« Nous l'avions rêvé » de Diogène
Chapitre 1 « Veux-tu m'épouser ? »
Cette question revenait sans cesse dans sa tête sans qu'elle puisse y trouver une réponse.
« Pourtant je sais qu'il est cher à mon cœur, il est mon premier amour. Quand il a eu cet accident de cheval, j'ai cru que mon cœur allait s'arracher de ma poitrine tellement j'ai eu mal de le perdre. Je l'ai cru mort, nous avons même assisté à son enterrement. Son père et la grand tante Elroy ont décidé de l'emmener loin pour le sauver, il a été longtemps dans le comas puis paralysé. Ca a été la surprise de ma vie quand il est revenu, il y a trois mois. J'ai d'abord eu du mal à y croire, je l'ai à peine reconnu. Le garçon de quinze ans qui m'avait fait danser au manoir de Lakewood s'était transformé en un grand jeune homme de vingt ans. »
Son regard bleu azur et son sourire candide étaient restés identiques, toujours la même élégance et le même raffinement dans sa tenue vestimentaire. Pourtant la boiterie de sa jambe droite et son dos raide, conséquences de ce dramatique accident lui donnait une démarche un peu fragile. Et la souffrance qu'il avait du subir après cette chute avait un peu modifié son caractère. Il avait gardé cette gentillesse et cette joie de vivre qui le caractérisait mais parfois elle sentait en lui une pointe de cynisme dans ses propos qui la laissait un peu perplexe.
« Je lui ai dit que j'avais besoin de quelques jours pour y réfléchir. Ça en fait déjà cinq maintenant, il va falloir que je lui donne une réponse. »
Elle caressait de ses doigts délicats une rose blanche, la Sweet Candy, qu'il avait créée pour elle il y a quatre ans et en huma le parfum délicat. Puis elle se retourna lentement et son regard se posa sur un massif de roses rouges. Ses yeux se voilèrent de tristesse.
« Où es-tu, que fais-tu, à quoi penses-tu en ce moment ? Est-ce qu'il t'arrive parfois de songer à moi ? As-tu des regrets ou est-ce qu'elle a réussi à me remplacer totalement dans ton cœur, mon beau Roméo ? Cela va faire un an que nous nous sommes séparés d'un commun accord, alors pourquoi est-ce que j'ai l'impression de te trahir si j'accepte de l'épouser ! Non, c'est en renonçant à essayer d'être heureuse que je te trahirai, je te l'ai promis. Mais est-ce que je peux l'être avec lui alors que je n'arrive pas à t'oublier. Fais-moi un signe ! »
-OOOoOOO-
Il était allongé sur son lit et fumait une cigarette.
« Désolé ma Taches de son, j'ai repris cette mauvaise habitude. J'aimerai que tu sois là pour me sermonner mais tu es si loin. Si loin et si proche à la fois. Loin des yeux, loin du cœur dit un dicton, pour moi ça a plutôt l'effet inverse. Plus le temps passe et plus je suis obsédé par ton souvenir mon bel ange blond aux taches de rousseur. Comme tu dois être belle ! Quelle robe portes-tu en cet instant ? Est-ce que tes cheveux ont toujours ce parfum des fleurs coupées ? Ta bouche a-t-elle gardé cet arôme de fraises des bois ? Ça fait un an ma douce Juliette, un siècle ! Je donnerai n'importe quoi pour être près de toi, pour t'avoir de nouveau dans mes bras, goûter à nouveau à tes lèvres ! Est-ce que tu me giflerais encore ? Probablement ! Et tu me renverrais de nouveau à elle pour me faire payer le prix de l'avoir laissée s'éprendre de moi. Je t'ai promis de m'occuper d'elle, je le ferai. Mais rien ne m'obligera à renoncer à t'aimer quoi qu'il m'en coûte ! Demain je m'apprête à jouer le plus mauvais rôle de ma vie, le plus bas des mensonges, et pourtant je n'en ai même pas honte ! »
-OOOoOOO-
- Tu sais Candy, je crois qu'Archibald s'est enfin décidé à demander la main d'Annie.
- Ah ! Bon ! Et est-ce qu'elle a accepté ? demanda l'intéressée en sirotant son café.
- Bien sûr qu'elle a accepté, elle attendait cela depuis tellement de temps !
Le jeune homme regardait la jeune fille blonde assise en face de lui, d'un œil interrogateur. Celle-ci soutint son regard azuré quelques secondes puis replongea ses lèvres dans sa tasse en baissant les yeux. Le jeune homme émit un léger soupir et se replongea dans la lecture du journal qu'il tenait dans les mains.
« Il faut absolument que je lui donne une réponse rapidement ou il va finir par penser que je me moque de lui. Annie va épouser Archibald ! Pour elle c'était une évidence, il est le seul qu'elle n'ait jamais aimé. Depuis le collège il est présent dans son cœur, elle doit être folle de joie. Pourquoi est-ce que je n'éprouve pas cette même joie à l'idée d'épouser Anthony ? Je sais bien qu'il m'est très cher mais… »
- Tiens en parlant de mariage, il s'en est déroulé un beau hier à Broadway !
- Broadway ? fit Candy d'une voix cassée.
- Oui, tu sais cet acteur, ce britannique qui dit-on est l'étoile montante de Broadway ! Ils disent même la révélation du siècle ! Je ne connais rien au théâtre et je ne l'y ai jamais vu étant donné que je ne suis de retour aux Etats-Unis que depuis trois mois, mais j'en ai entendu parler. Il paraît qu'il était génial dans le rôle de Roméo et que toutes les filles en sont folles ! Terrence Grandchester ! Ce n'est pas lui qui était dans le même collège que toi en Angleterre ? Il me semble qu'Elisa l'a mentionné un jour !
- Hein ! Heu ! Oui je crois.
- Est-ce qu'il était de tes amis ?
- Amis ? Heu… pas vraiment, nous nous sommes parlé quelques fois…
Elle avait réussi à maîtriser le timbre de sa voix pour qu'il paraisse naturel mais elle serrait fortement sa tasse de café pour ne pas montrer le tremblement de ses mains.
- Oui avec une certaine Susanna Marlowe, une actrice aussi à ce qu'ils disent. Il est écrit que c'est celle qui lui a sauvé la vie lors d'une chute de projecteur. Elle a perdu une jambe dans ce drame. Apparemment il a du vouloir réparer cela en lui sacrifiant sa vie. J'espère pour lui qu'il en est tout de même amoureux, ça serait trop stupide de consacrer son entière existence à quelqu'un qu'on n'aime pas même si on la lui doit !
Candy avait de plus en plus de mal à contrôler les tremblements qui gagnaient maintenant tout son corps. Heureusement Anthony était toujours plongé dans la lecture de son journal et ne vit pas son visage devenir livide et ses yeux s'embuer de larmes. Elle se leva rapidement et fit semblant de contempler le jardin en lui tournant le dos et en s'agrippant à la fenêtre.
- Oh ! Il doit sûrement beaucoup l'aimer, elle a l'air très belle sur la photo, et radieuse. Lui aussi, apparemment, il est souriant !
« Anthony tais-toi, je t'en supplie tais-toi ! Mon cœur ne tiendra plus longtemps, j'ai l'impression que je vais m'évanouir ! Terry, mon Terry a épousé Susanna, elle est désormais sa femme, elle portera ses enfants ! Non ! Comment est-ce que j'ai pu laisser faire cela ! Je savais que ça devait arriver, je l'ai voulu ! Mais maintenant que c'est arrivé ça me rend malade ! Alors tout est définitivement fini pour nous ! Plus jamais je ne te reverrai ! Malgré moi j'avais toujours le secret espoir que nous trouverions une solution pour pouvoir de nouveau nous aimer mais c'était encore une illusion ! Peut-être en effet que tu as fini par l'aimer, son cœur t'a sans doute conquis ! Je t'avais demandé un signe, le voici ! »
- Anthony, j'ai quelque chose à te dire.
- Oui ? fit celui-ci en levant les yeux de son journal.
- Je crois que tu attends que je te donne une réponse.
Elle prit une profonde inspiration et se tourna vers lui.
- La réponse est oui. Oui Anthony je veux t'épouser et devenir ta femme.
- Oh ! Ma chérie, comme je suis heureux ! dit-il en se levant et en la prenant dans ses bras.
Candy put enfin laisser les larmes qui lui brûlaient les yeux se libérer et un sanglot sortit de sa
gorge.
- Tu verras ma douce, nous serons si heureux ! lui dit Anthony dans l'oreille en pensant que c'était à cause de leur futur mariage qu'elle était si émue.
- Oui Anthony nous serons heureux, fit-elle dans un murmure.
Il prit son visage dans sa main et lui posa un léger baiser sur les lèvres. Ses larmes redoublèrent à la pensée que c'était son deuxième baiser. Le premier lui avait été dérobé un après midi en Ecosse par ce jeune rebelle qui lui avait aussi volé son cœur. Il resterait l'unique qu'il lui avait donné mais elle le garderait à jamais dans sa mémoire.
-OOOoOOO-
Susanna Marlowe avait senti son cœur bondir de joie quand Terry lui avait dit oui sur le banc de l'église. A cet instant elle s'appelait Susanna Grandchester et avait réalisé son rêve en devenant l'épouse de celui qu'elle aimait tant. Ça avait été un beau et grand mariage. Il n'avait pas lésiné pour en faire une somptueuse fête pleine de fleurs et de faste. Il avait fait venir un orchestre philharmonique, le buffet débordait de mets raffinés et la pièce montée était une véritable œuvre d'art, confectionnée par le meilleur pâtissier de New York. Sa robe était somptueuse avec une traîne de trois mètres de long. Et l'alliance qui étincelait à son doigt était ornée de dix petits diamants. Oui ça avait été un vrai mariage de princesse et pourtant le conte de fée s'était vite transformé en cauchemar.
« Pourquoi, pourquoi est-ce qu'il ne peut pas m'aimer ? »
Elle enfouit son visage dans son oreiller et se mit à pleurer. Pourtant elle y avait cru jusqu'au bout, jusqu'à cet instant fatidique, celui de leur nuit de noces.
Après sa rupture avec Candy, alors qu'il lui avait dit qu'il la choisissait, elle avait vécu sur son petit nuage. Bien sûr, elle avait eu conscience que ça n'avait pas été facile pour lui et quand il avait disparu pendant quelques jours, elle avait cru le perdre à nouveau. Pourtant il lui était revenu, était retourné sur les planches, sa carrière depuis n'avait fait que grandir et elle avait pensé qu'il était guéri de Candy, qu'il avait tiré un trait sur le passé. Depuis, il avait toujours été charmant et attentionné avec elle. Il s'était occupé de sa rééducation, avait financé sa prothèse qui lui avait permis de remarcher. Il était attentif au moindre de ses désirs, il l'avait accompagnée partout où elle avait voulu se rendre, même à ces dîners mondains qu'elle savait qu'il exécrait. Leurs fiançailles avaient duré un an et tout lui avait semblé parfait. Pourtant en y repensant, elle avait trouvé parfois ses sourires un peu fabriqués et cet unique baiser sur le front qu'il lui donnait le soir avant de partir, froid et impersonnel. Mais elle avait pensé qu'une fois mariés tout deviendrait différent, que ses droits d'époux se feraient sentir. Quelle illusion ! Bien sûr qu'il avait exercé ce droit, ce devoir plutôt, mais étaient-ce toutes les coupes de champagne bues, qui avaient fait qu'il n'avait pu contrôler la maîtrise qu'il exerçait sur lui-même depuis des mois ? Car elle l'avait compris, pendant un an il avait joué un rôle, sa vie n'était plus qu'une pièce de théâtre et même s'il ne lui avait jamais dit qu'il l'aimait, il le lui avait fait croire alors que… Cette si brève et si froide étreinte, quelle humiliation ! Et ce prénom prononcé à l'issue de cet instant, un prénom qui n'était pas le sien mais celui d'une autre !
-OOOoOOO-
Candice André Brown et Annie Cornwell se promenaient dans les rues de Chicago et contemplaient les vitrines lumineuses des boutiques. A trois semaines de Noël, celles-ci étaient bien garnies.
- Regarde Candy, ces belles cravates ! Et si j'en offrais une à Archibald ?
- Si tu veux Annie mais tu lui as déjà acheté une chemise, une montre à gousset, un portefeuille et une écharpe de soie. Tu ne penses pas que ça fait beaucoup ?
- Qu'est ce que tu veux, j'ai envie de lui faire plaisir pour le premier Noël depuis notre mariage. Et toi, qu'est ce que tu vas offrir à Anthony ?
- Je ne sais pas encore. Pour moi Noël c'est surtout réservé aux enfants et jusqu'à présent je me suis occupée à en acheter pour les petits orphelins de la maison Pony. J'en ai une pleine charrette pour eux et j'imagine déjà comme leurs yeux brilleront quand ils vont les découvrir à leur réveil. J'en ai aussi acheté pour les petits patients du docteur Martin.
- Candy ! Tu ne changeras jamais ! Mais moi aussi j'ai pensé aux enfants de Pony. Archibald a envoyé une assez grosse somme d'argent à mademoiselle Pony pour leur offrir un joyeux Noël. Mais ça ne m'empêche pas non plus de penser à mon mari !
- Tu as raison Annie, fit Candy en riant. Et si j'offrais une cravate à Anthony ?
En sortant de la boutique où Annie n'avait pas résisté à en acheter une aussi, elles passèrent devant le théâtre Eléonore. Une immense affiche y était placardée. Annie la vit la première et mit la main sur le bras de sa compagne.
- Candy, Regarde !
Il était face à elle, il était immense, magnifique dans son costume d'époque.
- Terry !
- C'est écrit que le dix-huit décembre, après un immense succès à Broadway, sera joué le chef d'œuvre de William Shakespeare, Terrence Grandchester dans Hamlet !
« Il va venir ici, à Chicago ! Pourquoi est-ce que je ressens toujours cette douleur dans mon cœur ? »
Elle sentit le regard d'Annie sur elle, reprit vite une attitude désinvolte après ces quelques secondes de bouleversement.
- Tu vas y aller ?
- Le dix-huit c'est le jour où nous devons partir pour la maison Pony avec Anthony. Non, je n'irai pas.
- Et ça te gênerait si j'allais voir la pièce ?
- Pourquoi voudrais-tu que ça me gêne? Il a sa vie et moi la mienne. Je suis heureuse de son succès mais je préfère ne pas avoir à le revoir. Vas-y, comme ça tu me raconteras ! dit-elle à son amie en souriant.
- Tu n'as jamais parlé de lui à Anthony ?
- Pour quoi faire ? A quoi est ce que ça aurait servi que je lui parle de Terry ? D'ailleurs il n'y a pas grand chose à en dire, c'est si loin maintenant !
« Si loin et pourtant si douloureux encore ! Non, je préfère ne pas le revoir même sur scène. Je ne me sens pas encore prête à affronter ses yeux, sa bouche, sa voix. Est-ce que je le serai un jour ? Quand est-ce que je serai guérie de toi mon amour ? »
-OOOoOOO-
Une limousine noire roulait à vive allure en direction de Chicago. A l'arrière, un jeune homme à l'air maussade contemplait le paysage hivernal à travers les vitres teintées.
« La première fois où je suis venu dans cette ville, oui je m'en souviens comme si c'était hier. Nous avions passé la nuit à nous chercher sans y arriver. Pourtant quand je t'ai vue courir vers le train qui m'emportait loin de toi, si jolie dans ton uniforme d'infirmière, j'ai senti un immense bonheur m'envahir. Tes yeux ont croisé les miens et ce fut un instant magique. J'avais enfin l'assurance pendant ces quelques secondes que ton cœur me soit acquis, qu'il ne faisait plus qu'un avec le mien. Pourquoi est-ce que je n'ai pas sauté de ce maudit train pour te rejoindre ? Tout aurait pu être différent. Si seulement je pouvais revenir en arrière et tout recommencer ! Moi qui ai méprisé mon père pour avoir choisi le devoir et les conventions au lieu de la femme qu'il aimait, je ne vaux pas mieux que lui, même pire ! Je n'ai même pas été capable de rendre Susanna heureuse. Sa beauté papier glacé, sa douceur, sa fragilité me laissent froid. Je lui dois la vie mais comment pourrai-je aimer celle qui est la cause de mon agonie ? Je me sens plus vide que le néant. Tes éclats de rire et tes colères, tes gaffes et ta grande maturité, ta si forte volonté et ton orgueil, tout en toi me manque atrocement. Je donnerai bien vingt ans de ma vie pour revoir ton éclatant sourire ma Taches de son, mon seul et éternel amour. »
La limousine franchit une allée boisée et s'arrêta devant une villa cossue. Le chauffeur en descendit et ouvrit la portière arrière. Le jeune homme en sortit et jeta un œil indifférent à la maison avant de se diriger vers l'entrée. Un homme d'une quarantaine d'années l'y accueillit.
- Monsieur Grandchester, avez-vous fait un bon voyage ?
- Très bien James, merci. Avez-vous trouvé ce que je vous ai demandé ?
- Oui monsieur, la personne habite toujours Chicago.
- Bien, venez tout me dire à l'intérieur.
Un majordome leur ouvrit la porte d'un élégant bureau et la referma derrière les deux hommes. Le jeune acteur s'assit dans un fauteuil sans prêter attention à l'ameublement, alluma une cigarette et dit d'une voix froide :
- Je vous écoute James.
- Et bien, comme je vous l'ai dit, la jeune femme habite toujours Chicago mais plus à l'adresse que vous m'aviez indiquée. Elle a désormais un bel appartement au 208 Michigan Avenue, en plein centre ville, qu'elle occupe depuis un mois, depuis…
L'homme semblait hésiter à poursuivre.
- Depuis quoi ? Je vous écoute, fit l'acteur agacé en essayant de calmer la nervosité qui s'emparait de lui.
- Depuis le quatorze novembre, le jour où elle s'est mariée.
« Mariée ! Ma Candy s'est mariée, non ! »
- Son époux est un jeune avocat qui semble promis à un bel avenir. Il est lui-même membre de la famille André, c'est le neveu du chef de famille, William Albert André.
- Son nom ?
L'acteur avait presque crié alors qu'il sentait en lui son cœur se tordre de douleur.
- Anthony André Brown.
Il écrasa violemment sa cigarette inachevée dans un cendrier, se leva en tournant le dos à James pour ne pas que celui-ci puisse voir son teint livide et les larmes qui pointaient à ses yeux.
- James, je vous remercie, je n'ai plus besoin de vous pour le moment. Laissez-moi seul.
- Bien monsieur.
Quand celui-ci fut sorti, le jeune homme se relaissa tomber sur le fauteuil, prit sa tête entre ses mains et laissa les larmes s'écouler de ses yeux hagards dans un silence à peine perturbé par les soubresauts de sa poitrine.
« Anthony ! Tu l'as finalement retrouvé ton amour de jeunesse et tu l'as épousé. J'imagine comme tu as du être folle de joie en le revoyant. Ainsi tu avais raison quand tu t'accrochais tellement à l'espoir de le retrouver, alors que j'essayais tant bien que mal de te le faire oublier. Au fond, c'était peut-être une bonne chose que nous nous séparions puisque ça a permis de t'unir à ton premier amour, le grand amour de ta vie. Moi je n'ai sans doute été qu'une bouée de sauvetage pour combler cette absence. Au moins toi tu as tenu ta promesse, tu es heureuse, j'en suis sur maintenant et de le savoir me fait tout de même chaud au cœur. Je ne dois désormais plus penser qu'à ça puisque tout est irrémédiablement fini pour moi. Ton bonheur me donnera la force de continuer mon chemin puisqu'il est plus précieux que tout. »
-OOOoOOO-
- New York ? Mais je ne veux pas aller vivre à New York !
- Ma chérie, rends-toi compte de l'opportunité qui m'est offerte. C'est une occasion unique qui ne se produit qu'une fois dans une vie. Travailler dans ce prestigieux cabinet d'avocats, c'est la porte ouverte à la gloire et à la richesse.
- Mais et notre famille, nos amis ?
- New York n'est pas si loin, nous reviendrons souvent pour les voir et des amis, nous nous en ferons d'autres là-bas.
- Et mon travail ?
- Candy, je comprends bien qu'être l'assistante du docteur Martin soit important pour toi mais avoue que ça n'est pas très passionnant. Tous ces pauvres gens qui n'ont même pas de quoi se payer une consultation !
- C'est justement parce qu'ils sont pauvres qu'ils ont besoin de moi et pour moi au contraire, c'est passionnant de pouvoir aider les plus démunis ! Dit-elle d'une voix emportée.
- Excuse-moi, ce n'est pas ce que j'ai voulu dire. Je pensais seulement qu'à New York tu aurais l'opportunité de trouver de meilleurs choix pour t'épanouir. Je me rends bien compte du sacrifice que je te demande mais imagine, je pourrai devenir le plus grand avocat de la ville et quand nous aurons enfin des enfants, ils pourront être fiers de leur père.
Candy baissa les yeux et étouffa un soupir. Une tristesse s'empara de son cœur. Ils étaient mariés depuis plus d'un an et toujours pas de signe d'héritier alors qu'Annie venait d'accoucher de son premier enfant et qui plus est, un fils. Archibald était tellement content, tellement fier.
- Candy, il faut parfois du temps, nous sommes jeunes. Ne t'inquiète pas ça arrivera bientôt, tu verras.
« Ne pas m'inquiéter, pensa-t-elle, je ne fais que ça. Si nous allons vivre à New York, je serai dans la même ville que lui, je risquerai de le revoir. Mon dieu ça me fait tellement peur ! Pourtant je n'ai pas le droit d'empêcher Anthony de réaliser ses ambitions, pour lui c'est tellement important ! Et puis New York est immense et Terrence Grandchester, la plus grande gloire du théâtre de ce siècle, tellement inaccessible ! Il n'y a guère de chances pour que nos chemins se rejoignent à nouveau. »
- Très bien Anthony, partons vivre à New York.
-OOOoOOO-
« Mon dieu, comme je m'ennuie ! »
Pensa Candy en regardant par la baie vitrée. Ca faisait maintenant trois semaines que monsieur et madame Brown étaient installés à New York. Ils occupaient un bel appartement en plein cœur de Manhattan et elle n'avait toujours pas mis les pieds seule dans la ville. Elle avait passé tout ce temps à le meubler et le décorer pour en faire un endroit accueillant et gai. Son humeur, elle, était loin de l'être, il n'avait fait que neiger toutes ces semaines, elle luttait contre elle-même pour ne pas s'enfoncer davantage dans ses angoisses, mais elle savait qu'elle allait sombrer si elle ne réagissait pas. Ce matin il ne neigeait plus, elle en avait assez de cet enfermement et elle se souvint avec amertume de la conversation qu'elle avait eue avec son époux il y a trois jours.
- Ma douce, je voudrais te demander quelque chose, il avait une voix différente, ourlée de cynisme.
- Je t'écoute Anthony, elle le fixa profondément.
- Voilà, je veux que tu renonces pendant quelques temps à travailler.
- Mais pourquoi ? Elle pâlit, ne s'y attendant pas.
- Mon patron, monsieur Bradley a laissé entendre à mon arrivée qu'il appréciait peu qu'une femme qui n'en a pas la nécessité, travaille. Je sais, il est un peu vieux jeu mais comprends-moi, s'il apprenait que tu es infirmière, il serait capable de me renvoyer et ça en serait fini de ma carrière avant même de la commencer.
- Anthony ! Elle avait le rouge aux joues. Sous prétexte que ton patron est un arriéré et un crétin si tu veux mon avis, il faut que je renonce à travailler ! Mais j'en ai besoin, être infirmière c'est ma vocation comme pour toi être avocat ! Comment peux-tu me demander ça ?
- Candy, ce ne sera pas pour toujours. Dès que je serai suffisamment installé et que j'aurai gagné la confiance de monsieur Bradley, tu pourras retravailler.
- Et qu'est-ce que je vais faire de mes journées en attendant ? Tu pars à l'aube et tu rentres si tard le soir que nous nous voyons à peine ! Je ne vais pas passer mes journées à tourner en rond où je vais devenir folle ! C'est ça que tu veux ?
- Candy ! Il avait pâli et il reprit d'une voix douce. C'est faux, j'essaie seulement de nous donner un solide départ. Une fois bien installés, tu feras ce que tu veux, c'est pour peu de temps. En attendant, tu pourrais t'occuper d'œuvres de charité, tant que c'est bénévole, ça ne déplaira pas à mon patron.
- Ton patron ! Il n'y a que ça qui compte désormais, plaire à monsieur Bradley ! S'écria-t-elle d'une voix dégoûtée.
- Je suis bien obligé, essaie de me comprendre !
Elle lui avait tourné le dos, les bras croisés et regardait par la baie vitrée. Ses yeux se fixèrent au loin, là où les lumières brillaient de mille feux, le quartier de Broadway. Son regard d'émeraude prit une teinte foncée.
- D'accord Anthony, je comprends. Je renonce pour l'instant à trouver un emploi d'infirmière puisque c'est pour notre bien mais il n'est pas question que ce soit pour toujours !
- Non, Candy, ce ne sera que pour quelques mois. Merci, tu es formidable, il la prit dans ses bras et lui posa un baiser sur la joue.
Elle se sentit très triste mais elle lui sourit.
« Oui, formidable. C'est finalement peu cher payé pour la trahison de mon cœur. »
-OOOoOOO-
« Oh et puis ce serait vraiment trop stupide ! »
Elle attrapa son sac et son manteau sur la patère dans le couloir, ferma à clefs derrière elle et sortit dans la rue. En ce quatorze janvier, New York se révéla glaciale. La neige ne tombait plus mais un vent froid soufflait et rendait l'air asphyxiant.
« Quand je suis arrivée ici il neigeait comme il y a plus de trois ans ! Pour l'instant je ne connais de cette ville que l'hiver. Espérons que ce sera plus gai en été. »
Elle releva le col de son épais manteau de fourrure, accéléra le pas pour réchauffer ses pieds chaussés de longues bottes et partit au hasard des rues. Elle contempla les vitrines riches de choix. Elle vit une librairie, se décida à y entrer et sélectionna plusieurs ouvrages.
- Excellent recueil madame lui dit le vendeur en regardant la couverture d'un livre de poèmes qu'elle avait pris au hasard.
- Vous l'avez lu ?
- En effet et si vous l'appréciez, je pourrai vous en conseiller d'autres du même style si vous revenez me voir chère madame !
- Je n'y manquerai pas monsieur ! dit-elle d'un éclatant sourire.
Puis elle pénétra dans un salon de thé, sirota un chocolat et grignota quelques biscuits, puis repartit en promenade. Elle s'acheta un bonnet et des gants qu'elle revêtit immédiatement car elle avait les mains et les oreilles gelées. Elle marcha encore pendant plus d'une demi-heure.
« Bon sang, cette ville est gigantesque, je me demande bien où je peux être ! »
Elle vit devant elle l'entrée d'un parc qui lui parut immense.
« Central Park, lut-elle sur un panneau. Alors je suis toujours à Manhattan, New York est vraiment vaste !
Elle pénétra à l'intérieur et parcourut les allées boisées. Un peu plus loin elle contempla les canards et les cygnes nageant avec grâce sur un étang aux eaux sombres.
« Le lac Michigan et la colline de Pony doivent être magnifiques dans leur décor enneigé, comme ils me manquent déjà ! »
Elle fut émue à la vision d'un garçonnet d'environ quatre ans qui lançait des miettes de pain aux palmipèdes alors que sa mère le regardait les yeux brillants d'amour.
« J'aimerai tant avoir moi aussi un enfant dont je pourrai m'occuper. Peut-être que ça n'arrivera jamais, je n'y crois plus. Comme je me sens seule, j'en ai assez ! »
Des larmes glacées lui embuaient la vue. Elle les effaça d'un geste rageur.
« Allons Candy, secoue-toi, ça ne te ressemble pas ! Il faut absolument que je trouve de quoi m'occuper l'esprit. En attendant sortons d'ici, il y fait vraiment trop froid. »
Elle sortit un des livres du sac en papier qu'elle tenait à la main et se mit à le feuilleter en continuant à avancer.
« C'est celui que m'a conseillé le vendeur. Voyons, Verlaine, poète français, traduction de l'original. »
Elle ouvrit une page au hasard.
« Ô triste, triste était mon âme
A cause, à cause d'une femme.
Je ne me suis pas consolé
Bien que mon cœur s'en soit allé,
Bien que mon cœur, bien que mon âme
Eussent fui loin de cette femme.
Je ne suis pas consolé,
Bien que mon cœur s'en soit allé.
Et mon cœur, mon cœur trop sensible
Dit à mon âme :Est-il possible,
Est-il possible, le fut-il
Ce fier exil, ce triste exil ?
Mon âme dit à mon cœur : sais-je
Moi-même que nous veut ce piège
D'être présents bien qu'exilés,
Encore que loin en allés ? »
Paul Verlaine
Elle sentit un pincement au cœur en lisant ces vers et dans sa contemplation et son désarroi, elle ne vit pas qu'une autre personne encombrée de volumineux paquets se dirigeait face à elle et elle la percuta violemment. Les paquets tombèrent à terre.
- Quelle maladroite que voilà ! Vous ne pouvez pas regarder où vous marchez ?
- Je suis désolée madame, laissez-moi les ramasser !
Candy se précipita, une fois relevée, elle regarda la femme qui maintenant lui souriait, amusée. Elle laissa échapper un cri d'étonnement en la découvrant tout de pieds. Celle-ci, à peine la trentaine, lui sembla-t-il, très belle et élégante, pourtant sa tenue vestimentaire lui parut des plus surprenantes. Son manteau de fourrure était d'un rose profond et elle arborait le plus curieux chapeau qui pouvait exister. Une espèce de large capeline blanche descendant jusqu'au milieu des omoplates et garni d'une immense plume d'autruche.
- Je parie, jeune fille que tu n'en as jamais vu un comme celui-ci ? Lui dit-elle en regardant Candy de ses grands et beaux yeux noirs.
- J'avoue que non, madame, c'est très joli et peu commun.
- Evidemment que c'est peu commun, je l'ai crée moi-même, ainsi que tout ce que je porte d'ailleurs. Je possède une boutique de mode, je suis styliste. Dothy Malone, c'est mon nom. Mon vrai prénom est Dorothy mais je préfère Dothy. Et toi ?
- Candice André Brown, mais je préfère qu'on m'appelle Candy.
- Eh bien Candy, voudrais-tu m'aider à porter ces paquets jusqu'à ma voiture ?
- Avec plaisir Dothy.
Le courant avait tout de suite passé entre les deux femmes.
- Si tu veux, tu peux venir avec moi jusqu'à ma boutique, je te montrerai mes créations, sauf si tu as mieux à faire.
- Justement non, sourit-elle en découvrant la belle voiture rouge et en posant les paquets dans le coffre. Ce sera un plaisir. C'est vous qui conduisez ?
- Il ne manquerait plus que ce ne soit pas moi. Sache Candy que Dothy Malone fait tout elle-même et mieux que la plupart.
Pendant le trajet Dothy lui demanda d'où lui venait son charmant accent provincial et Candy lui raconta qu'elle venait de Chicago et son arrivée à New York depuis trois semaines.
- Et je parie que tu ne connais encore personne dans cette ville ?
- Non en effet, elle songea à Terry mais repoussa immédiatement cette pensée, pas question de l'évoquer.
- Candy, tu peux dire que c'est ton jour de chance. Moi Dothy Malone je connais cette ville comme ma poche et je connais tous les gens les plus intéressants de New York.
Elles arrivèrent à la boutique, Candy aida à transporter les paquets à l'intérieur. L'endroit était assez grand et chaleureux et pour le moins coloré, à l'image de sa propriétaire. Celle-ci ôta son manteau et son chapeau, elle avait de beaux cheveux auburn coupés courts avec une frange lui arrivant au milieu du front. Sa robe à la coupe audacieuse et raffinée était gris argenté, elle lui arrivait juste en dessous des genoux laissant voir de longues bottes noires à hauts talons.
- Enlève ton bonnet et ton manteau, Candy, que je te voie mieux.
La jeune femme s'exécuta mais se sentit gênée sous le regard examinateur qui la détaillait sous toutes les coutures.
- Mais c'est que tu es jolie ! lui fit-elle en posant ses mains partout sur elle pour en deviner les formes. Quel dommage que tu sois si mal vêtue !
Candy regarda sa robe bleu clair aux manches longues et à la jupe large descendant jusqu'aux pieds.
- Vous trouvez que ma robe est laide ? dit-elle attristée.
- Laide, non. Mais elle conviendrait mieux à une femme de cinquante ans. Quel âge as-tu ?
- Vingt ans.
- Mais c'est l'âge où tout est permis, un peu d'audace, que diable ! Regarde-moi, j'ai trente-cinq ans, je vois que ça te surprend, merci du compliment, et bien si ce n'était pas ce froid glacial, j'en montrerai beaucoup plus. Fais voir tes jambes !
- Mais Dothy ! s'exclama la jeune blonde d'un ton outragé.
- Allons nous sommes entre femmes, ne sois pas si timide ! Et elle souleva sa jupe jusqu'en haut de ses cuisses.
Celle-ci se mit à rougir.
- Je m'en doutais, avoir de si jolies jambes et les cacher sous des mètres de tissu informe. Et tes cheveux ! Elle lâcha la robe et lui souleva sa queue de cheval qui lui arrivait au milieu du dos. Ils sont magnifiques, tu boucles naturellement n'est-ce pas ? Et leur couleur est éclatante, on dirait de l'or. Mais cette coiffure, quelle tristesse ! Sers-toi de tes atouts Candy, et tu en as à revendre, crois-moi. Qu'est-ce que je donnerai pour avoir des yeux aussi verts que l'émeraude, les miens sont banalement noirs. Et ces petites taches de rousseur sur ton nez, que c'est charmant ! Et ce teint de porcelaine, on dirait une poupée ! Tu es belle naturellement Candy et ça c'est rare, mais si tu le voulais, tu pourrais être la plus séduisante femme de New York.
- Pour quoi faire ? dit-elle étonnée.
- Pour quoi faire ? Pauvre innocente. Mais pour vivre, pour t'amuser, pour séduire, pour jalouser, que sais-je ! S'exclama-t-elle avec emphase.
Puis elle poursuivit d'une voix étonnamment douce.
- Ou simplement pour essayer de redonner un sourire à ton cœur car il semble bien triste ce petit cœur, je me trompe ?
-OOOoOOO-
Les jours passèrent et pas un ne s'acheva sans que Candy n'aille rendre visite à Dothy Malone. Celle-ci, sous ses aspects un peu délurés, se révéla être la personne la plus drôle et déterminée qu'elle avait jamais rencontré. Elle était toujours gaie et surprenante mais se montrait également généreuse et à l'écoute des autres. Candy se sentant en confiance, ne tarda pas à lui raconter toute sa vie en omettant une seule personne et période qu'elle ne pouvait confier à qui que ce soit.
- Ma parole, tu as eu une vie fantastique ! Tant de drames et d'embûches et toujours debout, tu es courageuse ! Hormis ta pudeur, je pourrai dire qu'on se ressemble, toi et moi.
- Pourquoi ? Tu as eu toi aussi une enfance difficile ?
- Oui, moi aussi je n'ai jamais connu mes parents et j'ai passé mon enfance dans de nombreux foyers. Mais contrairement à toi, il n'y en a pas eu d'aussi chaleureux que ta maison de Pony. A quatorze ans, je me suis enfuie du dernier où on m'avait placée, j'ai fait tous les travaux qu'on voulait bien me confier, les plus ingrats et mal payés, bien entendu. C'est à cette époque que j'ai aussi commencé à coudre et à dessiner mes premiers modèles. A seize ans, j'ai rencontré celui qui est désormais mon ex-mari. J'étais très amoureuse et très naïve. Quelques mois après notre mariage, il m'a quittée, enceinte, et m'a volé toutes mes économies. Pour une autre jeunette, à qui il a fait la même chose quelques temps plus tard. Je me suis promise à ce jour d'y regarder à deux fois avant d'écouter les boniments d'un homme. Maintenant c'est moi qui les quitte avant même qu'ils aient l'idée de le faire.
- Mais tous les hommes ne sont pas comme ça !
- Non, en effet. Il y en a d'autres qui t'épousent, qui restent avec toi mais avec qui on s'ennuie à mourir.
Elle avait dit ça sans ironie mais Candy ressentit un voile de tristesse dans son cœur. L'idée qu'elle se faisait du mariage avait pris un chemin qu'elle avait peine à apprécier pleinement depuis quelques temps.
- Pourtant tu vois Candy, malgré tout, je donnerai n'importe quoi pour retomber amoureuse et être aimée autant en retour, en toute confiance, et sans peur du lendemain. Vivre une grande passion, tu sais un amour éternel, à la Roméo et Juliette avec plein d'embûches mais à la différence des personnages, de préférence avec une fin heureuse.
Elle se mit à rire avec éclats puis elle cessa en voyant le visage livide de Candy et les larmes qui pointaient à ses paupières.
- Et bien ma belle, qu'est-ce qui t'arrive, tu es toute blanche ?
- Non, ce n'est rien, c'est ton histoire qui m'a bouleversée.
- Oh ! Il ne faut pas. J'ai appris à ne compter que sur moi-même, j'ai crée ma boutique toute seule grâce à mon seul talent et pas mal de culot et je suis très heureuse comme ça. Ce n'est pas encore demain qu'un homme me dira ce que je dois faire ou pas. Candy, tu es infirmière, c'est ta vocation et tu l'es devenue grâce à ta seule volonté. Je vois bien que tu es triste de ne pas pouvoir l'exercer. Je sais que ce ne sont pas mes affaires mais à ta place je me ficherai bien de l'opinion du patron de ton mari et je chercherai du travail avant de me faner d'ennui.
- Je ne peux pas Dothy. Anthony compte sur moi, je ne dois pas l'empêcher d'accéder à ses ambitions. Ce n'est que pour quelques temps, bientôt, je reprendrai le métier que je me suis choisi.
- Tu dois vraiment beaucoup l'aimer pour ainsi mettre de côté tes rêves.
Candy se tut, l'esprit troublé, Dothy reprit.
- Ou alors tu veux te punir de quelque chose qui te ronge. Car il y a quelque chose en toi qui te bouffe peu à peu, n'est-ce pas Candy ? Et tu n'as pas envie d'en parler. Si un jour tu ressens le besoin de le faire, pense à ton amie Dothy, elle pourrait peut-être t'aider.
- Personne ne le peut Dothy, lui répondit la jeune blonde d'un regard triste. Mais je n'oublierai pas de venir te voir, promis. Mais dis-moi, reprit-elle en se souvenant de quelque chose, tu m'as dit que tu attendais un bébé quand tu étais encore mariée ?
- Malheureusement je l'ai perdu à cinq mois de grossesse. Ca sera le seul regret de ma vie, c'était une petite fille et elle aurait dix-neuf ans aujourd'hui, presque ton âge Candy. Elle sourit. Tu pourrais être ma fille, mon dieu, j'ai l'impression d'avoir pris un coup de vieux tout à coup !
-OOOoOOO-
Un dimanche de février, Dothy était venue déjeuner chez monsieur et madame Brown. Pour cette occasion Candy s'était surpassée pour préparer un repas digne de ce nom. Elle avait fait beaucoup de progrès dans ce domaine et on pouvait même la qualifier de véritable cordon bleu. Anthony s'était montré poli et souriant et avait même beaucoup ri quand Dothy avait raconté certaines anecdotes de sa vie. Candy avait passé un excellent moment avec son amie, elle éprouvait une grande admiration pour elle et énormément de tendresse. Elle fut très déçue quand son mari lui dit le soir que bien qu'il la trouvait sympathique, il la considérait trop excentrique et un peu vulgaire.
- Vulgaire ? Pour toi c'est être vulgaire que de dire les choses telles qu'elles sont loin des hypocrisies et du politiquement correct ! Et c'est être excentrique qu'une femme qui n'est pas née dans l'opulence ait réussi à créer son entreprise et qu'elle régit sa vie comme elle l'entend !
- Candy, ne le prends pas comme ça. Je comprends que seule dans cette grande ville, tu as besoin d'une amie. Mais ce serait mieux pour toi si tu rencontrais des femmes moins voyantes, plus dans notre monde.
- Notre monde ? Tu veux dire ton monde Anthony ! Tu sembles oublier que je suis aussi une orpheline, que j'ai été élevée à la maison de Pony et que même si j'ai été adoptée par ton oncle, le chef de la famille André, qui lui je te rappelle mène sa vie comme il l'entend, simplement et sans se préoccuper de l'opinion des autres, je suis et je resterai toujours Candy et pas une de ces femmes ennuyeuses et soumises comme tu voudrais que je devienne aujourd'hui !
- Pas du tout, ce n'est pas ce que je désire.
- Alors pourquoi voudrais-tu que je renonce à la seule amie que j'ai rencontré dans cette ville que je déteste ! Je ne te comprends plus Anthony et ça me désole mais tu peux dire et faire tout ce que tu veux, je ne renoncerai pas à Dothy, je l'aime beaucoup, moi !
Elle tourna les talons, partit dans la chambre et claqua la porte derrière elle. Il la rejoint quelques minutes après. Elle se plongea dans son beau regard d'azur qui depuis quelques temps lui semblait empli de cynisme et d'aigreur. Pourtant cette fois il s'adoucit.
- Pardonne-moi, ma douce, je suis un peu nerveux à cause de mon travail, je ne veux pas que tu te transformes en autre chose, je ne voudrais que ton bonheur, tu le sais. Tu peux avoir les amis que tu veux, je ne les jugerai plus.
Elle décida de lui pardonner et se laissa aussi embrasser dans le cou mais tourna la tête quand sa bouche rejoignit la sienne. Il éteignit alors l'interrupteur, l'obscurité la rassura et cette fois elle ne lui résista pas, elle avait tellement besoin d'amour, il était toujours si délicat dans ces moments là, elle s'abandonna entre ses bras, laissant ses pensées vagabonder au loin et son corps réagir sous ses caresses. Puis elle eut honte, elle pleura un peu après qu'il se soit endormi, elle se détesta d'avoir fait cela mais se promit de faire des efforts pour se débarrasser du poids du passé.
-OOOoOOO-
Les jours qui suivirent, Anthony ne lui fit plus aucune réflexion sur Dothy, il avait tenu parole et devait se sentir un peu coupable de ses a priori. Pour se faire pardonner, il s'était montré très attentionné avec Candy, ils avaient dîné plusieurs fois au restaurant, étaient allés à l'opéra et il lui avait offert un magnifique camé en forme de rose. Pour lui faire plaisir, elle l'avait accompagné à un dîner chez son patron et avait passé une soirée des plus ennuyeuses sans broncher. Comme elle s'y attendait, monsieur Bradley, un homme d'une cinquantaine d'années lui parut antipathique et misogyne à l'extrême. Il ne laissait que rarement la parole à sa femme, une petite créature insignifiante et soumise, baignée de bondieuserie et de pudibonderie outrancière. Devant certaines remarques que monsieur Bradley avait fait sur les suffragettes, ces femmes dévergondées selon lui, qui osaient revendiquer le droit de vote, Candy avait eu du mal à se retenir de ne pas le remettre à sa place. Mais devant le regard implorant de son époux, elle avait pris sur elle et s'était tue.
Par ailleurs, elle passait presque tous ses après midi dans la boutique de Dothy. Petit à petit, elle avait suivi ses conseils et avait renouvelé sa garde robe pour des tenues plus tendance pour New York, qu'elle avait choisi parmi les nombreuses créations de son amie. Celle-ci avait insisté pour lui en faire cadeau de quelques-unes et lui avait vendu les autres pour beaucoup moins cher que leur valeur réelle.
- Je ne peux accepter Dothy, avait-elle protesté, tu vas bientôt faire faillite à ce rythme là !
- Faillite ! Elle rit aux éclats. Allons ne t'inquiète pas pour moi. J'ai assez d'argent pour assurer mes vieux jours. Et celui-ci est fait pour être dépensé et se faire plaisir, sinon je ne vois pas l'intérêt Et regarde-toi, c'est quand même autre chose que ce que tu portais à notre première rencontre, lui dit-elle en contemplant dans le miroir la jolie robe mauve rehaussée de dentelle aux manches et au col arrondi qui laissait la gorge et les chevilles de Candy dénudés. Je te l'ai dit, tu es très belle et c'est pour moi une grande satisfaction de voir mes créations sur une aussi jolie femme. Ca me fait une bonne publicité, tu es mon mannequin personnel désormais. Plus toute l'aide que tu m'apportes en gardant la boutique pendant mes absences, et le plus important pour moi, notre amitié. Je connais beaucoup de monde dans cette ville et j'ai quelques vrais amis mais comme toi, une sorte de petite sœur, jamais et c'est plus précieux que tout le reste.
- Oh ! Dothy ! Je t'adore et pour moi aussi cette amitié est précieuse, lui dit-elle en se jetant à son cou.
Fin du chapitre 1
