Note de l'auteur : Cette fic fait partie de l'univers plus large de Voltron : Duality. Vous n'avez pas à lire le reste de cette série pour tout comprendre, mais sachez que cela prend place dans un univers alternatif où c'est Matt Holt qui a échappé aux Galras et s'est écrasé sur Terre, pas Shiro.

Note de la traductrice : Tout est dit par l'auteur, je n'ai qu'une chose à rajouter - bonne lecture :D


Chapitre 1

Karen Holt

— Ils nous cachent quelque chose, maman ! Tu le sais !

La frustration de Katie était comme une chose vivante qui s'engouffrait dans la cuisine pour s'en prendre à la patience de Karen, grondante et impatiente. Elle ne savait pas si sa fille avait délibérément choisi d'avoir cette conversation pendant que Karen jonglait avec deux poêles et une casserole de pâtes à moitié cuites, ou si c'était l'univers qui lui disait de rassembler sa patience.

En vérité, Karen Holt n'était pas une femme patiente. Elle l'avait fait croire à de nombreuses personnes pendant très longtemps, mais c'était avant qu'elle ne perde la moitié de son univers. Sam avait toujours été sa voix de la raison. Doux, imperturbable et perpétuellement optimiste, Sam Holt était tout ce que Karen n'était pas. Sa langue acérée et sa personnalité belligérante lui avaient bien servi au tribunal, mais elle s'était forcée à apprendre une nouvelle sorte de langage cinglant pour faire face à ce monde d'hommes hautains et bureaucrates que formait la Garnison Galactique.

Treize ans après avoir mis au monde sa fille, Karen apprenait toujours les règles de cette arène particulière.

— Katie, ce n'est pas le moment.

Katie grogna de cette façon gutturale qui annonçait une dispute.

— Arrête de dire ça, maman. On manque de temps !

Karen baissa le feu et lui accorda toute son attention.

— Très bien. Tu veux en parler maintenant ?

— Oui !

— D'accord. C'est hors de question.

Quoi ?

Katie jeta le dossier rempli de papier qu'elle avait pris avec elle pour faire valoir son argument. (Et bien sûr qu'elle l'avait pris avec elle. Bien sûr. Katie était aussi terrible que n'importe quel avocat, à sa façon.)

Croisant les bras, Karen attendit que la tempête passe. Quand Katie se laissa tomber sur une chaise de la table de la cuisine, qui était recouverte de courrier, de cartes de circuit et de coupures de presse, Karen haussa un sourcil.

— Puis-je poursuivre ?

Katie marmonna quelque chose que Karen choisit de prendre comme son accord.

— Merci, votre Honneur, railla-t-elle.

Karen aurait pu faire dorer du bacon sous la chaleur du regard de Katie. Elle se contenta d'un petit sourire vicieux.

— Prenons du recul un instant et examinons ta façon de penser, veux-tu ?

Karen avait pris son ton d'avocate et d'après la courbure des lèvres de Katie, elle le savait. C'était peut-être injuste de sa part, mais c'était un réflexe. Cela faisait deux semaines qu'elle était en congé pour deuil et elle n'avait qu'une envie, celle d'en découdre dans un bon débat.

Et que le ciel lui vienne en aide, Katie était justement la personne la plus à même de la satisfaire.

— Tu n'aimes pas la version officielle de la Garnison. D'accord. Je mentirais si je disais que je n'avais pas essayé de réorganiser les faits pour que la pilule soit plus facile à avaler.

Les yeux de Katie étaient comme deux lampes à kérosène marron lui brûlant le crâne, alors Karen pivota pour faire les cent pas dans la cuisine.

— Mais tu ne t'es pas arrêtée là, oh non. Tu as étudié toutes les options à ta disposition et tu as décidé que la meilleure chose à faire serait de collectionner les chefs d'accusation comme des cartes de joueurs de baseball. (Elle les compta avec ses doigts.) Trois accusations pour intrusion. Deux pour cambriolage. Tout un tas pour cybercriminalité : utilisation illégale, vol de données, piratage informatique et j'en passe et des meilleures.

— Je n'avais pas le choix ! protesta Katie. Ils n'allaient rien nous dire sinon, et–

Karen leva une main pour la faire taire. Elle savait qu'il ne valait mieux pas l'avouer à voix haute, mais une partie d'elle approuvait les escapades de sa fille. Cela la terrifiait, mais si elle avait les compétences de Katie en informatique, elle l'aurait sûrement fait elle-même.

Elle ne pouvait se permettre d'encourager ce genre de comportement.

— Je sais ce que tu penses avoir trouvé, dit-elle, s'efforçant de ne pas montrer qu'elle mentait.

Karen savait exactement ce que Katie avait trouvé et, même si cela ne pouvait faire office de preuve, cela peignait un tableau très clair et très accablant.

— Mais nous avons des chaînes officielles pour ce genre de choses, continua-t-elle. Tu ne peux simplement pas forcer le bureau du commandant Iverson dès que l'envie t'en prend.

— Je ne peux plus, maintenant, marmonna Katie, rougissant quand Karen posa les yeux sur elle. Maman, tu sais que la Garnison se contentera de bloquer tout charabia juridique que tu lui jetteras.

Karen se hérissa au terme charabia, mais ne laissa pas Katie détourner la conversation.

— J'ai ignoré ces histoires de piratage parce que je sais ce que tu traverses. Tu crois qu'ils ne me manquent pas ? Tu crois que je ne violerais pas quelques lois si cela me permettrait de les retrouver en vie ?

Un nœud se noua dans la gorge de Karen et elle se tourna vers la cuisinière pour garder contenance.

— Je sais que tu essayes simplement d'aider, mais t'inscrire à la Garnison, sous une fausse identité, en plus !

Elle faillit rire du culot de la chose. Un an plus tôt, elle en aurait peut-être été fière. Là, elle ne sentait que la peur se resserrant autour de sa gorge.

— Ce n'est pas la voie à suivre. Au mieux, tu seras exclue à la fois de la Garnison et de toute position au gouvernement. Au pire…

— Au pire, je passerai deux-trois ans dans une prison pour mineurs, maman, je sais. Je m'en fiche.

— Tu pourrais mourir, Katie !

La poêle à frire cogna contre le gaz alors que Karen la posait brusquement et se tournait vers la table de la cuisine. Elle était toujours mise pour quatre, bien qu'il n'y ait plus que deux personnes pouvant l'utiliser. (Elles ne l'utilisaient pas. Pas depuis qu'Iverson s'était montré à leur porte en uniforme, son couvre-chef entre les mains. Elles mangeaient sur le canapé, désormais, et laissaient la table de la cuisine se noyer sous les épaves de leur vie chavirée.)

Pour une fois, Katie resta silencieuse, fixant ses chaussettes tandis que Karen se frottait le visage.

— Ton père et ton frère sont morts en travaillant pour la Garnison. Quel est ton but, Katie ? De réussir tout ça… ce Pidge Gunderson et commencer l'entraînement ? Et si tu ne trouves pas les réponses que tu cherches au bout de quelques semaines ? Et s'il n'y a pas de réponses à trouver ? Vas-tu simplement jouer la comédie jusqu'à la fin de ta vie ? Toutes les simulations, tout l'entraînement ? Vas-tu partir pour ta propre mission Kerberos et mourir sur une autre maudite planète ?

— Je…

Katie voûta les épaules en attirant ses genoux à elle. Elle avait pris le journal du dernier vendredi et le découpait méthodiquement en petits carrés d'un centimètre. Ses mains tremblaient.

— Je ne vais pas te quitter, maman. Je ne… Je veux juste…

Quelque chose en Karen dégonfla. Sa colère la quitta et il n'y avait rien pour combler le vide qu'elle laissa. La maison était trop froide, Katie était trop silencieuse et tout dans la vie de Karen perdait son sens sans l'autre moitié de sa famille.

Elle termina de préparer le dîner en silence, servit deux assiettes de poulet aux Fettucine Alfredo et guida Katie jusqu'au canapé du salon. La télé était allumée et passait un téléfilm quelconque. Karen coupa le son. Elle s'assit de côté sur le canapé, tendant les pieds en direction de Katie, qui se blottit de l'autre côté, poussant les pâtes dans son assiette avec sa fourchette. Karen mangea mécaniquement, la nourriture perdant son goût dans sa bouche. Il y avait toujours un moment, quand elle s'asseyait pour manger, où elle se rappelait le dernier repas qu'ils avaient partagé avec Matt et Sam avant qu'ils ne partent pour Kerberos. Elle se souvenait de leur joie, de la manière dont le rire de Katie résonnait dans la pièce.

Pluto, sentant l'humeur morose, posa la tête sur le genou de Karen, l'observant de ses grands yeux tristes jusqu'à ce qu'elle ne le grattouille derrière l'oreille. C'était le chien de Matt, un cadeau pour le féliciter de son diplôme. On l'avait mis au courant de la mission Kerberos quatre jours plus tard et il avait appelé son nouveau chien Pluto pour fêter ça.

Parfois, elle se demandait si Pluto savait que son maître n'allait pas revenir. Il devait avoir senti le chagrin de Katie et de Karen lors des deux dernières semaines, puisqu'il était devenu moins exubérant qu'avant, choisissant plutôt de rester à l'entrée de la pièce à attendre que l'une d'entre elles arrive au bout du rouleau. C'était toujours à ce moment-là qu'il s'approchait, prêt à leur offrir sa propre marque de réconfort.

Avec un soupir, Karen posa son assiette à moitié terminée sur la table basse et se tourna vers Katie. Elle était renfrognée et avait les yeux rouges, mais ne s'avouait pas vaincue. Elle avait hérité de l'entêtement de sa mère, après tout.

— Tu as l'intention de le faire peu importe ce que j'en dis, n'est-ce pas ?

Katie leva les yeux trop lentement pour dissimuler son air coupable.

— Je…

Karen secoua la tête. Elle allait le regretter le lendemain, mais… Je la perdrai plus vite si je la mets dehors.

Je pense toujours que c'est une très mauvaise idée et on en rediscutera si tu ne trouves rien au bout de quelques semaines, mais…

Elle prit une grande inspiration, tint son souffle un moment, puis rit avec une note de désespoir.

— Je n'arriverai pas à dormir la conscience tranquille en sachant que tu te lances seule là-dedans. De quoi est-ce que tu as besoin ?

— Un acte de naissance, principalement.

C'était presque une question, comme si Katie tâtait le terrain pour voir si Karen allait changer d'avis.

Karen ne fit que hocher la tête.

— Je m'en charge. Autre chose ?

Pendant un long moment, Katie resta parfaitement immobile, regardant Karen la mâchoire décrochée et avec l'air d'avoir vu un cryptide traverser la rue. D'un geste, Katie jeta son assiette sur la table basse, poussa Pluto et se jeta sur sa mère. Elle enroula ses bras autour de sa taille, la serrant presque de façon étouffante, et enfouit son visage dans le creux de l'épaule de Karen.

— Merci, maman.

-x-x-x-

Un an après le désastre de Kerberos, presque jour pour jour, le monde de Karen Holt s'effondra une seconde fois.

Un porte-parole de la Garnison Galactique nous a informés que l'accident faisait encore l'objet d'une enquête. Cela prendra peut-être quelques jours avant que des détails puissent être délivrés au public. Ce que nous savons, c'est que l'incident a eu lieu la nuit dernière lors d'un exercice d'entraînement dans le désert près du Parc Naturel des cavernes de Carlsbad…

Karen était assise sur le canapé du salon, les rideaux fermés, seulement éclairée par la lueur de la télé passant les nouvelles du matin. Elle s'était retrouvée exactement au même endroit l'année dernière, à regarder les nouvelles annonçant le désastre de Kerberos. Iverson était déjà passé et Pidge s'était enfermé·e dans sa chambre.

Cette fois-ci, la maison vide semblait dix fois plus grande. Iverson ne viendrait pas, puisqu'il ne savait pas que Karen Holt était lié·e à Pidge Gunderson. Pidge n'était pas en haut, puisqu'iel était…

Le souffle de Karen se coinça dans sa gorge alors que de nouvelles images remplaçaient le présentateur. Il s'agissait des photos utilisées par les élèves de la Garnison pour leur carte d'identité ou tout communiqué de presse. Trois élèves – trois enfants – habillés de l'uniforme de la Garnison se tenaient devant une toile de fond terne, le sourire aux lèvres.

Nous avons reçu la confirmation que trois élèves de dix-sept ans ont été tués dans l'accident. Alejandro « Lance » Mendoza, Hunakai « Hunk » Kahale et Kyle « Pidge » Gunderson avaient récemment complété leur première année d'entraînement spécialisé au titre du projet Combat et Exploration. Ils formaient tous les trois une équipe pour des exercices identiques à celui ayant eu lieu hier soir.

Les mots glissèrent sur Karen, la touchant à peine plus qu'un bruit de fond. Elle ne reconnaissait pas les deux autres garçons sur les photos, bien que Pidge les ait mentionnés assez souvent dans ses messages et ses rares appels. Iel avait peu de compliments à faire à ses équipiers, mais Karen ne put que ressentir de la pitié et de la rage indignée pour les deux étrangers. Le deuil restait au seuil de sa conscience, menaçant, funeste et abstrait. Il s'abattrait sur elle tôt ou tard, Karen le savait, mais le déni était une chose puissante, surtout si elle avait matière à le renforcer.

Son téléphone était chaud dans sa main, la LED rouge clignotante la suppliant de le faire charger. Karen n'était levée que depuis quelques heures, mais elle avait passé tout ce temps à fixer l'écran de dix centimètres, regardant les enregistrements de professionnels et d'amateur qui surgissaient sur Youtube, Twitter et les sites de nouvelles locales.

Karen déverrouilla l'écran, ignorant l'avertissement des 15 % de batterie en ouvrant sa messagerie.

Elle ne pouvait pas savoir si le dernier message de Pidge avait été envoyé avant ou après l'accident de la nuit dernière. Si les nouvelles étaient justes concernant l'emplacement, ce qui était une hypothèse débattable puisqu'elles avaient recraché le faux nom et âge de Pidge, il n'était pas excessif de penser à un mauvais réseau. Pidge aurait pu avoir envoyé le message avant, mais il s'était retrouvé confronté à un désert sans aucun service jusqu'à ce que le corps de Pidge, et son téléphone avec, soit ramené à la civilisation.

Elle ne se laissa pas trop espérer pour le cas contraire : que Pidge avait survécu au présumé accident et avait envoyé le message quelques heures plus tard, une fois en sécurité.

Le timing faisait toute la différence et aucune différence du tout. Karen n'était pas prête à envisager la probabilité d'avoir perdu un autre enfant, alors elle se concentra sur ce qu'elle savait pour fait. Pour la deuxième fois en moins d'un an, la Garnison mentait à propos de la disparition d'un des membres de la famille de Karen Holt et Pidge en avait enfin trouvé la preuve.

Les mots la dévisageaient depuis le fond d'écran noir de son portable, assombri par le mode d'économie d'énergie de l'appareil, mais toujours douloureusement lumineux dans les ténèbres de son salon. Karen les avait lus tant de fois depuis qu'ils étaient quasiment tatoués sur ses paupières, mais elle les relut quand même une nouvelle fois, essayant de soutirer des réponses de ces sept petits mots.

Je l'ai trouvé, maman. J'ai trouvé Matt.

-x-x-x-

Trois heures plus tard, Karen avait réussi à se reprendre assez pour prendre une douche, enfiler une robe conventionnelle et des talons, et se brosser les cheveux. Elle se maquilla en guise de camouflage, un masque calculé pour dissimuler son courroux de Valkyrie aux serpents de la Garnison. Elle ne les laisserait pas voir autre chose qu'une mère et une femme dont la douleur avait été ravivée par un nouveau drame. L'avocate était assoiffée de sang et elle ne voulait pas se trahir avant le bon moment.

Depuis le temps, elle connaissait le bâtiment administratif de la Garnison comme sa poche. Elle s'y était rendue une douzaine de fois au cours de l'année, demandant les effets personnels de Sam et de Matt, parlant à Iverson et aux autres hauts gradés des détails de l'accident qu'ils ne dévoilaient pas lors de leurs conférences de presse, et revenant plus tard en tant que Karen Holt, avocate, utilisant la menace d'une action légale pour soutirer plus d'informations des hommes de fer militaires.

Elle ne put s'empêcher de se pavaner un peu devant la grimace avec laquelle Iverson l'accueillit.

— Je vois que vous ne m'avez pas encore oubliée, Commandant, dit-elle, prenant place en face de lui.

— Mme Holt. Quel plaisir de vous voir. Qu'est-ce qui vous amène ?

Iverson semblait méfiant et complètement déconcerté par sa présence. Bien.

Karen avait passé la matinée à réfléchir. À réfléchir et à écrire. Pour la première fois depuis un an, la table de la cuisine était dénuée de détritus, bien qu'elle ait acquis rapidement une nouvelle couche d'obsession. Tout ce que Karen avait appris en exerçant son influence légale, tout ce que Pidge avait glané des ordinateurs de la Garnison, toutes les possibilités et implications des nouvelles du jour. Tout était étalé sur la table de la cuisine, connecté par des fils rouges et des flèches au marqueur et une utilisation généreuse de post-it. Les tableaux de conspiration étaient une mauvaise habitude que Sam avait transmise à toute la famille comme une grippe particulièrement virulente.

Cela l'aidait à réfléchir.

S'il y avait bien une chose dont elle était certaine quand elle en eut terminé avec sa session de travaux manuels, c'était ceci : quoi qu'il ait pu arriver à Pidge la nuit dernière, Iverson n'avait pas retrouvé son corps. Une autopsie aurait posé certaines questions qui l'auraient directement relié·e à Karen Holt et à son deuxième enfant. Un officier se serait retrouvé à sa porte avant qu'elle n'entende parler de la nouvelle. On l'aurait interrogée et menacée et peut-être, si elle était douée pour mentir, y aurait-il eu des condoléances et une augmentation de son allocation pour l'empêcher de soulever un autre scandale.

Souriant froidement, Karen laissa Iverson mariner un moment avant de prendre la parole :

— J'ai entendu parler de l'accident.

Iverson blanchit, mais se reprit rapidement.

— M'dame, c'est un problème interne et je crains ne pas pouvoir divulguer le moindre détail avant d'avoir complété notre enquête.

— J'en suis consciente.

Karen contrôla son expression, portant le sourire fade qu'elle réservait normalement à l'avocat adverse et aux officiers de la Garnison particulièrement vicieux qui pensaient pouvoir utiliser son mari comme tremplin jusqu'au sommet. Sam avait toujours été trop sincère pour remarquer les manœuvres de politique militaire qui se jouaient autour de lui.

— Je suis seulement passée pour m'assurer que vous possédiez toujours mon numéro. Je reviendrai, bien sûr, mais je pensais que vous voudriez peut-être vous épargner la peine et me délivrer vos trouvailles dès que possible.

— Et pourquoi diable ferais-je cela ?

D'un geste du poignet, Karen sortit une carte de visite.

— La famille d'un de vos élèves décédés m'a contactée ce matin, dit-elle paisiblement. Et je suis sûre que vous vous souvenez à quel point je suis douée pour soutirer des réponses à ce trou purulent de bureaucratie. Il est dans votre intérêt de ne pas m'énerver.

Ayant lancé l'hameçon, Karen se leva et se tourna vers la porte, comptant ses pas. Trois, quatre–

— Attendez.

C'était bon de savoir qu'elle pouvait toujours prédire l'instinct de préservation d'Iverson.

Elle pivota, clignant les yeux.

— Oui ?

— Quelle famille ?

Iverson regardait fixement sa carte de visite comme s'il pouvait la convaincre de se dégonfler et de s'enfuir en courant, puis tourna tout son déplaisir à son encontre.

— De quelle famille vous parlez ?

— Hmm.

Karen passa un pouce le long de sa lèvre inférieure, examinant Iverson de haut en bas. Il semblait fatigué et stressé. C'était peut-être à cause des médias sur son dos. Ou peut-être à cause de tout ce qu'il avait dû faire pour étouffer l'affaire devant les médias.

— Techniquement, il s'agit d'une visite de courtoisie et non d'affaires. Je suis tentée de ne rien vous dire, juste pour voir votre expression… ah, oui. Celle-là. Merci. (Elle haussa une épaule alors que le visage d'Iverson prenait une nuance de rouge pour le moins intéressante.) Si vous voulez savoir… Gunderson.

Le rouge vira à un horrible violet et Karen crut sincèrement qu'Iverson allait avoir un anévrysme si elle continuait de jouer avec ses nerfs.

— Gunderson n'a pas de famille.

Cela la fit rire, d'un rire aussi franc qu'amer.

— Ses proches ne sont pas répertoriés, dit-elle. D'ailleurs, ils ont également dit qu'ils préféraient éviter tout contact direct avec les enfoirés qui ont tué leur enfant – il s'agit de leurs mots, pas des miens – donc à partir de maintenant, tout ce que vous avez à dire aux Gunderson devra passer par moi.

— Vous… Ils…

Iverson chancela, ivre de rage. Il n'avait toujours pas trouvé de moyen de s'exprimer quand crier des ordres n'était pas en option.

— Je devrais vous faire escorter hors du domaine, finit-il par dire.

Karen sourit et balança son sac par-dessus son épaule.

— Ce ne sera pas nécessaire, Commandant. Je vous dis à bientôt.

Elle quitta le bureau d'un pas bondissant d'adrénaline. Elle allait devoir laisser son agenda vide au boulot. Elle ne pouvait techniquement pas demander un autre congé pour deuil, pas tant qu'elle allait jouer la comédie et prétendre travailler pour les Gunderson. Ce n'était pas grave. Bien qu'elle soit rentrée plus tôt de son dernier congé, l'année dernière ne lui avait offert que des petits boulots. Son partenaire serait content de la voir se lancer dans une nouvelle affaire.

Il n'avait pas besoin de savoir à quel point cette affaire était personnelle.