19 décembre 1981

— Non mais veux-tu bien me dire ce qui t'est passé par la tête, Severus ?!

Je baisse les yeux, embarrassé. Je n'ai jamais vu Dumbledore aussi furieux qu'il ne l'est en ce moment, faisant rageusement les cent pas dans son bureau entre la grande cheminée et la fenêtre, par laquelle on voit que la tempête de neige continue à faire rage dehors.

— Te rends-tu seulement compte à quel point on s'est inquiétés pour lui ?!

Comme s'il savait qu'on parle de lui, le petit paquet que je porte dans mes bras se met à gigoter jusqu'à brandir un poing d'entre les couvertures qui l'enveloppent.

— Explique-moi, Severus.

Le vieux directeur est planté devant moi, les bras croisés sur sa poitrine, ses yeux perçants rivés sur les miens. Alors je soupire, j'installe le bébé endormi plus confortablement dans mes bras, et je commence à parler. Et au fur et à mesure que je raconte, je revois les scènes qui se déroulent sous mes yeux.

Je suis chez moi, dans ma cuisine, quand j'apprends que Lily est morte. Je n'hésite pas une seule seconde, n'ai pas eu une seule pensée pour ce qui pourrait m'arriver, et je transplane là où le rat nous a appris qu'elle habitait. Je vois d'abord Potter, par terre dans le salon. Je ne lui jette qu'un regard froid avant de grimper les marches quatre à quatre.

À l'étage, une seule lumière est allumée, celle d'une chambre au fond du couloir. Je m'en approche à pas de loup, comme si tout d'un coup j'avais peur d'alerter quelqu'un à ma présence.

Je ne sais pas combien de temps il s'est passé, ensuite. J'ai l'impression d'avoir passé des heures assis par terre, la tête de Lily posée sur mes genoux, à caresser ces longs cheveux roux que j'ai toujours voulu toucher. Mais il s'est peut-être passé seulement quelques minutes, après tout. Il fait toujours nuit quand je me dis qu'il ne faudrait pas qu'on me trouve ici.

Je me lève, mais avant que je puisse franchir la porte un hoquet attire mon attention. Et c'est seulement à ce moment que je remarque que je ne suis pas seul dans la pièce. Qu'il y a un petit enfant qui me fixe, derrière les barreaux de son lit, ses grands yeux embués de larmes.

Ses grands yeux verts.

Là encore, je ne réfléchis pas et je le prends dans mes bras, embarquant du même coup toutes ses couvertures. Je sors de la maison maintenant vide et me cache derrière celle des voisins – juste à temps, car des Aurors commencent à apparaître dans les environs. Je décide que j'ai pris assez de risques pour la nuit et, après avoir envoyé un dernier adieu silencieux à Lily, je transplane vers chez moi.

— ... Alors je me suis caché, avec lui. Vous-Savez-Qui avait disparu, et je savais qu'il ne serait pas sécuritaire pour moi de sortir en public. Ni pour lui, pas tant que les Mangemorts étaient toujours en liberté. Quand j'ai appris pour les Londubat… Je ne suis pas sorti de chez moi pendant dix jours. Je serais resté caché encore plus longtemps, mais monsieur n'avait plus de biscuits…

Dumbledore se passe une main sur le visage avec un lourd soupir.

— Tu sais, j'avais tout prévu. J'allais laisser Harry chez sa tante…

Je grimace. Je me souviens très bien de la sœur de Lily – malheureusement.

— Il aurait été protégé, dit le directeur avant que je ne puisse ouvrir la bouche. Mais maintenant…

Un nouveau soupir.

— Enfin, inutile de pleurer sur les Pensines cassées, je suppose.

Il agite sa baguette vers un chaudron dans le fond de son bureau, qui se transforme en berceau.

— Laisse-le ici pour ce soir au moins, on verra ce qu'on en fera plus tard. En attendant, tu peux aller voir aux Trois Balais, Rosmerta a toujours une chambre ou deux à louer.

Je hoche la tête, prenant un air dépité, et dépose le petit Harry endormi dans son berceau improvisé. Mais en sortant du bureau du directeur, je ne peux empêcher un sourire d'étirer mes lèvres. Car j'ai accompli ma mission : j'ai réussi à me débarrasser de cet enfant infernal.


20 décembre 1981

— WAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAH !

Je me laisse choir dans un fauteuil, la tête entre les mains. Une heure que ça dure ! Une heure que cet enfant hurle, pleure, bave, gesticule. Je ne sais plus quoi faire !

— WAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAH !

De temps en temps, je me demande si je ne regrette pas, des fois, d'avoir été célibataire toute ma vie, de ne jamais avoir eu d'enfants. Maintenant, je sais : non, je ne regrette absolument pas !

— WAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAH !

La grande majorité des portraits dans mon bureau sont déserts, les anciens directeurs ayant spontanément décidé d'aller visiter d'autres habitants du château, ou bien carrément les cadres qu'ils ont hors de ces murs. Je ferais volontiers pareil, croyez-moi, si j'en avais la possibilité.

— Tu as vérifié sa couche, Albus ?

Je mets un moment à percuter que ce n'est pas un nouveau hurlement qui a atteint mes oreilles mais une question. Je lève les yeux et cherche quelques instants avant de voir un vieillard barbu, son portrait au cadre bleu et bronze entre ma bibliothèque et la cage de Fumseck, qui me regarde posément, comme si nous discutions calmement du dernier match de Quidditch au-dessus d'une tasse de thé.

— Bien sûr que j'ai vérifié sa couche, Basil ! Je ne suis pas né de la dernière pluie !
— WAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAH !
— Il a faim peut-être ? Tu l'as fait roter ?

Je me passe une main fatiguée sur le visage. Je viens tout juste de passer une commande spéciale aux elfes de maison, et Harry a tout dévoré – à se demander si Severus l'avait nourri, ces deux derniers mois.

— WAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAH !

Machinalement, je tends la main vers mon bol de bonbons au citron. J'en envoie un dans ma bouche, puis jette un regard circonspect au deuxième. Après un instant de réflexion, j'y jette un sortilège le rendant impossible à avaler tout rond, puis le pose sur la langue de l'enfant – facile, puisqu'il a la bouche grande ouverte.

— WAAAAAAAAAAAAAAAAAA –

Il ouvre les yeux tout ronds et ferme la bouche, surpris. Je le vois sucer pensivement, se demander s'il aime le goût ou pas… avant de finalement m'envoyer un grand sourire.

Je soupire de soulagement. Peut-être pourrai-je enfin m'entendre réfléchir, maintenant.


22 décembre 1981

Il est encore tôt le matin, c'est les vacances, mais je suis déjà attablée à mon bureau, des montagnes de devoirs devant moi. J'espère avoir terminé ma correction bientôt, afin de pouvoir profiter de Noël, ensuite…

Quelques coups se font entendre à la porte et je lève les yeux, surprise. Qui d'autre pourrait être debout à cette heure ?

— Entrez !

Ah, Albus, bien sûr ! Qui semble ne pas avoir dormi depuis plusieurs jours, si j'en crois les cernes qui creusent ses joues.

— Qu'est-ce qui se passe ? je demande.

Ce n'est qu'alors que je remarque le petit garçon aux cheveux noirs qu'il tient dans ses bras.

— J'ai une rencontre avec… quelqu'un aujourd'hui. Je peux laisser Harry avec vous ? Merci Minerva, vous êtes une perle !

Et avant que je ne puisse ouvrir la bouche, il est ressorti de mon bureau au petit trot. Je hausse une épaule et baisse les yeux vers le garçonnet, qui me regarde avec curiosité.

— On va bien s'amuser toi et moi, n'est-ce pas ? Bon, pas tout de suite parce que j'ai du travail à faire, mais plus tard.

Je m'empare de quelques brosses qui traînent sur mon bureau et les métamorphose en petites voitures de bois, que je donne à l'enfant. Un petit tour que j'ai appris quand je pensais encore que peut-être un jour j'aurais des enfants…

Une heure se passe sans événement. Je corrige les devoirs des troisième année et Harry joue calmement avec ses voitures, jusqu'à…

— Harry, non ! Comment as-tu réussi à ouvrir ma bouteille d'encre ! Tu… oh oh…

Je soulève délicatement un parchemin couvert d'empreintes de mains de bébé en encre verte encore mouillée. On arrive toujours à lire le nom de l'auteur du devoir – Gilderoy Lockhart – mais son texte est perdu.

Je soupire. Voyons le côté positif des choses : au moins je n'aurai pas à lire la prose prétentieuse de Gilderoy cette fois.


24 décembre 1981

Un tout petit peu plus à gauche... voilà. Il s'agit simplement de ne rien faire tomber, maintenant. Tout est presque prêt, il faut juste –

— Ah, Filius, vous voilà !

Je sursaute et la fée de verre que je faisais léviter tombe au sol dans un fracas, explosant en mille morceaux. Je tourne un regard courroucé vers celle qui a osé m'interrompre.

— Oups, désolée, attendez, je vais nettoyer ça.

Elle dépose un petit garçon endormi par terre, sous le grand sapin, et d'un geste gracieux de sa baguette fait disparaître tous les débris de verre.

— Merci Minerva. Dites-moi, qui –
— Filius, j'ai beaucoup de travail en ce moment, ça serait génial si vous pouviez vous occuper de Harry un moment. Merci beaucoup, je vous revaudrai ça !

Et sur ces mots, la professeure de métamorphose s'en va – s'enfuit – de la Grande Salle, me laissant seul avec des sapins, des guirlandes, des fées en verre et un bébé endormi. Je passe un moment à le scruter tendrement, un léger sourire flottant sur mes lèvres. Ma Polly est décédée l'année précédente, et nos enfants, bien que tous adultes et ayant quitté la maison, n'ont pas encore commencé à me donner des petits-enfants. Il y a tellement longtemps que je n'ai pas eu l'occasion de jouer avec un bébé…

Mais pour le moment, il dort dur. Laissons-le finir sa sieste et terminons ces décorations. Je me tourne à nouveau vers les sapins que le directeur m'a demandé de décorer pour demain, et je lève ma baguette.

— Wingardium Leviosa, dis-je d'une voix douce pour ne pas réveiller le dormeur à mes pieds.

Cette fois, la fée en verre se place sans encombre à la cime du premier sapin. Sa sœur monte rapidement trôner sur le deuxième, et le troisième se voit aussi coiffer de la même façon.

Je sors la quatrième fée de sa boîte et la fais monter à la bonne hauteur. Un peu plus à droite, encore un poil plus haut, et –

— WAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAH !

Je sursaute, et voilà une nouvelle fée explosée sur les dalles de pierre de la Grande Salle. Je baisse les yeux, mais l'enfant n'est plus dans ses couvertures. Affolé, je tourne sur moi-même, avant de finalement remarquer que la montagne de guirlandes scintillantes attendant d'être placéesbouge. Pendant que je les regarde, une petite tête aux cheveux ébouriffés en émerge, et quand les yeux effarés se posent sur moi, les joues deviennent toutes rouges, la bouche s'ouvre grand, et…

— WAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAH !

Je soupire avant de descendre de mon escabeau pour dépêtrer le petit farceur.


26 décembre 1981

Je suis en train de remettre des bûches dans le feu quand Minotaure se met à japper, me faisant sursauter et me frapper la tête contre le haut de l'âtre.

— Aïe ! Mais la ferme, gros bêta, qu'est-ce que tu as ?

C'est alors que des coups discrets se font entendre à la porte, expliquant l'excitation de mon idiot de chien. Je traverse ma cabane pour répondre, invectivant Minotaure dans la barbe et me frottant l'arrière du crâne.

Quand j'ouvre la porte, il n'y a personne devant moi.

— Excuse-moi, Rubeus ?

Je baisse les yeux.

— Ah, Filius, bonsoir ! Comment puis-je t'aider ? Tu veux entrer, prendre une tasse de thé ? Il fait –
— Non, non, je ne peux pas rester, je voulais juste te demander si tu pouvais t'occuper de Harry.

Il m'appuie un petit paquet de couvertures contre le ventre, et par réflexe je passe mes mains dessous avant qu'il ne tombe. Je découvre le visage d'un petit enfant, qui ouvre ses grands yeux verts pendant que je le regarde. Il bouge la tête et une mèche de cheveux se déplace sur son front, dévoilant à mes yeux une cicatrice en forme d'éclair.

— Oooooooooooh, mais c'est –

Mais il n'y a plus personne pour m'écouter. Filius est déjà reparti vers le château, sa petite forme repérable seulement par la trace qu'il a laissée dans la neige. Je me mordille la lèvre un moment, puis décide de le suivre. Il faut que je parle à Albus, lui seul pourra me dire quoi faire avec Harry Potter. C'est adorable, les enfants, j'ai toujours voulu en avoir, mais… Harry Potter, quoi…

Alors j'enfile mon lourd manteau, m'assure que le garçonnet est bien au chaud dessous – il a l'air de bien s'amuser en tout cas, à en juger par son sourire – et ordonne à mon chien de ne pas bouger avant de traverser à mon tour la couche de neige fraîche.

Une fois dans le hall d'entrée, je laisse le feu me réchauffer quelques instants. J'en profite pour ouvrir mon manteau et jeter un coup d'œil à mon passager.

— Tout va bien là-dedans ?
— Aga !

Je prends ça pour un oui.

— Hagrid ?

Je sursaute et referme avec précipitation mon manteau. Le préfet de Serdaigle est appuyé à la rampe d'escalier et me regarde d'un air interrogateur.

— Ça va, Hagrid ?

Je ne sais pas pourquoi, mais je me dis que ça ne serait sans doute pas une bonne idée de raconter à tout le monde que j'ai Harry Potter dans mon manteau.

— Oui oui, tout va bien, Quirinus. Je venais simplement parler à Dumbled – AAAARGH !

Le jeune homme écarquille les yeux pendant que les miens s'emplissent de larmes de douleur. J'entends un petit rire en provenance des environs de ma poitrine. Ah, parce que ça l'amuse de tirer sur ma barbe comme ça ?

— Euh... Vous êtes sûr ?

Je hoche la tête avec un sourire que je veux sincère avant de presser le pas vers le bureau de Dumbledore.

Oui, décidément, il faut vraiment que je lui touche un mot à celui-là…


28 décembre 1981

Quand on cogne à ma trappe, je suis fin prête. Maquillée, mes lunettes nettoyées, mon plus beau châle autour du cou. Parce qu'en lisant mes feuilles de thé hier soir, voyez-vous, j'ai appris que pas plus tard qu'aujourd'hui je rencontrerais mon âme sœur, qu'un prince charmant se présenterait à mon bureau, un bouquet de fleurs à la main.

— Entrez ! j'appelle de ma voix la plus mélodieuse.

Quelques secondes plus tard, le gardien des clés de Poudlard se tient sur mes tapis persans.

— Vous n'êtes pas un prince charmant, dis-je d'un ton accusateur.
— Euh… non.
— Et ça, c'est pas un bouquet de fleurs.

Il baisse les yeux vers le paquet de couvertures qu'il a dans les bras. Non, vraiment pas un bouquet de fleurs.

— Je me disais qu'il serait sans doute plus heureux ici, c'est chaud et c'est confortable et… ça sent bon, oui, voilà. Dans ma cabane, c'est petit, et il y a un chien, et… bon, voilà, je vous le laisse, vous êtes bien gentille.

Il pose son paquet sur un coussin et disparaît à toute vitesse. Dommage, je n'ai même pas eu le temps de lui dire que j'avais vu sa mort approcher dans ma boule de cristal ce matin. La prochaine fois.

À pas feutrés, je m'approche de ce qui n'est pas un bouquet de fleurs. Après trois pas, ça se met à gigoter. Après cinq pas, ça se redresse. Après sept pas…

— Aga !

Je laisse échapper un hurlement en voyant la petite tête hirsute émerger des tissus. Comme la créature passe quelques secondes sans bouger, me regardant juste avec un grand sourire édenté, je m'approche doucement, jusqu'à ce que mon visage soit presque collé au sien. Qu'est-ce ? Est-ce un enfant, comme il apparaît, ou une créature maléfique bien camouflée ? On ne peut jamais être trop certains, dans ce monde…

— Aga !

Je m'écarte brusquement, juste à temps pour éviter que sa main potelée se referme sur mon nez.

Ma boule de cristal ! Oui, voilà, ma boule de cristal saura me dire ce qui m'arrive. Je laisse mon visiteur derrière moi et m'installe à ma table basse, baissant le visage vers la boule transparente qui s'emplit vite de brume.

— ', boule de cristal, dis-moi ce que tu sais sur l'identité de mon visiteur…

Là, je vois un chien… et là, une araignée… et dans le fond… un ornithorynque ?

CLIC ! CLAC ! CLANG !

— Aga !

Avec un nouveau petit hurlement, je me tourne pour constater que la créature s'est déplacée sur ses deux petites jambes et a vicieusement attaqué ma collection d'encens, dont des centaines de bâtonnets se retrouvent maintenant par terre.

— Sybille ?

Je vais finir par perdre connaissance si on n'arrête pas bientôt de me surprendre comme ça ! Cette fois, c'est un fantôme qui a traversé ma trappe.

— Madame Pince m'a demandé de vous informer que vous avez du retard sur le livre que vous avez emprunté le mois dernier.

Aussitôt son message livré, la jeune femme translucide disparaît, sans doute pour retourner à la tour de Serdaigle qu'elle ne quitte que rarement. Je la regarde partir, une main posée sur mon cœur qui bat la chamade.

— Aga ?

Je jette un regard irrité vers la créature. Une chose à la fois !


30 décembre 1981

— Maudite fantôme de mes deux, je grommelle dans ma barbe en sortant ma serpillière. Les rares moments où ce château est à peu près calme, elle pourrait en profiter pour se reposer – et me laisser me reposer, surtout –, mais non, il faut que madâme fasse une crise et inonde tout le deuxième étage. Maudite fantôme de mes deux…

Je nettoie tant bien que mal le sol trempé en continuant à grommeler, avec comme seul public Miss Teigne, qui me regarde calmement depuis sa position éloignée de la flaque. Pas idiote, la bête.

Soudain, son dos se raidit et ses oreilles tournent vers l'avant. Elle se lève avec énergie et se presse vers l'autre extrémité du couloir, sautillant presque sur ses petites pattes – et gardant toujours un bon mètre entre l'eau et ses coussinets délicats.

— Miss Teigne, qu'est-ce que tu as vu ? je demande en me tournant pour la suivre des yeux.

Mais à peine les mots ont-ils franchi mes lèvres que j'ai la réponse à ma question. Ma chatte s'approche d'un petit garçon, d'un an et demi peut-être, qui s'approche d'elle d'un pas mal assuré. Une de ses mains est serrée sur une couverture qui traîne derrière lui, et son autre est tendue devant lui. Un grand sourire orne ses lèvres et ses grands yeux verts sont fixés sur l'animal qui s'approche.

— Mais qu'est-ce que…

Je remarque alors un mouvement furtif un peu plus loin, et fixe mon regard au fond du corridor, où une tête ébouriffée dépasse du coin. J'ai juste le temps de voir deux yeux globuleux me regarder à travers d'épaisses lunettes avant que cet étrange personnage ne disparaisse, laissant derrière elle l'enfant.

Je baisse les yeux sur celui-ci pour voir qu'il s'est assis confortablement dans une flaque d'eau et observe toujours ma chatte avec intérêt – qu'elle lui rend bien, d'ailleurs. Jugeant qu'ils s'occuperont bien d'eux-mêmes quelque temps, je retourne à mon ménage et mes rouspétances.

— Comme si j'en avais pas assez de tous ces mômes durant l'année scolaire, il faut qu'on me colle un gosse en couches pendant mes vacances en plus. Je vais demander une hausse de salaire, moi, c'était indiqué nulle part dans mon contrat qu'il faudrait que je devienne baby-sitter…
— MEOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOW !
— WAAAAAAAAAAAAAAAAAH !

Je sursaute et la serpillière tombe avec fracas dans l'eau, éclaboussant les murs. Derrière moi, la situation a changé du tout au tout : Miss Teigne est en position d'attaque, le poil hirsute, les oreilles plaquées contre la tête. En face d'elle, l'enfant tient devant lui son bras potelé marqué de quatre stries rouges. Il tourne vers moi son visage maculé de larmes et renouvelle son hurlement.

— J'aime pas les gosses…


1er janvier 1982

Toc toc toc.

Toc toc toc !

TOC TOC TOC !

TOCTOCTOCBLAMBLAM…

— Ouais, ouais, j'arrive…

Quand je décide enfin que ces coups à ma porte ne font pas partie de mon rêve et n'ont aucune intention de s'arrêter, je me lève, glisse mes pieds dans mes épaisses pantoufles et traverse mon salon frisquet en me tenant la tête.

— Argus, je croasse après avoir ouvert la porte. Mais qu'est-ce qui te prend de me réveiller à l'aube comme ça ?

Le concierge hausse un sourcil.

— Il est deux heures de l'après-midi, Professeur.

Je regarde par-dessus mon épaule l'horloge posée sur le manteau de la cheminée. Ah ouais, en effet…

Pendant ce temps-là Argus continue de parler, et je me reconnecte à ses paroles juste pour entendre ses derniers mots.

— C'est vraiment gentil, merci.
— Pardon ?
— Je suis certain que vous vous entendrez comme deux joyeux larrons, dit-il en me collant un bébé dans les bras avant de s'éclipser à toute vitesse, sa chatte sur les talons.

Je contemple un instant le petit visage qui me regarde. Une touffe de cheveux noirs, deux grands yeux verts, une cicatrice en forme d'éclair.

— Ah, mais je te connais toi ! Tu es le fils de Lily Evans, Harry !

Reconnaissant son nom, le petit se met à s'agiter dans tous les sens, faisant renaître mon mal de tête. Je le pose par terre, où il se met tout de suite à crapahuter à quatre pattes sur mon épais tapis. Si ça l'amuse…

Bon, commençons par préparer une bonne ration de potion anti-gueule de bois. J'aurais dû m'en refaire un stock hier, avant la fête…

— Tu sais, ta mère était mon élève préférée, dis-je au petit garçon assis sous ma table basse. Elle était excellente dans mes cours, et une jeune femme charmante hors de ceux-ci. J'ai été tellement malheureux quand j'ai appris son décès. Elle aurait fait une fabuleuse mère, j'en suis certain…

Je dépose les ingrédients de ma potion sur ma table de travail, et jette un regard au petit Harry. Toujours assis par terre, il a déniché mon album photo et l'a posé devant lui, s'amusant à faire des grimaces aux petites figures qui s'y déplacent.

— Ah, tu as trouvé ma collection, petit fouineur. Un jour, tu sais, j'aimerais bien pouvoir t'y ajouter. Quand tu seras plus grand, on s'entend, parce qu'une photo de bambin détonnerait un peu à côté des autres, disons… Ah, oui, celle qui te tire la langue, à droite, c'est Millicent Bagnold. Ancienne Serdaigle celle-là, très intelligente. Elle est ministre de la Magie, en ce moment, elle ne doit plus avoir beaucoup l'occasion de tirer la langue à des enfants… Non, Harry, qu'est-ce que tu fais ? Non, lâche ça, c'est du whisky, ça se boit pas… Enfin oui, ça se boit, mais pas à ton âge. Je… Oui, voilà, pose-le, très… Non Harry, c'est pas pour renverser sur les photos non plus ! Non, garçon, non ! Tu…

Je soupire en regardant ma bouteille de meilleur whisky se vider sous les rire aigus d'un petit garçon. L'année 1982 ne commence pas de la meilleure des façons…


3 janvier 1982

Je m'étire comme un chat, me régalant des rayons du soleil qui me réveillent pour la quinzième fois de suite. Pas les hurlements qui me vrillent les tympans ni les pleurs qui m'amenuisent les nerfs, non ; juste les rayons du soleil qui me chatouillent le nez.

Ah, voilà Rosmerta à la porte qui m'amène mon petit-déjeuner ! J'enfile ma lourde robe de chambre noire et traverse la chambre d'hôte, petite mais confortable. Quand j'ouvre la porte, cependant, ce n'est pas un attirant plateau de nourriture porté par une jolie jeune femme qui m'attend, mais un bébé porté par un vieil homme rondouillard.

— 'Evus ! s'exclame le petit en me voyant.

Je me demande un instant si je ne suis pas en train de cauchemarder.

— Ah, Severus, je suis content de te revoir ! s'exclame mon ancien professeur de potions en posant Harry à mes pieds. Dumbledore t'a proposé de reprendre mon poste en septembre, quand je partirai à la retraite, n'est-ce pas ?
— Euh… oui… mais je…
— Eh bien, tu verras bien vite, j'imagine, que quand on est prof on n'a pas le temps de s'occuper d'un enfant. Allez, je vous laisse, je dois aller préparer mon cours de demain !

Et sans plus d'éclat, mes quinze jours de paix et de solitude se voient terminés. Je baisse les yeux vers Harry, qui est maintenant accroché à ma jambe et me regarde amoureusement. Je soupire.

— Il est trop tard pour te donner à Pétunia, tu crois ?