Titre : Pandemonium Project
Auteur : Shirenai
Rating : M pour thème sombre et propos pas très chastes.
Disclaimer : Hoshino Katsura est le génie qui possède l'univers et les personnages de D.Gray-Man. En ce qui me concerne, je suis le génie qui possède ce scénario.
Note : Spoilers jusqu'aux derniers chapitres sortis (c'est-à-dire le 162 au moment où j'écris).
Bonne lecture.
Pandemonium : Mot qui a vu le jour sous la plume de John Milton
en 1663 dans son livre Le Paradis Perdu.
Composé à partir du grec πάν signifiant « tout » et δαίμων « démon ».
1. Capitale imaginaire de l'enfer où Satan invoque le conseil des démons.
2. Par extension, lieu où règnent tous les genres de corruption et de désordre.
Pandemonium Project
Prologue
Au bout de deux ans passés à la Congrégation de l'Ombre, je suis toujours en vie. Je suis toujours Exorciste de type symbiotique, mon Innocence portant toujours le nom de Crown Clown. J'ai toujours pour amis et coéquipiers Lenalee, Lavi, Kanda, Miranda-san et Krory, Komui boit toujours autant de café et dort toujours sur son bureau toujours autant envahi par des montagnes de dossiers et rapports intraités en équilibre précaire. Pour résumer, tout est d'une normalité relative. A une ou deux exceptions près. Depuis que j'ai atteint le Point Critique et que je suis devenu Maréchal, les choses ont quelque peu changé pour moi. J'ai cependant insisté pour conserver le même uniforme que mes amis afin de ne pas leur paraître supérieur mais je sens bien que parfois, quelques regards en biais me sont adressés. Fort heureusement, les personnes avec lesquelles j'ai l'habitude de partir en mission ont bien compris que pour moi, la différence se résumait à un changement d'appellation. Mon rôle demeurait après tout le même, ce que je me suis évertué à leur expliquer dès qu'ils ont appris que j'avais été « gradé ».
Il y en a eu bien sûr un qui n'a pas eu besoin de cette mise au point pour continuer à se moquer de moi et me surnommer « Pousse de soja » avec ce sourire aigre et moqueur – devinez donc de qui il s'agit. Je ne vais pas m'en plaindre. Je me serais senti très gêné vis-à-vis de tout le monde s'ils s'étaient mis à me parler du bout des lèvres et attendre que je leur donne des ordres. D'ailleurs, je n'en aurais pas été capable. Je suis après tout le cadet de la Congrégation toutes catégories confondues et je ne me serais certainement pas vu me comporter comme l'horrible personne qu'est mon mentor. C'est pour cette raison que l'esprit d'équipe chez les Exorcistes s'est autant renforcé. Même aujourd'hui, il arrive encore que Lavi, Lenalee ou Krory me fasse une remarque sur la façon dont je me comporte parfois – oh rien de bien méchant mais quand Kanda s'amuse un peu trop avec mes nerfs, par exemple – sur un ton tout à fait amical.
Puisque je parle de mes camarades… je les envie. Ils sont tous partis en mission de plus ou moins longue durée et je me retrouve à peu près seul dans ce qui est devenu notre nouveau quartier général. Je reste dans ma chambre, parce que je n'ai pas vraiment le goût à me promener dehors. Certes, mon pays natal m'a manqué mais je ne peux pas m'empêcher de ressentir un peu d'amertume et beaucoup de nostalgie en marchant dans les rues londoniennes, sans doute à cause des souvenirs qui y sont rattachés. Et puis, par extension, tout ce qui est arrivé avec l'Arche, les réponses que refuse de me donner mon maître, mes doutes quant à Mana et le clan Noah ; tout ceci est encore confus dans ma tête et douloureux à la réflexion. Alors je prends mon mal en patience, allongé sur mon lit, un livre poussiéreux aux pages jaunies entre les mains – prêté par Bookman « pour tuer le temps ». Je fais à peine attention à ce que je lis, l'esprit en réalité trop préoccupé pour apprécier la lecture et en retenir quoi que ce soit.
Les mots s'alignent les uns à la suite des autres mais ne font pas sens. En désespoir de cause, je couvre mes yeux avec le livre encore ouvert et m'éloigne dans mes pensées. J'ai envie de parler à quelqu'un. Même ce Japonais grognon ferait l'affaire. Juste… entendre une voix familière et pouvoir y répondre. Ne pas me sentir seul. Je soupire bruyamment, à la fois d'agacement et de lassitude. Qu'est-ce qui pouvait bien passer par la tête de Komui quand il a décidé que j'avais besoin de me reposer un nombre minimum de jours ?! Je me doute bien que c'est en rapport avec le fait que mon Innocence a tendance à prendre le contrôle de mon corps quand je n'ai plus la force de remuer le petit doigt pour continuer de me battre mais tout de même, ça va faire trois jours que je suis là-dedans, à m'ennuyer d'une simple présence humaine autre que celle de Jerry. Le babillage de Lavi, mes disputes avec Kanda, les mots chaleureux de Lenalee, les exclamations admiratives de Krory… je donnerais cher pour les retrouver… Enfin, je suppose que quand je pourrai enfin repartir en mission après avoir fait mon quota de jours de repos, je n'aurai pas l'occasion de m'ennuyer.
Je me lève paresseusement et vais jusqu'à la fenêtre. Une chose que j'aime regarder dans mes soirées d'inactivité forcée est le paysage que je peux voir à la nuit tombée. Les lumières de la ville qui se mêlent à celle de la lune, les formes sombres des bâtiments se détachant à peine de l'horizon et l'eau de la Tamise qui miroite sous les lampadaires. Londres plongée dans les ténèbres a un côté à la fois fantomatique, inquiétant et apaisant. On a le regard attiré par les quelques points clairs qui donnent l'impression de vaciller et menacent d'être engloutis à tout moment par l'obscurité. Ils me font penser à nous autres Exorcistes. Tout comme ces petites lumières, nous jouons avec la noirceur et mettons jusqu'à nos existences en jeu dans ce combat dont l'issue demeure inconnue. Je repense aussi à ceux qui sont morts ; Suman, Daisya, tous les membres de la Section Scientifique lors de l'attaque de Lulubell… et j'ai l'impression que le fait que je sois toujours vivant est d'une insolence extrême.
Oui, il m'arrive encore de regretter de ne pas les avoir sauvés. Je me dis que si j'avais été un peu plus loin, plus rapide, plus déterminé, peut-être une ou deux vies de plus auraient été épargnées. Et je suis convaincu que nous sommes tous dans le même cas – si on met de côté ces sans-cœur que sont les Maréchaux Cross et Sokaro. Les cloches de Big Ben sonnent au loin la demie de neuf heures. J'étouffe à peine un bâillement. Finalement, peut-être que prendre un peu d'air ne me fera pas de mal, après tout… Je passe nonchalamment mon manteau et sors d'un pas pressé, peu enthousiaste à l'idée cette fois de croiser quiconque aurait la brillante idée de vouloir m'accompagner. Quand je parviens à franchir la lourde porte du bâtiment, l'air frais m'enveloppe immédiatement et je me sens libre. Un vent léger secoue mes cheveux, les ramène devant mes yeux. Je ferme les yeux un instant, inspire à pleins poumons ce qui me fait l'effet d'une bouffée d'oxygène pur, puis me mets à marcher lentement, sans but précis.
Je me trouve à errer sur les docks, écoutant les légers clapotis de l'eau contre la coque des bateaux qui mouillent. Ici, loin des lampadaires et près de la Tamise, il fait encore plus frais qu'en ville. J'enfonce mes mains dans les poches de mon long manteau – que je bénis d'être si long dans des moments comme celui-ci – et prends mon temps pour faire chaque pas, le bruit de mes chaussures sur le bois résonnant de concert avec celui du fleuve. Je ne sais pas combien de temps je suis resté assis là, les pieds nus trempés dans l'eau fraîche, et ça n'est pas important. J'ai regardé les étoiles un moment en tentant d'identifier les constellations que Mana m'avait appris à reconnaître. Sous la voûte du ciel d'encre empli de petits points blancs, je me suis senti très petit et humble. En un sens, ça me rassure. A la Congrégation, j'ai souvent l'impression de porter des responsabilités qui parfois me dépassent. J'ai peur de finir par me prendre pour trop important et du coup perdre ma lucidité. Alors un peu de confrontation avec une immensité que je ne pourrai jamais atteindre, ce n'est pas une mauvaise chose.
Quand j'ai eu le sentiment d'avoir contemplé les astres suffisamment longtemps pour m'apaiser et dormir tranquillement, je suis reparti sans me presser, plus serein et moins contrarié qu'à l'aller. J'ai pris un chemin différent pour rentrer, prenant tout mon temps pour regarder les ruines du palais de Westminster en traversant le pont et avant que je n'aie l'occasion de réellement le saisir, mes pas m'ont machinalement reconduit devant l'imposante porte de bois du quartier général. Je suis ensuite remonté à ma chambre, toujours sans croiser la moindre présence dans les longs couloirs puis je me suis couché et ai dormi d'un sommeil sans rêve. Mes habitudes de vie n'ayant pas vraiment changé, je me suis levé alors que le soleil était encore rasant à l'horizon. J'ai ouvert en grand ma fenêtre avant de faire quelques exercices histoire de maintenir mon corps en bon état, pour finir avec une douche froide et m'habiller pour partir en direction de la cafétéria ; mon appétit n'a évidemment pas changé non plus.
Une fois la longue liste de plats faite et Jerry parti joyeusement en cuisine, je m'assois à une table avec pour objectif de trouver quelque chose pouvant m'occuper en cette nouvelle journée de repos. Je n'en ai cependant pas le besoin ni l'occasion car Komui se dirige à pas rapides vers moi et engage la conversation de son usuel ton jovial :
« Bien le bonjour, Allen-kun ! Tu as bien dormi ? »
Face à cette bonne humeur, je choisis le silence et exprime mon mécontentement par un regard sombre. L'aîné Lee est loin d'être idiot, il comprend tout de suite ce que je lui reproche. C'est donc avec son air sérieux et responsable qu'il s'assoit en face de moi et me dit doucement :
« Je sais pourquoi tu m'en veux. Je sais bien que ta place est au combat, en mission, sur le front. Mais ce n'est pas pour cette raison que je vais me permettre de t'exploiter. Vois-tu, des gens comme Rouvelier ne comprendront jamais pourquoi j'agis ainsi. Selon lui, il faudrait tous vous jeter dans la bataille à partir du moment où vous portez une Innocence. Mon but est de tous vous protéger de ce genre de comportement qui va à l'encontre de votre humanité. Car vous êtes tous humains, ajoute-t-il en voyant mon air contrarié, et toi aussi, Allen-kun. Cette marque sur ton front en est la preuve. Tu sais en plus que Crown Clown peut devenir dangereux pour toi lorsque tu arrives à ta limite. Maintenant que tu es Maréchal, c'est d'autant plus important. Tu dois prendre les choses avec un peu plus de considération pour ta propre vie ; tu as maintenant dix-sept ans, il n'est plus question de te jeter aveuglément en avant.
- Komui-san… Je sais tout ça. Ce que je n'arrive pas à comprendre, c'est pourquoi vous me laissez ici aussi longtemps. Je veux dire, une nuit, une journée de repos me suffirait pour me remettre si je n'ai pas de blessure particulière. Vous me maintenez ici alors que je me porte bien.
- C'est aussi pour que nos supérieurs n'aillent pas prendre l'idée de te surmener. Comme ils ne savent pas que je t'oblige à prendre du repos, ils pensent que justement ces journées te sont nécessaires, me répond-il en baissant la voix et en se penchant vers moi. Je ne tiens pas à ce que tu enchaînes mission sur mission, surtout seul.
- Je vois…
- Mais ne t'en fais pas, reprend-il d'un ton jovial, je suis venu t'apporter une bonne nouvelle, ce matin !
- Vous avez une mission pour moi ? je demande, plein d'espoir.
- Bingo ! Passe à mon bureau après ton petit-déjeuner ; je te donnerai les détails, les informations nécessaires et une ou deux précisions.
- Entendu.
- Je te laisse. A tout à l'heure, donc. »
Je fais oui de la tête. Ma bonne humeur est de retour. J'avale mon repas avec entrain puis prends la direction du bureau du Chef Moniteur, curieux et enchanté par la perspective de retrouver une activité. Komui m'attend, assis à son bureau, sa tasse de café fumant dans une main, des feuilles dans l'autre. Je me place en face de lui et me concentre sur ce qu'il va me dire.
« Le lieu de ta prochaine mission se trouve à Malte ; tu prendras l'Arche pour t'y rendre. »
Je fronce les sourcils.
« Malte ? C'est une petite île, pourtant ; que peut-il y avoir d'intéressant là-bas ?
- J'y viens, Allen-kun. C'est justement parce qu'il s'agit d'une petite île que c'est dangereux. Comme tu le sais, Malte se trouve juste en dessous de la Sicile. Nos Trouveurs ont remarqué une activité plus intense qu'à l'ordinaire ainsi qu'une augmentation du nombre de départs et arrivées de bateaux assurant le trajet. L'Italie a été plutôt épargnée jusqu'à présent mais nous commençons à avoir des doutes quant à la présence d'akuma dans cette région. Après tout, en plein milieu du bassin méditerranéen, c'est un comptoir de l'Europe et le réseau naval est dense. On a donc besoin de savoir si ce secteur a été envahi ou non.
- Il se pourrait donc que Malte soit en fait peuplée d'akuma, si je comprends bien ?
- Tout à fait. Plus exactement, nous pensons à une sorte d'usine secondaire. Depuis la destruction de l'œuf, le Comte a dû reprendre ses activités et j'ai dans l'idée que le bruit qui a couru disant que l'œuf avait été réparé était aussi un moyen pour détourner notre attention.
- Vous pensez à une deuxième Edo ?
- Plus ou moins, oui. Le problème étant que jusqu'à ce que nos quartiers soient déplacés à Londres, nous ne pouvions pas nous permettre d'interférer dans les affaires maltaises et anglaises. Par conséquent, il se peut que l'endroit soit infesté. Cette difficulté est aplanie à l'heure actuelle et ceci nous arrange bien car ces dernières années, il y a eu du remous sur le plan politique entre l'Angleterre et sa colonie.
- Hum… »
En entendant le topo de Komui, je ne peux pas m'empêcher de soupçonner un ou plusieurs Noah d'être derrière tout ça, tirant les ficelles dans l'ombre, comme à leur habitude. L'éventualité de donc devoir les affronter s'est aussitôt imposée dans mon esprit. Mais seul… quand je repense aux dégâts que Lulubell seule a réussi à faire alors qu'il y avait quatre Maréchaux et nous tous, cette perspective me glace un peu le sang, j'avoue. C'est à ce moment-là que mon interlocuteur ajoute :
« Seulement, je ne voudrais pas te faire une fausse joie, Allen-kun, mais étant donné que tu es seul et que le danger que tu encoures potentiellement est très élevé, tu vas devoir attendre que quelqu'un revienne de mission avant de pouvoir espérer quitter cet endroit.
- Et vous avez une idée de qui m'accompagnera ? lui demandé-je avec un subit pressentiment.
- Les premiers Exorcistes à revenir, sûrement. »
Devant mon regard interrogateur, il ajoute :
« L'équipe du Maréchal Tiedoll devrait revenir d'ici un à deux jours, m'a-t-il dit dans sa dernière communication. En toute logique, tu partiras avec Kanda-kun ; Marie et Froi partiront ailleurs avec Chaoji-kun. »
Et merde. Je l'ai senti venir, pour être honnête. Si j'avais eu la moindre chance de me trouver avec quelqu'un d'autre, Komui m'aurait tout de suite annoncé de qui il s'agissait. Je soupire. En clair, cela signifie que je vais me retrouver coincé sur une île minuscule avec ce type bougon et asocial. Comme pour ajouter à mon malheur, je sais pertinemment qu'en plus, il sera mon seul coéquipier parce que ce n'est pas une mission pour récupérer un morceau d'Innocence ; le Chef Moniteur n'a donc aucun besoin de nous assigner des Trouveurs. Formidable, pensé-je.
« Je me doutais bien que cette perspective te réjouirait beaucoup moins, Allen-kun, mais si tu es objectif, tu ne peux pas nier que Kanda-kun et toi faites du très bon travail ensemble. »
Je lève les yeux au ciel. Oui, Kanda et moi faisons du bon travail. Nous sommes consciencieux, nous avons un objectif à atteindre et nos techniques de combat s'accordent plutôt bien mais ça ne signifie en rien que nous sommes une équipe. En deux ans de temps, Kanda n'a fait que me mépriser un peu plus et en toute franchise, je pense qu'il considère que je ne suis pas apte à être Maréchal. Trop sentimental, gnagnagna.
« Komui-san, ce n'est pas que je n'aime pas travailler avec Kanda mais vous savez très bien qu'il ne me supporte pas…
- Il va bien falloir qu'il s'y fasse. Je ne fais pas les assignations en fonction des affinités de chacun mais des besoins de la mission. Pour celle-ci, il est nécessaire que vous soyez deux au minimum. De plus, Kanda-kun et toi vous connaissez depuis ton arrivée. Je te rappelle qu'il a été ton premier coéquipier. Après, comme il s'agit en grande partie d'investigation et d'infiltration, la discrétion est de mise.
- « Discrétion » devient relative quand vous parlez d'un Japonais aux longs cheveux bleus et d'un européen aux cheveux blancs avec un pentacle sur le front, rétorqué-je en grommelant.
-Tu as très bien compris ce que je voulais dire par là. Tiens, je te donne une copie du dossier pour Kanda ; il aura le temps d'en prendre connaissance durant le trajet. Ça t'évitera d'avoir à supporter sa mauvaise humeur au moins un moment.
- Vous êtes en plus en train de me dire que Kanda va repartir directement avec moi ?!
- Oui. Selon son maître, il n'est absolument pas fatigué et n'a subi aucune blessure ; tu l'auras en pleine forme pour votre mission.
- Génial… »
Alors que je m'apprête à sortir, Komui m'interpelle :
« Ah, Allen-kun, j'oubliais !
- Oui ?
- J'ai également eu des nouvelles de l'équipe Cross. »
En entendant le nom du groupe, je me retourne soudainement.
« Lavi va bien. Il sera sûrement là quand tu reviendras. »
Ces deux phrases suffisent à me rassurer. Je sais que l'aîné Lee est au courant de ce qui se passe plus ou moins entre Lavi et moi. Ce n'est rien de très clair encore mais depuis quelques mois, notre relation prend un angle différent. Elle est un peu ambiguë pour le moment mais je sens que quelque chose a changé. Cela fait plusieurs semaines qu'il est parti et que je n'ai pas eu un mot à son sujet, alors ces nouvelles me rassurent grandement. Je souris et remercie Komui puis sors. C'est ce petit détail qui va me laisser serein avant mon départ pour Malte. De retour dans ma chambre, je parcours le dossier. Informations classiques : monnaie, coutumes locales, religion, gouvernement, un petit point historique et géographique ; me voilà prêt et suffisamment informé à mon goût. Seule ombre au tableau : le moment du retour de Kanda. Tel que je le connais, ce sale type serait capable de venir me réveiller jusque dans ma chambre en me mettant son katana sous la gorge juste pour avoir le plaisir de me dire que je suis fainéant, pas assez sur mes gardes et que nous sommes en retard.
Je réprime un frisson et porte machinalement une main à mon cou, sentant par avance le métal froid et tranchant contre ma peau. J'espère juste qu'il ne reviendra pas trop tard ; je n'ai pas spécialement envie de faire le pied de grue jusqu'à des heures indues, surtout pour être remercié par un grognement et un regard acide. Je tente de me détendre un peu en m'allongeant sur mon lit, les bras croisés derrière la nuque, le regard dans le vague et je m'efforce de penser à quelque chose d'apaisant. La première image qui me vient en tête est celle de Lavi, un sourire presque trop grand, me faisant d'immenses signes de bras en me hélant depuis l'embarcadère. Je sens mes lèvres se courber légèrement à cette idée. J'aime son sourire. J'aime la façon dont il me regarde ; avec attention, sérieux et cette envie contenue. J'aime quand il me parle de tout et de rien, de thèmes graves, de lui, qu'il raconte une bêtise et qu'il rit pour cacher son embarras. J'aime son naturel qui, malgré sa condition de membre du clan Bookman, prime sur le reste.
J'aime aussi quand il se moque de moi, même si je ne le montre pas sur l'instant. Le fait qu'il m'appelle encore « Pousse de soja » ou me taquine prouve que finalement, les choses n'ont pas tant changé et qu'il reste avant tout mon ami. Et enfin, depuis plus récemment, j'aime la façon qu'il a de gémir mon nom quand il me fait l'amour. Ses mains brûlantes et aventureuses. Sa peau claire, ses cheveux en bataille. Ses bras enserrant mes hanches quand il se perd en moi. La cambrure que prend son dos quand son plaisir atteint son paroxysme. J'aime cette façon possessive qu'il a de me tenir après l'amour, lorsqu'il s'endort comme un nouveau-né en me serrant contre lui. La seule chose que j'ignore demeure la suivante : j'aime toutes ces choses de lui, mais puis-je dire pour autant que je l'aime ? Je n'arrive pas à savoir et au final, je ne crois pas que ça importe et influe sur notre lien. Les choses sont ce qu'elles sont, et c'est tout.
L'heure tourne alors que je me laisse aller à mes réminiscences. Il est déjà midi et demi quand je sors de ma torpeur. Je vais donc manger et trouver de quoi occuper mon après-midi. Je suis tellement agacé de ma latence que même une corvée de ménage me ravirait. Malheureusement, partout où je me suis promené dans l'espoir de trouver une quelconque tâche, on m'a regardé d'un air presque trop navré pour être vrai en me répondant que non, c'était gentil mais il n'y avait rien à me faire faire. Néanmoins, à force de chercher, je ne me suis pas rendu compte que le temps a passé et que la journée touchait à sa fin. Le soulagement que j'ai éprouvé n'en a été que plus grand, et c'est avec le sentiment d'être un survivant de l'ennui que je m'en suis retourné à mes appartements pour aller prendre ma douche et manger. Toute cette routine m'ennuie tellement que j'en viens à espérer un prompt retour de Kanda pour quitter cet endroit qui va finir par me rendre fou, à ce train-là.
A ma table habituelle, assis à ma place habituelle, devant un plateau et des couverts habituels, j'ai mangé un peu moins que d'habitude. Probablement parce que même si mon Innocence de type parasitaire consomme beaucoup de mon énergie, l'inactivité prolongée réduit mes besoins. En revenant à ma chambre, je ne me prépare pas à descendre en catimini déambuler dans les ruelles sombres mais mes tentatives d'endormissement se révèlent être des échecs. Je me tourne et me retourne sans parvenir à trouver la quiétude du sommeil. Je ne sais pas pourquoi mais je sens que quelque chose m'en empêche. Comme une menace qui plane au-dessus de moi. Au final, l'aube arrive et j'ai toujours les yeux grands ouverts. Je n'ai pas fermé mes paupières plus d'une demi-seconde et je ne suis même pas fatigué. Il est vraiment temps que je sorte…
En désespoir de cause, je fais mes exercices ; trois cents pompes, le même nombre de tractions. Je me lave et vais prendre mon petit-déjeuner. Je remercie le ciel d'avoir fait venir Komui à ce moment-là car comme je l'ai espéré, c'est synonyme de reprise du travail. Il avance rapidement jusqu'à ma table, se penche à mon oreille pour y murmurer ces mots que je savoure bien plus que l'omelette au bout de ma fourchette :
« Kanda est arrivé. Il va juste changer ses affaires en vitesse et te retrouve dès que tu es prêt. »
Si je n'avais pas assez de savoir-vivre et de retenue, je sauterais de joie en hurlant que je pars en mission. Ni une ni deux, j'avale le reste de mon plat, ramène la pile d'assiette en défiant les lois de la gravité et cours comme un dératé empiler quelques chemises, pantalons et affaires de rechange dans ma valise – il ne manquerait après tout plus que je sois en retard alors que ça fait quatre jours que je tourne comme un lion dans une cage à la recherche d'une occupation – avant de me jeter dans les escaliers pour descendre jusqu'à la pièce où est gardée l'Arche. Je manque de me briser le cou en trébuchant à plusieurs reprises mais la chance est avec moi ; j'arrive entier. Kanda me rejoint à peine une minute plus tard alors que je reprends mon souffle, les mains posées sur les genoux. Comme de juste, pas un salut, pas un regard, pas un mot, rien. Il se contente de passer devant moi et alors qu'il s'apprête à passer la porte de ce qui nous conduira jusqu'à Malte, il se retourne et prend la parole d'un ton méprisant :
« Tu comptes camper là ? Je te rappelle que tu es le seul à pouvoir faire fonctionner cette chose… »
Je serre les dents et contiens ma réplique de mauvaise grâce tandis que je le précède sans un regard pour lui non plus. De toute façon, sa mauvaise humeur ne m'atteint pas ; je suis trop excité par la perspective de partir en mission après autant de temps passé à ne rien faire pour que son côté bougon n'entame mon enthousiasme. Je règle donc la destination de l'Arche sur La Valette et rejoins mon coéquipier.
A ce moment-là, comme en attestent mon sourire léger et mon air détendu, j'ignore encore que cette mission sera le début de ma fin…
A suivre…
A/N : Comme le canon prend place à la fin du XIXe siècle, je me suis basée sur des faits historiques datants de la même époque, à savoir que l'archipel de Malte est une colonie britannique, que le clocher de Big Ben existe tout autant que le pont de Westminster mais que par contre, le palais n'est pas encore reconstruit (étant donné qu'il a été détruit en 1834 par un incendie, je doute qu'il ait été reconstruit en si peu de temps). Merci d'avoir lu !
