Il devait être vers dix huit heures trente, la rame de métro dans laquelle j'étais inconfortablement assis était bondé de gens de tous types, des cravateux médisants, des racailles antipathiques, des femmes aux allures de star de la téléréalité, superficielles à en vomir. Et au milieu de ça, il y avait moi, un pauvre bouffon, le regard vague. Sans vie.

Metro, boulot, dodo, metro, boulot, dodo. Encore, encore et encore. Depuis que j'ai passé le bac, ma vie se résume à cette boucle qui visiblement ne veut plus en finir.

Je suis un étudiant en faculté de droit. Ouaip'… là ou tombent tous les idiots dans mon genre qui ne savent pas ce qu'ils veulent foutre de leur vie, tout à fait.

Oh, c'est pas faute de pseudo-intelligence hein. Depuis le début de ma scolarité, on ne tarie pas d'éloge sur moi. D'ailleurs, il n'était pas rare, quand j'étais petit, que la directrice de mon école primaire invite ma mère à des diner, exprès pour me faire venir. Et à chaque fois c'était la même chose, et allez que je cire les pompes de votre bambin en trouvant toutes les formulations possibles et imaginables pour dire qu'il est intelligent. Et allez que je le pose devant une équation a une inconnue et qu'il me la résout. Et allez que je le présente à tous mes amis enseignants en leur disant à quel point ce petit garçon est formidablement intelligent… et gnagnagni et gnagnagna, ta mère sur le lave linge…

Ouaip' j'emmerde mon ancienne directrice de primaire. En fait, j'emmerde tout le corps enseignant et le système scolaire obsolète de ce putain de pays. Ce système décadent qui évalue l'intelligence des gens avec un système de notation, qui ne laisse aucune place à la personnalité de l'élève, à sa curiosité, à son éloquence et toutes ces petites variables qui font que noter l'intelligence des gens sur une échelle de zero à vingt est aussi idiot que de croire à un soit disant dieu tout puissant qui t'enverrai en enfer si t'as été vilain et au paradis si t'as été un gentil monsieur ou une gentille madame.

Enfin bref, je m'égare, vous avez sans doute compris quel genre de personne je suis. Un soit disant génie à l'école, qui se tapait des dix neuf et demi de moyenne en permanence et dans toutes les matières et sans travailler. Mais dénué d'une quelconque curiosité, d'un quelconque intérêt pour les matières qu'on me faisait étudier. Pourquoi me demanderez vous ? Tout simplement parce que ce monde a très vite perdu tout intérêt à mes yeux.

Je n'ai jamais connu mon père biologique, je pense qu'il a du se faire la malle comme un lâche quand ma mère est tombée enceinte de moi. À l'âge de 8 ans, ma mère s'est remarié avec un homme, un blond d'origine russe, qui la battait régulièrement… puis ma mère est morte des suites des mauvais traitements… puis mon beau père s'est fait arrêter pour une liste de délits aussi longue que le bras tous liés de près ou de loin avec des affaires de corruption, de chantage. Et au final, je me suis retrouvé sans famille. Enfant au milieu d'autres dans un orphelinat parmi de nombreux autres.

L'orphelinat s'était démerdé pour me payer un psychiatre, soit disant parce qu'il était capital pour moi d'avoir un accompagnement psychologique après avoir perdu un proche parent et avoir vécu au côté d'un criminel notable. Ainsi, toutes les semaines, j'étais sensé me rendre dans ce cabinet à l'odeur désagréable, et une vieille femme approchant la cinquantaine essayait tant bien que mal de me faire sortir de mon silence dédaigneux. Mais il était déjà trop tard, j'étais devenu un authentique misanthrope, pragmatique au dernier degré. Une machine dénuée de sentiments comme la sympathie, l'amitié, l'amour. Seule un profond sentiment d'amertume me rattachait à mon immonde condition d'être humain.

Je me souviens très clairement qu'à m'a première séance, sans doute pour briser la glace, cette psychiatre m'avait demandé « Et donc, qu'est ce qui t'intéresses dans la vie ? » ce a quoi j'avais répondu un sobre et monotone « Rien. ». Elle a continué à me pousser avec le traditionnel et écœurant « Et tu veux faire quoi plus tard ? », comme si à 9 ans, on avait une idée précise de ce qu'on voulait devenir, une fois adulte, soit disant mature et accompli. Son attitude qui se voulait gentille et attentionnée me donnait envie de vomir, je me suis donc permis de lui faire comprendre en répondant à sa question par un très net « j'en sais rien et honnêtement je m'en fout. »

Visiblement choquée, elle avait essayé de me pousser encore plus avant. « Et pourquoi tu ne serais pas motivé par la justice ? Pour éviter que d'autres enfants ne se retrouvent dans la même situation que toi ? pourquoi ne pas devenir policier, enquêteur, ou procureur ? » je me souviens très bien lui avoir ris hautainement au nez. « madame, la justice est un mensonge, la justice arrive toujours trop tard, et fait croire à la sécurité. mais en réalité, elle n'est là que pour nous rassurer dans notre médiocrité. » après ça, elle a encore essayé de m'ouvrir au monde, de me faire sortir de ma misanthropie, en vain. Puis la séance s'est terminée. Et elle m'a posé une dernière question « pourquoi ne m'aimes tu pas ? », ce à quoi j'ai répondu, sans même la regarder « parce que votre gentillesse n'est qu'une façade. Vous êtes comme un immeuble délabré dont on aurait seulement repeint les murs. Car au fond, vous n'attendez qu'une chose, que je sorte de votre cabinet qui sent pas bon et que mon accompagnateur vous remette l'argent que vous attendez depuis le début de la séance. ». Je suis sortit sans attendre de réponse. Car je savais pertinemment qu'elle n'avait rien à répondre à ça. Inutile de préciser que je n'ai jamais revu cette femme de ma vie.

À l'âge de 16 ans, en combinant des petits boulots et les aides de l'état, je suis parvenu à acheter un tout petit studio. C'était minuscule, mais au moins j'étais seul et indépendant.

Un tremblement violent me réveilla de ma torpeur, je regardait ma montre, dix neuf heures, je vérifiait la station à laquelle je me trouvait… j'étais au terminus, a force d'avoir l'esprit ailleurs, je ne m'étais pas rendu compte que j'avais dépassé la station ou je devais m'arrêter.

Je soupirai pendant que les derniers passagers sortaient de la rame. Je saisi mes affaires, vérifiai derrière moi que je n'avais rien oublié, me levai et sorti à mon tour.

Bon, bah j'ai plus qu'à faire le reste du chemin à pied. De toute façon c'est pas comme si je devais travailler ou comme si quelqu'un m'attendait à la maison…

Je sortis de la station souterraine, et je fus surpris de voir qu'il s'était mis à neiger dehors… après tout, on est déjà en février...

Je pris un moment pour regarder autours de moi. Il neigeait vraiment beaucoup. Le sol avait déjà commencé à se recouvrir d'une très légère couche de blanc. Les flocons qui tombaient du ciel rendaient le paysage très beau, finalement, c'était pas si mal que j'ai loupé ma station.

Comme je n'avais pas besoin de travailler, je sortais souvent, et je connaissais assez bien ma ville. Je décidai donc de passer par de petites ruelles, afin d'allonger encore mon trajet jusqu'à chez moi, ou le temps m'aurait de toute façon paru trop long, faute d'avoir quelque chose pour m'occuper.

Soudain, au détour d'une ruelle, mon regard aperçu petite fille, à peine couverte, les yeux larmoyants, les joues et les yeux rouges, grelottante à cause du froid.

Je la dévisageait assez intensément, l'esprit partagé entre l'horreur ou la surprise…

-"petite ? Tu… es perdue ?"

Elle sursauta, et me regarda comme un lapin surpris trop effrayé pour bouger. Visiblement elle ne m'avait pas remarqué.

-"tu… as perdu tes parents ?"

Sa bouche s'ouvrit mais il n'en sortit aucun son… comme elle ne semblait pas décidée, je décidai de la détailler du regard.

Elle avait de longs cheveux d'une couleur blond clair, mais ils étaient malheureusement très sales. Des yeux de couleur bleu glace très beau, et, paradoxalement, très chauds illuminaient son visage d'une lueur splendide. Son visage était rouge, recouvert de larmes. Quant à ses vêtements, c'est à peine si j'osais les regarder tant ils étaient pitoyables, sales, déchirés, légers, couvrant à peine sa peau à des endroits qui ne devraient pas être vus.

Enfin, elle se décida à parler.

-Maman m'a appris à ne jamais parler aux inconnus.

Cette remarque… bien que banale, me désarçonna… pour une raison que j'ignorait, cette fille m'inspirait un étrange sentiment de chaleur…