Bonjour, Bonsoir à toutes (tous ?)
Nous voici de retouur pour vous jouer un mauvais touuur ! (ok j'arrête avec ma culture de gare xp)
Donc, précisons les choses, l'histoire est écrite par deux auteurs qui s'occuperont chacune d'un des points de vue des héroines. Cloclo fera les impairs et Lou les pairs :)
Bonne lecture à tous !
PS : pour ceux qui suivent la série, il y a peu de chance que les personnages apparaissent. Nous n'empruntons que le monde inventé.
Chapitre 1
-Et c'serait à quel nom ?
-Remy Nilsen.
-Nilsen? répète-t-il, aussitôt suspicieux.
Je lis presque aussi clairement que dans un livre l'éclat du racisme qui se met à briller dans ses yeux. Un sourire narquois apparait sur mes lèvres. Idiot. Ce n'est pas notre pays d'où nous sommes originaires qui constitue notre plus grande différence, entre lui et moi. Il n'y a qu'un monde. Un monde divisé entre les proies et les prédateurs.
-C'est Norvégien, répondis-je à son interrogation. En Europe du Nord-ouest, ajoutais-je en remarquant qu'il avait ce haussement de sourcil qui caractérise l'inculture.
-Je vois.
Il n'insiste pas plus parce qu'il le sent d'instinct qu'il n'a pas intérêt. Ca transpire par tous mes pores, ça scintille dans mes yeux noisettes, ça s'étend sur mon sourire. C'est comme une aura qui accompagne chacun de mes gestes. Ils savent sans vraiment le savoir. Ils comprennent sans vraiment comprendre. Ils sont terrifiés sans vraiment avoir peur. Nous sommes comme l'ampoule qui appellent les mouches à venir se coller à elle, se plaquer corps et âme jusqu'à en griller. Se consumer dans notre feu. Irradiés de bonheur d'avoir atteint ce qu'ils croient être le Soleil. Mais ce n'est rien qu'une ampoule… et eux, de ridicules insectes qui ont des paires d'yeux par dizaine mais ne voient rien.
Il signe le contrat puis me passe le stylo Bic à encre bleu. Du même bleu que le Lapiz Lazuli qui trône sur la broche dans mes cheveux auburn, longs, épais et ondulés. Je couche ma signature à mon tour d'un geste rapide mais sans précipitation. Je relève le regard vers l'homme qui me déshabillait du sien et qu'il détourne aussitôt qu'il se sait remarqué.
Il a la trentaine bien tassé. Je dirais dans les trente-cinq ans. Il est brun, légèrement barbu et un menton carré. Plutôt séduisant. Et son sang… du A positif. Mon nez se fronce légèrement. C'est le pire. Il est quasiment imbuvable. Autant que peut l'être de l'hémoglobine humaine, j'entends. C'est toujours mieux que celle animale. Ecœurante !
-J'dois y'aller! fait-il, en prenant le contrat avec tant de brutalité qu'il le froisse. J'viendrais inspecter tout ça, une fois par mois !
-Entendu.
Il détourne la petite table de la cuisine inondée de Soleil par les trois fenêtres quasiment accolées. Il me salut vulgairement et je ne prends pas la peine de répondre. La porte claque et j'entends toujours sa respiration affolée, sa démarche nerveuse sur le trottoir de la rue, ses mains qui caressent le contrat… et j'aurais continué à les entendre encore si je n'avais pas cessé de me concentrer. Je m'approche du lavabo et m'y accoude, regardant à travers l'une des vitres. Elles donnent toutes sur le minuscule jardin dont les seules fleurs sont un rosier blanc qui menace de mourir très prochainement et des pissenlits qui sillonnent la pelouse mal entretenue.
C'est largement suffisant. Une petite maison de pleins pieds avec deux chambres, une cuisine et les toilettes dans la salle-de-bain. Sans bain. Nullement cher, je n'attirerais pas l'attention et déjà meublée. Je ne meuble jamais un endroit où je m'installe. Ça ne ferait que m'y attacher alors que c'est la dernière chose que je désire. Aucune accroche, aucun lien. Juste un lieu pour dormir et me composer un alibi tangible. Ainsi je donne l'image d'une jeune adulte que très récemment plongée dans la vie d'adulte et personne ne trouve à redire. Et après trois ans, je le quitte comme j'ai quitté tous les autres avant lui.
Qu'un refuge, qu'un quai de gare.
Pour une passagère qui ne veut pas s'éterniser alors qu'elle a l'éternité.
xOxOxO
Je regarde la devanture du bar. Elle doit être aussi vieille que moi, vue son aspect. La grande vitre est censée être lavée, je suppose, mais il n'y a véritablement que le centre qui est transparent. Des publicités y sont scotchées et certaines pendent lamentablement. Au-dessus de la baie vitrée, en lettre faites de néons d'un rose vulgaire qui est non sans rappeler les clubs de striptease est écrit « Robin's Bar ». Pourtant, la vitre porte un autre nom inscrit en grosses lettres de peinture blanche criarde, « Walter's Bar ». Je devine aussitôt que le nouveau patron n'a pas trouvé utile de démonter les vieux néons dont la moitié ne marche plus mais désirait tout de même renommer son bar. Entre radinerie, flemmardise et égocentrisme, les humains se placent là.
J'y pénètre de mon pas habituel. Lent mais sans hésitation. Quelques clients sont accoudés au comptoir ou disséminés dans la salle plus grande que ne le laissait envisager la façade. Ils cessent tous leurs occupations –jeu de cartes, billard, alcool ou conversation- pour lever le regard vers moi, entre froideur, curiosité, désir et suspicion. Il n'y a aucune femme, à part les deux serveuses. Seulement des hommes, de tout âge confondu. On ne fait pas bon accueil aux étrangers mais si les étrangers sont des étrangères, alors ça change la donne. Les humains sont si prévisibles. Si insignifiants, si présomptueux alors que leur vie est entre mes canines. Ils vivent si je le désire. Ils meurent si j'en ai besoin. Et j'en ai besoin.
-J'aimerais parler au patron, déclarais-je à l'assemblée, d'un ton parfaitement impassible.
-Il est dans son bureau, m'informe l'une des serveuses, la plus petite.
-Eh bien ?
J'intensifie mon regard, impatiente, et celle-ci opine aussitôt pour aller le chercher. La seconde serveuse est blonde. Une fausse blonde, en vérité, comme le démontre ses sourcils légèrement plus foncés. Elle est belle et a l'air hautain. Encore une bimbo à l'égo surdimensionné par sa popularité lycéenne. D'un pathétique à tout épreuve mais qui persiste à y demeurer, se trouvant très bien dans le rôle de la trainée superficielle. Je les connais parfaitement puisque ce sont mes préférées. Sexy jusque dans leur sang. J'aime coucher avec elles, j'aime boire leur sang et j'aime les tuer.
Elle s'approche de moi de sa démarche chaloupée et vulgaire qui me fait sourire. Elle n'a pas cessé de me jauger du regard parce que la première fille est une rivale pour elle et que je ne suis pas la première, je suis la seule. J'ai plus de sex-appeal, je suis plus belle et elle le sait. Et elle enrage, en le cachant pourtant parfaitement.
-Salut, me dit-elle.Tu veux dire quoi au patron?
-Rien qui ne te concerne.
Mon ton n'est ni insultant, ni agressif, ni provocateur. C'est de la simple indifférence teintée de mépris. Puisque je la méprise. Humaine qui se croit surhumaine. Reine de promo qui se croit star. Salope qui se croit élégante. Si facile. Une proie si facile. Délectable.
Elle a un sursaut d'orgueil blessé qui transparait sur son visage. Mais je me suis déjà détournée d'elle puisque l'homme que j'attendais est arrivé. Crâne dégarni maquillé, ongles coupés courts mais qui restent sales et une bouée de graisse qui rebondit son ventre, ainsi donc m'apparait le tenancier de ce bar minable.
-Alors, c'est toi, ma jolie, qui veux m'causer ?
Les questions de rhétoriques dont raffolent les humains. Celles qui ne servent à rien, simple affirmation avec une intonation d'interrogation qui sort de nulle part et qui ne veut rien dire. Pourtant, ils veulent qu'on y réponde. Alors, je lance un simple « oui », évident et stupide. Inutile. A l'image de sa question.
Il sourit d'une façon encore plus grossière et m'invite à le suivre jusqu'à son bureau. Je lui emboite le pas, aucunement avenante. Je passe tout près de la deuxième serveuse, celle qui est allée quérir son supérieur. Elle ne me lâche pas de ses yeux marrons, très banales. Je ne lui porte, pour mon compte, qu'un seul coup d'œil bref et indifférent mais quand je l'ai détourné, je connais déjà chaque détail de son physique. Sa taille, son poids approximatif, l'emplacement de ses grains de beautés –dont deux dans le cou, un sur le coin inférieur gauche des lèvres et un sur l'arrête droite de son nez, fin et droit-, la teinte brune claire de ses cheveux lisses et longs, l'ossature de son visage et la forme de ses sourcils. Tout est rangé dans un coin de mon cerveau, sans que je n'aie même à me concentrer. Je sais qu'elle n'est ni belle, ni moche, juste mignonne. Je sais qu'elle est plus petite que la moyenne. Et je sais surtout qu'elle est AB négatif.
J'ai aussi deviné sans mal que je l'intriguais et que, sans savoir pourquoi, elle me trouvait étrange. Curiosité. L'un des sept pêchés capitaux que les humains n'ont toujours pas compris, grandement dangereux pour leur survie. Leur trop passionné goût pour la découverte, pour cette envie toujours plus piquante d'en savoir plus, sur tout, sur rien. Ne rien laisser dans l'ignorance, jusqu'à s'en brûler les doigts sur les fers chauffés à blancs de la Vérité qui a un prix dont ils ne prennent connaissance, souvent que trop tard. Quand je les ai mordus, entre autre. Quand je les ai vidés de leur essence vitale, essorés comme un vieux chiffon. A ce moment seulement, je lis dans leur regard qu'ils ont compris que leur curiosité est en train de leur boire le sang. Cette fille peut en faire partie, si elle le souhaite. Une de plus, une de moins. Au point où j'en suis, je préfère le plus au moins.
On quitte la grande pièce empestée de l'odeur conjuguée de la poussière, de l'alcool, de la sueur et de la cigarette qui ne me fait plus aucun effet, malgré ma sensibilité olfactive très poussée. J'y suis habituée depuis maintenant cinquante-neuf ans. Cinquante-neuf ans que je joue la serveuse, dans des bars de toutes les villes, de tous les pays, de tous les continents. Cinquante-neuf ans que je remplis des verres et aide des centaines d'humains à distiller leur hémoglobine avec de la vodka ou du whisky. Cinquante-neuf que je profite de leur état d'égarement profond pour les dépouiller de ce qu'ils salissent, accoudés à ces comptoirs empestée de bave et d'urine. Je les regarde et ils me répugnent. Et j'ai d'autant plus de plaisir de les rendre esclave de ma soif. Ma soif éternelle et impossible à épancher. Aucun ne pourra me fournir le remède, aucun ne m'offrira la paix de ne plus jamais avoir soif. Ils sont condamnés à mourir, je suis condamnée à traverser ce désert avec cette oasis qui ondoie et vogue sur les dunes, donnant l'impression de s'approcher mais s'éloignant toujours plus loin. Mais nous agissons tous inutilement, sans fin, sans aboutissement. Mais eux l'ignorent, moi, je le sais.
Il me fait entrer dans son petit bureau, aux murs faits de linot sombre et sans aucune fenêtre, simplement éclairée par deux abat-jours d'un beige sale. Ici, il doit faire toujours aussi nuit que dehors. Je regarde furtivement l'horloge miniature posée sur un meuble miteux. Il est minuit passé de onze minutes et les secondes continuent leur voyage aussi fatalement inachevable qu'est le mien. Aussi meurtrier, également, l'un que l'autre pour les humains. Il s'assoit sur son fauteuil de cuir brun qui veut faire élégant mais qui ne fait que faux-riche et me regarde de cette façon arrogante, comme s'il me surplombait de si haut que je ne pourrais jamais ne serait-ce qu'espérer l'atteindre. Premièrement, parce que je suis théoriquement jeune. D'autre part, et essentiellement, parce que je suis une femme. Ce genre de personne aussi ont arpenté ma longue existence et je les reconnais sans mal.
-Tu veux quoi ?
-J'ai vu que vous recherchiez une nouvelle serveuse, je me propose.
Vulgairement appuyé sur l'accoudoir de son fauteuil à roulettes, il me détaille encore d'avantage. Il se demande si les consommations et les présences se verront multipliées par mes fesses ou mes seins. Il s'interroge sur mon roulement de hanches ou la courbure que prennent celles-ci quand je me penche. Nul besoin de pouvoir lire dans ses pensées, elles sont inscrites sur ses lèvres sèches, sur les frémissements de sa langue et sa main qui se caresse la cuisse. Elles en rendent son odeur plus poivrée, plus musquée.
Tout son être ne vibrerait pas de désir mais d'épouvante s'il savait comment est décédée son ancienne employée. Je l'ai attendue dans un coin sombre, vers les quatre heures et demi de la nuit d'un dimanche à un lundi. Elle ne m'a pas vue mais elle a resserré son manteau autour de son cou parce qu'elle a senti. Elle m'a sentie. Son instinct me voyait, dissimulée derrière cette ben à ordure mais tout le reste, sa conscience, ses pensées et ses yeux se sont laissés bernés. Quand j'ai fondu sur elle, silencieuse, agile et rapide comme la foudre, elle a essayé de crier mais son hurlement s'est perdu dans sa gorge parce que déjà la douleur enivrante l'avait envahie. Mes canines s'étaient plantées dans sa chaire, le sang se déversait déjà et seulement un gargouillement est sorti d'entre ses lèvres entr'ouvertes. Cinq minutes plus tard, elle était totalement exsangue et morte. Le corps, je m'en suis débarrassée avec une aisance ridicule et elle est encore portée disparue. Ses parents ne veulent d'ailleurs pas qu'elle revienne. Pour eux, elle a fugué avec son petit copain noir et ils ne veulent plus la voir.
Il me fallait ce job, il me fallait sa place. J'en avais besoin, tout s'arrête là. Et son sang, très rare, était mon préféré… Du O négatif. Elle est morte en me régalant, ça n'a pas été donné à toutes mes victimes.
-Montre-moi ce que tu sais faire, alors, m'ordonne-t-il avec mépris, presque brutalement. T'as cinq minutes pour me convaincre ou j'te fous dehors, salle chienne !
Il a un sourire grimaçant sur ses lèvres et je sais qu'il jubile, qu'il jouit d'avance de cette domination, de ce contrôle qu'il croit total. Ce qui l'excite le plus n'est pas l'idée certaine que je m'apprête à lui faire une fellation ou à lui montrer ma poitrine. Non, ce qui l'excite au plus haut point c'est que je m'écrase, que je lui obéisse, que j'accepte la laisse qu'il me tend et avec laquelle il rêve de m'étrangler tandis que je lui offrirais tout ce qu'il demande. Une pourriture humaine sans nom.
Je m'avance vers lui, sans broncher, plongeant mes yeux dans les siens toujours plus profond, implacable. Peu à peu, il perd toute jubilation et toute luxure, il ne fait que suivre mon regard, sans plus aucune expression que celle d'un somnambule. Je me penche vers son visage et déclare avec une autorité froide :
-Je commence demain.
-Tu commences demain, répète-t-il, aussitôt, placidement.
Je souris, moqueuse, et avant de quitter la pièce, je m'empare du paquet de cigarette Marlboro qui trainait sur le bois vernis du bureau. J'en sors une, tout en marchant tranquillement, et jetant nonchalamment le paquet encore pleins pardessus mon épaule, j'attrape mon briquet dans la poche de mon Jean's déchiré. Mon doigt ripe sur la roulette, la faut grincer et la flamme surgit. Le mégot s'embrase et je la porte à mes lèvres. Quand j'expire ma première bouffée de poison embrasé, j'ai atteint la porte et un rire m'échappe ; fumer tue. J'aime tant la cigarette.
Entre tueuses, on se comprend.
N'hésitez pas à laisser votre avis mes petits ;)
