¤ LA FILLE CENDRIER ¤
- 1995, Londres -
Sirius Black prit une profonde inspiration et posa une main sur la vieille table en chêne. Avachi sur sa chaise, il caressa distraitement les rayures et les entailles du bois, dont certaines avaient été faites probablement un siècle auparavant. Cette antiquité se trouvait dans une cuisine qui ne dénotait pas avec elle : les murs et le sol étaient en vieilles pierres, les fourneaux et les ustensiles venaient d'un autre temps, et la lumière, diffusée par des petites fenêtres en demi-lune près du plafond, et par une multitude de bougies, ajoutait à cela un côté fantomatique.
Sirius finit par lever les yeux sur les dernières personnes qui s'apprêtaient à sortir de la cuisine - Bill Weasley et son frère Charlie, ce dernier bientôt reparti pour la Roumanie. Lorsqu'ils eurent disparut dans les escaliers, Remus Lupin s'éclaircit la gorge.
- Merci à vous d'être restés. Ça ne sera pas très long. Je voulais vous parler de quelqu'un du ministère, en qui je pense avoir confiance. Cette personne jouit d'une place non négligeable et elle pourrait rejoindre l'Ordre, si bien sûr vous n'y voyez pas d'objection.
Sirius balaya du regard Albus Dumbledore, Arthur Weasley et Kingsley Shackelbolt avant de détourner les yeux vers ses cuticules d'ongles. Il avait cessé de porter toute son attention à Remus dès qu'il avait entendu les mots "quelqu'un du ministère". Cela n'avait donc aucun rapport avec lui, et cette personne était même sans doute, pour Sirius, inconnue au bataillon. Ce n'était pas tant que le sorcier se contrefichait de participer au recrutement de nouveaux membres, ou qu'il manquait de motivation et d'énergie pour écouter son ami. Il avait seulement, à ses yeux, une bonne raison pour accorder un peu de mauvaise fois à la scène.
L'Ordre du Phénix s'était reformé depuis à peine deux semaines. Deux semaine qu'Harry avait assisté au retour de Voldemort. Et l'utilité de Sirius au sein de l'Ordre était brutalement tombé à néant lorsque, une dizaine de jours plus tôt, Dumbledore lui avait intimé l'ordre de rester caché au quartier général. Parce que Sirius était recherché activement par le ministère de la magie, et parce que Peter Pettigrow aurait probablement dit à Voldemort et à ses sbires que son vieil ami d'enfance était un animagus qui pouvait prendre la forme d'un chien noir. Toutes ses apparences étaient donc épuisées pour pouvoir travailler sur le terrain. Sirius avait d'abord écouté le directeur de Poudlard comme un conseil d'adulte à adulte qu'il comptait bien de pas suivre. Mais il se rendit vite compte que les sorciers de l'Ordre et leur mentor jugeaient la situation vraiment catastrophique. Alors, l'insistance de Sirius de vouloir servir à quelque chose fut simplement aperçue comme une crise d'adolescence. Et petit à petit, le sorcier était tombé dans une colère muette qu'il essayait de ne pas montrer aux autres. Mais sous le toit de la maison des parents qu'il avait fuis le plus tôt possible, et face aux ricanements gras de Severus Rogue, c'était chose quasi impossible.
Alors, savoir que quelqu'un rejoindrait la lutte dans l'ombre contre Voldemort aurait dû être source de joie et de patriotisme, mais Sirius n'arrivait pas à s'empêcher, au fond, de ressentir une pointe de jalousie et une pincée d'abattement.
- ...Elizabeth Ashtray.
Les derniers mots de Remus pénétrèrent le cerveau du sorcier comme si quelqu'un avait sonné un gong dans sa poitrine. Sirius quitta immédiatement ses pensées sombres et leva brusquement la tête. Il croisa un bref moment le regard observateur de Remus avant que celui-ci ne tourne à nouveau la tête vers Dumbledore. Face à Sirius, Arthur Weasley s'était mis à hocher la tête de haut en bas et frappa un petit coup sur la table en redressant le buste.
- C'est une excellente idée, avança-t-il. Elle fait partie de ces gens pour qui l'administration peut être d'une absurdité étonnante. Elle m'a déjà aidé sur quelques dossiers, alors je peux vous dire qu'elle n'a pas peur de prendre des risques. Et elle n'a jamais eu aucun préjugé. Je gagerais sur elle.
Sirius se rassit plus droit sur sa chaise et à côté de lui, Kingsley avait joint ses mains et prit la parole.
- J'ai remarqué à plusieurs reprises la relation très amicale qu'elle entretient avec Cornelius Fudge. Je crois qu'elle a été une sorte de protégée pour lui, avant que Fudge ne devienne Ministre de la Magie. Mais je n'arrive pas à dire à quel point elle peut être influencée par lui, ou même si elle peut l'influencer, lui.
Dumbledore émit un murmure d'approbation et évalua Sirius et Remus quelques secondes.
- Bien entendu, Elizabeth Ashtray avait prouvé déjà à l'école sa répulsion de la magie noire. Elle a rejoint le Magenmagot il y a trois ans de cela, et prouve continuellement son intégrité. Mais le ministère est un autre ennemi que Voldemort, et, même si son entrée au sein de l'Ordre serait plus que bénéfique, il ne vaut mieux pas nous hâter. Bien entendu, Remus, vous enquêterez auprès d'elle. Mais je voudrais d'abord vous poser une question...
Son regard glissa sur Sirius.
- ... à tous les deux. Pourquoi, contrairement à vous, Elizabeth n'a pas rejoint l'Ordre la première fois ? N'avait-elle jamais entendu parler de ce que vous faisiez ?
Le visage de Sirius, déjà sombre, se ferma et il détourna résolument la tête. Remus l'observa quelques secondes et soupira.
- Elle était au courant, finit-il par admettre. Elle ne connaissait cependant aucun détail, je crois...
Il regarda à nouveau Sirius.
- N'était-elle pas assez digne de confiance, à l'époque ? insista Dumbledore pour relancer la discussion
Son ami restait toujours muet, mais Remus décida cette fois-ci de garder le silence. Sirius était, après tout, le mieux placé pour répondre. Ce dernier finit par pousser un profond soupire et regarda le directeur de Poudlard.
- Je ne voulais pas qu'elle risque sa vie, marmonna-t-il avec un visage éteint. Je ne la jugeais pas assez forte en duel, et je crois qu'à Poudlard elle avait subi assez de drames et de pertes humaines pour pouvoir prétendre à une vie calme.
Dumbledore l'observa avec son habituel regard pénétrant et hocha lentement la tête.
- Je me rappelle pourtant d'elle comme d'une élève très douée. En tout cas, son travail au ministère lui fait maintenant honneur.
Il se leva de sa chaise et les autres sorciers l'imitèrent.
- Kinglsey, Arthur, enquêtez discrètement au ministère pour en savoir un peu plus sur ses influences. Remus, allez sur le terrain. Prétexter une rencontre hasardeuse serait sans doute une bonne introduction.
- Bien, professeur.
Sirius regarda sortir Dumbledore sans que le directeur ne lui accorde d'autre regard. Shackelbolt et Weasley s'en furent à leur tour, et Remus se rassit tranquillement sur sa chaise.
- Je vais faire un thé, dit-il d'une voix presque trop posée. Tu en veux ?
Sirius se tourna vers lui avec véhémence.
- Il ne t'est pas venu à l'idée de me parler en premier ?
Il n'arrivait pas à contenir sa colère et en lâchant ses mots, il se rendit compte que ses mains tremblaient presque. Il serra les poings.
- Je suis passé pour un abruti, mais j'imagine que ça, tout le monde commence à avoir l'habitude !
Remus le regardait gravement, mais adoptait une position qui se voulait tranquille.
- Assieds-toi, vieux.
D'un mouvement de baguette, il ramena une théière encore fumante et remplit deux tasses. Sirius détourna le regard et repoussa ses cheveux en arrière.
- Assied-toi, Sirius. J'ai revu Beth il y a deux ans...
Sirius fixa son ami d'un air peiné en se laissant lentement tomber sur sa chaise, et Remus poussa une tasse vers lui.
- Pourquoi ne m'as-tu pas parlé de ça ?
- Elle est venue me voir après ta fugue d'Azkaban, expliqua Remus. Elle était dans tous ses états. Je ne t'en ai pas parlé parce qu'elle est un sujet délicat que je voulais que tu abordes le premier. Tu ne l'as jamais fait...
- Tu aurais dû au moins m'en toucher un mot avant la réunion.
Remus avala une gorgée de thé.
- J'ai pensé à elle seulement ce soir, dit-il ensuite. Et j'ai jugé que plus vite j'en parlais aux gens concernés, plus vite elle pourrait nous rejoindre.
Sirius hocha négativement la tête en fermant les yeux, pour signifier combien il jugeait tout ça absurde et déraisonnable.
- Visiblement, poursuivit Remus en posant les coudes sur la table, tu n'en as pas la moindre envie. Et tu ne veux pas la revoir parce que...? Mais je peux peut-être répondre à ta place ? ajouta-t-il après quelques secondes de silence.
Black regardait résolument et en détail le mur de pierre face à lui.
- Je sais pertinemment que tu vis très mal ton conditionnement ici, poursuivit alors Lupin. Et pour toi, l'idée qu'elle te voit dans cet état faible est inconcevable et te fait oublier un simple fait : c'est qu'elle pourrait connaître tout la vérité.
Sirius, l'air d'avoir pris une bonne gifle, reprit contenance au bout de quelques secondes et haussa un sourcil supérieur.
- Tu ne pouvais pas me la jouer moins "franc du collier", Lunard ? Dans la normale, tu m'habitues à plus de pincettes.
- Ne change pas de sujet. Essaie seulement de voir les choses différemment... Je suis persuadé que Beth est restée intègre, et si mon enquête aboutit, elle nous rejoindra. Et il faudrait peut-être que tu te prépares à cette éventualité.
Remus but une longue gorgée de thé, et se redressa de sa chaise. Lorsqu'il se rendit compte du visage défait de son ami, qui restait muet comme une tombe, il décida de prendre congé de lui sans plus rien ajouter.
Amelia Bones ouvrit un tiroir de son large bureau encombré. Loin d'être une sorcière désordonnée, c'était le simple manque de place qui l'obligeait à empiler et compresser les multiples dossiers en cours, affaires à lire et papiers à signer sur la moindre parcelle disponible qui l'entourait.
Elle travaillait pourtant dans une grande pièce remplie de bibliothèques et de caissons à tiroirs. Mais lorsqu'on était directrice du département de la justice magique, avec un caractère perfectionniste et une volonté de vouloir tout contrôler par-dessus tout, il fallait bien s'accommoder à vivre dans un tel capharnaüm. Bones trouva néanmoins de la place devant elle pour y déposer son tabac et sa pipe, qu'elle se mit à bourrer. Et tandis qu'elle coinçait sa pipe entre ses dents tout en l'allumant avec sa baguette magique, elle leva les yeux sur la sorcière qui lui faisait face.
Amelia avait beau avoir un caractère solitaire - elle avait consacré sa vie au ministère de la Magie et n'avait ni famille, ni attache - elle offrait néanmoins une confiance aveugle à son assistante. Comme c'était généralement le cas, cette dernière venait clôturer sa journée dans le bureau de sa chef, histoire de débriefer les ordres du jour, de repenser le fonctionnement du ministère, et de philosopher sur le comportement des autres - ce dernier point était tout à fait vital quand on était exposé à de fortes doses d'imbécilités, qu'elles viennent des sorciers poursuivis par la justice, ou des collègues du ministère.
Dès son entrée au département, une dizaine d'années auparavant, Bones avait tout de suite remarqué les aptitudes considérables d'Elizabeth Ashtray. Elle avait pris la jeune fille sous son aile et l'avait soutenue dans les périodes difficiles - lui plonger la tête dans l'ardeur du travail avait su lui faire oublier ses malheurs. Avec les années, Elizabeth était toujours restée intelligente et perspicace, et Amelia n'était pas peu fière de se rendre compte qu'elle tenait encore aujourd'hui un rôle de mentor pour elle. La sorcière ne s'était non plus jamais mariée, elle ne vivait même pas en concubinage, ce qui finissait de parfaire son portrait, et le département de la justice magique pourrait se valoir de marcher comme sur des roulettes tant qu'Amelia Bones et Elizabeth Ashtray travailleraient ensemble.
La directrice finit par souffler un long moment la fumée de sa pipe avant de prendre la parole.
- Je pensais que vous me connaissiez assez bien pour comprendre mes silences. Hors si je n'avais pas encore parlé de ça avec vous, c'est bien parce que je jugeais que vous aviez compris mon point de vue.
Elizabeth se tritura les doigts, seul signe de son anxiété, et secoua légèrement la tête. Elle finit par soupirer.
- Quand il est question de stupidité humaine je n'ai pas besoin de mots. Mais, Amelia, avec tout le respect que je vous dois, et que je vous donne, vous êtes le porte-parole de la justice. Or depuis deux semaines, les choses ne vont pas bien au ministère, et je pense - non, je sais - que la justice est à la limite d'être bafouée. Tout ce que je veux savoir, c'est quelle sera la position à adopter lorsque cette ligne sera franchie.
Amelia prit quelques instants de réflexion et continua de tirer sur sa pipe. Elle lançait parfois des regards à son assistante, et parfois replongeait dans ses pensées, où il n'était question que de Cornelius Fudge et de sa réaction complètement insensée. Elle finit enfin par revenir à la surface et redressa son large buste en avant.
- Vous souvenez-vous, demanda-t-elle, des événements qui ont suivi l'évasion de Sirius Black ?
Elizabeth écarquilla les yeux et rougit légèrement - chose qui ne lui arrivait jamais. Mais elle garda le silence.
- Lassez-moi vous rafraîchir la mémoire. Il n'y a pas beaucoup de personnes qui sont au courant de votre liaison passée. Mais lors de son évasion, certaines d'entre elles n'ont pas résisté à l'envie de vous nuire - j'en ai au moins deux en tête, et je suis sûr que vous voyez lesquelles. Trois autres personnes ont été de votre côté à ce moment-là. Moi-même, Kingsley Shacklebolt - dont le bon sens est tout à fait louable - et notre Premier Ministre. Rappelez-vous, Elizabeth, Cornelius Fudge était là pour vous. Il vous a toujours témoigné de la bonté et un intérêt presque paternel. Je crois qu'il serait peut-être temps de vous en souvenir.
Les yeux d'Elizabeth s'agrandir plus encore sous l'effet du choc. Elle resta muette quelques secondes mais l'agitation de son visage trahissait une foule de pensées dans sa tête.
- Est-ce un reproche ? demanda-t-elle enfin d'une voix contenue. J'ai toujours respecté notre Premier Ministre, et je n'aurais jamais douté de lui, à moins d'avoir vu sa réaction à la finale du Tournoi. Il... Il a ordonné une exécution, Amelia ! À Poudlard, et sans le consentement du Magenmagot !
- Parlez moins fort, les murs ont des oreilles. Elizabeth, dois-je vous rappeler que Fudge avait reçu exceptionnellement ces droits deux ans auparavant ?
Ne se contenant plus, Elizabeth se leva de sa chaise.
- Pour Black ! répliqua-t-elle ardemment mais d'une voix basse. C'était pour Sirius Black !
Des larmes lui montèrent aux yeux et la sorcière détourna aussitôt le visage pour les cacher.
- Or les détraqueurs ont exécuté un autre sorcier, reprit-elle d'une voix maîtrisée un instant plus tard.
Elle se tourna vers sa chef, le visage tout à fait dur.
- Il serait peut-être temps pour le Magenmagot de retirer ce pouvoir des mains de notre ministre.
Amelia Bones fixait son assistante d'un air tout aussi dur. Elizabeth avait, tout comme elle-même, un sens de la justice plus important que tout. Mais Bones se mit à craindre, pour la deuxième fois depuis qu'elle la connaissait, qu'Elizabeth n'en oublie la réalité.
- Cette mesure exceptionnelle n'était pas nominative. De plus, c'est d'un ancien Mangemort dont nous parlons. Barty Croupton Jr., revenu d'entre les morts. Personne ne vous suivra sur cette pente, Elizabeth, parce que tout le monde, à la justice, pense que Fudge était légitime.
L'assistante de Bones émit un bref rire sans joie.
- Étouffer l'affaire aux yeux du public, et empêcher Dumbledore d'apporter des preuves de ce qu'il avance depuis, est-ce légitime ?
Amelia Bones se résolut à ne pas répondre, et tira de nouveau sur sa pipe, signifiant ainsi à son assistante que la discussion était terminée. Elizabeth finit par détourner les yeux d'un air las, et sortit du bureau.
- Bonne soirée, marmonna Elizabeth au sorcier de la sécurité du hall.
Le brave homme leva sa casquette en guise de salut avant de replonger le nez dans son journal. A une heure aussi tardive, la fontaine trônait dans une pièce quasi déserte de passage humain.
Beth se massa le tympan droit. Sa migraine durait depuis au moins deux bonnes heures, mais ça, c'était presque un quotidien. Elle soupira et, le regard plongé dans le vide, se dirigea vers l'ascenseur qui avait la forme d'une cabine téléphonique moldue. Elle comptait cette fois-ci sortir par la rue moldue pour marcher jusqu'au Chemin de Traverse. Elle irait jusqu'à l'herboriste acheter une belle dose de plantes médicinales. La rue commerçante des sorciers se trouvait à deux pas du Ministère, et parfois, marcher dans la cohue des passants moldus lui fournissait assez de distraction pour oublier ses maux de tête.
Elle se retrouva assez vite dans un quartier fréquenté - car à Londres, peut importait l'heure de la journée, il y avait toujours des moldus dehors. Le soleil descendait tranquillement dans le ciel clair et les lampadaires électriques étaient déjà allumés.
Le feu piéton d'un grand carrefour passa au vert juste comme elle arrivait, et elle suivit la foule sur les larges bandes blanches de la route. Sa migraine s'accentua à ce moment précis, comme un coup de poignard que quelqu'un plongeait dans son tympan droit. Elle arrêta sa marche et posa une main sur son front. Quelqu'un la bouscula en la heurtant à l'épaule sans s'excuser. Elle n'arrivait pas à voir autre chose qu'un brouillard de blousons et de pantalons. Son regard était rivé à terre, et elle s'apprêta à reprendre sa marche avant de se faire écraser par une voiture moldue, lorsque tout à coup elle le vit traverser la route, un peu plus loin. Un chien noir allait à son sens inverse et leva la tête vers elle.
Il disparut derrière la foule. Elle revint immédiatement sur ses pas et accourut sur le trottoir au moment où les voitures déboulaient à nouveau. Un autre groupe de piétons attendait pour passer et lui bloqua la vue. Elle se faufila parmi eux, jouant parfois du coude, les yeux fixés sur un point invisible. Mais lorsqu'elle rejoignit enfin l'endroit où le chien aurait dû se trouver, il n'y avait plus rien.
Elle resta un moment immobile, et le monde autour d'elle n'exista plus. L'avait-elle vraiment vu ? Cette migraine, et même la récente discussion avec sa chef, auraient-elles pu lui faire imaginer ce qu'elle craignait depuis longtemps ?
Un coup de klaxon lointain la ramena sur terre. Ses jambes bougèrent un peu mécaniquement et elle emprunta de nouveau le passage protégé sans rien voir de plus.
Il ne lui suffit que d'un quart d'heure pour atteindre le Chemin de Traverse en passant par le Chaudron Baveur. Elle n'oublia pas de saluer Tom le barman. Peu de gens empruntaient cette entrée, et ce dernier connaissait bien les habitués. Parfois Beth s'y arrêtait pour boire un thé en lisant tranquillement dans son coin, et elle n'était jamais dérangée, ce qu'elle adorait par-dessus tout. Il lui arrivait de se demander comment avait-elle pu atteindre un poste qui demandait autant de sociabilisation, alors qu'elle-même se sentait bien mieux lorsqu'elle se trouvait seule. Inutile de dire qu'après toutes ces années, il ne lui avait plus été possible de faire de nouveau confiance à quelqu'un.
Elle descendait à présent le chemin large et biscornu des magasins de sorcellerie. La plupart d'entre eux était fermé en ce début de soirée. Elle caressa d'un regard la vitrine d'une boutique de robes, tourna l'angle d'une ruelle, et une odeur de plantes médicinales l'accueillit lorsqu'elle poussa la porte de la boutique qu'elle recherchait. L'herboristerie. C'était un bel endroit paisible, et Beth savait qu'elle pouvait comptait sur son ouverture tardive. Les étagères en chêne garnies de milliers de bocaux montaient jusqu'au haut plafond et il fallut au vieil herboriste grimper sur une grande échelle pour atteindre la requête de Beth.
- De l'onguent de Belladone et de cœur de lotus, quelques doses suffisent pour faire passer la migraine, dit-il en contournant le comptoir. À masser sur les tempes où à inhaler chaud, la tête renversée dans un bol…
- Merci Mr Anselme, dit Beth en lui donnant quelques pièces. Vos médicaments sont toujours aussi performants sur moi...
Mr Anselme lui rendit son sourire. C'était un homme très âgé. Ses recettes secrètes et ses plantes lui rallongeaient probablement son espérance de vie. Toujours était-il qu'il avait l'esprit encore très vif, dans un corps qui se courbait de plus en plus avec le temps. Il fut une période, une dizaine d'années plus tôt, où Beth requérait très souvent les soins de ce sorcier. Un jour, il lui avait dit quelque chose qui avait aidé Beth plus que de nombreuses potions qu'elle prenait alors. Il lui avait dit qu'à 21 ans, la vie n'était certainement pas finie pour elle. C'était plus sensé que tout ce que les médicomages lui avaient rabâchée jusqu'alors. Cette époque lui semblait à présent lointaine, comme un gouffre noir. Mais sa menace planait parfois au-dessus de sa tête. Menace dont elle ne se débarrasserait sans doute jamais.
- Vous devez bien occupée en ce moment, dit aimablement Mr Anselme plus bas en fouillant dans sa caisse enregistreuse. Il doit y avoir un sacré chahut, au ministère.
- Vous n'imaginez pas à quel point.
L'herboriste hésita en lui tendant la monnaie. Il baissa la voix lorsqu'il reprit la parole.
- Je dois vous avouer que, même si j'ai pleine confiance en notre Premier Ministre... sa réaction me parait peut-être... trop naïve.
Beth ne répondit pas, mais hocha la tête pour parfaire son rôle d'auditrice.
- Parce que si Albus Dumbledore dit que Vous-savez-qui est de retour, c'est qu'il l'est certainement, n'est-ce pas ?
La sorcière revit en mémoire la cohue indescriptible qui avait suivi la finale du Tournoi des Trois Sorciers. Puis le discours rassurant de Fudge à l'adresse des gens du ministère. Et enfin, sa dernière discussion avec Amelia Bones. Elle hésitait à répondre honnêtement à ce vieil homme en qui elle avait confiance, mais des clients entrèrent dans la boutique, les empêchant de continuer. Beth tendit sa main, et le vieil homme n'eut d'autre choix que de lui rendre la monnaie.
- Merci pour vos soins, Mr Anselme… Et à bientôt. Si tous ceux que je croise me posent les mêmes questions que vous, il est probable que je revienne vous voir plus vite que d'habitude…
Mr Anselme lui adressa un lent signe de tête et sourit d'un air entendu.
Lorsqu'elle sortit du magasin, Beth venait de faire à peine deux pas en direction de Gringotts lorsque quelqu'un la heurta doucement.
- Oh, excusez-moi, bredouilla le sorcier. Je… Beth ?
La sorcière leva brusquement la tête et écarquilla les yeux.
- Remus ! Quelle surprise. Hum... comment vas-tu ?
- Aussi bien que je peux, répondit le sorcier avec un sourire bienveillant. Bientôt la nouvelle lune, si tu vois ce que je veux dire…
- Alors au mieux de ta forme, lui sourit Beth.
Il y eut un petit blanc entre eux.
- Ça te dirait de prendre le thé au Chaudron Baveur ?
- Oh, non, répondit aussitôt la sorcière. Je ne me sens pas très bien, je comptais justement rentrer...
Elle laissa sa phrase en suspens. Remus hocha la tête, l'air déçu mais compréhensif. Elle ne s'y attendait pas, mais elle était contente de voir un visage amical en cette période particulièrement stressante.
- Oh, et puis, pourquoi pas ?
- Je suis contente d'être tombée sur toi, avoua Beth à Remus quelques minutes plus tard, comme ils attendaient leurs consommations.
- Moi aussi. Mais toi, comment vas-tu ? Ça fait des lustres…
Beth lâcha un rire sans joie devant cette question.
- En ce moment la paperasse et les ennuis sont mes seuls compagnons. La migraine passe me voir, de temps en temps… Pour te dire à quel point j'ai une vie passionnante.
Remus sourit et la regarda quelques secondes.
- J'imagine qu'en ce moment, au ministère… hasarda-t-il.
- Tu n'as pas idée, soupira Beth.
Elle aurait voulu ne pas avoir à en parler, mais le monde des Sorciers en était tellement secoué que ça lui sembla tout à coup impossible.
- J'ai su que tu avais grimpé un peu les échelons, reprit Remus sur un ton plus jovial. J'étais heureux de l'apprendre. Tu as fais un sacré bout de chemin depuis ton entrée au ministère.
- C'est vrai…
- Mais j'imagine qu'aujourd'hui, tu dois ressentir aussi le poids que ça occasionne.
Beth soupira et relâcha les muscles de son visage comme elle y passait les mains pour se relaxer.
- Il y a des tensions incroyables là-bas. C'est pire que dans un chaudron sous pression...
Beth détourna la tête lorsque Tom vint leur apporter des tasses fumantes. Il repartit aussitôt.
- Je ne comprends même pas comment on en est arrivés là… reprit Beth quelques instants plus tard en remuant une petite cuillère. Ça a été si soudain. Tout le monde pensait qu'après la bavure de la Coupe du Monde de Quidditch, le Tournoi des Trois Sorciers finirait par apaiser la population, et surtout la divertir. Tu as vu comment ça s'est terminé…
Beth redressa soudain la tête.
- Après ton année de professorat, tu as peut-être gardé contact avec Harry ? Est-ce qu'il va bien ?
- Oui, répondit Remus en posant le coude sur la table avec un sourire bienveillant. Pour l'instant, il est retourné chez son oncle et sa tante, là où il devrait être le plus en sécurité. Je dois normalement le voir avant sa rentrée à Poudlard.
- Très bien... Je l'ai croisé, avant la finale. Je faisais partie des membres du ministère qui y ont assisté à Poudlard. C'est fou comme il a grandi… Et comme il ressemble à James et Lily. Ça m'a… Ça m'a fait un sacré choc.
- Oui, j'ai connu la même chose. Leur ressemblance est frappante.
- J'aimerais qu'il n'ait pas à porter ce poids sur les épaules. Malheureusement, la presse et le ministère se complaisent à le faire passer pour un menteur.
Beth marqua une pause, incertaine de vouloir reprendre sa discussion. Elle avait parlé avec un goût sincèrement amer dans la bouche. Remus l'encouragea avant qu'elle ne se décide.
- Le ministère ne s'attendait sûrement pas à la mort d'un élève pendant le tournoi.
- Non, répondit-elle au bout de quelques secondes, d'une voix presque inaudible. Non, on a tous travaillé comme des fous sur cet événement. Tout était cadré au millimètre près, et le moindre risque avait engendré des tonnes de mesures et des tonnes de paperasse. Bien sûr, comme ça, ça n'y paraissait pas, les candidats devaient avant tout passer des épreuves difficiles. Et, bien évidemment, les journaux s'en sont donnés à cœur joie pour nous faire passer pour des incapables. Sans compter la découverte de la mort de Barty Croupton…
Elle s'arrêta dans son élan, car l'envie de parler du fils de Barty Croupton lui pendait aux lèvres. Hors, c'était là un sujet classé confidentiel.
- Et que penses-tu de la prise de position du ministère ? demanda Remus en s'efforçant de parler le plus simplement du monde.
Beth évalua son vieil ami. Le fait qu'il n'avait pas déjà posé cette question montrait justement que c'était ce qu'il voulait savoir depuis le début. Mais vu le contexte dans lequel le pays tout entier était plongé, ça n'avait rien d'étonnant. Elle but une gorgée de son thé avant de répondre, d'un ton très bas, malgré l'absence de clients près d'eux :
- Je te connais bien, Remus, et j'ai confiance, alors je vais être franche avec toi.
Remus reposa calmement sa tasse, attentif.
- Je pense qu'ils devraient sortir ce balai qu'ils ont dans le postérieur, et agir comme des sorciers dignes de ce mot. Il suffit de ne pas être idiot pour comprendre. Cédric Diggory n'a pas été tué par un animal, ni par quoique ce soit qui occupait le labyrinthe lors de l'épreuve finale. Les analyses prouvent qu'il a reçu le sort d'Avada Kedavra. Ça, bien sûr, le ministère se garde bien de le dire aux médias... Je n'imagine pas Harry Potter savoir pratiquer ce sort, et d'ailleurs, je ne l'imagine pas meurtrier, pas plus que menteur. Et quand bien même... Fudge aurait dû lancer une vaste enquête. Le fait qu'il n'ait rien tenté montre simplement qu'il a peur.
Beth regarda dans le vague et fronça les sourcils.
- On n'avait jamais eu la preuve de la totale disparition de Tu-Sais-Qui... et il était l'un des mages les plus puissants qu'il ait été donné de voir. L'histoire d'Harry tient la route. Elle tient mieux la route que les âneries que prêche Fudge et sa horde de politiciens, effrayés qu'ils sont de perdre le pouvoir que le peuple a mis entre leurs mains.
Beth marqua une pause, un peu essoufflée, et se demanda sincèrement si Amelia Bones ne méritait pas d'être mise dans ce sac-là. Les yeux de Remus brillaient d'une lueur déterminée. Il regarda discrètement autour de lui pour s'assurer à nouveau qu'ils étaient tranquilles.
- Bien sûr, reprit Beth, si je dis tout haut ce que j'ai dans la tête, on m'évincera à coup sûr du Magenmagot, ils ont déjà montré qu'ils étaient prêts à le faire. Et je ne veux pas partir tant qu'il y a des gens à protéger. Honnêtement, regarde un peu, nous n'agirions pas d'une autre façon si nous étions en pleine dictature. J'emploie des grands mots, bien sûr… Mais les lois devraient être du côté du peuple, pas du côté d'un Premier Ministre effrayé.
Beth rebut une gorgée de sa tasse pour se calmer.
- J'en étais presque sûr, lui dit Remus, un fin sourire sur les lèvres. Mais maintenant tu as levé le doute qui subsistait.
Il se rapprocha de quelques centimètres.
- Tu sembles vouloir agir, Beth, et je ne doute pas que tu le fasses déjà dans ton coin. Mais je voudrais te présenter un... groupe, qui t'aidera à te rendre plus utile encore. Tu en as déjà entendu parler, il y a quatorze ans…
Beth fronça les sourcils. Elle se souvenait. Elle finit par prendre l'arrière de sa petite cuillère pour dessiner un « O » et un « P » sur la table. L'Ordre du Phénix. Les yeux de Remus sourirent et il hocha brièvement la tête en signe affirmatif.
- Vous l'avez reformé ?
Nouveau geste affirmatif.
- Sirius m'avait toujours empêché de vous rejoindre, murmura Beth, les yeux dans le vide. Il parlait de ma propre sécurité. Après son arrestation j'ai fini par me dire qu'il… qu'il ne voulait pas que je puisse découvrir ce qu'il tramait.
Elle leva la tête vers Remus.
- Il a probablement rejoint Tu-Sais-Qui. Que savez-vous là-dessus ?
Sa gorge s'était nouée. Un sourire mystérieux étira les lèvres de Remus.
- Ce n'est pas l'endroit pour parler de ça... Quelle est ta décision ? ajouta-t-il.
Beth prit le temps de répondre. Un sourire en coin finit par se dessiner sur son visage, comme un sourire d'enfant qui la rajeunissait.
- Bien sûr que je vous rejoins, répondit-elle, et dans son regard il y avait maintenant une forte détermination.
- Je n'en attendais pas moins de toi, répliqua Remus.
Il hocha une fois la tête, paya la note et sortit tranquillement du Chaudron Baveur sans rien ajouter de plus.
C'était un soir très doux du début de l'été. Beth suivait la grande silhouette carrée de Kingsley Shacklebolt. Le même après-midi, il était venu s'engouffrer au dernier moment dans l'ascenseur que Beth s'apprêtait à prendre, au Ministère de la Magie. Un seul autre sorcier était présent, le nez plongé dans des dossiers.
- Je crois, avait commencé Kingsley alors que la cabine descendait, que vous avez rencontré il y a trois jours un de mes amis sur le Chemin de Traverse.
Beth se retourna à peine vers lui et comprit qu'il s'adressait à elle. Elle sut immédiatement qu'il faisait référence à Remus. Elle avait espéré un signe de la part de ce dernier, mais elle ne s'était pas attendue à ça. Elle n'avait cependant aucun moyen de savoir si elle pouvait faire confiance à Shacklebolt, s'il était vraiment ami avec Remus ou s'il faisait même partie de l'Ordre. Peut-être fouinait-il pour le compte du premier ministre. Il fallait être prudent.
- Oui, je me rappelle, répondit-elle aimablement. C'est un vieil ami d'enfance. Je crois qu'il est devenu scientifique… Ses études portent sur une créature, mais je ne saurais plus dire…
- Les loups-garous, répondit Kingsley sans hésitation.
Maintenant Beth savait qu'elle pouvait lui faire confiance.
- Je sais que vous le rejoignez plus tard à cette soirée en ville, continua Kingsley. J'y serais aussi.
Beth lui fit un signe de tête poli. Elle regarda le troisième sorcier, qui lisait toujours un dossier. Il s'agissait d'Arthur Weasley, et il ne semblait pas leur prêter attention.
- Vous savez que je ne me rappelle même plus de l'endroit ? Je ne suis toujours pas sûre de venir, mais enfin, puisqu'il y a d'autres visages familiers, pourquoi pas.
- Laissez-moi vous escorter, dans ce cas, proposa Kingsley.
- J'en serais ravie.
À présent ils remontaient tous deux une large rue calme, bordée de hautes maisons victoriennes. Ils ne disaient mot, et tournèrent un angle pour se retrouver dans un square avec en son centre un parc débordant de végétations. Beth s'arrêta net. Elle était déjà venue ici auparavant.
Kingsley la regarda.
- Y a-t-il un problème ?
Beth se racla la gorge.
- Est-ce ici ? demanda-t-elle.
- Ce n'est plus très loin, répondit évasivement le sorcier en reprenant son chemin.
Beth hésita, puis finit par le suivre, croyant peut-être au hasard. Mais lorsque le sorcier s'arrêta et regarda les maisons devant lui, Beth empoigna sa baguette magique. Elle la sortit de sa poche et la pointa sur l'Auror en la laissant très près de son corps pour plus de discrétion, bien qu'aucun moldu ne se trouvait dans les parages.
- Vous moquez-vous de moi, Shacklebolt ?
Elle n'avait pas eu besoin de voir la maison pour savoir où ils se trouvaient. Kingsley se tourna vers la sorcière et son regard tomba sur la baguette qui pointait vers lui.
- Je ne suis pas sûr de comprendre votre problème, lui dit-il, très poliment.
- Je sais quelle famille habite ici, et je crois que vous êtes en train de vous jouer de moi.
- Tu n'as rien à craindre des gens qui sont dans cette maison, dit une voix derrière elle.
Beth fit volte-face et vit Remus sortir de l'ombre des arbres du petit parc.
- Tu as de bons réflexes, dit-il en traversant la route pour les rejoindre sur le trottoir, et je comprends ton désarroi. Mais il va falloir que tu nous fasses confiance jusqu'au bout.
Il lui présenta un morceau de parchemin griffonné de la main d'Albus Dumbledore en personne, si l'on en croyait la signature. Beth ne baissa pas sa baguette, mais porta son attention sur le papier. Il était écrit : « Le quartier général de l'Ordre du Phénix se situe au 12, square Grimmaurd, Londres ». Une fois lu, Remus brûla aussitôt le parchemin. Beth tourna la tête, et, purement et simplement, juste comme si elle avait trop bu, elle vit une maison surgir entre celles du numéro 11 et du numéro 13. Et c'était bien celle-là, Beth la reconnut tout de suite. C'était la maison de la famille de Sirius.
- Le sortilège de Fidelitas… murmura Beth.
- N'est-ce pas la meilleure des cachettes ? fit mystérieusement Remus en l'invitant à entrer.
Beth dut bien avouer que c'était le cas. Elle savait aussi que les parents de Sirius étaient tous les deux morts. Quant à Regulus... Il ne pouvait y avoir aucun Black dans cette maison. Elle finit par ranger sa baguette dans la poche de sa robe et avança sur le perron.
- Il faudra rester très discrets, le temps de traverser le vestibule... ajouta Remus avec un air énigmatique.
Quelqu'un, qui devait les guetter, ouvrit aussitôt la porte dans un cliquetis plutôt long et Beth pénétra dans un corridor à la suite de Remus. Lorsque tout le monde fut entré et que la porte fut refermée, la personne qui leur avait ouvert alluma des lampes et Beth reconnut le sorcier dans la lumière tamisée.
- Weasley ! s'exclama-t-elle dans un murmure.
Elle se rappela sa présence dans l'ascenseur. Elle ne savait pas si elle devait toujours craindre un retournement de situation, mais au cas où, elle serra de plus belle sa baguette magique dans sa poche. Arthur Weasley était quelqu'un de très humain, qui adorait son job pour la protection des moldus, et qui ne se souciait guère de l'avis des gens calculateurs. Beth l'imaginait mal, lui aussi, du mauvais côté.
L'homme inclina la tête en souriant. On invita Beth à se rendre vers un petit escalier qui descendait, et qu'elle n'avait jamais pris auparavant. En traversant le couloir, elle leva la tête vers là où, de l'escalier qui montait, on pouvait voir les rambardes des trois étages supérieurs. Elle aperçut une silhouette qui les observait tout en haut, sans pouvoir l'identifier pour autant. Elle finit par suivre le petit groupe qui descendait les marches de pierre.
- Bienvenue, Elizabeth, dit Dumbledore sur un ton chaleureux. Je vous en prie, prenez place.
Il était assis au bout d'une longue table rustique occupée par une dizaine de personnes, et regardait Beth par dessus ses lunette en demi-lune. La sorcière traversa lentement la cuisine en observant le groupe, et repéra quelques têtes familières. Maugrey Fol Œil par exemple, ancien auror très remarquable avec son œil magique. Ce dernier était d'ailleurs fixé sur la poche de la robe de Beth, et elle se rendit compte qu'à l'intérieur, elle tenait toujours fermement sa baguette magique. Elle finit par lâcher son étreinte, sûre de ne plus rien risquer.
- Merci, Professeur, dit-elle en s'asseyant à côté d'une jeune fille à la tignasse rose qui lui souriait.
Les membres de l'Ordre qui l'accompagnaient prirent également place autour de la table. Ils se trouvaient dans une vieille cuisine qui ne semblait pas avoir changé de mobilier depuis deux siècles, et quand elle repensait au fait que c'était la maison d'enfance de Black, Beth se sentait tout à fait mal à l'aise.
- Elizabeth, laissez-moi vous présenter quelques membres de l'Ordre du Phénix…
Chacun, à l'annonce de son prénom, lui envoyait un signe de tête respectueux. Il y avait parmi sa voisine de table, Nymphadora Tonks – « Simplement Tonks pour moi », murmura-t-elle – que Beth savait être une Auror, Maugrey Fol Œil, Sturgis Podmore, Hestia Jones, le fils aîné d'Arthur Weasley, Bill, ainsi que ceux qui étaient entrés dans cette pièce en même temps qu'elle.
- Je suis très honorée de votre invitation, commença Beth lorsque Dumbledore eut terminé les présentations. J'espère pouvoir me rendre aussi utile que vous semblez l'être.
- Et je suis persuadé que vous le serez… répondit Dumbledore. Dans une position comme la vôtre, je ne doute pas que vous aurez l'occasion de faire vos preuves.
Beth inclina brièvement la tête. Par la suite, Dumbledore lui expliqua en long et en large toutes ces « choses » que l'Ordre du Phénix savait de Voldemort. Il lui raconta la vraie façon dont s'était déroulée la finale du Tournoi des Trois Sorciers, ce qu'avait vécu le jeune Harry Potter, et puis ce que l'Ordre avait pu apprendre ou deviner au cours de ces deux derniers mois : l'information principale fut une prophétie concernant Harry Potter et Voldemort, la seule qui exista sur eux, qui était dissimulée au Ministère de la Magie. Voldemort cherchait à s'en emparer, et s'il y arrivait, cela ne pourrait résulter qu'un énorme bénéfice pour lui. Cette annonce abasourdit Beth, qui apprit également que des rondes secrètes étaient organisées par l'Ordre pour surveiller de près le département des Mystères. Plus tard Beth tenta à son tour de lui expliquer ce qu'elle savait ou comprenait de la réaction de Fudge, qui s'enfermait aveuglément dans une idée saugrenue, et que des personnes telles que Dolores Ombrage ne faisaient qu'alimenter cette situation.
Tout en parlant, elle se rendait compte que ses informations étaient loin d'être exclusives pour l'Ordre. Ils savaient déjà tout ça, mais cela renforçait la volonté de Beth de s'investir pour l'Ordre, et pour commencer, de regarder plus attentivement les faits et gestes du Premier Ministre.
À la fin de la réunion tout le monde se leva et repartit silencieusement. Beth resta assise, car Remus il avait fait signe d'attendre. Il fit le tour de la table et vint s'asseoir à même la table avec un regard souriant.
- Lorsque tu es arrivée j'ai bien cru que tu allais agresser ce pauvre Kinglsey, commença-t-il.
- Et vous avez bien fait, aboya Maugrey qui se levait de la table. On n'est jamais assez prudent.
Il leur fit un bref signe de la tête puis sortit de la pièce d'un pas boiteux. Beth se demandait si, avec son œil magique, il n'avait pas pu les voir arriver depuis la rue. Il restait encore quelques personnes dans la cuisine : Arthur et Bill Weasley, Nymphadora Tonks, et Kinglsey Shacklebolt, qui continuaient de discuter sur les tours de garde du département des Mystères.
Beth regarda Remus et força un sourire aimable. Un idée lui était venue durant la réunion, mais elle ne savait pas par où commencer pour lui en parler.
- Remus...
- Tu veux du thé ? proposa tout à coup le sorcier en tournant la tête vers la cuisinière.
- Non, ne te dérange pas pour ça. Tu sais, je...
- Ce n'est pas une gène, répliqua le sorcier en souriant.
Il amorça un geste pour se redresser mais la sorcière attrapa un morceau de sa robe et le força à rester assis. Remus fronça légèrement les sourcils en l'observant.
- Remus, reprit Beth, impatiente. Il y a quelque chose d'illogique dans toute cette histoire... Et j'ai besoin que tu m'éclaires.
- Je t'écoute.
- Comment l'Ordre peut-il utiliser la maison des Black ? Ce serait normalement impossible d'y avoir pénétré et d'avoir lancé le sortilège du Gardien des Secrets sans que... que Black ne puisse intervenir. Ses parents sont morts, il était l'aîné de la famille. C'est lui qui a hérité des lieux. Je ne comprends pas vraiment comment vous avez pu vous introduire ici...
Elle fit silence, et attendit une réponse. Remus la regarda un instant, puis se racla la gorge très fort en direction du petit groupe qui était resté. Ils redressèrent tous la tête, se regardèrent, puis d'un accord commun et silencieux, assemblèrent les papiers qui trainaient sur la table et se dirigèrent vers la porte. Beth eut l'étrange impression qu'ils étaient gênés, et commençait à s'impatienter.
- Bonne soirée, lança Tonks avec un faible sourire en passant devant eux.
- Bonne soirée, répondit Remus.
Tout le monde sortit, sauf Kingsley Shacklebolt qui s'approcha d'eux.
- Miss Ashtray, commença-t-il en inclinant légèrement la tête, je suis très satisfait qu'une personne de votre intelligence ait rejoint l'Ordre...
- Merci Kinglsey, trancha Beth, mais vous pouvez m'appeler par mon prénom.
Le sorcier inclina de nouveau la tête avec un air solennel.
- Je me propose, avec Remus, de vous entretenir d'un sujet en lien direct avec l'Ordre, et vous-même.
Beth sentit une petite pointe de colère dans la poitrine. Kingsley Shacklebolt était une personne sympathique et intègre, mais pour le moment, elle n'avait pas envie de parler mission. Tout ce qui comptait pour elle, c'était que Remus mette fin à ses incertitudes.
- J'espérais pouvoir parler avec Remus en tête à tête. Cela pourrait-il attendre demain ?
Elle força un nouveau sourire aimable.
- Kingsley peut rester, intervint Remus. Son aide pourrait être précieuse.
L'auror était l'attaché officiel de l'enquête sur l'évasion de Sirius, ça, Beth le savait pertinemment. Elle émit un petit murmure en baissant les yeux à terre, vaincue, et attendit. Les sorciers prirent place à ses côté en silence. Remus semblait réfléchir à ce qu'il s'apprêtait à dire, mais la patience de Beth commençait à atteindre un niveau difficile à supporter.
- Je t'en supplie Remus, inutile de me ménager. J'ai compris, tu sais. L'Ordre ne pourrait pas occuper les lieux, à moins que... Rien ne serait possible sauf si... Si Sirius était mort.
Le visage d'Elizabeth tremblait, celui de Remus n'était plus que clignements de paupières, et à côté, le visage de Kingsley était figé et intraductible.
- Il est mort ? insista Beth d'une voix plus forte.
Des larmes picotaient ses yeux, mais avant qu'elle n'ait pu même penser à faire le moindre effort pour se contenir, Remus étouffa un rire.
- Non, Beth, non, il n'est pas mort.
Il hochait la tête sans pouvoir s'arrêter, et Beth commençait à se demander s'il ne lui manquait pas une case.
- Mais alors comment se fait-il que vous soyez dans cette maison ?
- Simplement parce que j'ai autorisé l'Ordre à s'y installer.
Beth tourna la tête si vite que des vertèbres craquèrent. Là, dans l'encadrement de la porte de la cuisine, se tenait un Sirius Black au port de tête très digne. Appuyé contre l'embrasement, il avait les mains dans les poches comme s'il n'y avait aucune raison de s'énerver. Sa peau était pâle sur son visage émacié, et ses cheveux retombaient emmêlés sur ses épaules, et tous ces petits détails se gravèrent dans l'esprit de Beth en moins d'une seconde avant qu'elle ne sautes de ses gonds.
Et sauter de ses gonds n'était pas peu dire. La sorcière rejeta sa chaise en arrière en se redressant d'un bond, et sortit sa baguette magique de sa poche. Elle n'avait jamais ressenti une telle terreur la surprendre de cette façon.
- Stupe...
- Expelliarmus.
Kingsley Shacklebolt venait de désarmer Beth aussi tranquillement que s'il s'était servi du porridge. La baguette glissa des mains de la sorcière et atterrit dans celle de l'auror.
- Que... Kingsley...
La situation prenait une tournure des plus insensées. Beth recula de quelques pas mais un mur de pierre l'empêcha de fuir cette scène humiliante. Son cœur battait la chamade. Elle ne pouvait plus affronter le regard de Sirius, aussi se tourna-t-elle vers Remus.
- Il est innocent, fit ce dernier en levant les mains en signe de pacifisme.
La scène devint floue lorsque les larmes embuèrent ses yeux. D'une main tremblante, Beth les essuya. Sirius n'avait pas bougé d'un pouce, pas plus que Remus ou Kingsley. Ils la fixaient tous les trois en épiant sa réaction, mais le problème, c'était que Beth ne savait pas du tout comment réagir. Elle ferma les yeux. Son cerveau, balancé entre deux idées, ne savait simplement pas laquelle choisir, et préférait de loin ne plus émettre aucune réflexion. C'était la première fois qu'elle ressentait une chose pareille. Quelle idiote ! Ou était passé son sens de la logique ? Elle releva les paupières.
- Menteur, murmura-t-elle à l'adresse de Remus.
- Il est innocent, répéta Kingsley. Et nous allons tout vous expliquer.
La poitrine de Beth se déchira en deux et un flot de sentiments enfouis, de souvenirs gommés et d'espoirs oubliés ressurgirent comme une explosion fabuleuse et dramatique. Ses yeux se remplirent de nouveau de larmes, et dans le brouillard que celles-ci formaient, Beth regarda le visage de Sirius. Il sortit lentement les mains dans ses poches, et avança dans la même cadence vers elle, laissant la longue table de bois les séparer.
Tous les espoirs qui surgissaient dans ses rêves des années auparavant avaient eu des raisons d'être. L'innocence de Sirius, chose qui était alors à des milliers de kilomètres d'être possible et même pensable, était bien réelle. Les larmes tombèrent de ses yeux et Beth, en état de choc, détourna le regard sur chaque chose qui composait la pièce, comme de multiples bouées de secours, comme des preuves que la scène n'était ni rêvée, ni imaginée.
Une main se posa sur son bras et le serra légèrement. Remus s'approcha de Beth et amorça un geste pour la soutenir, mais la sorcière le repoussa lentement. Bien sûr que tout jouait en la faveur de Sirius. Tout, depuis la présence de Dumbledore jusqu'à l'intervention de Kingsley. Mais elle devait comprendre. Elle devait savoir ce qui avait ruiné leurs vies à tous.
- Racontez-moi toute l'histoire, dit-elle d'une voix tremblante.
Depuis l'évasion de Sirius, jusqu'à leur rencontre avec Peter dans la cabane hurlante, en présence de Harry et de ses amis, rien ne fut oublié. Ils s'étaient tous assis autour de la table, et Beth avait écouté attentivement. Ses gestes, ses soubresauts et ses sanglots trahissaient parfois le gouffre dans lequel elle était en train de tomber. Elle se rendait compte de combien elle était coupable, ce qui étouffait même le rôle de Peter Pettigrow dans cette histoire.
Ce fut Remus qui parla. L'intéressé, lui, n'avait pas soufflé mot depuis le début des explications. Avachi sur sa chaise, la bouche dissimulée derrière sa main, Sirius avait un regard sombre perdu dans le vide. Il n'était absolument pas acteur du dialogue. Il n'était absolument pas présent avec eux.
Le regard fixé sur lui, désespérée, Beth avança le buste en avant.
- Vas-tu... Vas-tu...
Son souffle était court mais après une profonde inspiration, elle se reprit, laissant le temps à Sirius de se tourner vers elle. Beth essuya l'une de ses joues dans un geste sec et ravala ses sanglots.
- Vas-tu pouvoir nous pardonner un jour ?
Le visage émincé de Sirius était aussi affaissé qu'un linge mouillé, et ses sourcils torturés montraient qu'il ressentait probablement de la pitié pour Beth, mais un autre sentiment finit par surpasser les autres et prendre le commandement de son front, de ses yeux et de sa bouche : la rancœur. Autour de Beth, Remus et Kingsley paraissaient tout à fait mal à l'aise.
- Je suis... tellement... désolée... continua la sorcière.
Elle posa un poing sur ses lèvres pour contenir les pleurs, exploit qu'elle réussit à maîtriser, mais tandis qu'une pierre de plusieurs tonnes retombaient dans sa poitrine, Sirius la regarda à nouveau et perdit patience.
De façon au départ bien maîtrisée. Il redressa le corps en avant, posa les coudes sur la table et avança légèrement la tête.
- Imagines-tu ce que j'ai pu ressentir ? demanda-t-il dans ce qui semblait être un grognement. Arrives-tu un SEUL instant à te mettre à ma place, au lieu de pleurer la tienne ? Je pensais avoir réussi à coincer Pettigrow dans cette ruelle bondée de moldus... Mais, va savoir d'où il tenait toute cette magie, sûrement de sa grande volonté à sauver sa propre peau. Toujours est-il qu'il a réussi à lancer un sortilège explosif. Des dizaines de moldus sont morts sous mes yeux ! C'était littéralement un bain de sang ! Avant que je n'aie eu le temps de réaliser, il s'était fait la malle en laissant un doigt derrière lui, et les membres du ministère fonçaient sur moi… Après ça, le trou noir. Quand je me suis réveillé, imagine un peu l'effroi, la terreur que j'ai ressentie, quand j'ai réalisé que je me trouvais enfermé à Azkaban, dans cette cellule froide, puante et humide !
Plus il parlait et plus fort il frappait sa poitrine de son poing serré. Il finit par se lever en posant les mains sur la table. Beth était perdue devant la réaction de Sirius et ne soufflait mot, ne bougeait pas non plus d'un cheveux.
- J'étais enragé. Je n'avais qu'un seul désir, celui de la vengeance ! Et ça, c'est ce qui m'a permis de ne pas devenir cinglé face aux détraqueurs. Parce que tout le monde le devenait au bout de quelques mois. Mais pas moi. Et quand c'était trop dur, Patmol était là pour prendre ma place… Les détraqueurs n'ont jamais rien deviné. Ils devaient penser que je devenais fou... Et cette vengeance, elle est toujours là, tu vois.
Il appuyait de sa main ouverte son pull et se mit à le froisser, comme s'il espérait faire sortir physiquement sa haine.
- Et tu crois que j'ai la tête à pardonner ?
- Sirius, intervint Remus. Calme-toi, mon vieux.
Mais son ami ne l'écoutait pas.
- Alors ? Tu crois vraiment, Beth ? continuait-il.
C'en fut trop pour la sorcière. Elle sentit venir la tempête, la grande, celle qui allait sortir comme un tonnerre et frapper seul Merlin savait quoi. Mais elle n'allait pas sortir de Sirius, elle allait sortir d'elle. Beth se redressa en repoussant sa chaise, qui retomba lourdement sur le sol de pierres. Elle traversa la longue cuisine, grimpa les quelques marches, et ouvrit violemment le battant de la porte qui heurta le mur derrière elle avec force. Elle avait besoin d'oxygène, elle avait besoin de se calmer maintenant, sinon...
Un hurlement surgit juste face à elle et son cœur, elle en était sûre, s'arrêta de battre. Des rideaux venaient de s'ouvrit brusquement, découvrant un portrait dont le personnage hurlait en postillonnant. Beth reconnut le visage, vieilli et déformé, de Walburga Black.
- IMMONDICE ! SANG DE BOURBE ! hurlait-elle. HORS DE CHEZ MOI!
Sa voix perçait les tympans, et la colère envahit Beth.
C'en fut trop pour elle, bien sûr, après les épreuves par lesquelles elle était passée, elle qui avait dû prouver au monde entier que Sirius l'avait trahie, elle qui avait su rester humble face aux critiques et aux rumeurs, et qui avait fini par grimper si haut en reniant entièrement celui qu'elle avait aimé. Ses jambes flanchèrent et en moins d'une seconde elle se retrouva à genoux sur la pierre froide. Elle colla ses mains contre ses tympans. Toutes les émotions qui venaient de s'accumuler se déversèrent dans ses veines brûlantes et, les mains sur ses oreilles, elle se mit à hurler de toutes ses forces. Le vestibule s'éclaira d'une lumière puissante et jaunâtre lorsque le portrait de Walburga Black prit instantanément feu. La toile craquela de toute part. Sous les hurlements impuissants de la mère de Sirius, des trous se formèrent, les flammes s'agrandirent, et en moins d'une minute, le feu consuma la peinture. Seul restait le cadre noirci et fumant, et il n'y eut plus que le bruit de la respiration haletante de Beth. Elle se rendit vite compte que les trois sorciers se tenaient juste derrière elle.
Sirius la dépassa, remua légèrement sa baguette pour faire évacuer la fumée ambiante, et contempla calmement ce qui avait été le portrait de sa mère.
Beth, à bout, dut s'appuyer sur Remus pour se redresser sur ses pieds.
- Laissez-nous, fit tout à coup Sirius en leur tournant le dos.
Remus et Kingsley se regardèrent d'un air sonné.
- Je ne crois pas...
- Tout ira bien, Remus, assura Sirius en se tournant légèrement vers lui. Fais-moi confiance.
Le ton calme mais ferme qu'il avait pris ne laissait pas de place à l'hésitation. Les deux sorciers prirent une minute pour quitter la demeure. Beth regarda Sirius s'asseoir sur les premières marches de l'escalier recouvert d'un tapis tacheté par le temps. Sur son visage n'apparaissait aucun signe de colère. Le silence pesa dans le couloir, mais Beth n'était absolument pas en état de le rompre, et elle se contenta de regarder les restes du portrait de Mrs Black, sans être sûre de vouloir poursuivre une discussion avec Sirius.
- Je n'aurais pas dû te parler de cette manière, dit-il enfin.
Beth prit une profonde inspiration, avec, comme toujours lorsque sa pyromancie lui échappait, l'impression de ne pas avoir respiré depuis longtemps. Elle n'avait plus aucune envie de pleurer, ni aucune envie de débattre.
- Tu avais tous tes droits, au contraire, dit-elle d'une voix d'outre-tombe.
- Non. Non, je n'en avais aucun.
Beth soupira.
- Je t'ai abandonné, dit-elle simplement, dans un souffle.
Sirius se redressa soudain, le corps électrifié, et s'approcha d'elle.
- Non.
Il attrapa Beth par les épaules et approcha son visage près du sien.
- Non, justement. Je dois te montrer quelque chose.
Beth fronça légèrement les sourcils et suivit Sirius jusqu'au premier étage, dans un salon dans lequel elle n'avait jamais mis les pieds.
Les lampes s'allumèrent automatiquement et baignèrent la pièce d'une lueur tamisée. Tout était presque entièrement colorée en vert. Depuis le tapis poussiéreux jusqu'aux murs ternis. Même les rideaux l'étaient, et Beth se rendit vite compte qu'un bruit de bourdonnement émanait d'eux. Probablement une infection de Doxys. Au centre du salon, deux fauteuils cramoisis tranchaient avec le reste. Sirius traversa la pièce et se planta devant une très vieille armoire dont il ouvrit un battant.
Derrière, un amas d'objets en désordre. On aurait dit le résultat d'un tremblement de terre. Des bouteilles en verre s'étaient cassés et leur contenu avec rongé des piles de livres anciens. Des bibelots au style gothique et malfaisant étaient en morceaux, renversés les uns sur les autres. Sirius se pencha sur un vieux coffret en bois, ouvragé, dont l'ouverture se trouvait sur le devant comme un tiroir. Lorsqu'il souleva le battant, une lueur argentée s'en échappa et il en extirpa le contenu.
Beth fut stupéfaite de voir dans ses mains une pensine. Elle regarda Sirius. Il allait à l'évidence lui montrer l'un de ses souvenirs, et elle n'avait aucune once d'idée sur le contenu.
Il déposa la vasque de pierre sur une table basse, et tous deux s'assirent face à elle, chacun sur son fauteuil. Ils la regardèrent, et levèrent à l'unisson les yeux l'un sur l'autre.
- Où vas-tu m'emmener ? murmura Beth.
Sirius leva très légèrement l'un de ses sourcils, et cela signifiait qu'il pesait ses mots.
- À une époque qui te concerne, mais que tu as complètement oubliée.
- Que veux-tu dire par là ?
- Dis toi seulement que... ta soirée pleine de révélations n'est pas encore finie pour toi.
Sirius sortit sa baguette magique, la pointa sur sa tempe, et en extirpa un filet de lumière qu'il déposa dans la pensine. Il remua le tout pendant quelques secondes, et enfin un décors apparut indistinctement, vue du plafond. Beth décela un sol de pierre, et vit une silhouette dans un coin. Elle leva les yeux vers Sirius.
- Après toi, fit-il en plissant les yeux, un léger sourire aux lèvres.
Playlist du chapitre:
White Rabbit - Jefferson Airplane : watch?v=ejKUJu9xct4
Look at me - John Lennon : watch?v=VNvZI1l6HE0
Just like honey - The Jesus & Mary Chain : watch?v=7EgB_YratE
(Je ne peux malheureusement pas mettre de liens internet sur ce site, mais si vous ajouter "/" et le code que j'ai mis en italique après l'adresse de youtube, vous trouverez les musiques dont je parle! Savourez!)
Et puis n'hésitez pas à me laisser un petit commentaire au fil de votre lecture pour me dire si ça vous plait ou non! C'est ça aussi qui donne envie de continuer :)
See you!
