Hello hello, un petit OS sans prétention jailli d'une nuit d'insomnie. Je lis beaucoup sur le personnage de Rosier en ce moment, et même si je n'ai pas envie d'écrire spécifiquement sur lui, l'envie de lui donner une sœur m'a bien plu. Ma playlist tournait autour de Hurricane de Fleurie, et beaucoup beaucoup de Ruelle pour l'ambiance sombre et épique. Bonne lecture !


Je n'avais pas dit non.

J'étais gentiment restée transparente et silencieuse dans cet entre deux gris verdâtre, et eux m'avaient prise pour acquise. J'étais leur chair et leur sang. La fierté d'un nom trop lourd pour moi. Le destin d'une cause que je ne savais ni embrasser ni renier. J'étais restée là, froide et friable dans ce milieu pas si juste qui était comme un souffle coupé, un pas de danse raté.

J'avais respiré la colère et la haine, l'ivresse du pouvoir et des certitudes. J'avais effleuré l'orgueil et la noirceur, la fierté bravache et la prestance de la nuit. J'avais goûté du bout des lèvres la saveur de la nuit, du secret et des violences cauchemars. J'étais restée, un peu en retrait mais là quand même. Trébuchante et pâle, mais belle et sereine comme on me l'avait appris toute ma vie.

Et pour le monde entier, j'étais faite pour ça, née pour ça.

Toi, tu avais serré ma main, esquissé ce début de sourire que tu ne destinait qu'à moi. Et mon cœur s'était gonflé de joie et fierté, me confortant dans ce non-choix. Tu étais tellement plus. Plus beau que Rabastan, plus fort que Mulciber, plus calme que Bella, plus courageux que l'ensemble des hommes et femmes drapés de noir autour du feu ce soir-là. Tu étais mon héros, le seul homme de ma vie, et je t'aimais de cet amour inconditionnel qu'ont les enfants, les innocents. Parce qu'il n'y avait personne d'autre. Il n'y aurait jamais personne d'autre.

Tu étais ma moitié, ma force et ma noirceur, mes nuits infinies, j'étais ton miroir, ta chaleur et ta douceur, l'éclat de la lune et toutes les étoiles.

Le monde entier nous connaissait au pluriel, sous ce nom qui exultait le pouvoir et le noir.

Nous étions les Rosier.

Erin, Evan.

Les jumeaux Rosier.

Rien ni personne ne viendrait au milieu de ça.

Ensemble nous avions fait trembler les frontières de la nuit, saccagé les aurores et nos printemps. De la tour d'astronomie d'où je récitais les étoiles, au stade de Quidditch où tu devenais le vent, au cœur de la Forêt interdite où j'apprenais l'obscurité, de l'humidité des cachots aux hautes lumières des réceptions mondaines, des fous rires de la Salle sur demande aux soirées très privées, très pures, très décadentes des Grandes familles. Nous avions tout fait ensemble. Construit une nouvelle légende sur les cendres de l'histoire familiale. Nous nous étions appris et protégés toute notre vie. Jamais très loin l'un de l'autre, jamais trop longtemps.

Dans le reflet rougeoyant des braises, j'admirais la force de tes épaules, la musculature puissante de ce corps qui avait protégé le mien si souvent. Tes cheveux bruns en bataille, ta mâchoire carrée, la froideur de tes yeux si noirs. Je connaissais par cœur les cicatrices qui barraient tes mains, la chaleur de tes paumes qui avaient séché mes larmes si souvent, la douceur de tes doigts lorsque tu les passais dans mes cheveux. Et je riais de ces femmes qui osaient prétendre te posséder pour une nuit ou pour un mois. Tu étais mien, intrinsèquement. J'étais tienne, absolument. Je connaissais le goût de ton sang car il était mien. J'étais ton double, ta symétrie parfaite. Rien n'y personne n'aurait pu venir entre nous.

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Tu étais une flamme dansante, une étincelle sombre et froide. Magnifique. Tu me souriais en plissant le nez comme une enfant par dessus ton café, et j'étais entier par ta simple présence. Je te regardais être avec cette grâce éthérée et vicieuse qui n'appartenait qu'à toi. Tu étais une lame acérée et farouche, un monstre d'implacabilité. Tu étais la lumière nocturne, froide et sans concession d'une pleine lune. Tu vivais au rythme de l'océan et du vent, sauvage et libre sans te soucier du regard des autres. Louve silencieuse, tu n'avais pas besoin d'étaler ta puissance. Ta morgue restait en retrait, et pourtant ta présence faisait vibrer nos nuits. Tu dansais pieds nus dans les vagues, tu mordais les aurores, lacérais nos crépuscules. Tu me calmais d'un souffle, d'un murmure. Tu détruisais d'un regard, d'un haussement d'épaules. Insolente créature, indolente petite fille qui n'écoutait jamais rien n'y personne.Je n'avais jamais oublié la fureur de Père. Tu étais revenue un beau jour, ton bras droit entièrement ciselé de tatouages. Dans les plus belles nuances de gris, au milieu d'une géométrie sacrée, tu avais écrit notre histoire. Les loups sous le ciel, la lumière de la lune, le vent dans les arbres, le rythme des vagues sur le rivage, la noirceur du monde, du bout de tes doigts jusqu'à la pointe de l'épaule. Trois jours et trois nuits de travail pour un artiste moldu que tu n'avais pas laissé vivre après. Et les hurlements de Père avait fait éclater les fenêtres, te tirant un soupir. Moi je t'avais trouvée belle, tes longs cheveux noirs descendant en cascade jusqu'à tes reins, ta peau hâlée de passer tant de temps dehors, l'ombre de l'encre sous la blancheur du coton de ton tee-shirt, les bagues d'argent à tes doigts, la veste en cuir négligemment jetée sur tes épaules. Tu m'avais souri de cet air mutin qui n'existait que pour moi, et je t'avais aimé encore un peu plus fort. Ma sœur.

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Alors j'étais restée. Absorbée en toi, en nous. J'étais restée, et la question n'avait jamais réellement été posée. Être à toi, être nous, était d'une évidence telle que je n'avais même pas vraiment hésité. Nous étions les Rosier. Craints, respectés, enviés. Nous étions les enfants de la Nuit et des Larmes. Survivants d'une lignée en miettes, en cendres, derniers représentants d'une famille à genoux. Quel miracle nous avait fait si forts, si froids, si tranchants ? Quelle miséricorde s'était abattue sur nos gènes pour faire ressortir ce que la Pureté du sang avait de plus beau ? Une magie si puissante, une noirceur si pleine. J'avais vite compris que mon potentiel magique explosait avec les cycles lunaires, j'avais pressenti les fureurs de la Terre et les avais faites miennes. J'avais plongé les mains dans la cendre, déterré les trésors enfouis de la mémoire des Anciennes, des premières hérétiques qui avaient fini dans les flammes. J'avais redecouvert la Magie sauvage et instinctive, la sorcellerie d'antan qui n'était que le reflet de la toute puissance de la Nature. J'étais la pluie, le vent, les frémissements des forêts, le rugissement du fauve. Et tu étais au contraire ce si puissant enchanteur, si fin, si délicat. Tu avais cette compréhension innée de toutes les subtilités des sortilèges et enchantements, de l'essence même de ce qu'on tentait vainement d'inculquer aux médiocres élèves de Poudlard. Chacun des gestes de ta baguette était une œuvre d'art en soi. Je n'avais jamais oublié ; les applaudissements de Flitwick- Oui, monsieur Rosier, c'est ça. C'est exactement ça! - le hochement de tête appréciateur de Dumbledore, les félicitations du jury aux Aspics. Tu étais le meilleur. Plus fort, plus retors, plus intelligent que tous les hommes et femmes drapés de suffisance cette nuit là.

Nous étions promis aux plus hauts sommets. L'évidence de notre supériorité écrasante éclatait des couloirs de Poudlard aux réceptions mondaines du Ministère. Les regards coulaient sur nous. Les femmes tombaient pour toi. Mariées, saintes ou putains, toutes se seraient damnées pour toi. Et tu ricanais. Tu leur donnais une nuit, parfois plusieurs. Rarement quelques semaines. Rares étaient celles que tu respectais réellement. Il y avait eu Alecto bien sur. Je l'aimais bien, cette garce hautaine et venimeuse, ce serpent qui était venu se lover contre toi pour quelques mois. Je l'aimais bien, parce qu'elle savait. Elle avait Amycus. Elle savait les liens du sang et n'avait pas vainement tenté de m'évincer. Mais la vie avait joué ses tours. La guerre n'était pas un moment propice à l'amour.

Et puis, qu'était ce donc l'amour ? Une illusion de plus qui disparaissait sous les larmes de pluie, une désillusion préméditée, une blessure à venir. De tangible, il n'y avait que nous.

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Les regards glissaient sur toi. Tu étais ce fauve tranquille, traçant ton chemin, faisant voler en éclats leurs attentes et leurs carcans. Tes mèches sombres tombaient en désordre sur tes yeux brillants et tu dévorais tes proies du regard. Tu les aimais farouches mais douces, et les chuchotements courroucés avaient fini par se taire, lorsqu'ils avaient compris qu'ils ne te changeraient pas. Nous avions quinze, peut-être seize ans. Et tu t'en moquais avec une insolence glacée. Tu étais amoureuse. Solaire, vibrante d'amour superbe. Intouchable. J'avais haussé les sourcils, tu m'avais brutalement fait comprendre que je n'avais pas mon mot à dire. J'étais l'homme de ta vie, et tu aimais Narcissa Black de tout ton être. Je voyais ses larmes, lorsque tu te faisais trop sauvage pour sa douceur immaculée. Je sentais ton désarroi, lorsqu'elle t'expliquait qu'elle n'affronterait pas ses parents pour toi. Elle t'aimait suffisamment pour vous offrir une parenthèse enchantée - trois ans à l'abri de la bienveillance de Poudlard -, pas assez pour renier les exigences familiales. Vous étiez belles pourtant. Drapées dans la superbe de votre Sang, hautaines et implacables. Même les professeurs souriaient à votre approche. Narcissa et son rire de cristal qui résonnait sous le plafond magique, l'or blanc de ses cheveux qui se mêlaient aux tiens, le satin de ses vêtements qu'on retrouvait éparpillés dans la Salle commune certains matins - et toujours ton sourire mutin. Il y en avait eu d'autres après, des passades que tu dévorais par dépit, de jolis jouets que tu finissais par briser. Alors tu dormais dans mes bras, et je te laissais pleurer.

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J'étais restée là, distante et détachée. Vaguement ennuyée. Dans le fond, je m'en foutais de cette guerre. Tout ce que je voulais, c'était être libre. Assez puissante, assez crainte pour être libre. Que l'univers me laisse passer, ou l'écraser sans un regard. Je voulais dévorer le monde. Apprendre encore, grandir, apprivoiser ce tourbillon de pouvoir que je sentais confusément rugir au creux de moi. Je m'en foutais des Nés-Moldus, des Sangs mêlés ; les Sangs purs faisaient bien ce qu'ils voulaient de leur cul. Je n'avais pas besoin de servir un psychopathe pour me prouver ma valeur. Mais c'était la voie facile. Détruire le monde, ravager les fondations pour recréer notre royaume. J'étais un loup attiré par le sang, un papillon fasciné par les flammes. Et je voulais voir l'ancien monde brûler. Me venger du mal qu'il nous avait fait.

Nous étions des tueurs, bien sûr. Le fer de lance des milices du Seigneur des Ténèbres. Tu avais cette froideur implacable, cette parfaite absence d'émotions lorsqu'il s'agissait d'exécuter les ordres. Un mouvement du poignet. Un mot à peine murmuré. Tu répandais la mort comme une maladie contagieuse, et tu étais beau au milieu des ruines du monde. Je me souviens que Bellatrix t'avait adulé pour un temps. Elle admirait ta froideur meurtrière, la force de tes mains, elle enviait ta place privilégiée auprès de Lui. Toi, tu souriais avec condescendance. Bellatrix n'était que le parfait exemple de la décadence des Grandes Familles. La pâleur de sa peau, la fragilité de ce corps marqué par l'abus d'obscurité, l'éclat fou de ces yeux. Elle était tout ce que tu méprisais, et tu ne t'en cachais pas. Tu soupirais sans discrétion, et tu la chassais d'un geste de la main comme un insecte agaçant, sans un regard. Moi je souriais à moitié derrière mon café et tu levais les yeux au ciel. Tu préférais la compagnie calme de Rogue, et je vous observais avec fascination débattre de philtres et enchantements d'une subtilité qui m'échappait complètement. Le soir, tu buvais avec les Lestrange, et tu tolérais Avery tant qu'il était sobre. Ils étaient tes frères de meute, des hommes d'actions réfléchis et cruels, des tueurs froids et des parfaits compagnons de combat.

Mais ils savaient, au plus profond de leur chair. Ils savaient qu'au final, il n'y avait que toi et moi.

Aucune concession. Juste l'amour partial et absolu du même sang, de la même chair. J'acceptais tes accès de violence, tes mots brutaux et blessants, je ne relevais pas les âmes brisées que tu laissais derrière toi, et ta mauvaise foi notoire. Tu tolérais mes hystéries et ma sexualité affichée, tu avais même passé l'éponge sur ma fascination envers Lupin, dont l'aura animale avait hanté mes nuits et mes jours des mois durant. Tu m'avais laissé jouer avec lui pour un temps, et ne pas le briser aura probablement été le seul acte généreux de mon existence. J'aimais trop le Loup pour détruire l'Homme. Tu avais ricané de me voir m'attacher à une si belle âme, et à peine haussé un sourcil lorsque j'avais empêché la bande de Rowle de s'en prendre directement à lui dans nos dernières années.

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Tu complétais mes pas de dance ratés, je léchais tes plaies mal refermées. Tu respirais au rythme des battements de mon cœur, tu anticipais le moindre de mes gestes. Nous avions les mêmes rêves, les mêmes cauchemars. Mon pouvoir était ton pouvoir. Nous allions détruire le monde ensemble, par esprit de revanche, pour guérir nos blessures, effacer nos ratures. Et tes doigts continuais de définir les contours de mon être, tes mains me gardaient à flot lorsque les vagues du passé me submergeaient. Nous ne serions plus jamais les enfants ravagés d'une famille desarticulée. Nous étions les Rosier, l'ouragan du monde. Nous allions faire tomber les murs et les rois, faire trembler le ciel et enfin sortir de la cage.

Tu tremblais parfois. Dans les espaces confinés, quand le mur des souvenirs semblait vouloir t'ecraser, te dévorer toute entière. Tu essayais d'y échapper, au lent mouvement du passé, aux sables mouvants de la mémoire. Et à coups de dents, à coups de griffes, tu essayais de détruire les barreaux de ta propre cage. Je me souviens du sang sous tes ongles, au coin de tes lèvres, le regard hagard et le feulement de tigre blessé. Il y avait l'écho des souvenirs, cette odeur douceatre de sang qui avait embaumé ta chambre, et toi roulée en boule sur carrelage froid de la salle de bain, les mains crispées sur ton ventre meurtri. Je me souviens de l'horreur, de l'indicible. Il t'avait ravagée, labourée, tant de fois, sous le regard aveugle de ceux qui auraient dû te protéger. Tu avais douze, peut-être treize ans. Il avait fallu attendre. Patienter. La rétribution viendrait.Tu avais grandi. Guéri. Appris. Et un jour gris, à mi chemin entre la nuit et le jour, tu avais abaissé ta baguette et rendu la liberté à tes vieux démons. Personne n'avait cherché à découvrir la vérité derrière le massacre abominable de Thorfin Rowle. Tout le monde savait. Il n'était qu'un obscur cousin. Rien de plus qu'un fantôme lointain.

Nous nous étions affranchi de l'horreur ensemble. Ta main puissante dans la mienne, ton silence pour apaiser mes nuits. Nous avions repris le contrôle, embrassé la terrifiante obscurité qui nous avait élevés. Accepté la nuit pour la faire nôtre. Mené la valse. Fait éclater les codes de bonne conduite, la bienséance et toute l'hypocrisie de notre milieu. Tu toisais les patriarches avec dédain, restais poli avec les Elfes de maison, gérais les finances familiales d'une main de fer. Et le soir, avec Mulciber et Rowle, vous jouiez au Quidditch comme des enfants, et le vent riait avec vous. Nous brûlions la vie, dévorions à grand coup de dents chaque petite joie, chaque satisfaction. Aucune frustration n'était tolérée. Seulement la jouissances pleine et immédiate du pouvoir absolu, et l'ivresse des grands espaces que tu parcourais par voie des airs des heures durant.

Toi tu dansais dans les vagues, tu chuchotais des berceuses aux loups, tu écoutais le chant des arbres et tu offrais ton cœur au vent, les mains dans la terre, les yeux au ciel. Tu étais femme-louve, et ta sauvagerie surpassait jusqu'à la noirceur de cette Marque sur ton bras.

Nous avions façonné notre propre existence. Peu nous importait qu'elle s'entache de sang et de noir. Nous étions ensemble. L'océan vibrait avec nous, l'orage rugissait dans nos tempêtes. Nous étions l'hiver et le printemps du monde. Tout commençait et finissait avec toi. De tes matins grognons à mes courses sous les arbres, de la fumée de tes cigarettes au sang sous mes ongles, de mon chocolat chaud d'après dîner à tes entraînements physiques, de chez Barjow Beurk au plus délicat salon parisien, de la haine jusqu'à l'euphorie, de mes crocs à tes cicatrices, des missions commandées aux après midis pluvieuse devant la cheminée, de tes révisions intenses à mes expérimentations farouches, de la meute de Serpentard au vide du manoir Rosier, du ressac de l'océan à la quiétude du parc de Poudlard, de nos amours meurtries à nos vaines passions, de nos cauchemars d'enfants à nos ambitions de jeunes loups, tout se conjuguait à la première personne du pluriel.

Alors pour toi, pour le sang qui pulsait dans mes veines, pour le noir de tes yeux, j'étais restée là. J'avais patiemment serré les dents, serré ta main. Fermé mon cœur aux cris et aux larmes. Il avait posé sa Marque sur mon bras. Gravé son ignominie dans ma chair pour me faire sienne. J'avais montré les crocs. Car même Lui n'avait pas ce pouvoir. J'étais tienne, absolument. Tu étais mien, infiniment.

La tempête était tout ce que nous connaissions, et à nous deux, nous allions faire sombrer le monde.

Et ce soir là, toute drapée de noir et d'illusions, j'étais certaine que nous nous en sortirions.