Chapitre 1 : Un regard
Ce jour-là ressemblait à tous les autres pour Clarke. Elle se leva en quatrième vitesse, en retard, prit une douche rapide, s'habilla avec les premiers vêtements qui lui tombaient sous la main, prit une tartine qu'elle fourra dans sa bouche et sortit de son appartement, avec son sac à main et son sac de cours. Est-ce que j'arriverai un jour à ne pas être autant en retard ? Se demanda-t-elle en insérant la clé de son appartement dans la serrure et en le verrouillant. Avant de partir, elle s'assura qu'elle avait bel et bien fermé la porte de son petit chez-soi. Non pas qu'elle ait de grandes valeurs, mais c'était son espace personnel et elle ne voulait pas que quiconque puisse y entrer. Elle dévala les escaliers quatre et quatre et courut en direction de la gare qui, heureusement pour elle, n'était pas très loin.
Elle vivait un peu en dehors de la ville, dans un appartement qui aurait fait fuir beaucoup de gens. Il était un peu délabré, mais elle trouvait que cela le rendait plus authentique. Comme c'était un appartement en attique, il y avait des poutres apparentes au plafond, en travers de celui-ci et également contre les murs. Le plancher était usé, mais au goût de Clarke, c'est cela qui faisait tout son charme. Elle avait un grand salon dans lequel elle avait installé un immense canapé face à la grande baie vitrée qui donnait sur la forêt juste à côté, ce qui était ce qu'elle préférait dans son appartement car la luminosité donnait à ce dernier, ainsi qu'à ses toiles, une ambiance toute particulière, sans parler de la vue de la forêt dont les différentes teintes de vert ne cessaient de la surprendre et de l'émerveiller, puisque le vert était sa couleur préférée.
A gauche de son canapé se trouvait un chevalet, un tabouret et une petite table sur laquelle se trouvait des crayons, différentes peintures et autres ustensiles dont elle avait besoin pour ses toiles. Sur son chevalet, elle avait installé une petite lampe dont la lumière éclairait la toile ou la feuille sur laquelle elle travaillait. A la droite de son canapé, il avait sa chambre à coucher. A gauche de son petit atelier, il y avait une petite cuisine légèrement ouverte qui faisait également office de salle à manger, quand elle ne mangeait pas sur son canapé. Juste après la cuisine se trouvait la salle de bains qui n'était pas assez grande pour comporter une baignoire, mais ce n'était pas indispensable à la jeune femme, tant qu'elle pouvait se doucher, elle était contente.
Derrière son canapé se dressait une bibliothèque dans laquelle trônait quelques livres, quelques photos, mais surtout une chaîne hifi. Elle aimait beaucoup écouter de la musique classique pendant qu'elle s'abandonnait à son art, cela stimulait toujours sa créativité. Sur ses murs, elle avait accroché quelques toiles de ses artistes préférés et une de ses toiles personnelles qui représentait son père. Ce dernier était mort il y avait maintenant un peu plus de six ans et sa perte avait causé à Clarke un vide qu'elle ne savait toujours pas comment refermer et qui lui causait toujours autant de peine.
Oui, elle aimait vraiment son appartement, même si elle devait prendre le train chaque jour pour se rendre à la fac des beaux arts, mais cela ne l'embêtait pas, au contraire, elle ne voudrait jamais lâcher ce cocon contre un appartement plus proche de sa fac, d'autant plus que le trajet en train n'était vraiment pas très long. Et puis, pour être franche, ces trajets en train lui donnaient toujours de nouveaux sujets à dessiner ou à peindre, des nouvelles scènes de la vie à observer et à reproduire.
Elle arriva à l'arrêt juste à temps pour sauter dans le train avant que les portes ne se referment. Pfiouh, c'était moins une ! Clarke, il faut vraiment que tu fasses un effort. Elle s'arrêta à la borne qui se trouvait à droite des portes pour trouver son siège. Comme d'habitude, cette dernière était hors d'usage et elle ronchonna contre ce service qui n'avait jamais été fichu de fonctionner depuis qu'il avait été mis en place. Encore un peu essoufflée de sa course pour prendre son train, elle profita de prendre quelques grandes respirations avant de se frayer un chemin jusqu'à un siège sur lequel elle s'affaissa en soupirant.
Après quelques minutes, ses yeux bleus se mirent à observer les gens qui l'entouraient en quête de son prochain dessin. A sa droite, un homme d'affaires dans la quarantaine, regardait sans cesse la montre qu'il portait au poignet gauche et passait nerveusement sa main droite sur son costard afin de lisser les plis qui se formaient. Elle l'étudia plus attentivement. Même d'où elle était, elle remarqua facilement les quelques gouttes de sueur qui coulaient sur sa tempe gauche. Elle devina aussi facilement qu'il avait les mains moites quand elle réalisa qu'il lissait son costard un peu trop souvent. Une mallette marron trainaît entre ses deux pieds et elle nota le léger tremblement involontaire de sa jambe droite. Mmmh, soit c'est son premier jour dans une nouvelle entreprise, soit il est en retard. Dans tous les cas, il est vraiment stressé. Clarke fut désolée pour cet homme qu'il soit aussi pressé et ne puisse profiter du paysage qui défilait. En plus, je suis sûre qu'il pourrait se détendre un petit peu et oublier ses soucis l'espace d'un instant.
Son regard se détacha de l'homme d'affaires et glissa un peu plus loin. Des adolescentes s'étaient rassemblées en groupe et chuchotaient en jetant régulièrement des coups d'oeil à un groupe de trois garçons qui étaient situés en face d'elles. Ces derniers, bien conscients de l'attention qu'ils suscitaient, souriaient de fierté et bombaient un peu plus le torse pour montrer que les filles avaient raison de s'intéresser à eux. Les jeunes filles rigolaient à chaque fois qu'elle regardaient les garçons et après avoir partagé un regard de connivence avec les autres filles du groupe. La blonde remarqua alors qu'une des jeunes filles, une noiraude aux yeux bleus, qui était au centre de son groupe de copines, avait les joues teintées d'un joli rose pale et qu'elle souriait timidement à l'attention d'un des garçons, baissant de temps en temps les yeux et la couleur de ses joues s'accentuant encore un peu plus après avoir échangé un regard avec le garçon qui faisait battre son coeur. Ah, les amours de jeunesse, c'est à la fois beau et triste. D'ici une semaine ils se tiendront par la main et se feront des baisers pudiques. Clarke se réjouit à l'avance de pouvoir assister à l'évolution de cet amour naissant.
Ses yeux bleus perçants dérivèrent encore un peu. Entre le groupe d'adolescentes et l'homme d'affaires se trouvait une jeune maman qui jouait avec son bébé posé sur les genoux. Elle observa particulièrement la maman. Son visage démontrait une certaine fatigue, mais ses yeux brillaient de milles éclats et d'un amour pur et infini tandis qu'elle tenait les mains de son enfant. Tantôt elle lui souriait tendrement, tantôt elle lui faisait des grimaces afin de le faire rire. De temps à autre, cela marchait et Clarke entendait alors un espèce de gazouili qui laissait transparaître à quel point le bébé était heureux. J'aimerais bien pouvoir dessiner ou peindre les sons de la même manière que ce bébé laisse transparaître ses émotions dans sa forme la plus pure. Clarke était émue de la façon dont cette mère et son enfant partagaient un lien aussi impénétrable et fort. Le plus beau c'était qu'ils étaient complètement dans leur bulle, comme s'ils n'étaient pas conscients du monde qui les entourait, qu'ils étaient seuls sur terre. Elle les regarda encore plusieurs minutes, prenant soin de mémoriser chaque détail, sachant que cette maman et son enfant allaient finir sur une de ses toiles un jour ou l'autre.
Enfin, elle posa son regard sur les derniers passagers qui se trouvaient dans le même compartiment qu'elle. C'était un couple de personnes âgées qui se tenaient par la main en souriant. L'homme avait posé son chapeau sur les genoux, le tenant avec sa main droite. Sa main gauche tenait tendrement la main plus petite, fine et gracile de son épouse. Clarke ressentait que l'homme dégageait une aura protectrice et elle ne doutait pas une seule seconde que celui-ci aurait fait n'importe quoi pour sa femme. Elle retrouva le même sentiment de protection dans ses yeux bruns, qui tendaient légèrement vers le vert, ainsi qu'une dévotion sans borne à sa tendre moitié. Cette dernière, avait les cheveux attachés en un chignon un peu lâche, une paire de lunettes rouges se tenait au bout de son nez fin. Ses yeux verts étaient vifs et transperçants, ainsi qu'une douceur infinie. J'aimerais bien connaître leur secret pour être aussi heureux ensemble à leur âge. Leur bonheur évident fit sourire la jeune femme et les étudia encore quelques minutes, jusqu'à ce qu'elle arrive à son arrêt et doive partir. Eux aussi finiront sur une de mes toiles.
Quand le train s'arrêta et que les portes s'ouvrirent, Clarke sortit rapidement et marcha en direction de sa faculté en pressant un peu plus le pas pour arriver jusqu'à l'entrée de cette dernière. Elle s'arrêta alors pour regarder les esacliers qui menaient jusqu'à l'entrée de la vieille bâtisse. Ce monument était une oeuvre d'art en lui-même. Deux colonnes romaines ornaient l'entrée de part et d'autre dont le toit avait construit en coupole. Celle-ci était dorée à l'extérieure, comme à l'intérieur, et était parsemée de différents vitraux multicolores qui ne manquaient pas, quand le soleil venait à les transpercer de ses rayons, à éclairer le hall en marbre blanc de milles et une couleurs. Entendant la cloche qui sonnait le début des cours, la jeune femme soupira avant de monter les marches en courant.
Clarke ne fit que courir toute la journée, sautant d'un cours à un autre, sans qu'elle puisse se rendre compte à un seul instant du temps qui passait. Quand résonna le son de cloche de son dernier cours, le corps de la blonde se détendit quelque peu et elle soupira d'aise. Elle réalisa ensuite que sa journée était passée aussi rapidement qu'un éclair qui zèbre le ciel un soir d'orage et qu'elle n'avait pu, à aucun moment, profiter d'une minute de répis et cela l'avait complètement exténuée. Elle se réjouissait déjà de rentrer chez elle, de pouvoir se mettre en pyjama et de s'affaler sur son canapé. Seulement, il faut croire que le destin avait d'autres plans pour elle que de passer sa soirée tranquillement.
Elle rangea ses affaires et sortit de la faculté d'un pas lent, profitant du vent qui rafraichissait son visage et balayait des cheveux blonds, prenant une longue inspiration. L'air frais s'engouffra dans ses poumons et cela la réveilla un petit peu. Elle expira lentement, souhaitant pouvoir se débarasser du stress qui l'avait accompagné tout le jour. Arrivée à la gare, elle prit place sur un des bancs pour attendre son train qui atteignit la station une dizaine de minutes plus tard. Lorsqu'elle s'effondra dans un des sièges, elle ne prit même pas le peine d'observer les gens autour d'elle, elle était bien trop fatiguée pour s'adonner à cet exerice. Elle ne pensait qu'à une chose, son canapé bien moelleux qui n'attendait qu'elle.
Quand elle descendit à son arrêt et avant de s'éloigner de la station, sans savoir exatement pourquoi, elle lança un dernier regard au train et à ses passagers et ses yeux bleus tombèrent nez à nez sur des magnfiques yeux bruns qui la dévisageaient à travers la vitre. Aussitôt, elle sentit un frisson qui parcourut son échine. Ses lèvres s'entrouvrirent quelque peu devant la profondeur de ce regard, puis elle étendit sa vision à son propriétaire et ne fut même pas surprise de constater à quel point il était beau.
Le jeune homme semblait avoir quelques années de plus qu'elle, ses cheveux tombaient en belles boucles brunes sur son front et de part et d'autre de son visage. Clarke eut tout de suite envie de glisser ses doigts dans ses cheveux, tellement ceux-ci avaient l'air aussi doux que de la soie et, elle était convaincue que c'était bel et bien le cas. Sa peau était plus foncée que la sienne et quelques légères tâches de rousseur s'étalaient sur son nez et ses joues. Quand il remarqua le regard appuyé, presque dévorant, que Clarke lui lançait, celui-ci afficha alors un sourire satisfait qui fit louper un battement au coeur de la jeune femme. Ils continuèrent de se fixer jusqu'à ce que le train ne démarre et parte. Quand il fut partit, la blonde réalisa que ni l'un ni l'autre n'avait rompu leur échange jusqu'à ce qu'ils ne puissent plus se voir.
Quand le froid commença à engourdir son corps, Clarke prit enfin le chemin de son appartement dans un état second, sans cesser de penser à ce bel inconnu une seule seconde. Elle passa la porte de son appartement, retira ses chaussures, laissa tomber ses affaires sur son canapé quand elle passa à côté et fila directement s'installer à son atelier, comme un automate. Elle prit place sur son tabouret et plaça un support sur son chevalet, puis une feuille de papier vierge au format A3 et alluma la petite lampe pour pouvoir travailler correctement. Sans quitter la feuille des yeux, ses doigts attrapèrent un de ses fusains, sachant pertinemment et sans aucune hésitation que c'était la meilleure méthode pour rendre justice à la beauté du jeune homme.
Pendant des heures, et armée uniquement de son fusain, elle traça les traits de son visage, de chacune de ses belles boucles soyeuses, de ses lèvres fines, de son nez, de ses yeux chocolats à la profondeur infinie, comme si tous les secrets et les promesses de la Terre étaient enfouis dedans, de ses discrètes tâches de rousseur. Elle s'acharna ensuite à obscurcir ou éclairer certaines parties de son visage, jouant avec les ombres pour donner toutes les émotions qu'elle avait pu lire sur son visage ou au travers de ses beaux yeux bruns lors de leur bref échange.
Elle passa légèrement un mouchoir sur quelques traits dans ses yeux afin de les flouter quelque peu, puis, après avoir reposé le mouchoir, elle se leva de son tabouret, fit quelques pas en arrière et regarda son dessin dans son ensemble. Grâce à son excellente mémoire photographique, elle pouvait reproduire des scènes ou des gens de manière assez fidèle. Toutefois, bien que le rendu était plutôt bon, elle n'était pas entièrement satisfaite de son portrait, comme s'il manquait quelque chose de vital afin qu'il soit enfin complet.
Si Wells était là, il dirait certainement que ce dessin est excellent, peut-être qu'il dirait que c'est une de mes meilleures oeuvres depuis... elle tourna légèrement la tête pour regarder la toile qui représentait son père et qui était accroché non loin de la bibliothèque. Oui, et bien que cela lui faisait beaucoup de peine de l'admettre, le portait qu'elle avait fait de l'inconnu était encore mieux que celui qu'elle avait de son père. Je crois même que c'est la première fois que je dessine aussi bien, pourtant... il manque indéniablement quelque chose, mais quoi ? Se demanda-t-elle en scrutant minutieusement le portrait, détail par détail en se repassant la scène de leur échange dans sa tête pour essayer de mettre le doigt sur ce qui lui avait échappé. Qu'est-ce que j'ai bien pu oublier alors que cet échange était aussi intense ? Après avoir examiné plusieurs fois le portrait et tous les détails possibles, elle finit par se détourner du portrait en râlant quelque peu, n'arrivant pas à savoir ce qui faisait cruellement défaut au portrait du bel inconnu.
Elle passa dans sa petite cuisine afin de se préparer quelque chose à manger, réalisant que son estomac commençait à crier famine. Elle en profita également pour regarder l'heure. 00h37 ?! J'ai passé plus de sept heures trente sur ce dessin ? Wow, c'est un record ! Normalement, je n'arrive pas à rester concentrée aussi longtemps sur un même projet. Quand elle avait un sujet en tête, elle était toujours plongée dans une espèce de transe, où le temps s'arrêtait et où plus rien d'autre ne comptait à part son dessin, ni la faim, ni la soif, ni la fatigue. A ce dernier mot, elle sentit toute la fatigue qu'elle avait ressentie à la fin de ses cours, plus celle de son travail lui tomber dessus comme un marteau sur une enclume.
A chaque fois c'était pareil, chaque fois qu'elle était dans sa transe, celle-ci se terminait soit quand son estomac lui faisait remarquer qu'elle n'avait rien avaler depuis bien trop longtemps ou encore quand la fatigue était tellement pesante que ses paupières commençaient à se fermer par elles-mêmes. Sa transe pouvait également finir une fois qu'elle avait reposé son crayon, son pinceau ou, dans le cas présent, son fusain mais c'était assez rare car cela signifiait que rien n'était plus vital que son travail. Dans tous les cas, la vie reprenait son cours normal tout en lui laissant une impression douce amère que le temps avait continué sans elle. Quand son léger repas fut prêt, elle se tourna et prit place à sa "salle à manger", qui faisait office de plan de travail, et fit face à son dessin, voulant à tout prix trouver ce qu'il lui manquait, mâchant distraitement chaque bouchée, ses yeux bleus scrutant la feuille de papier, comme s'ils cherchaient à accuser la feuille de lui cacher quelque chose d'existentiel.
Quand elle eut fini son assiette, elle se tourna et la plaça dans l'évier. Il était trop tard pour faire la vaisselle maintenant, elle avait besoin de dormir, surtout que son premier cours n'était pas celui qu'elle préférait, enfin, c'était surtout son professeur qu'elle n'aimait pas vraiment. Elle se dirigea vers son canapé, prit son manteau et son sac à main. Elle accrocha le premier objet à une paterre juste à droite de la porte d'entrée, ainsi que son sac à main avant d'en exitrper les clés de son appartement, qu'elle glissa dans la serrure pour verouiller la porte pour la nuit. Elle rangea ses chaussures qu'elle avait laissées trainer au milieu du chemin puis se dirigea ensuite vers sa chambre pour se mettre en pyjama. Une fois cela fait, elle rejoignit la salle de bain afin de faire sa toilette et, de désespoir, lança un dernier regard au portrait du beau brun pendant qu'elle se lavait les dents, attendant presque que la réponse à sa question lui apparaisse miraculeusement.
Malheureusement, rien ne lui apparu et, n'y tenant plus, la fatigue se faisant trop pesante, elle repartit dans sa chambre, se coucha dans son lit et s'enfouit sous son duvet en se demandant, pour la première fois depuis qu'elle avait croisé le regard du jeune homme, qui il pouvait bien être et, plus important encore, si elle le reverrait un jour. Elle s'endormit sur cette pensée, un léger sourire aux lèvres et, cette nuit-là, ses rêves furent peuplés de son bel inconnu.
