Demain
Minato embrassa tendrement son fils sur sa petite tête chaude et déjà hérissée de fins cheveux dorés. Naruto s'était endormi dans les bras de son père après avoir terminé son biberon à toute vitesse. C'était un gros mangeur; tout le contraire de son paternel qui devait se forcer à grignoter une fois de temps en temps pour éviter de tomber inconscient. Minato resta un instant immobile, penché sur le berceau du poupon pour observer sa petite poitrine se soulever puis redescendre à un rythme paisible. Il glissa doucement son index dans la petite paume grassouillette dont les doigts se refermèrent avec une force surprenante. Minato ne put s'empêcher de sourire avec affection. Cet être minuscule, au monde depuis à peine 2 mois, était devenu sa principale raison d'être. Déjà à l'hôpital, lorsque l'infirmière était venue lui poser le bébé entre ses bras affaiblis par la nuit blanche passée à se faire un sang d'encre, il avait ressenti une telle fierté, un tel orgueil. Le petit Naruto lui ressemblait déjà comme deux gouttes d'eau. Il ne lui manquait rien. Tous ses orteils étaient bien là (il les avaient comptés) et il pesait alors près de 3 kilos. Il était déjà fort, en bonne santé et solidement ancré dans ce monde.
Minato retira doucement sa main de la poigne de fer de son fils, replaça machinalement la doudou orangé que Jiraiya lui avait offert et sortit de la pièce sur la pointe des pieds. Il traversa la maison le coeur léger, un sourire béa aux lèvres. Lorsqu'il ouvrit la porte de sa chambre à coucher, il vit sa compagne, Kushina, qui lui tournait le dos et observait la ville qui s'endormait à travers la grande fenêtre aux rideaux blancs. Un sourire malicieux tordit les lèvres de Minato qui s'approcha avec autant de discrétion que possible. Lorsque la jeune femme fut à portée de main, il entreprit d'écarter sa longue cascade de cheveux rouge de sa gorge et l'attira à lui en encerclant sa taille de ses bras solides.
Elle ne dit rien et le laissa embrasser son épaule de manière très suggestive. Les mains du jeune homme voyagèrent tranquillement sur son ventre, s'insinuèrent sous le t-shirt bleu qu'elle portait puis vinrent caresser avec expertise sa poitrine qui avait doublé de volume et de poids à cause de la grossesse récente, ce qui n'était pas pour lui déplaire. Minato sentait le coeur de Kushina battre avec frénésie mais son absence de réaction l'inquiétait. Kushina était quelque peu réticente à l'idée d'intimité depuis les transformations majeures qu'avaient subi son corps et ce, malgré les protestations de Minato qui la trouvait toujours aussi désirable qu'à ses 16 ans. Même plus, si cela était possible.
Mais c'était autre chose, il le savait. Il le sentait.
Il retira ses mains de sous son t-shirt et les posa bien chastement sur les hanches de la jeune femme.
- Kushi ? Ça va ? demanda-t-il, un brin anxieux.
Elle ne répondit rien. Il la serra un peu plus fortement contre lui et l'embrassa sur la joue. Sa peau était humide et salée.
Minato eut un mouvement de recul involontaire. Kushina pleurait ? C'était contre sa nature profonde. Même lors de son accouchement elle n'avait pas versé une larme, se contentant de crier de douleur. Elle faisait partie de ces femmes dures et solides qui préféraient exprimer de la colère plutôt que du chagrin. Kushina se refusait à toute manifestation de sensibilité. Elle avait toujours été ainsi aussi longtemps qu'il puisse se rappeler. Minato avait toujours accusé le meurtre de sa famille et la destruction de son pays d'origine d'être la source d'autant de froideur. Mais il avait réussi, au fil des années, à faire une entaille dans son armure, aussi petite soit-elle. Il aimait bien se dire qu'il était le seul à avoir jamais touché cette femme, de corps et d'âme bien qu'elle s'efforçât toujours de garder une certaine distance entre eux. Même durant l'amour, où elle se montrait des plus passionnées, il savait qu'il n'arrivait et n'arriverait probablement jamais à atteindre le millième de ce que le grand coeur de Kushina avait à offrir. Elle était mystérieuse et renfermée. Et la voilà qui pleurait devant lui. Pleurait véritablement.
Il était complètement chamboulé.
- Mon Coeur, qu'est-ce qui t'arrives ?
Elle renifla et se mit à trembler. Minato ignorait totalement ce qu'il convenait de faire dans une telle situation. Il n'était pas de ces hommes expérimentés qui devaient sans cesse consoler leur copine qui chialaient pour un oui ou pour un non. Inoichi et Chouza auraient parfaitement su quoi faire et quoi dire pour remettre leurs épouses sur pieds; ces bonnes femmes passaient leur temps à pleurer ! Elles versaient des larmes de joie, de tristesse, de peur, de colère, de nervosité, de tout ! Mais Kushina, elle, jamais elle ne daignerait verser un larme devant lui en temps normal... Il ne savait pas du tout à quoi s'attendre.
Au bout d'un moment durant lequel le malaise de Minato s'intensifia douloureusement, Kushina pivota sur elle-même pour faire face à son amoureux qui l'observait avec une lueur de panique au fond des yeux. Les siens étaient tout rougis et boursouflés mais elle forçait son visage à rester aussi stoïque que possible. Elle le vit lever une main incertaine pour venir replacer les quelques cheveux roux qui s'étaient collés à ses joues humides. Il le fit avec une telle délicatesse et une telle innocence qu'elle sentit la boule au fond de sa gorge gonfler et devenir plus brûlante que l'enfer.
Elle prit son visage entre ses petites main fines et l'embrassa doucement sur les lèvres. Son expression incrédule aurait pu être comique si la situation n'avait pas été aussi grave. Il lui saisit les poignets.
- Kushina... ?
Au même moment, une vague de courage provenant d'elle ne savait trop où déferla en elle et la jeune femme laissa échapper les quelques mots qui, elle le savait, produirait l'effet d'une bombe atomique.
- Demain, je ne serai plus là, Minato.
Le silence se fit un moment alors que les deux amants étaient plongés dans le regard de l'autre. Puis, Minato sourit d'un sourire qui ne trompait personne. C'était là l'expression de celui qui sait, au plus profond de lui, mais qui se complaît dans le rôle de l'idiot.
Il voulait jouer à l'autruche le plus longtemps qu'il le pouvait.
- Qu'est-ce que tu veux dire ? dit-il d'un ton innocent qui le dégoûta lui-même.
Car il savait.
Il savait que ce moment arriverait. Depuis leur premier baiser, dans les rues de Konoha, 8 ans plus tôt, il savait que tôt ou tard, elle devrait prononcer ces mots.
*****
Minato rouvrit les yeux, les joues brûlantes d'embarras et le cerveau complètement hors service. Le baiser avait été précipité, inexpérimenté et bien loin du feu d'artifice passionné auquel il avait rêvé depuis des semaines. Normal. C'était leur premier à tous les deux et, lorsqu'il y réfléchissait bien, le simple fait d'avoir pu partager ce moment unique avec elle, sa Kushina, son étoile, le comblait au delà de tout ce qu'il avait pu espérer.
Il la vit ouvrir les yeux à son tour. Elle aussi avait le visage écarlate mais il ne pouvait pas voir l'expression de son regard. Il était rivé au sol.
Le malaise de Minato s'intensifiait. Il savait que c'était au garçon de parler en premier, de dire un truc romantique et inspiré mais il en était totalement incapable. Avec une autre fille, cela aurait été bien plus simple. Une autre fille aurait gloussé de plaisir, lui aurait sourit, aurait tendu sa main. Une autre fille lui serait tombé dans les bras à la première métaphore stupide et sucrée qui serait sortit de sa bouche.
Mais c'était Kushina. Elle n'était pas comme les autres.
Et c'est pourquoi il était profondément et aveuglément amoureux d'elle.
Dieu qu'il avait peur de paraître idiot !
Et elle attendait toujours, les yeux baissés.
"Parle, imbécile !" lui hurlait une petite voix désagréable sous sa chevelure dorée. "Dis quelque chose. N'importe quoi !"
Mais absolument rien ne venait. Son cerveau fouillait dans les archives à la recherche d'un quelconque vers ou d'une phrase bien tournée qu'il aurait pu lire quelque part dans les romans douteux de Jiraiya-sensei. Il pouvait presque sentir l'odeur de brûlé de la machinerie surchargée de sa mémoire.
Il était un ninja, bordel ! Demandez-lui d'échafauder n'importe quelle stratégie d'attaque . Demandez-lui de rester caché sous l'eau pendant 3 heures. Merde ! Demandez-lui de tuer un homme avec une lime à ongle ! Mais ÇA ? Désolé. Ce n'était pas dans sa liste de compétences....
Le silence commençait à s'allonger douloureusement. Sa cervelle restait aussi prolifique qu'un cordonnier manchot. Puis, lorsqu'il ne put plus en supporter d'avantage, il ouvrit courageusement la bouche. Mais la jeune fille le devança :
- Tu me raccompagnes ?
Les mots sans importance qu'il allait prononcer se coincèrent dans sa gorge et il se contenta d'opiner de la tête.
Le trajet s'avéra tout aussi palpitant. Il était en train de mourir d'embarras et elle, qui marchait à ses côtés en prenant bien soin de rester à distance, s'obstinait à ne pas le regarder.
La coquette maison de Kushina apparut alors. Après une éternité. Minato suivit la rouquine jusqu'au seuil où il se planta devant elle comme un idiot.
Le silence lui hurlait dans les oreilles.
- Bon alors... Bonne nuit, Minato. dit-elle en levant les yeux pour la première fois depuis leur baiser.
- Bonne nuit.. répondit-il, pathétique à pleurer.
Elle lui tourna le dos et fit quelque pas vers la porte d'entrée.
" Parle. Parle. Parle. Parle. Parle. Parle. Parle. Parle. PARLE !"
- J'y arrive pas ! s'écria Minato plus fort qu'il ne l'avait voulu.
Kushina s'arrêta, surprise, et se retourna pour le dévisager.
- Quoi ?
Minato la regarda à son tour. Elle était... Elle était simplement belle. Trop belle. L'adolescent blond soupira, laissant tomber ses larges épaules qui avaient été tendues à l'extrême jusque là sans qu'il ne s'en rende compte. Puis, avec un effort surhumain, déclara :
- J'arrive pas à te dire, Kushina... j'arrive pas à te dire à quel point tu comptes pour moi... à quel point ce qu'on vient de vivre ensemble, c'est... c'est... tu comprends ?
Elle avait légèrement penché la tête sur le côté, probablement pour tenter de comprendre quelque chose à son cafouillis de syllabes.
Il poursuivit tant bien que mal:
- Ce que j'essaie de te dire, c'est que... Tu es magnifique. Et drôle. Et brave. Et brillante. Et... je suis amoureux de toi, Kushina.
Voilà. Il l'avait dit. Il attendrait qu'elle soit rentrée avant d'aller vomir derrière le buisson.
- Et voilà. Je sais c'est pas très original mais c'est le mieux que je puisse faire.
Il rit timidement et leva les yeux vers elle. Il remarqua alors quelque chose dans les siens. Quelque chose qui venait juste de naître ou qui avait toujours été là sans qu'il ne l'ait jamais remarqué. Il n'arrivait pas à mettre le doigt sur ce que cela pouvait bien être.
Kushina ne s'approcha pas, ne fit pratiquement aucun mouvement notable. Le coeur de Minato cognait à lui en donner la nausée.
Puis elle répondit simplement, d'une voix neutre mais plus douce qu'à son habitude :
- On m'a déjà aimé... autrefois.
Cette réponse prit Minato totalement au dépourvu. À peine commença-il à chercher une réponse décente qu'elle lui souhaita à nouveau bonne nuit et disparu derrière la porte.
Minato resta un moment seul dans la demi-obscurité de la nuit puis décida de rebrousser chemin jusque chez lui.
Il n'y avait rien d'autre à faire.
Chemin faisant, il songea à la chose tapie au fond de l'oeil de Kushina. Le détail qui rongeait le beau regard vert de la jeune fille et qui l'avait frappé ce soir-là pour la toute première fois depuis leur rencontre. Il lui semblait avoir déjà vu cette lueur dans l'oeil de Tsunade-sama. Et dans celui d'Orochimaru-sama. Et dans celui de Sakumo Hatake.
Qu'est-ce que c'était déjà ?
Ah, oui.
Le désespoir.
*****
