La rue est sombre, à peine éclairée. Les lampadaires grésillent, épuisés et prêts à s'éteindre. Les derniers passants courent en rasant les murs, essayant d'échapper à la lumière pourtant infime, pressés de pouvoir claquer la porte derrière eux, pour se terrer dans leur appart insalubre jusqu'au lendemain. Tous tremblent à l'idée de croiser un gang, ou pire un pestiféré, malgré les armes qu'ils cachent sous leur manteau. Un frisson d'horreur traverse la nuit pour s'y installer, chassé uniquement par l'aube et les rayons éclatant du soleil. Au loin quelques cris et des coups de feu résonnent. Le silence revient, plus effrayant que les balles.

Des pas résonnent dans la rue déserte, et les retardataires s'engouffrent dans les ruelles sombres, tremblant. Un homme tout de noir vêtu s'avance dans un cliquetis caractéristique, son manteau noir claquant le long de ses jambes. Élancé et de grande taille, son ombre s'étale sur les murs sales, menaçante. Le harnais de cuir usé qui lui compresse la poitrine retient une pelle qui a des allures de relique sacrée, abîmée et patinée par le temps. Les chaussures couvertes de boue de l'étrange personnage laissent une trace attestant de son passage sur la route, traces qu'éviterons tout les passants le lendemain, en attendant que la brigade de nettoyage passe le karcher. Ses pas résonnent dans le vide, la ville toute entière semble plus morte qu'endormie. La lumière glauque et blanchâtre fait briller le masque de cuir qui couvre son visage, esquisse de masque à gaz difforme.

Soudainement, un bruit de pas vient répondre aux siens. Au tournant de la rue, une silhouette se dessine, se précise jusqu'à devenir un homme de taille moyenne, aux cheveux sombres et à la démarche bonhomme. Chaussures de costume impeccables, jean et chemise claire et uniforme aux manches retroussées, pour tenter d'échapper à la chaleur étouffante, raison qui l'avait poussé à sortir de nuit. Mains dans les poches et sourire engageant, mais démarche souple et assurée, impossible de définir son milieu social. Il se rapproche de plus en plus, tranquille, sans montrer aucun signe d'hostilité. Ils arrivent presque au même niveau, et l'homme ne s'écarte toujours pas, comme il devrait le faire. Il passe à côté du fossoyeur qui se tend imperceptiblement et son bras frôle le sien.

"-Bonsoir."

Il s'éloigne, sans marquer aucun changement d'attitude. Il ne semble pas inquiet, il marche en observant de tout les côtés avec curiosité, comme si il n'avait jamais vu cette rue, ou comme si elle était intéressante. Un petit sifflement joyeux vient parfois rythmer son pas, et pendant quelques secondes le temps semble s'effondrer et mourir lentement avant que l'inconnu ne disparaisse. Un moment encore on entends ses pas résonner puis le silence revient. L'homme en noir le regarde partir sans bouger, perturbé. Il reste longtemps à fixer le coin de la rue où l'autre a disparu.