La situation nous dépasse, feignons d'en être les instigateurs – Talleyrand
L'invasion de la Terre, c'était comme la réédition de ce qui s'était passé avec Svadilfari, songeait Loki. Dans les deux cas, il l'avait dans l'os.
Dans les deux cas, il n'avait jamais voulu en venir à un tel résultat.
Avec Svadilfari, il avait été simplement un magicien débutant, cherchant à jouer un vilain tour au noble qui possédait l'étalon. Alors il avait adopté la forme d'une jument et avait attiré l'animal à l'écart, le détournant de la course à laquelle il participait, et faisant perdre une fortune à son propriétaire. Seulement, il ne s'était pas douté de ce que le cheval ferait ensuite.
Il était resté coincé dans sa forme de jument jusqu'à ce qu'il mette bas. Il savait ce que tout le monde dirait : voyez la dépravation du second prince d'Asgard, qui s'abaisse à convoler avec des bêtes. Personne ne croirait une seule seconde que c'était juste une farce partie trop loin. Tout le monde croirait qu'il l'avait fait exprès, et qu'il avait aimé ça. C'est bien connu, un enfant ne peut venir au monde si sa mère n'a retiré aucun plaisir de l'acte sexuel, n'est-ce pas ?
Alors, il n'avait rien dit de la vérité. Qui l'aurait cru ? A la place, il avait opposé son sourire le plus radieux et le plus artificiel aux injures qu'on lui lançait, et il avait donné le poulain au Père de Tout qui avait apprécié le cadeau – pour sa part, Loki voulait juste ne plus avoir le fruit de sa honte sous les yeux.
Il n'avait rien fait pour démentir puisque de toute façon, il avait déjà été catalogué. A quoi bon se démener pour faire changer d'avis les crétins ? Et puis, ceux-ci auraient tout de même jasé s'il avait dit la vérité. L'auraient accusé de faiblesse de ne pas avoir su se défendre, de ne pas avoir mieux résisté. Lui auraient dit qu'il l'avait bien cherché.
C'était pour ça qu'il n'avait rien dit pour se défendre après l'invasion ratée de Midgard par les Chitauris.
Le Titan Fou avait besoin d'un pion à sacrifier, en cas d'échec de la frappe. Quelqu'un qui finirait au pilori tandis que lui resterait libre d'échafauder et d'appliquer de nouveaux plans. Et les Nornes lui avaient livré Loki sur un plateau d'argent.
Ça faisait mal, que Thor n'ait rien vu – lui qui prétendait être un frère attentionné et aimant, lui qui avait eu l'occasion de regarder de près les yeux de Loki, l'occasion de voir que ceux-ci n'étaient pas de leur couleur habituelle, le puissant Thor n'avait rien vu. Oh, c'était prévisible, crétin embouché qu'il était, mais tout de même.
La sauvegarde de Thanos avait réussi à merveille : à la fin de la bataille, Loki était apparu comme le seul coupable, l'unique responsable.
Il n'avait pas essayé de se défendre. N'avait pas dit qu'il n'avait pas eu le contrôle de ses actes. Pourquoi aurait-on cru Loki Parle-d'Or, Loki Langue de Vipère, Loki l'Artisan du Mensonge ? Les défenseurs de Midgard l'auraient simplement accusé de vouloir se tirer d'affaire en jouant la victime.
Et puis, même s'ils avaient prêté foi à ses dires, ils ne s'en seraient pas moins pris à lui. Un Ase digne de ce nom mourait plutôt que de se soumettre à la volonté de l'ennemi – Loki le savait, il avait essayé de mourir, vraiment essayé, les Chitauris ne l'avaient pas laissé arriver à ses fins.
Il avait été trop faible. Et quand les gens apprenaient que vous étiez faible, ils étaient sans pitié. Loki ne leur donnerait pas ce plaisir.
Alors il avait endossé le rôle du méchant de l'histoire. Il avait menti et prétendu que tout était son idée depuis le début.
Parce que dire la vérité ne le sauverait pas. La vérité ne l'aidait jamais.
