Bonjour à tous !

Je commence un gros projet qui me prendra certainement beaucoup de temps et qui sera un vrai défi à relever.

C'est la première fois que j'écris sur le Kanon/Rhadamanthe. Si on m'avait dit au début que je ferai ça, je ne l'aurais pas cru ! Lorsque j'ai découvert que ce couple devenait de plus en plus populaire sur le fandom, je me suis dit « Mais pourquoi ? C'est pas crédible ! Ils n'ont rien à faire ensemble et puis Rhadamanthe ne m'intéresse absolument pas comme personnage ! »

Et là, je suis tombée sur trois fics, trois perles impressionnantes qui ont totalement retourné mes réticences et m'ont rendues accro à ce couple. Je les ai découvertes par la pub faite par d'autres auteurs donc je me permets à mon tour, d'en parler ici :

La Relique dorée de Sheraz : Le Kanon/Rhadamanthe est loin d'être le seul intérêt de cette fanfic à l'intrigue extrêmement bien ficelée. Tout est bon : le style, les relations entre les persos (mention spéciale pour un Poséidon absolument fantastique), la force des sentiments, l'intérêt et la crédibilité des problèmes posés et leurs résolutions bref... je n'ai pas décollé de mon écran et ma vision des deux dragons s'en est trouvée radicalement changée.

The Price of Freedom de Talim 76 : Je ne connaissais pas le film dont elle était issue (il est passé à la télé peu après d'ailleurs !). Qu'est-ce que j'ai ri ! Une situation cocasse, un Kanon plus sale gosse que jamais (qu'est-ce que je l'aime quand il est écrit comme ça !), un Rhadamanthe pris à son propre piège et un Hadès étonnamment attachant. J'en suis ressortie avec un immense sourire sur le visage et encore plus atteinte par le Kanon X Rhada.

New World Symphony de Gajin : 92 chapitres (et elle n'est pas finie!) et un nombre de reviews carrément impressionnant. N'étant pas une grande fan des UA, je me suis décidée quand même à aller voir et là...addiction complète et irrémédiable ! (le personnage de Milo a même renforcé mon goût pour les soirées électro ! XD) J'ai lu toute la fic en 4 jours. On rentre dans l'univers proposé sans aucun problème et c'est tout bonnement brillant. A tous les niveaux.

C'est cette dernière fic qui m'a donné l'envie d'écrire un UA moi aussi même si je doute de pouvoir un jour atteindre le niveau de NWS.

Le couple central sera bien sûr nos deux dragons mais on trouvera beaucoup d'autres personnages.

J'arrête mon blabla déjà bien long et vous souhaite une bonne lecture !

Chapitre 1/ Nuit creuse.

Il était déjà dix-huit heures et les personnes présentes dans l'immense bureau doré par la lumière de fin de journée avaient manifestement hâte de pouvoir enfin rentrer chez elles. Mais la négociation à distance s'éternisait et leur impatience ne pouvait se traduire que par des mouvements nerveux des doigts et des jambes.

Ils étaient trois hommes assis autour d'une grande table ovale. A la place du « président », se trouvait une grande tablette numérique grâce à laquelle ils pouvaient suivre une conversation skype avec le représentant d'une célèbre chaîne de fast-food américaine. De l'autre côté de la table, face à l'écran, il y avait un grand blond au teint pâle et au regard fixe et froid comme celui d'un aigle. Assis dans son fauteuil avec un mélange imposant d'assurance et de désinvolture, il conversait avec son client dans un anglais parfait à l'accent britannique.

Cling !

Le portable du grand blond émit un petit son métallique, semblable à celui d'une clochette. C'était au moins la dixième fois depuis le début de l'entretien et, pour la dixième fois, il tapa quelques lettres de la main droite qu'il envoya par texto. Aucun des deux autres hommes présents, n'avaient la moindre idée de ce qu'il fabriquait et aucun n'aurait osé lui poser cette question intrusive.

Il s'agissait pour cette chaîne de fast-food de mettre au point une nouvelle stratégie marketing adaptée à la France car les ventes commençaient à baisser à cause de la méfiance grandissante à l'égard de ce qu'on appelait la « malbouffe » et il était temps de réagir. Si le consommateur avait besoin d'être rassuré, il fallait lui donner des raisons de l'être. Le défi était d'autant plus intéressant que ce pays, qui se targuait tellement d'être la patrie de la gastronomie, était le second plus gros marché de la firme après les Etats-Unis.

Pour cela, les Américains aidés de leurs responsables français avaient eu une idée : présenter dans les restaurants français, des produits spécifiques et adaptés aux goûts locaux tout en insistant sur le fait que les ingrédients viendraient tous du pays.

La demande à Hermès, plus grosse agence de communication de France, était simple : mettre au point une nouvelle campagne de promotion pour un sandwich-baguette.

Présenter un hamburger dans ce pain-baguette si prisé des Français, les responsables de la firme attendaient beaucoup de cette idée. Avec une communication basée sur la fraîcheur des produits et leur provenance locale, le client lambda aurait à la fois le sentiment de consommer plus un sandwich qu'un « hamburger » proprement dit et croirait avoir affaire à des ingrédients plus sains parce que provenant de son pays. Ils avaient bien compris que le chauvinisme serait leur meilleur ami dans cette affaire.

C'était aussi l'avis du blond qui prenait des notes de la main gauche sur un petit calepin. Il était directeur clientèle dans cette agence et il connaissait bien la firme et ses attentes.

Cling !

Nouveau tintement du portable et nouveau texto.

Puis il fit part de toutes ses idées à son interlocuteur qui sembla tout à fait ravi dans son écran de tablette.

-Je vous fais parfaitement confiance, dit-il en anglais. Ce n'est pas la première fois que nous travaillons avec Hermès et nous avons toujours été satisfaits.

L'homme hocha légèrement sa tête en signe de remerciement, se tourna légèrement vers sa droite et demanda en français à son directeur artistique qui crayonnait sur un carnet aux pages parfaitement blanches :

-Déjà des idées Valentine ?

-Je pense oui, marmonna celui-ci. Et de slogans aussi. Je vais réfléchir à ça ce soir, j'en parle à mes assistants et j'aurais sûrement plein d'ébauches à te présenter demain.

-Rune ?

Le planneur stratégique, qui semblait fatigué, répondit :

-Le Français lambda a toujours tendance à oublier qu'un aliment produit en France peut être d'aussi mauvaise qualité qu'ailleurs donc je vois parfaitement sur quels thèmes orienter la stratégique de communication : viande de bœuf de l'élevage du coin, salade fraîche, pain du boulanger (avec peut-être l'image d'un brave paysan cultivant son champ pour renforcer l'impression d'authenticité...).

-Et un nom français ! intervint Valentine avec un sourire en coin. Il faut qu'on trouve un nom français à ce machin, ça donnera plus confiance et moins l'impression qu'on se gave d'une cochonnerie américaine !

Il pouvait bien parler sans se gêner : la personne dans la tablette ne pipait pas un seul mot de leur langue !

- T'en penses quoi Rhadamanthe ?

Cling !

Ce dernier répondit d'une voix égale tout en lisant son nouveau message :

- Que c'est une bonne idée.

Valentine risqua prudemment un œil vers le portable mais ne parvint à deviner ce que faisait son chef. Rhadamanthe releva ses yeux vers la tablette et reprit en anglais :

-Bien monsieur Kernby, je vous recontacterai dans deux jours pour vous présenter nos premières idées.

L'autre le remercia, salua les trois hommes présents et son visage disparut de l'écran. Rhadamanthe se leva pour récupérer la tablette et dit à ses collaborateurs :

-Il est tard. Rentrez chez vous tous les deux, on se voit demain.

Les deux hommes ne se firent pas prier ils devaient partir vite s'ils voulaient pouvoir rentrer chez eux à une heure décente après avoir affronté le périphérique.

Resté seul, Rhadamanthe se tint debout devant son immense baie vitrée. Le paysage n'était pourtant pas des plus intéressants : ce n'était que les tours de verre et le parvis fourmillant de la Défense. Mais, pour une fois qu'un nuage de pollution ne gâchait pas la lumière, celle-ci se déversait de l'ouest dans un grand flot doré qui donnait un peu de beauté à la vue en faisant scintiller les innombrables carreaux de verre des tours. Mais, vers le nord, une énorme masse d'un gris sombre approchait : la nuit serait pluvieuse.

La porte derrière lui s'ouvrit sur deux homme grands et beaux, l'un à la chevelure d'un noir corbeau et l'autre d'une étonnante couleur argentée alors qu'il semblait n'avoir que la trentaine. Ils entrèrent sans bruit et s'échangèrent un regard complice avant de s'avancer silencieusement vers le contemplateur qui n'avait pas bougé. Celui aux cheveux noirs se glissa derrière lui et lui posa un peu brusquement un bras sur les épaules :

-Bouh ! Encore en train de rêvasser toi !

Rhadamanthe n'avait même pas sursauté ce qui tira un léger soupir déçu à celui qui avait voulu le surprendre :

-Tu n'as même pas eu peur !

-Eaque, j'ai vu vos reflets dans la baie vitrée...

L'autre, aux cheveux argents, se mit à rire, tira le gros fauteuil à roulettes qui se trouvait au bout de la table ovale et s'y assit en s'écriant :

-Encore manqué ! Notre petit frère doit avoir un sixième sens pour sentir arriver le danger !

-En effet, répondit Rhadamanthe le plus sérieusement du monde, toujours bien droit devant la vitre et les mains dans les poches de son pantalon bleu sombre. Et vous deux, vous avez passé l'âge de ce genre de blagues.

-Oh moi oui ! C'est lui qui nous fait une crise de regression depuis qu'il sait que tu vas partir ! répondit l'argenté en pointant Eaque du doigt.

-Comme si ça ne te faisait pas marrer Minos ! répliqua ce dernier.

Eaque, cependant, garda son bras autour des épaules de son frère et, après quelques secondes, et sans que son regard grave n'ait cessé de rester fixé vers l'extérieur, Rhadamanthe sortit sa main droite de sa poche pour aller attraper la sienne.

Ils étaient trois frères, tous trois également propriétaires d'Hermès, la plus grosse agence de communication de France fondée par leurs parents décédés. On ne l'aurait pas cru tellement ils étaient physiquement différents. Cependant tous trois possédaient les mêmes yeux dorés.

Nés chacun à un an d'intervalle, ils étaient extrêmement liés et formaient un triumvirat à la tête de l'agence, même si Minos, l'aîné, assumait plus volontiers les fonctions de PDG avec la bénédiction de ses deux frères.

Rhadamanthe, le cadet, ne partageait toutefois pas la passion de ses frères pour la publicité et la communication. Plus renfermé que ses aînés et plus secret, il évoluait dans ce domaine fait de beaucoup d'hypocrisie avec un cynisme qui ne lui suffisait plus. Aussi, quelques jours plus tôt, avait-il annoncé à ses frères qu'il comptait partir aux Etats-Unis pour changer d'air et se reconvertir.

Minos, toujours assis dans son fauteuil, observait d'un œil pensif et affectueux le visage un peu dur et toujours sévère de son plus jeune frère. Contrairement à Eaque et lui, Rhadamanthe ne souriait que rarement et parlait peu. Sa politesse parfaite mais froide, son élégance, sa voix grave si bien timbrée que même un murmure s'entendait facilement et son absence complet d'effort pour se rendre sympathique en société lui attiraient des qualificatifs qui allaient de « mystérieux » à « sinistre ». Ses frères étaient les seuls à pouvoir se vanter de le connaître réellement et Minos avait toujours senti qu'Hermès n'était pas vraiment un endroit pour lui. Si Rhadamanthe éprouvait le besoin de changer de vie, il espèrait du fond du cœur qu'il y trouverait ce qu'il lui manquait.

-Tu sais où tu veux aller? demanda-t-il.

- Je crois que j'ai trouvé.

Rhadamanthe sortit de l'intérieur de sa veste une longue cigarette électronique noire et or qu'il alluma et porta à ses lèvres avant d'ajouter :

- Chicago me semble la meilleure solution. Je pourrai intégrer l'école au mois de Novembre et la formation durera six mois.

Eaque soupira :

-Je suppose qu'on n'a plus qu'à se résigner...Attends-toi à ce que je vienne te casser les pieds souvent là-bas !

Rhadamanthe eut enfin un léger sourire en répondant :

-Je n'en attendais pas moins de toi.

-Je change de sujet là...prévint Minos. Tous les trois, on est invités par Julian pour une croisière en Méditerranée !

-En quel honneur ? s'étonna Rhadamanthe.

-En l'honneur que nous sommes ses potes et qu'il a envie de s'amuser ! Répondit Eaque.

-Plus sérieusement, précisa Minos. Il veut qu'on l'aide à travailler sur son image. La présidentielle est dans un an et demi et il n'a pas l'intention d'y faire de la figuration !

-Et bien le conseil que je lui donnerais serait d'oublier très vite les petites escapades en yacht de luxe ! répondit Rhadamanthe avec sarcasme. Dans ce pays, il va déjà avoir du mal à se faire pardonner d'être riche, ce sera encore pire s'il a l'audace de le montrer !

-Ce sera la partie la plus délicate à lui faire comprendre, admit Minos. Mais en attendant allons-y tous les trois, ça va être drôle ! Et si Julian doit se calmer là-dessus ensuite, autant se faire une petite dernière !

Rhadamanthe s'en serait bien passé il trouvait Julian insupportablement bavard et prétentieux mais ses frères l'aimaient bien et il savait qu'ils seraient déçus s'il ne venait pas.

-Vous savez ce que j'en pense...marmonna-t-il en exhalant une bouffée à l'odeur de menthe.

-Oui on sait, sourit Eaque. Mais le yacht de Julian est assez grand pour que tu puisses l'éviter s'il te saoûle. Prends ça pour de bonnes petites vacances tout frais payés !

-Et ce sera pour quand ?

-On part le 8 octobre pour une semaine. Il devrait faire encore beau, les touristes seront partis, ce sera parfait !

- Bon...

Cling !

Le portable que Rhadamanthe avait laissé à sa place sonna de nouveau. Il le récupéra, lut le message et dit à ses frères :

-Je vais y aller. Bonne soirée à tous les deux.

Il rangea sa tablette dans son étui, passa la bandoulière sur son épaule et quitta le bureau désormais déserté par tous les employés. Il s'engouffra dans l'ascenseur et descendit jusqu'au parking souterrain de la tour où l'attendait un superbe coupé sport noir. Il monta dedans, démarra et sortit du parking.

A l'extérieur la nuit tombait et les nuages menaçants s'étaient rapprochés. Naturellement, quitter la Défense pour s'engouffrer dans les rues de Paris jusqu'au IXe arrondissement en ce début de soirée ne fut pas une mince affaire. Au bout d'une bonne heure, il arriva enfin à destination : le dépôt de livraison de l'hôtel Drouot et peu après, il ressortit en portant sous le bras un long et large paquet rectangulaire et très soigneusement emballé. Mais en sortant sur le trottoir, il émit un grognement agacé car une pluie battante s'était mise à tomber. Resserrant sa prise sur le paquet qui n'était pas facile à porter seul, il pressa le pas vers sa voiture pour mettre à l'abri son nouveau trésor le plus vite possible.

La tête baissée, il heurta alors brusquement un homme qui arrivait en sens inverse et qui courait manifestement pour échapper à la pluie. Son fardeau faillit lui échapper, il le rattrapa de justesse et eut juste le temps de relever la tête pour apercevoir brièvement une longue silhouette aux cheveux bleus trempés qui leva les mains en signe d'excuse :

-Désolé mec, j't'avais pas vu !

Après quoi, l'inconnu reprit sa course sous la pluie et disparut. Pestant intérieurement contre la pluie et les maladroits, Rhadamanthe finit enfin par arriver à sa voiture et fit coulisser par le coffre l'imposant rectangle à l'arrière dont il avait déjà baissé les fauteuils. Puis il se remit au volant et put enfin prendre le chemin de son appartement , résidence Giudecca, à deux pas du boulevard Haussmann.

Il se gara dans le parking souterrain, attrapa son paquet et s'engouffra dans la cabine d'ascenseur rutilante qui l'emporta jusqu'au troisième étage.

L'immeuble était luxueux jusqu'au beau tapis qui recouvrait tout le palier et étouffait le bruit des pas. Tentant de retenir son paquet sur sa hanche et avec une seule main, il ouvrit la porte et entra chez lui.

Il vivait dans un superbe loft typiquement haussmanien avec son parquet en point de Hongrie et ses moulures au plafond. Mais la décoration, toute contemporaine et très sobre en bibelots, ne comptait que du blanc et du noir.

Le vaste salon comportait une table basse en plexiglas au milieu de deux canapés en cuir noir quatre places qui se faisaient face. Le tout était posé sur un large tapis angora blanc. Une cheminée en marbre trônait dans un coin de la pièce, surmontée d'une grande glace. Sur le mur d'en face, il y avait un espace complètement libre avec un crochet nu sous lequel Rhadamanthe posa son paquet.

Muni d'une paire de ciseaux, il entreprit de défaire patiemment l'emballage de papier kraft et de papier bulle qui protégeait sa nouvelle acquisition. Et un sourire apparut sur ses lèvres lorsqu'il put enfin découvrir ce qu'il y avait dessous. Un tableau. Nuit creuse de Georges Mathieu. Il venait de le payer 80 000 euros aux enchères de Drouot dont il avait participé par SMS incessants avec la personne qui avait enchéri sur place de sa part. Il était heureux et fier d'avoir obtenu cette toile.

Il la prit, la souleva et, après quelques difficultés, il réussit à l'accrocher bien droit à ce crochet et sur cet espace qui n'attendaient que cela. Puis il recula et croisa les bras pour apprécier l'effet de cette toile noire scarifiée de rouge comme l'expression d'un déchaînement de rage et de douleur. Il avait eu le coup de foudre pour ce tableau et s'émerveillait du fait qu'il semblait fait pour figurer dans son appartement.

Rhadamanthe était un passionné d'art. Après presque huit ans passés à s'occuper de la promotion de hamburgers ou à conseiller des politiciens sur les meilleurs méthodes pour enfumer le monde, il avait eu le sentiment de perdre son temps et avait décidé de prendre une autre voie. Il allait bientôt commencer un MBA « marché de l'art » à Chicago. Il avait le sens des affaires oui mais, pour la première fois, il allait pouvoir s'en servir dans un domaine qui l'intéressait réellement. Il avait vraiment hâte de partir.

Il pouvait se permettre tout ça car sa part de l'héritage de ses parents lui resterait et lui fournirait toujours de confortables revenus. Minos et Eaque avaient plus de goût que lui pour les activités d'Hermès et son départ ne provoquerait sûrement pas de vide là-bas (même si Eaque avait tenté un assez pitoyable chantage affectif).

Rhadamanthe se rendit dans la cuisine et ouvrit un meuble bas dans lequel il stockait des bouteilles de whisky hors de prix et se servit un fond de Johnny Walker avec des glaçons. Sa cuisine était tellement propre qu'elle aurait pu servir pour une photo de catalogue. C'était d'ailleurs le cas pour le reste de son appartement car il était un homme rangé, presque maniaque en plus du fait que quelqu'un venait là tous les deux jours pour faire le ménage.

Son verre à la main, il n'alluma pas la télévision (à cette heure-ci, il n'y avait que des stupidités) mais il saisit au passage un livre posé sur le canapé et qu'il avait laissé là la veille au soir : Misery de Stephen King, un grand classique pour qui aimait les thrillers mais qu'il n'avait pourtant jamais eu le temps de lire. Il l'appréciait beaucoup même si cette malade mentale d'Annie Wilkes faisait souvent naître davantage un éclat de sarcasme condescendant dans ses yeux qu'un vrai frisson d'horreur. Il était vrai qu'il en fallait vraiment beaucoup pour l'angoisser...

Il alla s'asseoir à une petite table en fer forgé qui se trouvait sur l'étroite terrasse de l'appartement après avoir allumé la lumière extérieure. Protégé de la pluie qui tombait toujours par la terrasse de l'appartement d'au-dessus, il se mit à lire. Il faisait bon, les rumeurs de la circulation là, en bas, semblaient comme étouffées par le bruit de l'eau. Une nuit paisible commençait.

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Au même moment, l'inconnu qui avait bousculé Rhadamanthe émergeait prestement de la station de métro de Barbès-Rochechouart et reprenait sa course vers l'immeuble de la rue des Dioscures où il habitait.

Il ne put retenir un soupir de soulagement en pénétrant enfin dans l'appartement. Dehors, un déluge automnal se faisait entendre et il était trempé jusqu'aux os.

-J'suis là ! claironna-t-il dans l'entrée étroite.

- Ah Kanon, j'allais t'appeler ! répondit une voix.

Des pas se firent entendre et une tête aux cheveux bleus, en tout point semblable à la sienne apparut avec cette mine froissée qu'ont les gens qui viennent de se réveiller. C'était son frère jumeau avec lequel il vivait.

Aussitôt, Kanon s'écria en retirant ses chaussures :

-T'as une sale tête Saga ! Tu t'es encore endormi sur ton taff ?

-Oui, répondit ce dernier en fourrageant dans sa tignasse. J'ai un discours à faire pour Julian mais là j'ai du mal...

-Pas étonnant si t'es crevé. C'est pressé ?

-Pas assez pour que ça ne puisse pas attendre demain. T'as mangé ?

-Ouais, je suis allé chez le chinois avec Raina après le taff.

-Bon, va te changer avant d'attraper la mort, on parlera après.

Saga se rendit dans la cuisine pour s'improviser un sandwich avec un reste de rôti de bœuf et de la moutarde. Voyant l'évier qui débordait encore de la vaisselle de la veille, il se dit qu'il leur faudrait penser à s'en occuper enfin.

Il alla ensuite s'asseoir dans le canapé du salon, encore habillé de sa chemise et de son pantalon de travail. Sur la table basse, son ordinateur portable affichait toujours le discours sur lequel il s'était acharné pendant une heure et demi avant de tomber de sommeil. Il allait vraiment falloir qu'il lève le pied.

Son jumeau réapparut, pieds nus et vêtu d'un pantalon de jogging et d'un t-shirt blanc informe. Ses cheveux, encore humides et qu'il avait vigoureusement épongés, formaient une épaisse crinière autour de son visage aux traits fermes et énergiques. Il vira un pull qui traînait sur le canapé, s'assit lourdement à côté de son frère et poussa un long soupir :

-Moi aussi, je suis fatigué...

-Ton agence ne t'a pas trouvé autre chose ? demanda Saga

-Pas encore. Du coup, là, je retourne au chômage.

-Tinquiète, je suis sûr que tu auras bientôt une autre mission.

Kanon était intérimaire et venait de finir une période de trois mois comme manutentionnaire. Il répondit d'une voix traînante :

-Ouais...bon et toi alors ? Comment ça va sous les ors de la République ?

-Julian se pavane et rêve de ministère comme d'habitude, répondit Saga en souriant. En attendant de vieillir assez pour devenir Président.

-Si cet abruti arrive au pouvoir un jour, moi je change de pays ! grogna Kanon.

Saga eut un sourire amusé et referma son ordinateur, agacé d'avoir sous les yeux ce discours sur lequel il bloquait.

Ils avaient beaux être jumeaux, leurs parcours avaient été radicalement différents. Saga, brillant à l'école, titulaire d'un master d'Administration Publique à Science-Po, travaillait désormais à l'Assemblé Nationale et était aussi une « plume politique », c'est-à-dire qu'il écrivait des discours. Julian Solo, député de Paris, chef d'un important parti de l'opposition et jeune loup de la politique, l'avait plus ou moins pris sous son aile et en avait presque fait son secrétaire particulier.

En revanche, Kanon, qui n'avait rien à envier à son frère au niveau de l'intelligence et de la vivacité d'esprit, après une crise d'adolescence tempétueuse, s'était laissé aller après le bac et devait désormais se contenter de missions mal payées en agence d'intérim.

Ils vivaient ensemble parce que Saga, qui gagnait bien sa vie, n'aurait jamais voulu laisser son jumeau se débrouiller avec la précarité.

Mais, même au bout de cinq ans, Kanon nourrissait encore une sorte de honte due au sentiment qu'il avait de vivre aux crochets de son frère même s'il participait de son mieux aux frais du foyer quand il en avait les moyens. Saga ne lui avait pourtant jamais fait la moindre remarque, parfaitement satisfait de vivre avec son alter ego dont il n'avait jamais été séparé dans ce T3 sans prétention où leurs deux désordres faisaient bon ménage.

Saga prit la télécommande et alluma la télévision sur la chaine d'informations sans monter le son, les gros titres et les bandeaux du bas de l'écran étant largement suffisant pour suivre les nouvelles. Après avoir mordu de nouveau dans son sandwich, il reprit :

-Tu sais que Julian m'a invité à une croisière sur son bateau ? dit-il soudain avec un sourire en coin.

Il savait très bien ce que Kanon allait en penser et devina sa réplique avant même qu'il la formule ce qui lui permit de lui couper l'herbe sous le pied alors que son frère avait la bouche ouverte :

-Non, ce n'est pas une croisière en amoureux ! Nous ne serons pas seuls du tout !

-Ouais à d'autres ! grogna Kanon. Il te fait du gringue depuis des mois, tu vas te retrouver coincé en mer avec lui...me fais pas croire qu'il n'aura pas l'idée d'en profiter ! Vous allez où et quand ?

-Du côté de la Grèce le mois prochain. S'il m'ennuie trop, je lui dirais d'aller se faire voir. Et puis, comme je le connais, il va embarquer avec de quoi s'amuser s'il est frustré !

En effet, Julian Solo, n'appréciait pas que les talents littéraires de Saga ! Il lui faisait régulièrement des avances sans équivoque auxquelles Saga n'avait jamais voulu céder. Julian était riche, agréable à regarder, indécemment sûr de lui et grand amateur de femmes et d'hommes. Saga n'avait pas la moindre envie de rejoindre son tableau de chasse déjà bien rempli et éprouvait même un certain amusement à apprendre l'échec à cet enfant gâté à qui l'on n'avait jamais rien refusé.

-Julian m'a dit que je pouvais emmener qui je voulais, reprit-il. Évidemment, il ne s'attend pas à me voir débarquer en couple. Si tu ne travailles pas à ce moment-là, ce serait sympa qu'on y aille ensemble !

Mais Kanon fit une moue peu convaincue :

-Moi ? Devant ce type insupportable, sur un yacht de luxe et entouré d'une bande péteux qui lui ressembleront ? J'aimerais mieux rester là !

-Dis-toi plus tôt que ce serait une occasion en or de passer des vacances exceptionnelles ! Quand as-tu mis les pieds sur ce genre de bateau ? Et tu n'en auras peut-être plus jamais l'occasion ! Et son yacht est bien assez grand pour que tu ne sois pas obligé de supporter les gens tout le temps ! En plus, je serai là moi. Tu ne trouves pas que ce serait bien plus sympa qu'on profite de ça tous les deux ?

Kanon lui adressa un regard en coin et dit avec une pointe de raillerie :

-T'as peur de te faire chier hein ? Ou alors tu ne veux vraiment pas rester seul avec ce type !

Saga soupira avec une pointe d'exagération :

-Je me dis que ce sera toujours mieux si t'es là, c'est tout ! Et ça te fera du bien de voir autre chose que le béton de Paris !

- Ouais ben je verrai bien si je bosse à ce moment-là ou pas.

Tout bien réfléchi, la proposition commençait à tenter Kanon : une croisière de luxe en Méditerranée tout frais payés ? Ça valait bien la peine de supporter quelques pénibles non ? En plus, Saga avait raison : ils auraient sûrement l'occasion de bien s'amuser tous les deux.