'en parlons même pas ! » s'offusqua Ayako.
La miko n'avait guère apprécié lorsque Naru, après avoir été informé par John de l'histoire du kappa, leur avait annoncé son opinion sur la chose avec un somptueux « N'importe quoi. » en expliquant son point de vue en usant des mêmes arguments que Bô-san mais avec la petite intonation qui fait mal en bonus. A noter que Bô-san avait été aux anges lorsque le chasseur de fantôme avait annoncé son verdict (ce qui fit croître dangereusement la mauvaise humeur d'Ayako). Les deux membres féminins du groupe avaient décidé de battre en retraite dans leur chambre loin de ces imbéciles d'hommes qui ne les croyaient pas ou, dans le cas de John, ne comprenait pas la gravité de la situation. (A la base, pour lui, « Kappa » était une marque de sport célèbre avant d'être un monstre aquatique japonais.)
« Dis Ayako…si ça se trouve c'était peut-être un mirage ?
- Dans un onsen ? Jamais entendu parler d'une chose pareille.
- Mais Naru et Bô-san ont l'air tellement sûrs d'eux…
- Mai. Tu l'as bien vu comme moi ? Tu l'as bien vu lever son bras vers nous et pousser un son bizarre. »
La jeune fille acquiesça
« Tu crois que deux personnes peuvent avoir exactement le même mirage en même temps et qui plus est dans un onsen ? C'est parfaitement illogique. Et un mirage ne fait pas de bruit.
- Et si on en croise un autre ? Qu'est-ce qu'on fait ? »
La miko eut un grand sourire carnassier et annonça son plan d'une voix grinçante.
« C'est tout simple, Mai. On hurle à la mort comme la dernière fois, sauf que là, on ne bougera pas d'un pouce. Ces imbéciles seront bien obligés de rappliquer vite fait et devront admettre qu'ils avaient tort !
- Je vois… » répondit-elle d'un air un peu mitigé. A vrai dire, elle n'était pas trop convaincue de l'efficacité du plan d'Ayako. Et si le yokai les attaquait avant que les autres arrivent, hein ?
« Ah ! Voilà notre chambre! », s'exclama Ayako, ravie.
Elle fit coulisser la porte et Mai lâcha un hoquet de surprise.
« C'est CA notre chambre ? Mais c'est super grand !
- A qui le dis-tu…Même mes parents ne pourraient pas se payer ça.
- …
- …
- C'est à cause de ce genre de chose que les riches m'énervent tant. »
Ayako éclata de rire. Mai allait s'affaler sur son futon tandis que sa compagne de chambre fouillait les armoires.
« Ooooh. Ils fournissent même des yukata ! Regarde celui-l.. »
Ayako s'interrompit brusquement et Mai se redressa comme un ressort de son matelas..
« Qu'est-ce que… »
Le koto. Le son du koto retentissait dans la chambre !
Le sang de Mai se glaça instantanément. Cette façon de jouer…c'était celle de son rêve !
Mais au lieu de la douce sonate onirique qu'elle avait perçue tantôt, c'était ici un long requiem diabolique qui résonnait dans sa tête…
Le son se fit de plus en plus strident, vrillant les tympans des deux femmes.
« Non ! »
Mai plaqua ses mains sur ses oreilles en serrant les dents et ferma les yeux le plus fort possible.
xXx
Tiens ? Le son du koto a disparu. Mai rouvrit aussitôt les yeux et faillit tomber à la renverse en constatant qu'elle était de nouveau dans l'okiya. Comment avait-elle pu s'endormir dans une situation pareille ?! Elle ne manquerait pas de se faire charrier par la suite…
« DANNA-SAMA ! »
Mai fit un bond lorsque la porte s'ouvrit avec fracas, laissant place à une Kurenaï au visage déformé par la fureur. Intriguée, la jeune fille se mit à suivre la geisha courroucée. Qu'avait donc fait le danna pour s'attirer de la sorte les foudres de Kurenaï ? L'homme en question était assis en train de lire tranquillement sur la terrasse qui surplombait la jardin, la même que dans le précédent rêve. Curieux, il releva la tête de son livre.
« Un probl-… »
Il s'interrompit, voyant Kurenaï se rapprocher à grandes enjambées.
« LE KOTO ! »
L'homme la fixa avec une lueur d'incompréhension non feinte dans le regard.
« Pardon ?
- Le koto ?! Où avait-vous mis mon koto ! Je sais que c'es vous qui l'avez ! Rendez-le moi !
- Mais de quoi parlez-vous ?! »
La geisha eût un rire amer.
« Allons, ne feignez pas l'ignorance. J'avais déposé mon koto dans le grand salon et à mon retour il n'y était plus ! J'ai fouillé toute la demeure sans pour autant le trouver.
- Et vous me soupçonnez de l'avoir dérober, c'est bien cela ? Tout bonnement grotesque. Jamais je n'oserais faire une chose pareille.
- Vraiment ? N'était-ce pas vous qui étiez si jaloux de l'intérêt que je portais à mon instrument ? »
Sur le coup, le danna ne sut pas quoi répliquer et tenta une approche plus posée afin de calmer la geisha en furie.
« Écoutez Kurenaï…je tiens beaucoup trop à vous pour vous faire subir une chose pareille. Je sais à quel point vous aimez votre koto et je me suis résolu à faire avec. Je ne désire que votre bonheur…
-Menteur! »
Complètement hors d'elle, Kurenaï se mit à hurler, les traits empreints d'une rage sans précédent. Elle était complètement méconnaissable
« C'est vous l'avez ! Je le sais! Vous n'êtes qu'un menteur ! Un hypocrite ! Rendez-le m-… »
La geisha ne termina pas sa phrase. La gifle était partie toute seule. Choquée, Kurenaï posa sa main sur sa joue rougie et regarda fixement son danna, hébétée.
« Vous êtes complètement folle.» lâcha-t-il d'un air mi-dégoûté, mi-effrayé.
Il se releva, son livre à la main, et se dirigea d'un pas raide vers la sortie.
« Vous pouvez définitivement vous trouver un nouveau danna. »
La porte claqua et Kurenaï se retrouva seule, le teint livide de rage. Mai cligna des yeux, un peu paumée. Tout s'est passé un peu trop vite à son goût. On avait volé le koto de Kurenaï? Était-ce cet instrument là qui se faisait entendre dans le ryokan ? Mais quel rapport entre cet okiya et leur enquête ? Les pensées de Mai furent soudain interrompues par une scène incongrue : une petite bestiole rousse avait montré le bout de son nez sur la terrasse. Serait-ce les bébés renards qu'elle avait entr'aperçut la dernière fois dans les buissons avec Naru? Kurenaï remarqua également l'intrusion de la petite boule de poil et, visiblement la présence du renardeau lui déplaisait fortement.
« Encore une de ces sales bêtes ! »
Et à ce moment-là, sous le regard choqué de Mai, la geisha avisa la fourche qui se trouvait posée contre le mur. Le renardeau n'était pas effarouché, bien au contraire, et ne se méfia pas de cette belle humaine. Mai cria et voulut secourir l'animal en stoppant la geisha mais elle ne put que traverser le corps de Kurenaï. Fort heureusement, la maman renarde jaillit subitement des fourrés avant que la geisha n'empala son petit et Mai soupira de soulagement. La renarde fixa Kurenaï un long moment en grognant hargneusement tandis que le renardeau détalait à toute vitesse. D'un geste violent, la geisha jeta la fourche sur le sol en poussant un cri de rage.
Kurenaï était vraiment en colère.
xXx
Alertés par le son assourdissant du koto et les cris stridents d'Ayako et de Mai, Naru et Lin accoururent aussitôt dans leur chambre. Cependant lorsqu'ils arrivèrent, toute trace d'émission sonore semblait avoir disparu : seuls les gémissements douloureux d'Ayako et les ronflements de Mai parvinrent à leurs oreilles…. Une minute ! Des ronflements ?! Naru leva un sourcil, atterré. Mai ne s'était quand même pas endormie avec un boucan pareil ? Tandis que Lin allait s'occuper d'Ayako, qui était prostrée sur le sol, tremblante, les mains toujours plaquées sur ses oreilles, Naru s'approcha de son assistante et constata, avec consternation, que oui, elle était effectivement bel et bien en train de dormir…
« Naru. On les ramène à la base ? demanda Lin soutenant une Ayako chancelante. Il semblerait que le son soit assez puissant pour toucher l'oreille interne. »
L'intéressé acquiesça et, au grand amusement de Lin et d'Ayako, se chargea lui-même de transporter Mai jusqu'à la base.
Personne n'oserait imaginer le tête de Masako lorsqu'elle apprendrait ça demain matin...
To be continued...
Vous avez bien aimé ce début d'intrigue ? Vous vous dîtes que cette chose devant vos yeux est une horreur sans nom ? N'hésitez pas à reviewer et à laisser votre avis !
A la prochaine !
Coatlicue
