Titre : Still a hunter - Etre un grand frère

Auteur : Na-chan

Bêta-lectrice : Demented Skylark

Genre : AU, angst

Résumé : Et si Mary n'avait pas été celle présente dans la chambre de Sammy cette nuit fatidique du 2 novembre 1983? Jusqu'où Dean est-il prêt à aller pour protéger son petit frère?

Fandom : Supernatural

Disclaimer : L'histoire de Supernatural appartient entièrement à Eric Kripke et à Warner Bros et CW.

Cette idée m'est venue en regardant l'épisode 2x20 « What is and what should never be », en voyant la personnalité de Dean et comment il était alors perçu par sa famille. De plus, The Brotherhood de Ridley C. James et de Tidia m'a inspiré (si vous n'avez pas lu et que vous comprenez l'anglais, allez-y ! lol)

Spoiler : fin de la deuxième saison. Mais une personne n'ayant pas vu ces épisodes ne repèrera pas où se trouve le spoiler.

Still a hunter

Etre un grand frère

Dean promena son regard sur ses jouets, jusqu'à ce qu'un grand ours en peluche entre dans son champ de vision. Sa mère avait décidé que l'ourson était trop grand pour rester sur son lit et il avait dû se rendre à l'évidence lorsque son père en avait fait l'expérience et que la peluche avait pris toute la place.

Le soir même, John était venu dans sa chambre et s'était installé à son chevet pour lui souhaiter une bonne nuit et l'assurer qu'il n'avait rien à craindre avant qu'il ne s'endorme, comme il avait l'habitude de le faire – pour repousser les cauchemars, sa maman lui avait dit.

- Il y a un monstre sous mon lit.

Il remonta les couvertures jusque son nez, seuls ses yeux – rivés à ceux de son père – encore visibles. Il y avait des bruits bizarres lorsque la lumière était éteinte et c'était toujours sous le lit des petits garçons que les monstres se cachaient dans les films.

- J'ai vérifié tout à l'heure Dean, je te promets qu'il n'y a rien. Les monstres n'existent qu'à la télé bonhomme.

Il voulait y croire, parce que son père savait tout et avait toujours la réponse à ses questions, mais sa maman lui avait un jour expliqué que les adultes ne pensaient pas toujours comme les enfants, et que parfois il était dur pour eux de les comprendre. Peut-être que les monstres étaient une chose que seuls les enfants pouvaient voir ? Comme ce film où, lorsque les hommes grandissaient, ils perdaient la faculté de voir les fées.

- Et puis, l'ours veillera sur toi. Maman l'a acheté spécialement pour repousser les mauvais rêves.

Et son papa l'avait embrassé sur le front avant de le laisser seul dans sa chambre. Mais le nounours montait la garde maintenant.

La pièce n'était pas tout à fait dans l'obscurité, sa maman laissait toujours une lampe de chevet allumée, aussi parvenait-il à distinguer la forme rassurante de l'ourson.

Il le fixa du regard longuement.

Tu es un grand frère maintenant.

Il se souvenait du ton fatigué de sa maman et de son sourire lumineux lorsqu'elle lui avait montré pour la première fois Sammy, si petit dans ses bras et pourtant, on ne pouvait voir que lui dans son pyjama vert un peu trop grand. Son papa avait posé une main sur son épaule et il savait qu'il était fier et heureux. Il n'avait besoin de rien de plus pour accepter ce tout petit être dans sa famille.

C'était son petit frère.

Maintenant, il était un grand frère. Ce qui voulait dire qu'il devait veiller sur Sammy, parce que c'était ce que les grands frères faisaient. Même Mme Sally, sa maîtresse, l'avait dit. Alors, il ne comprenait pas pourquoi ses parents avaient refusé de mettre l'ours en peluche dans la chambre de Sam. Lui était grand, il pourrait se défendre ou même crier si un monstre l'attaquait, mais son frère était trop petit, trop faible pour y parvenir. Il avait vérifié avant d'aller se coucher, comme il le faisait presque tous les soirs, et il n'y avait pas de peluches protectrices pour veiller sur le bébé.

Si les parents savaient protéger si bien leurs enfants, alors pourquoi est-ce que tout le monde disait que c'était au grand frère de protéger son petit frère ? Peut-être que lorsque deux personnes avaient plus d'un enfant, elles ne parvenaient pas à les protéger tous aussi bien ?

Ce qui voulait dire que c'était à lui de protéger Sammy.

Il cligna des paupières plusieurs fois mais refusa de s'endormir de nouveau. Au plus il y réfléchissait, au plus il se rendait compte que son petit frère était peut-être en danger. Peut-être même plus que peut-être.

Il ferma les yeux. Puis les rouvrit. Regarda l'ours en peluche. Referma les yeux.

Et il repoussa les couvertures loin de lui avant de bondir hors de son lit. Si Sammy n'avait pas de nounours pour le protéger, lui le ferait. Il ne serait peut-être pas aussi efficace, mais il ferait tout, absolument tout, pour son petit frère.

Il ouvrit tout doucement sa porte et traversa le couloir sur la pointe des pieds. Les murs étaient un peu illuminés, ce qui voulait dire que son père était certainement en train de regarder la télévision. Et Dean n'était pas sûr qu'il apprécie de le voir en dehors de son lit après l'heure du coucher.

La porte de la chambre de Sam était entrouverte, ce qui lui permit de se faufiler à l'intérieur sans peur de se faire entendre. Il devait simplement faire en sorte de rester silencieux.

La pièce était plus sombre que la sienne et il dut rester immobile quelques minutes avant de parvenir à discerner les contours des meubles. Il resta ensuite plusieurs instants pensif : les barreaux du lit de son petit frère étaient hauts et il n'était pas capable de les escalader seul et sans bruits. Enfin, il décida d'utiliser la chaise et la bougea lentement, effrayé de réveiller ses parents. Qui le renverraient dans sa chambre. Et Sam se retrouverait sans protection.

Il rapprocha le dossier des barreaux autant qu'il le pouvait puis se hissa difficilement jusqu'à pouvoir s'allonger sur le matelas. Ce qu'un grand frère ne devait pas faire !!

Enfin, il s'allongea sur le côté, le dos tourné à la porte et le regard fixé sur la fenêtre. Personne ne blesserait son petit frère quand lui montait la garde.

Il sentit dix petits doigts s'accrocher à la veste de son pyjama et il laissa enfin le sommeil l'emporter de nouveau.

oOo

Dean se réveilla avec une sensation désagréable sur la joue, un peu comme si elle était humide. S'ils avaient possédé un chien, il aurait cru que celui-ci avait décidé de le léchouiller pour qu'il vienne s'amuser avec lui.

Il râla un peu, toujours à moitié endormi, et leva paresseusement une main pour s'essuyer. Le liquide était poisseux et un peu collant sous ses doigts, mais chaud. Une odeur âcre envahit ses narines quelques secondes plus tard, achevant de le réveiller.

Il fut pendant quelques instants déstabilisé car il ne reconnaissant pas la pièce dans laquelle il se trouvait. Mais cela ne dura pas longtemps : la chambre de Sammy. Il la connaissait presque aussi bien que la sienne. Et son petit frère, encore tout contre lui, était tout ce dont il avait besoin pour se rappeler qu'il était chez lui.

Un petit rire retentit derrière lui et ce son lui glaça le sang. Parce que son père, lorsqu'il riait, le faisait à pleine gorge, c'était un son chaud et un peu épicé. Sa mère, quant à elle, avait un rire plus discret, plus cristallin aussi et qui résonnait agréablement dans son cœur, le faisant presque automatiquement sourire.

Ce son ne correspondait à aucun des deux.

Il se retourna, lentement, parce qu'il était incapable de bouger plus vite. En même temps, cette lenteur exacerbée semblait l'inciter à stopper tout mouvement, à tourner le dos à ce rire, à faire comme s'il n'existait pas jusqu'à ce qu'il disparaisse.

Mais un grand frère doit protéger son petit frère.

Les yeux grands ouverts, osant à peine battre des paupières, Dean vit enfin – trop tôt, il ne voulait pas – la personne qui se tenait devant le berceau de Sammy.

Il ne distinguait pas grand chose de cette silhouette: une longue cape noire et l'absence de lumières dans la pièce masquaient ses traits. Mais cela ne faisait que faire ressortir encore plus ses yeux. Jaunes. Les deux globes oculaires étaient fixés sur lui, et il pouvait jurer que l'homme – le... montre? – ne clignait jamais des paupières.

Puis les coins de la bouche de l'inconnu se soulevèrent. Dean savait qu'une telle expression signifiait habituellement un sourire, mais cela ne pouvait pas en être un. Parce que, normalement, quand une personne lui souriait, il avait envie de lui offrir un sourire en réponse – toujours. Ici, tout ce qu'il souhaitait, c'était s'enfuir en courant/ disparaître/ que ses parents arrivent/ que cette personne n'existe plus/ que tout ceci soit un cauchemar.

Pas un sourire.

- Dean.

La voix n'avait pas quelque chose de particulier mais le ton, la façon dont cet homme retenait la syllabe de son nom – cela le terrifiait.

Il n'avait jamais eu aussi peur de sa vie.

Il ouvrit la bouche avant même de se rendre compte de ce qu'il était en train de faire, et cria. Ou tout du moins, il voulut crier. Mais aucun son ne sortit de sa gorge, même alors qu'il poussait ses cordes vocales encore et encore – rien.

Son corps se tendit de lui-même, et cela le fit paniquer encore plus – chose qu'il pensait impossible. Il ne contrôlait plus rien – il n'avait aucun impact sur cet inconnu, la terreur qui l'avait envahi le laissait pantelant et tremblant et maintenant, maintenant, son corps ne lui obéissait plus.

Il se rendit compte que tout ceci n'était pas dû à la terreur, que ce n'était même pas de son propre fait, lorsque son corps fut soulevé dans les airs, que plus aucun de ses membres ne fut en contact avec le berceau.

Il essaya de crier encore plus fort, encore et encore, jusqu'à ce qu'il ait l'impression que ses cordes vocales allaient se rompre, mais rien n'y fit. Il n'arrivait pas à penser à autre chose qu'au fait qu'il devait prévenir ses parents et que, pour ça, il devait hurler.

- Si j'étais toi, j'arrêterai de crier. Sinon, tes parents risquent de t'entendre, et alors je serai obligé de les tuer. C'est ce que tu veux, Dean?

Il tenta de démentir en secouant la tête de droite à gauche – ou c'est ce qu'il aurait fait s'il avait pu bouger. Il ne savait pas – il ne savait plus – s'il mettrait ses parents en danger ou non. Il ne parvenait pas à se décider sur ce qu'il fallait faire. Puis il se rendit compte qu'il n'avait pas réellement le choix – que même s'il voulait crier, il ne le pouvait pas.

- Tu continues à vouloir crier, Dean? Tes parents signifient-ils si peu pour toi?

Il serra les poings – autant qu'il le pouvait – et se força à détendre ses cordes vocales. Ce ne fut pas très concluant.

L'homme sourit – et une vague de panique plus forte que les autres le balaya, réduisant à néant tous les efforts qu'il avait faits pour tenter de contrôler sa gorge.

Puis il sentit une douleur atroce éclater au niveau de son ventre. Une douleur comme il n'en avait jamais connue auparavant, rien à voir avec la fois où il s'était écorché le genou ou celle où il s'était coupé la main avec le couteau de son papa ou encore celle où il était tombé d'un des jeux des grands au parc.

Ses yeux s'humidifièrent et se mirent à lui piquer, sa bouche lui sembla asséchée, ses mains étaient moites, son haut de pyjama devenait poisseux contre sa peau – et tout ce qu'il ressentait, c'était cette douleur perçante, abominable à l'abdomen.

Il voulait crier, hurler, parce qu'il souffrait et que cette raison était plus que suffisante, mais il ne pouvait toujours pas.

Et la voix du Monstre, persistante "Je reviendrai pour Sammy, Dean, et alors je le ferai souffrir".

Ce fut ses seuls compagnons lorsqu'il sombra dans l'inconscience, son corps incapable d'en supporter autant.

oOo

John se réveilla brusquement. Un acteur se mit à rire à la télé alors que l'écran projetait des lumières dans toute la pièce. Les douleurs qu'il ressentait dans la nuque et dans le dos lui signalèrent immédiatement qu'il avait dû s'endormir sur le canapé alors qu'il regardait le sport. Il avait eu une journée fatigante au garage et Ted, un de leurs voisins, avait insisté pour qu'il vienne courir avec lui. Il était rentré plus tard que d'habitude, les jambes en coton après autant d'exercices. En somme, ce n'était pas surprenant qu'il se soit ainsi assoupi.

Il soupira et se hissa en dehors du fauteuil, faisant abstraction de ses muscles mis à mal et qui étaient bien décidés à protester contre un tel traitement. Un lit bien chaud et surtout sa femme l'attendaient en haut des escaliers, et c'était plus que suffisant pour le persuader de se rendre à l'étage.

Alors qu'il ne lui restait que deux marches à monter, il se rendit compte de ce qui l'avait probablement réveillé: Sammy était en train de pleurer. Il ne criait pas à pleins poumons, comme il savait si bien le faire, mais il sanglotait d'une telle manière que le son lui parvenait comme étouffé.

Il ne pensait pas avoir déjà entendu de tels gémissements sortir de la gorge de son cadet, et cela l'inquiéta. Ca, et le fait que lorsque Dean n'était encore qu'un bébé, il se réveillait souvent avant même qu'il ne se mette à pleurer. Il s'était définitivement habitué à la vie civile.

Il alluma la lumière du couloir pour voir où il allait et poussa la porte de la chambre de Sam, qui était restée entrouverte. La première chose qu'il remarqua fut que ses deux enfants se trouvaient dans la pièce. Il secoua doucement la tête et pourtant, il ne pouvait s'empêcher de sourire. Il ne se souvenait pas avoir jamais été aussi proche de son propre frère et c'était peut-être pour cela que la scène en face de lui lui semblait si touchante. Et puis, ce n'était pas comme si c'était la première fois qu'il les retrouvait ainsi. Il se demanda brièvement comment ce serait plus tard, lorsque son cadet serait en âge de marcher et de se faufiler dans la chambre de son grand frère.

Il entra finalement dans la pièce, pour rendormir Sammy avant qu'il ne réveille Dean, lorsque l'odeur agressa ses narines. Celle du sang. Il avait été dans l'armée suffisamment longtemps pour reconnaître à jamais cette flagrance particulière, et il avait assisté à suffisamment de batailles pour que son estomac se serre de lui-même en réponse à ce stimulus olfactif.

Sa main trembla lorsqu'il appuya sur l'interrupteur et il ne prit conscience qu'il avait avancé à l'intérieur de la pièce que lorsque les barreaux du lit de son cadet furent à une distance telle qu'il pouvait les toucher du bout des doigts s'il étendait le bras.

- Mary.

Il ne s'entendit pas parler et douta même un moment de sa propre voix : est-ce qu'il avait pensé le prénom de sa femme ou l'avait-il réellement appelée ? Il réitéra – une, deux, trois fois – jusqu'à ce qu'il entende le bruit de ses pas dans le couloir.

Ses mains fonctionnaient en auto-pilote durant tout ce temps et appuyaient sur la plaie pour limiter le flot de sang. Elles avaient vu suffisamment de blessures pour savoir quoi faire, et pourtant, rien n'aurait pu le préparer à ceci, même pas voir ses compagnons d'armes mourir sous ses yeux.

Ses phalanges étaient maintenant rouges.

Sammy s'arrêta soudainement de pleurer, alors même qu'il n'avait rien fait pour le rassurer, et ses petits doigts agrippèrent le haut du pyjama de son frère, là où le tissu était le moins poisseux. Et, pour John, tout sembla soudainement plus réel.

Dean.

- Nom de Dieu, Mary, une ambulance, vite !!

Sa voix était assez forte pour réveiller leurs voisins et Sam se remit à pleurer en réponse. Il baissa aussitôt de ton.

- Shhh, tout va bien Sammy, ne t'inquiète pas, ça va aller. Je suis là maintenant, Dean.

oOo

- Qu'est-ce qui s'est passé ?

Même en murmurant comme elle était en train de le faire, Mary parvenait à prendre un ton menaçant. Sa femme était effrayante, peut-être même plus que ses supérieurs lorsqu'il était encore dans les Marines.

Il frotta le dos de sa main contre son menton. Cela faisait quelques jours qu'il ne s'était pas rasé et le mouvement irrita sa peau, en même temps qu'il calma ses nerfs.

- Je l'ai trouvé comme ça, Mary, je les ai trouvés comme ça tous les deux.

Il laissa tomber son bras le long de son corps et ses poings se serrèrent d'eux-mêmes. Ses phalanges devinrent totalement blanches avant qu'il ne se calme un peu.

- Je n'ai aucune idée de ce qui a pu se passer.

Sa femme posa une main sur son épaule, son autre bras enroulé autour de leur cadet qui dormait dans son giron. Sans un mot, John les attira tous les deux contre son torse.

Ils ne pouvaient qu'attendre le médecin.

oOo

- Hey.

John passa la main dans les cheveux de son fils. Ils commençaient à devenir un peu trop longs.

Dean ferma les paupières, qu'il venait juste d'ouvrir, et pencha la tête sur le côté pour accentuer la caresse. Il rouvrit les yeux une longue minute plus tard, et il paraissait cohérent cette fois.

- Comment tu te sens bonhomme ?

Son aîné ouvrit la bouche pour lui répondre et, au même moment, ses yeux s'arrondirent et son expression se figea sur le coup de la terreur.

- Shhh, tu es en sécurité maintenant, tout va bien.

Mais Dean secoua plus fermement la tête en réponse.

- Papa, Sam.

Sa voix était semblable à celle d'un octogénaire qui avait commencé à fumer lors de ses dix printemps. Le docteur Leil leur avait dit que ses cordes vocales avaient été mises à mal, et qu'il faudrait attendre plusieurs jours avant qu'il puisse parler sans que cela ne le blesse.

- Sam va bien également, ne t'inquiète pas.

- Non, papa.

Dean s'arrêta et avala visiblement sa salive. Il commençait à s'agiter et ses traits se creusèrent un peu plus sous la douleur qu'il ressentait à chaque mot qu'il prononçait – sans parler de son ventre.

- Le Monstre. Il avait des yeux jaunes. Il est venu pour Sammy. Il a dit qu'il reviendrait pour lui. Papa.

- Dean, ne t'inquiète pas, tout va bien maintenant. Les monstres n'existent pas, ils ne peuvent pas te faire de mal.

Son fils ne fit que s'agiter un peu plus, secouant la tête comme pour nier ses paroles. John attrapa en réponse sa main et la couvrit des siennes. Cela fit son effet, et le calma suffisamment pour lui permettre de replonger dans un sommeil réparateur.

L'ancien Marine ne voulait rien de plus que sa femme à ses côtés en ce moment. Il voulait que les services sociaux les laissent tranquilles. Comment pouvaient-ils ne serait-ce qu'imaginer qu'ils étaient responsables des blessures de Dean ?

oOo

Dean se faufila dans le lit de son petit frère et soupira de soulagement. Il se souvenait encore des premières semaines suivant son hospitalisation, où il avait été incapable de franchir les barreaux du berceau. Il avait cru devenir fou et n'avait jamais aussi mal dormi de toute sa vie. Lorsque, un matin, ses parents l'avaient retrouvé dans une chambre qui n'était pas la sienne, ils lui avaient crié dessus pendant plus d'une demi-heure. Il se souvenait encore de s'être réveillé à cause du cri d'effroi que sa mère avait poussé en le voyant dans la même position que celle de la nuit de l' « accident ». Le lendemain, et pendant une semaine, il avait eu droit au même traitement. Mais maintenant, plus d'un mois plus tard, ses parents paraissaient résignés.

Il parvenait presque à dormir toute la nuit, et commençait à se sentir autrement que fatigué – ce qui lui semblait ne pas être arrivé depuis des siècles. Et cela lui laissait d'autant plus de temps pour ressasser son incapacité à protéger son petit frère…

Les doigts de Sammy se refermèrent sur le haut de son pyjama, l'agrippant avec une force insoupçonnée – son petit frère était un futur sportif, sûr – comme il en avait pris l'habitude.

Il put enfin fermer les paupières et se laisser aller au sommeil sans craindre la venue de cauchemars.

oOo

Mary ne prenait même plus la peine de rentrer dans la chambre de son aîné lorsqu'elle allait réveiller ses enfants. Les draps étaient souvent à peine chiffonnés, signe révélateur que personne n'avait dormi dedans.

Elle s'inquiétait, parce que le lit de Sammy n'était pas fait pour un enfant de quatre ans et que Dean n'était pas encore revenu au top de sa forme. Elle s'inquiétait, parce que son fils avait été blessé et que nul ne semblait savoir par qui et encore moins pourquoi. Elle s'inquiétait, parce que les services sociaux les soupçonnaient d'être à l'origine de la blessure. Elle s'inquiétait, parce que son fils n'avait pas prononcé un mot depuis cette nuit du 2 novembre. Elle s'inquiétait, parce qu'il ne souriait plus non plus.

Et pourtant, ils avaient décidé de laisser Dean dormir dans le lit de son frère, parce qu'il semblait que ce soit le seul endroit où il ne faisait pas de cauchemars, le seul endroit où il parvenait à dormir sans s'éveiller en criant. Le seul endroit, ironiquement, où il n'était pas hanté par ses souvenirs.

John était souvent agité. C'était un homme d'actions, et ne pas savoir comment protéger sa famille le minait de l'intérieur. Il était rare que, lorsqu'elle se réveillait pendant la nuit, il soit endormi. Ils ne se disputaient pas, mais semblaient à peine pouvoir se parler, ce qui lui semblait encore pire.

Et le pire était sans aucun doute qu'elle ne savait pas quoi faire.

oOo

Mary rajouta encore un peu de farine pour éviter que la patte ne colle de trop à ses doigts et continua à la pétrir. Elle avait décidé de faire des macarons cet après-midi, et cela lui permettait de surveiller ses deux terreurs qui s'amusaient sur la couverture qu'elle avait disposée dans un des coins de la pièce. Une cuillère en bois, deux casseroles et une aiguille à tricot surmontée d'un bouchon de liège et son cadet riait aux éclats. Si la voix de Dean se mêlait à celle de Sam, elle ne pourrait être plus heureuse.

Une fois satisfaite par l'aspect de sa mixture, elle délaissa la patte le temps d'aller chercher son rouleau à pâtisseries qui, bien sûr, ne se trouvait pas à sa place. Elle fronça les sourcils en tentant de se rappeler quand elle l'avait vu la dernière fois… entre les mains de Sammy ! Aucun doute que l'ustensile se trouvait maintenant dans la chambre de ce petit brigand ! Elle lança un coup d'œil à ses fils – occupés avec les petites voitures en bois de Dean – avant d'aller le récupérer.

Elle l'avait rapidement retrouvé, trônant au milieu des peluches et autres jouets, encore à l'endroit où, vraisemblablement, Dean l'avait laissé. Son aîné quittait rarement Sammy et, quand tel était le cas, il était mal dans sa peau, n'arrêtait pas de gigoter, et faisait tout le contraire de ce qu'on lui disait. Au contraire, lorsqu'il était avec son petit frère, il était calme, et semblait répondre au moindre de ses besoins – il pouvait changer la couche de Sam, et elle et son mari avaient de moins en moins d'occasions de nourrir leur petit dernier tant Dean le couvait.

Elle était au bas de l'escalier, et à quelques pas de la porte de la cuisine, lorsqu'elle faillit lâcher son rouleau à pâtisseries. Dean riait. Il riait comme il ne l'avait plus fait depuis des mois !

Un sourire apparut sur son visage, presque automatiquement. Elle était à deux doigts de téléphoner à John pour lui apprendre la bonne nouvelle. Elle était même à deux doigts d'aller chercher son dictaphone pour l'enregistrer !!!

Elle poussa silencieusement la porte et cligna plusieurs fois des paupières, le temps pour elle d'assimiler la scène prenant place sous ses yeux.

Un des deux avait dû attraper le paquet de farine et l'avait fait tomber, la poudre s'était mise à voler partout et ses garçons commençaient déjà à devenir blancs. Sammy avait les bras en l'air et arborait un sourire faisant trois fois le tour de son visage tout en babillant joyeusement tandis que Dean riait.

Et, alors que sa cuisine méritait plus le nom de champ de bataille, elle se mit à rire à son tour.

oOo

Missouri faisait ses courses, comme elle en avait l'habitude le mardi après-midi. Les magasins étaient souvent peu remplis et, cela étant une activité qu'elle appréciait peu, la corvée était plus rapidement expédiée.

Malheureusement, elle ne semblait pas être la seule à avoir aujourd'hui eu cette idée. A l'entente de son nom, crié depuis l'autre bout du rayon, elle n'eut d'autres choix que de se retourner.

- Jeannine.

Un sourire étira automatiquement ses lèvres alors qu'elle allait à l'encontre de la quinquagénaire. Elle sentait qu'elle allait en avoir pour des heures.

- Et tu as entendu parler du petit Winchester ? Le plus âgé des deux.

Après les aventures du poissonnier, de son voisin de droite, de sa voisine de gauche, de la fille du pharmacien et du petit dernier des Lesage, Jeannine semblait ne toujours pas être à court de potins. Et pourtant, à quand remontait la dernière fois qu'elle lui avait parlé ? Deux, trois semaines au grand maximum.

- Il ne s'est pas retrouvé à l'hôpital il y a cinq, six mois ? Et ils n'ont toujours pas retrouvé le coupable.

Les nouvelles avaient voyagé vite, et toute la ville s'inquiétait qu'une telle chose ait pu se produire dans la chambre même de l'enfant. Les mauvaises langues racontaient que les parents n'avaient jamais été nets, pendant que la grande majorité de la population tremblait encore d'effroi – et s'enfermait à double tour la nuit.

- Celui-là même !

Jeannine avait un sourire plus grand que son visage, tant elle semblait ravie d'avoir capturé toute son attention.

- La police a innocenté les parents, tu te rends compte ?

Missouri avait-elle précisé que Jeannine faisait partie de ces mauvaises langues susnommées ? Mais, autant le reconnaître, elle était une source inépuisable de nouvelles !

- Et ils ont décidé d'emmener le gamin voir un psy. Il n'a toujours pas dit un mot depuis l'accident.

La médium, lorsqu'elle avait eu vent de cette histoire, l'avait presque immédiatement mise de côté. Mais maintenant, alors qu'elle écoutait Jeannine en parler d'une manière si détachée, elle sentit un pressentiment bien familier lui retourner l'estomac. Elle eut un moment de vertige, tant la sensation était forte, et se raccrocha au chariot de sa compagne.

Peut-être irait-elle rendre une visite à cette famille finalement. Et peut-être même demanderait-elle à Jim de l'accompagner.

oOo

Jim appuya sur le bouton de la sonnette. Cela faisait à peine deux jours qu'elle lui avait passé un coup de téléphone, lui faisant part de ses soupçons, et le pasteur était déjà là, prêt à l'aider sans plus de renseignements.

Ce fut Mary qui vint leur ouvrir la porte. Ses cheveux avaient été lâchement ramenés en arrière et elle portait des vêtements confortables. Missouri sut aussitôt que la petite famille se préparait à partir pique-niquer.

La jeune femme lui offrit un sourire en la reconnaissant et salua poliment Jim d'un signe de tête.

- Que puis-je pour vous ?

Sa voix était relativement accueillante, mais ce ne fut pas ce qui les rassura.

- J'ai entendu dire que Dean n'allait pas fort bien.

Le sourire resta en place – mais ce fut la seule chose. L'ambiance se refroidit presque immédiatement et le visage de Mary se ferma.

- Mon fils va bien, c'est gentil à vous de vous être déplacé jusqu'ici pour prendre de ses nouvelles.

- Le pasteur Jim, ici présent, a l'habitude d'aider les enfants ayant vécu un gros traumatisme. J'ai pensé que, peut-être, ce serait une bonne idée de vous le présenter.

L'expression de la jeune femme blonde ne changea pas d'un iota – la partie était loin d'être gagnée.

Dean se trouvait dans le jardin avec Sammy, profitant du soleil de mai. Il faisait chaud et, même s'ils ne portaient que t-shirts et shorts, les vêtements collaient à leur peau.

Son petit frère avait découvert comment se tenir debout sur ses pieds et il tendait maintenant les bras à toutes les personnes passant devant lui dans l'espoir de voir le monde d'un peu plus haut. Il ne savait pas encore que, pour avancer, il fallait bouger ses pieds, aussi remuait-il dans tous les sens pour tenter de faire quelques pas – sans grand succès d'ailleurs.

Il n'imaginait pas ce que cela allait être quand son petit frère se mettrait à gambader partout !

- Bonjour Dean.

Il avait vu une ombre recouvrir la sienne avant d'entendre son nom, et pourtant il sursauta. C'était quelqu'un qu'il ne connaissait pas. Son cœur se mit à battre très rapidement dans sa poitrine et ses mains devinrent moites. Que faisait un étranger chez lui ?

Il ferma brièvement les paupières et prit une profonde inspiration. Ce n'était pas en paniquant qu'il allait protéger Sammy ! Il se retourna alors, faisant bien attention à garder son petit frère derrière lui, espérant peut-être le cacher ainsi aux yeux de tous.

Jim était resté sur le pas de la porte-fenêtre menant sur le jardin, observant les deux enfants, alors que Missouri s'occupait de persuader Mary qu'il valait mieux qu'ils parlent seuls avec Dean. A les voir ainsi, ils ne semblaient pas avoir besoin de leur aide.

Enfin, la médium le rejoignit et ils s'avancèrent ensemble vers les garçons.

- Bonjour Dean.

Lorsqu'elle était auprès d'enfants, Missouri parvenait à entendre leurs pensées comme s'ils les formulaient à haute voix. Ils n'étaient pas assez matures pour organiser leur esprit, pour réfléchir sur plusieurs niveaux à la fois. Elle adorait se trouver auprès de petits, mais en ressortait toujours avec l'impression de cacophonie. Et là, c'était à peine le cas : les pensées de l'aîné étaient troublées et elle ne parvenait à les entendre que par à-coups.

Au contraire, dès que Dean eut pris conscience de leur présence, elle se sentit envahie, engloutie même, par une vague de terreur. Celle-ci ne dura que quelques secondes et pourtant, elle en sortit sonnée et totalement déstabilisée.

L'expression du grand frère était devenue vaguement menaçante. Et le fait qu'il se plaçait devant Sammy n'échappa à aucun des deux.

Jim s'agenouilla pour faire face à l'enfant, espérant ainsi lui paraître moins dangereux, et Missouri recula d'un pas, offrant une certaine illusion d'intimité.

- J'ai entendu dire que tu as eu un accident il y a quelques mois, Dean.

La voix du pasteur était douce et ferme, comme lorsqu'il faisait ses sermons pendant la messe. C'était le genre de ton qui donnait envie de faire confiance à la personne qui l'utilisait. La médium n'eut aucun mal à réaliser que cela n'avait pourtant aucun effet sur l'enfant.

Et fut juste après assaillie par la vision d'un homme dont les traits étaient à peine discernables à l'exception de ses yeux, jaunes. Un rictus déformait son visage et elle entendait sa voix résonner à l'intérieur de sa tête sans pour autant comprendre les paroles. Une nouvelle vague de terreur l'envahit et elle ne sut, cette fois, si elle provenait de Dean ou d'elle-même.

Sa respiration était devenue haletante, réalisa-t-elle avec un temps de retard. Oh God, ce n'était pas surprenant que cet enfant ait perdu la parole !

Elle vint s'accroupir à côté de Jim, toute son attention focalisée sur l'enfant dans l'espoir d'en percevoir un peu plus – bien qu'effrayée par cette même perspective.

- Parle-moi du Monstre Dean.

Les montres n'existent pas.

Elle ne savait pas qui avait prononcé ces paroles au jeune garçon, mais il lui était évident qu'il avait perdu toute confiance dans les autres, dans leur faculté à le croire, à leur suite. Et si personne n'y croyait, comment quelqu'un pourrait-il l'en protéger ?

- Nous savons qu'il existe Dean, murmura le pasteur, et nous sommes là pour t'aider.

L'enfant ne réagit pas à ces paroles, ce qui était positif, parce qu'il ne les rejetait pas, et ce qui était négatif, parce qu'il ne les croyait pas.

- Il y a des gens qui sont là pour protéger les personnes qui, comme toi, ont rencontré des choses dont peu de personnes croient à l'existence. Si tu veux bien nous expliquer ce qui s'est passé, on pourrait retrouver le monstre qui t'a attaqué, et le détruire. C'est ce que tu veux, non ?

Je reviendrai pour Sammy, Dean, et alors je le ferai souffrir.

Lorsqu'elle entendit cette phrase qui résonnait encore et encore dans l'esprit du petit Winchester, Missouri se rendit compte qu'ils venaient probablement de faire une belle erreur. Elle assista, impuissante, au cheminement de pensée du gamin…

- Mais pour ça, il faut que tu nous parles.

Et elle sut qu'il était maintenant trop tard.

- Si je…

Dean s'arrêta et fronça les sourcils. Sa voix était déformée et il devait arracher les mots un par un de sa bouche.

- Entraînez-moi… et je repar…lerai.

Trop tard.

Et, le lendemain, Dean parla pour la première fois en six mois à ses parents. Il leur demanda de l'inscrire à des cours de défense.

Fin

Complété en août 2007