N.B. : Juste une petite remarque, malgré les mots employés et sans doute les apparences, je n'ai absolument aucun grief contre aucune discipline du corps médical. Ceci est juste le point de vue d'Olivia tel que je le conçois si la situation décrite dans cette histoire se produisait.
- Comment va-t-il ? demanda la voix inquiète d'Olivia Dunham au médecin qui se tenait devant elle.
- Physiquement, il est indemne. Juste déshydraté et quelques lésions superficielles. Je dirais même qu'au vu du traitement qu'il a subi, il s'en sort très bien, répondit le Dr Shaw.
- Mais ?
Dans son métier et à plus forte raison depuis qu'elle travaillait à la division Fringe, elle savait qu'il y avait toujours un « mais ».
- Mais mentalement, il est… brisé, si je puis dire. Ce n'est pas le terme médical approprié, mais quand je l'observe, c'est le mot qui me vient.
- Brisé ? répéta-t-elle en fronçant les sourcils.
- Il a subi un grave traumatisme, je ne sais pas exactement…
- Est-ce que je peux le voir ? le coupa-t-elle, cédant au besoin qui la tenaillait depuis qu'elle avait appris qu'on l'avait retrouvé.
- Pas pour l'instant. Il est préférable qu'il se repose. Nous n'autorisons que la famille proche à le voir.
Encore une règle idiote. Qui avait décidé qu'il fallait avoir un lien par le sang ou sur le papier pour faire partie de la famille proche ?
- Quand sortira-t-il ? demanda-t-elle.
- Agent Dunham, je ne suis pas sûr que vous compreniez la situation. M. Bishop a visiblement subi un grave traumatisme moral. Nous ne sommes pas parvenus à déterminer…
- Je n'ai pas pour habitude de tourner autour du pot, Dr Shaw. Dites-moi ce que vous avez à dire sans me ménager, dit-elle, impatiente.
- Bien. Je vais être direct dans ce cas. M. Bishop est sujet à un stress post-traumatique aggravé et si nous ne sommes pas en mesure de déterminer ce qui l'a mis dans cet état, c'est parce qu'il n'a pas prononcé un seul mot depuis son arrivée. (Il fit une pause, laissant la jeune femme digérer l'information) Il est complètement apathique. Il reste debout face à la fenêtre pendant des heures sans bouger, sans parler. Il ne mange pas, ne boit pas, ne dort pas. Nous sommes obligés de le perfuser pour ne pas qu'il se déshydrate. Je suis désolé, Agent Dunham.
Olivia observa l'homme en face de lui. La quarantaine, un début de calvitie, des lunettes aux contours invisibles, un air professionnel collé à ses traits froids. Visiblement habitué à annoncer les pires nouvelles aux proches de patients dont on lui confiait la vie et qu'il ne pouvait pas toujours sauver. Combien d'hommes, de femmes et d'enfants avait-il perdus au cours de sa carrière de médecin ? Laissait-il une partie de lui dans chacune des victimes qu'il ne parvenait pas à sauver ? Ou s'était-il constitué une carapace tellement épaisse qu'il ne ressentait plus rien ?
Mais Olivia Dunham ressentait tout. Tout ce bouillon de culture d'émotions tourbillonnant dans sa tête, envahissant son esprit, torturant son cœur. Chaque victime qu'elle perdait provoquait une entaille dans sa chair. Une cicatrice si profonde qu'elle ne s'effaçait jamais totalement. Et qui lui rappelait qu'elle avait échoué. Mais qu'elle devait continuer pour éviter à d'autres de subir le même sort. C'était un poison cruellement douloureux qui la tuait à petit feu et une source d'énergie inépuisable qui la boostait pour la rendre efficace dans son travail. Souffrir pour sauver. Telle était sa vie. Celle qu'elle avait choisie de mener.
Elle regarda distraitement le médecin essuyer ses lunettes sur sa blouse. Elle vit les cernes sous ses yeux et les poches gonflées que constituaient ses paupières. Depuis combien de temps n'avait-il pas dormi ? Peut-être aussi longtemps qu'elle. Quatre jours et quatre nuits qu'elle n'avait pu trouver le repos. Aussi bien physique que mental. Le sommeil l'avait fuie et son esprit avait été tourmenté par des images et des pensées insoutenables. Celles de Peter, affaibli et torturé, ou même mort. Depuis la minute où elle avait appris son enlèvement, elle n'avait eu de cesse de le rechercher. Dépensant sans compter la moindre parcelle d'énergie de son corps, dans l'enquête la plus difficile et la plus douloureuse de son existence après John. Cette fois, il s'agissait de Peter. Et elle refusait de le perdre lui aussi.
Mais ils l'avaient retrouvé. Quand Broyles l'avait appelée pour lui annoncer qu'ils l'avaient récupéré vivant, elle avait senti son cœur et sa respiration reprendre un rythme normal. L'espoir et le soulagement avaient remplacé l'angoisse et l'abattement. Et ce médecin d'allure froide et impassible venait en une seconde de la précipiter dans le gouffre dont elle se croyait libérée. Quel était le prix cette fois ? Combien de larmes et de sang devrait-elle encore verser ? N'avaient-ils donc pas assez coulé ? N'avait-elle pas donné suffisamment de sa personne tout au long de sa vie ? Mais visiblement, le Sort n'était pas encore rassasié et elle devrait verser à la Souffrance une autre rançon de larmes amères.
Tandis que le médecin continuait à énumérer les raisons qui faisaient que Peter n'était plus vraiment Peter, Olivia ne pensa plus qu'à une chose. Elle voulait le voir. Elle devait le voir. Ses pieds avancèrent sans qu'elle se souvienne de leur en avoir donné l'ordre. Elle entendit vaguement la protestation du médecin. Elle l'ignora et fit quelques pas supplémentaires. Elle le vit tout de suite, à travers la paroi vitrée de la chambre d'hôpital. Debout, immobile, face à la fenêtre. Elle ne voyait pas son visage parce qu'il était de dos. Un bras saisit soudain le sien et l'immobilisa dans sa progression. Elle le repoussa avec violence et avança encore. On lui fit barrage. Deux silhouettes masculines dont elle n'enregistra même pas les visages. Elle tenta de passer mais on l'en empêcha. Elle se débattit mais rien n'y fit. Quelqu'un cria, saturant douloureusement son ouïe. Et tandis qu'on la conduisait vers l'extérieur, l'éloignant centimètre par centimètre de Peter, elle réalisa que le son envahissant qui lui vrillait le crâne sortait de sa propre bouche.
Plusieurs heures plus tard, Olivia se trouvait dans la salle de sports des locaux du FBI. En sueur et aveugle à tout ce qui l'entourait, elle frappait sans relâche sur un sac de boxe. Au bout d'un moment, elle estima qu'elle avait évacué assez d'énergie pour faire une pause. A bout de souffle, elle s'assit sur un banc dans le fond de la salle. Fermant les yeux, elle posa un instant ses mains sur son visage. Quand elle les rouvrit, elle découvrit une serviette à quelques centimètres de ses yeux. Elle n'eut pas besoin de lever la tête pour reconnaître le propriétaire de la main aux longs doigts et à la peau sombre.
- Défoulée ? demanda Broyles.
- Pas tout à fait, mais c'est un début, répondit-elle en saisissant la serviette pour éponger son visage.
- Vraiment ? Pourtant, je n'aurais pas aimé être à la place de ce sac, dit-il en s'asseyant à ses côtés.
- Depuis combien de temps…
- Assez longtemps pour savoir que vous aviez besoin d'évacuer après vos prouesses d'il y a quelques heures à l'hôpital.
Elle ouvrit la bouche et le regarda, réalisant enfin que sa perte de contrôle avait pu embarrasser d'autres qu'elle. Bien sûr, Broyles devait avoir eu vent de l'émeute qu'elle avait provoquée face à l'impossibilité de voir Peter.
- Monsieur, je…
- Je sais, Dunham. Depuis combien de temps n'avez-vous pas dormi ?
- Je me suis allongée, ce matin…
- J'ai dit « dormi », Dunham.
Elle se mordit la lèvre et évita son regard.
- Pour votre information, l'incident ne sera pas reporté dans votre dossier. Vos excellents états de service et le stress intense de votre dernière affaire jouent en votre faveur.
- Merci Monsieur. Je suis désolée pour mon comportement.
Il poussa un soupir ennuyé.
- Dunham. Votre réaction d'aujourd'hui est-elle la conséquence au fait que ce soit un membre de votre équipe ou que ce membre soit justement le jeune Bishop ?
- Monsieur, Peter s'est rendu indispensable à notre Division et je…
- Je le sais Dunham. Croyez-moi, je m'en suis rendu compte. Il m'a agréablement surpris.
Olivia afficha un petit sourire. Le premier depuis l'enlèvement de Peter. Broyles était avare de compliments, en général.
- Peter a sans doute fait beaucoup de mauvais choix dans sa vie, mais il a prouvé qu'il était loyal envers la Division. J'ai beaucoup d'estime pour celui qu'il est maintenant, dit-elle.
- Je me fie à votre jugement. Vous avez assez de flair pour ça. Vous faites confiance au jeune Bishop. Et je vous fais confiance.
- Merci Monsieur.
- Cependant, j'aimerais croire que votre attachement à lui n'est que de nature professionnelle, mais avec vos antécédents avec l'Agent Scott, vous comprendrez que je me pose des questions…
- Monsieur, si je tiens beaucoup à lui, il n'est qu'un ami…
- Dunham. Soyez franche. Si ça avait été le Dr Bishop, auriez-vous réagi de la même façon à l'hôpital ?
Elle ouvrit la bouche pour protester. Mais trop de justifications tuaient les justifications, quelles qu'en soient la teneur.
- Message reçu, Monsieur, dit-elle simplement.
- Un message, Dunham ? Quel message ? demanda-t-il, en se levant. Contrairement à l'Agent Scott, Peter Bishop ne fait pas partie du FBI. Si aucune règle ne vient à l'encontre de votre attachement à lui, je ne peux que vous conseiller de garder vos émotions sous contrôle.
Elle le regarda, surprise.
- Oh et Dunham. Rentrez chez vous et reposez-vous. Je ne veux pas vous voir avant lundi. Sauf si je vous appelle. C'est un ordre.
Puis il tourna les talons avant qu'elle ne puisse répondre. Elle laissa échapper un souffle de stupeur. Broyles était décidément plein de surprises, malgré son côté pince-sans-rire. Finalement, elle posa la serviette sur ses épaules et prit la direction des douches au lieu de retourner dépenser son trop-plein d'énergie.
Quand elle rentra chez elle, Rachel préparait à dîner. Quand cette dernière entendit la porte claquer, elle vint immédiatement à sa rencontre.
- Liv. Tu rentres tôt pour une fois.
- Broyles m'a donné le reste de la semaine.
- C'est sans doute un bien pour toi. Tu sembles à bout de force. Tu as mauvaise mine.
- Merci, tu as toujours le mot pour faire plaisir, dit Olivia sans méchanceté.
- Hey, vu que tu n'as pas d'homme dans ta vie en ce moment, il faut bien que quelqu'un se charge de te faire des compliments foireux, plaisanta Rachel.
Mais elle fronça les sourcils quand elle vit une ombre passer sur le visage de sa sœur.
- Pardon, Liv. C'était maladroit de ma part.
- C'est rien, Rach, répondit Olivia en tentant un sourire peu convaincant.
- Qui va s'occuper des recherches en ton absence ? Broyles ?
- Les recherches ? Quelles recherches ?
- Pour Peter, dit Rachel, étonnée de devoir préciser.
Olivia resta une seconde bouche bée.
- Oh, pardon, Rachel. J'ai oublié de te dire qu'on l'a retrouvé vivant ce matin, s'excusa Olivia, dépitée.
- « Oublié » ? Olivia, comment as-tu pu oublier de m'appeler pour me le dire ?
Olivia observa le mélange de colère et de stupéfaction s'exprimer sur le visage de sa sœur. Elle savait que Rachel s'était liée d'amitié avec Peter et avait été très affectée quand elle lui avait annoncé son enlèvement. Elle lui avait promis de la tenir informée dès qu'ils le retrouveraient. Mais le choc qu'elle avait subi à l'hôpital l'avait complètement détournée de cette idée. Décidément, elle manquait à tous ses devoirs.
- Pardon, Rachel.
En entendant les excuses et le ton accablé de sa sœur aînée, Rachel chassa sa colère. Elle la connaissait assez pour savoir que ces quatre derniers jours avaient été éprouvants. Et à plus forte raison puisqu'elles vivaient sous le même toit. Et pourtant elles ne s'étaient guère croisées. Ce qui en soi était la preuve de l'investissement au-delà des limites humaines que s'imposait Olivia. Elle n'était rentrée chaque soir –ou plutôt chaque nuit– que pour prendre une douche, se changer et s'allonger quelques heures. Rachel ne pouvait même pas mettre le mot « repos » sur la mascarade torturée de sa sœur quand elle se couchait dans son lit. A plusieurs reprises, elle avait été réveillée par les cris déchirants de son aînée. Les deux premières fois, elle s'était levée dans l'espoir de lui apporter un peu de réconfort. Mais elle avait fini par abandonner, car sa sœur ne lui en laissait même pas l'opportunité. Dès qu'Olivia était éveillée, elle se levait immédiatement et quittait l'appartement sans un mot. Se contentant ensuite de subir ses réveils agités, Rachel n'avait pu que regretter le mutisme obstiné dont elle faisait preuve. Mais telle était son aînée. Elle soupira.
- Ce n'est rien, Liv. Comment va-t-il ? Est-ce que tu l'as vu ?
- Non, ils ne m'ont pas autorisée à le voir. Il est vivant mais… tu sais comment sont les médecins avec leur baratin…
- Liv, dis-moi.
- Rach, il est complètement amorphe. Il ne bouge plus, ne s'alimente plus, ne parle plus et ne réagit même plus à son environnement. Il reste debout devant la fenêtre sans esquisser le moindre geste pendant des heures.
Il y avait tant de désespoir dans la voix de sœur que Rachel posa ses mains sur ses joues pour tenter de la calmer.
- Liv, l'essentiel est qu'il soit vivant. Tout ira bien.
- Bien ? Rach, il n'a pas plus de réaction qu'un légume.
- Liv, regarde-moi. Quand tu as eu ton accident de voiture, on m'a dit la même chose pour toi. Ils ont failli te débrancher car ils t'avaient déclarée cérébralement morte. Mais tu es là, devant moi. Bien vivante. Peter est fort. Il s'en remettra. Je suis sûre qu'il s'en remettra.
- Puisses-tu dire vrai.
Rachel lui adressa un petit sourire encourageant avant de la serrer brièvement dans ses bras.
- Allez, viens grignoter un morceau. Depuis combien de temps n'as-tu pas mangé ? questionna Rachel.
- Les liquides, ça compte ?
- Non.
- Alors, tu ne veux pas savoir.
- Oui, je suppose que tu as raison, soupira Rachel. Allez, viens, je ne te lâcherai pas tant que tu n'auras pas mangé quelque chose.
Olivia suivit alors sa sœur, sachant effectivement à quel point elle pouvait se montrer têtue. Elle n'avait pas faim mais se força à avaler une quantité de nourriture suffisante pour contenter Rachel. Puis, malgré l'heure précoce, elle annonça qu'elle allait se coucher pour essayer de se reposer. Sa sœur cadette la regarda sortir de la cuisine sans un mot, espérant silencieusement que ses cauchemars ne viendraient pas la troubler cette fois.
Quelques heures plus tard, après avoir changé maintes fois de position, elle avait fini par sombrer dans un sommeil agité. Mais le souhait muet de Rachel ne fut pas exaucé et le rêve qui la hantait depuis quatre nuits lui revint intact. Il commençait toujours de la même façon. Elle voyait Peter devant elle. Aussi réel que possible. Et puis ses contours se fanaient, perdaient doucement toute consistance matérielle. Il disparaissait à vue d'œil, s'évanouissant jusqu'à devenir transparent. Un fantôme tel qu'on se les imagine dans les histoires pour faire peur. Ensuite, elle courait vers lui mais il était trop tard. Il était toujours trop tard quand elle arrivait enfin à l'endroit où il se tenait un instant plus tôt. Et elle le cherchait des yeux en vain. Elle l'appelait, criait son nom, mais personne ne lui répondait. Et enfin les images lui apparaissaient. Comme une séance au cinéma. Un écran blanc chargé de visions torturées de Peter à l'agonie. Cela lui était insoutenable et pourtant elle ne parvenait pas à en détacher les yeux. Et finalement le cauchemar s'achevait toujours de la même façon. Il l'appelait elle, prononçait son nom dans un râle douloureux. Olivia. Olivia. Et elle se réveillait en sursaut, paniquée et trempée de sueur.
Quand elle hurla, Rachel qui regardait la télé, se leva d'un bond et se précipita dans la chambre de sa sœur. Olivia était déjà debout et s'habillait à la hâte.
- Liv, est-ce ça va ?
Mais elle était trop fébrile pour répondre et continuait à passer ses vêtements.
- C'est encore ce cauchemar ?
Olivia se figea un instant mais se reprit et commença à lacer ses chaussures de sport. Rachel avait donc compris ce qui empoisonnait son sommeil. Elle ne lui avait pourtant rien dit à ce sujet.
- Liv, qu'est-ce que tu fais ? Ne me dis pas que tu vas aller courir ? Il est presque minuit !
Mais les deux sœurs savaient que cette question était purement rhétorique. Aussi Olivia ne prit même pas la peine d'y répondre. Quand elle passa devant sa sœur cadette, celle-ci posa une main sur son bras. Elle s'immobilisa une seconde, bien que ce geste fût trop léger pour l'y contraindre.
- Moi qui pensais qu'il cesserait maintenant qu'on l'avait retrouvé.
- Moi aussi, se contenta de répondre Olivia sans regarder sa sœur.
Puis elle sortit de la chambre sous le regard déchiré et impuissant de Rachel, tandis que le bras de celle-ci revenait doucement le long de son corps.
Olivia se mit à courir sans but, dans la fraîcheur et le silence de la nuit. Pendant longtemps, elle poussa ses muscles à avancer sans répit jusqu'à ce qu'elle les sente protester de douleur. Elle espérait ainsi expulser la plus infime parcelle du sentiment d'angoisse qui l'avait étreinte durant son sommeil. Chaque goutte de sueur qui perlait lui donnait l'impression de chasser les éléments toxiques que ce cauchemar ne manquait jamais de faire couler dans ses veines. Les sensations de manquer d'air, d'étouffer de douleur, de mourir d'impuissance, de se laisser submerger par la peur. Voilà ce qu'elle voulait évacuer de son système en poussant à bout les limites de son organisme. Un esprit sain dans un corps sain. Epuiser son corps pour épuiser ses tourments. Mais elle finit par admettre que cette bataille était perdue. Son corps criait grâce mais sa tête demeurait torturée. Alors elle arrêta de fuir et s'assit sur un banc proche, à bout de souffle. Elle reconnut soudain l'endroit près de l'étang, où elle avait eu cette conversation avec Peter au sujet de leur première affaire ensemble. Le Sort avait voulu qu'elle atterrisse ici. Sans pouvoir s'en empêcher, un rire de démente s'échappa de sa bouche, mais se transforma rapidement en sanglots anarchiques et oppressants. En un geste vain pour se maîtriser, elle ramena ses jambes sur sa poitrine et les entoura de ses bras, la tête enfouie dans ses genoux. Mais au lieu de se contenir, elle lâcha prise. Alors dans la nuit froide et impassible, elle versa son tribut de larmes douloureuses à la Souffrance. Sans chercher à les réprimer, ni se soucier d'être surprise dans ce dégradant état de faiblesse qu'elle répugnait tant à s'abandonner.
