BONSOIIIR ICI ZODIAAQUE ! J'espère que vous n'êtes pas tous morts depuis le temps [T'inquièèèète tu reviens pas du tout VINGT ANS PLUS TARD)
Aujourd'hui, je suis de retour pour une mini-fanfiction (mais vraiment mini hein) qui fera trois chapitres. À la base, cela devait être un Two Shot, mais je me suis étalée dans les détails et je suis rapidement arrivée à, ahem.. plus de 11 000 mots ? (11 222 si ça t'intéresse) alors que je n'avais même pas écrit la moitié, dooooonc petite fanfiction de trois chapitres. Centrée sur One Piece encore une fois, avec notre cher et tendre Sanji en personnage principal (OOC), et un UA se déroulant à Toulouse :))
Alors attention, je déballe mon sac : Cette fanfiction ne convient pas aux personnes facilement choquées et/ou ayant des tendances dépressives et/ou suicidaires. Voilà ça c'est annoncé, maintenant j'explique.
Ça fait déjà un certain moment que je veux écrire quelque chose que j'appelle « l'exorcisme », en gros un OS ou une fanfic dans lequel/laquelle je pourrais foutre tous les trucs qui m'indignent le plus. Vous aurez un avertissement avant chaque chapitre, mais dans celui-ci, on retrouve de manière très explicite les thèmes suivants : maltraitance, abandon familial, suicide, alcoolisme, dépression, insalubrité, et c'est tout. Du moins pour l'instant. Je compte pas vous faire fuir dès le début x)
Évidemment, cette fanfiction est inspirée de faits réels, mais m'a été inspirée par un de mes films préférés, le grand Lady Killers des frères Coen (pour ceux qui l'ont déjà vu, vous vous doutez du délire de la fic'). Malgré les thèmes sombres, toujours une petite dose d'humour, assez légère ici mais qui sera normalement plus présente dans les autres chapitres.
Ah, et pour les intéressé(e)s, j'ai écris le passage de Sanji et sa mère en écoutant « Clair de lune » de Debussy. Et.. beh c'est tout.
Toujours deux trois petites références bien placées, bravo à vous si vous les trouvez !
Évidemment comme toujours, le mot pas piqué des hannetons de ma bêta : BONSWAAAAR. Alors. J'ai eu plusieurs étapes. 1- J'étais plutôt sceptique. 2-J'ai chialé. 3-J'ai ri TREEEEEEEES fort. /vous comprendrez de quoi il s'agit/ 4-J'ai incendié Zodiaaque pour cette fin. Donc je n'ai plus qu'à dire : ENJOY IT ! (Malgré tout le côté sombre, ce texte se DÉ-VORE.)
Et pour ceux qui sont restés malgré mes avertissements, je vous souhaite une bonne lecture, n'hésitez pas à laisser une review (ça fait toujours zizir) et on se retrouve en bas !
One Piece, tout comme ses personnages, appartient à Eiichiro Oda. L'histoire elle, est à moi.
Chapitre 1
The boy who left his house
POV Sanji :
Ce matin-là, ce fut les enfants de mes voisins du dessus, qui avaient décidé de tester la résistance de leur sol en sautant à cloche pied dans l'intégralité de leur appartement, qui m'ont réveillé malgré l'oreiller qui protégeait mes oreilles. Je n'avais aucune envie de me lever, je voulais rester dans mon lit jusqu'à la fin de cette journée qui allait être comme les autres, parfaitement ennuyeuse. J'ai ouvert mes yeux avec une lenteur exceptionnelle, j'étais encore dans les vapes que ma tête bourdonnait déjà et que mon corps me hurlait de retourner dormir. À vrai dire, je préférais largement le monde onirique à mon monde réel ces derniers temps.
Je n'ai même pas réussi à faire le moindre mouvement une fois les yeux ouverts dans ma tête se jouait un concert digne de Powerwolf, je ne sentais ni mes jambes ni mes bras, et de faibles rayons de soleil traversaient mes volets en lambeaux qui tentaient de s'accrocher aux murs, comme je le faisais avec la vie depuis bientôt trois années. J'ai lentement tourné ma tête vers ma commode et d'un geste machinal, j'ai cherché mon réveil. Après plusieurs minutes à taper ma table de nuit qui n'avait rien demandé, j'ai juré un bon coup avant de me lever soudainement pour voir où est-ce que je l'avais encore mis. À mon grand étonnement, il était au sol, éclaté en mille morceaux, à côté de ma bouteille qui elle, était intacte. J'ai soupiré, et je l'ai attrapé en récupérant mon téléphone au passage, et j'ai vidé les dernières gouttes dans ma gorge. Et comme une flèche qui viendrait vous perforer le cœur avant que vous puissiez vous rendre compte de quoi que ce soit, le concert de métal qui se produisait encore dans ma tête atteignit son apogée, et me faisant retombé sur mon lit dans un choc total.
Je suis resté plusieurs minutes comme ça, la tête dans mes draps, avec une envie de vomir qui me prenait aux tripes, sans pour autant me lever pour aller vider le peu de chose qui remplissait mon estomac. J'ai allumé mon téléphone pour connaître l'heure, il était près de quatorze heures. J'ai baillé un coup, et ai finalement réussi à m'asseoir sur le rebord de mon matelas après de longues minutes d'acharnement. Une soudaine envie de vomir m'est montée à la gorge, je me suis retenu. Avant, je me levais tous les matins aux aurores, j'adorais voir le soleil se lever, même si je m'étais couché tard mes réveils matinaux sont désormais causés par des nausées que je n'arrive pas à refréner, ou alors c'est l'heure à laquelle je rentre retrouver ce qui me sert de logement, qui n'est qu'un pâle reflet de ma vie actuelle. En deux mots : le grand bordel.
Je me suis passé une main sur le visage, lentement, comme pour effacer cette image de mon moi actuel que je haïssais tellement, et j'ai regardé autour de moi, pour faire l'état des lieux de mon appartement et de ma piètre existence.
Il restait encore quelques pages de mes vieux cours par-ci par-là, éparpillés dans le coin près de la fenêtre, celui où j'avais mis mon bureau pour pouvoir travailler, parce que c'était un des seuls endroits de la pièce, voir même de l'appart', où il y avait de la lumière. Mes fringues étaient étalés avec le même non-sens, la plupart étaient assez proche de mon lit, pour la simple et bonne raison que je prends toujours le temps de me déshabiller avant de dormir. Je sais que ça peut paraître étrange, alors que quand je rentre enfin après m'être violemment torché, j'ai un besoin presque vital de retrouver mon lit. Mais je ne supporte pas dormir dans des vêtements imbibés d'alcool, de nourriture, ou de quoi que ce soit d'autres. Je tiens à ce que l'endroit où je dors garde une certaine propreté. Enfin, façon de parler.
Mon lit. Pas sûr qu'on puisse réellement appeler ça un lit. C'est un vieux matelas que le fils de l'octogénaire du troisième m'a donné quand il est parti il était vieux et en mauvais état, et il comptait s'en débarrasser – je parle du matelas, pas du vieux – mais il s'était dit que je pourrais en avoir besoin. Je n'ai pas cherché à comprendre pourquoi est-ce qu'il avait pu penser que j'en aurais utilité – et je ne suis pas sûr de vouloir le savoir – et j'ai accepté le duvet avant qu'il ne puisse changer d'avis. À l'époque, je dormais à même le sol, alors j'étais loin de refuser cette offrande. Mais après plusieurs nuits, le matelas avait une odeur atroce, était troué à plusieurs endroits, et avait une couleur qui aurait fait trembler un aveugle. Ça ne m'aurait même pas étonné d'apprendre que plusieurs dizaines d'univers d'acariens y avaient élus domicile. De toute façon, vu l'état du sol, même si le matelas avait été neuf, il aurait fini exactement pareil. Et puis, étant donné l'état dans lequel je rentre, je n'y prête même plus attention, je me contente de profiter du confort qu'il m'apporte. Je suppose que je dois aussi ressembler à un matelas délabré maintenant, avec mes cernes, ma barbe et mes cheveux gras.
Après plusieurs longues minutes à détailler mon environnement, j'ai fermé les yeux, et me suis intérieurement maudit une nouvelle fois.
Depuis que Père m'a chassé de la maison, ma vie est devenue beaucoup plus.. désinvolte, disons. Père a toujours été un père autoritaire, le genre d'homme qui voulait que ses enfants réussissent professionnellement, en suivant ses traces mais sachant néanmoins se démarquer par leurs talents exceptionnels. On avait jamais le droit de rien faire, on devait rester à la maison pour étudier, se tenir droit, être poli et aimable, apprendre un instrument et le maniement des armes pour avoir quelque chose d'intéressant à raconter sur nos vies construites uniquement sur les possessions. Pas un seul pas de travers, pas un seul mot mal dit ou mal orthographié, sans quoi nous étions gravement sanctionnés. Nous étions les parfaits petits soldats de bronze de Judge Vinsmoke.
Pour Ichiji et Niji, mes frères, ça a parfaitement fonctionné. Pour Niji, ce n'était pas si compliqué que ça, il suivait les idées de Père depuis toujours, il n'avait aucun sens critique ni aucune opinion personnelle sur la société actuelle, il répétait toujours ce que Père disait, ce que Père pensait, comme un petit mouton, alors il a pu en faire ce qu'il voulait. Mais pour Ichiji, c'était différent, il était vraiment, vraiment très intelligent. Ça a toujours été lui, l'enfant intelligent de la famille, celui qui pouvait se permettre de sortir de table sans débarrasser pour aller étudier, celui qui avait le droit de sortir le week-end pour se détendre, celui qui pouvait rater l'école parce qu'il avait des notes excellentes, celui à qui on ne pouvait rien refuser. Et Père a tout de même réussi à le transformer en marionnette, parce que Ichiji comprenait. Il comprenait ce que Père faisait, et à quel point c'était grandiose.
Lobbyiste engagé par Total afin de faire pression sur le gouvernement, pour éviter que des lois allant à l'encontre du système d'exploitation pétrolier ne soient mises en place.
Pendant que des milliers de personnes vivent dans des conditions désastreuses à cause de l'exploitation de leur pays.
Réellement grandiose.
Ichiji était mon aîné de presque trois ans, Niji d'un an et demi. Il restait mon petit frère, Yonji, qui n'utilisait sa tête que pour frapper celle des autres, donc pas très difficile de lui faire faire ce que l'on veut. Reiju était notre aînée à tous les trois, elle a presque quatre ans de plus que moi. Contrairement à ce qu'on pourrait croire, elle n'a pas intégré le système économique de la famille en premier, l'idée de faire de ses enfants des machines n'est venue à l'idée de Père que plusieurs mois après la naissance de Niji. Reiju ne donnait jamais son avis, elle ne suivait les paroles de Père uniquement pour ne pas se faire exclure du reste de la famille.
En suivant une chronologie logique, je devais être le suivant à suivre cet exemple. Mais suivre la lignée familiale, ça m'intéressait pas. Ce qui m'intéressait moi, c'était la cuisine.
J'ai toujours admiré les cuisiniers préparer nos repas dans leur cuisine, je les voyais comme des artistes qui mettaient au point une toute nouvelle œuvre d'art chaque fois qu'on leur réclamait à manger. Mes frères et ma sœur n'y passaient jamais beaucoup de temps, ils se contentaient d'entrer, de commander, et de sortir pour retourner dans leur chambre en attendant que ce soit prêt. Tandis que moi, j'adorais rester pour observer, je m'amusais à noter ou à réciter les recettes pour ne jamais les oublier. Parfois, je me faisais même expulser de la cuisine tellement j'y passais du temps le vieux Zeff, le chef des cuistots en quelque sorte, faisait mine de me réprimander pour qu'il puisse montrer que personne ne devait venir troubler les cuisiniers, alors qu'en fait, il était ravi de me donner des cours de cuisine dès que j'avais du temps libre. Après les moments que je passais avec Maman, c'était de loin les meilleurs que j'ai vécu dans ce fichu manoir.
Jusqu'à ce que Père l'apprenne.
C'était Niji qui était allé lui rapporter. Ou Yonji, je sais plus exactement. Que le jeune Sanji ne révisait pas pendant ses heures libres, qu'il passait tout son temps à se divertir avec les cuisiniers, à préparer à manger pour les souris qui peuplaient le manoir.
Un matin, Zeff est parti, ses valises sous ses gros bras et son sourire impossible à décoller. J'étais vraiment très triste, c'était la seule figure familière qui se rapprochait le plus d'un père de substitution pour moi. Je pensais m'être trouvé une famille parmi ces gens, avec une passion commune et une même façon de voir les choses. Je ne pense pas m'être trompé sur leur sujet. Quelques mois après, j'ai appris que Zeff avait ouvert son propre restaurant, le Baratie, quelque part dans un quartier de Marseille, et que ça marchait du feu de Dieu, alors j'ai été très content pour lui. Après son départ, je n'ai plus jamais remis les pieds dans les cuisines.
Parce que les seules heures de temps libre qu'il me restait, mes frères s'en servaient pour me taper dessus.
Je sais que dit comme ça, ça fait pas très esthétique, mais j'ai toujours comparé la maltraitance avec le célèbre Bolero de Ravel. La première mélodie est introduite par la flûte, qui sera répétée neuf fois, chaque fois un instrument s'y rajoutant. La deuxième mélodie est introduite au basson, et suit le même parcours que la première mélodie.
Et bien, la maltraitance, c'est un peu ça.
Un premier coup sera répété autant de fois que possible, jusqu'à ce que l'assaillant se fatigue, suivit d'autres coups plus ou moins forts. Variation des coups donnés, de l'intensité des coups, des mots, de l'ambiance, de tout.
La première fois que je me suis pris un coup, c'était par Yonji. En y repensant, je ne suis même pas étonné. Je ne me rappelle même plus pourquoi c'était d'ailleurs, je me rappelle juste que la famille entière avait éclaté de rire, ce qui avait déclenché mes larmes, pour finalement déchaîner la foule de plus belle. Après tout, quelle importance de savoir pourquoi, les garçons n'avaient même pas besoin de motif pour se déchaîner sur moi, c'était pas comme si j'allais me défendre de toute façon les heures passées à observer Zeff avaient servi d'heures d'entraînement au combat pour mes frères, et ils étaient devenus vraiment puissant. Yonji faisait ça pour s'amuser, quand il n'avait personne d'autre à taper, c'était moi qui prenais tout.
Mais Ichiji et Niji, eux, c'était différent. Ils n'avaient rien à voir avec notre petit frère, qui n'était qu'une brute bête et méchante. Mes deux grands frères faisaient mal. Mais pas bêtement, leur violence semblait avoir un sens pour eux qui m'était inconnu, comme s'ils jaugeaient leur puissance en me violentant au quotidien. Et moi, au centre, qui ne pouvait rien faire d'autre qu'encaisser, pleurer, supplier pour essayer d'attendrir le peu de compassion qui était censée se trouver chez mes aînés. Je ne pouvais pas me défendre, premièrement parce que je n'utilisais mes mains que pour cuisiner et pour rien d'autre, mais surtout parce que je n'avais ni la force adéquate ni le courage. Je continuais de pleurer, de supplier à chaque fois, de me pendre à leurs jambes pour qu'ils arrêtent. Des coups, encore, encore et encore, qui étaient devenus ma mélodie quotidienne, face à laquelle j'aurais été jusqu'à m'arracher les oreilles si cela pouvait m'empêcher de l'entendre.
Je faisais mon possible pour cacher mes marques, je portais des pulls et des jeans en pleine canicule, je prétextais des chutes maladroites quand l'infirmière du lycée passait son examen mensuel, je ne parlais plus à personne. Je me suis mis à craindre tout, le moindre bruit dans le manoir, le moindre regard de mes professeurs, le moindre chuchotement sur moi de la part des autres lycéens. Ils ne voyaient tous en moi que Sanji Vinsmoke, le troisième fils, qui vivait dans un palace, avait tout ce qu'il souhaitait, menait une vie de rêve.
Tout ce qu'il souhaitait. Je me suis mis à les mépriser. Comment pouvait-il savoir ce que je voulais, ce que je souhaitais du plus profond de mon âme ? Mes désirs s'aventuraient au delà d'une nouvelle paire de chaussure, d'un téléphone dernier cri ou d'une belle fille que je pendrais à mon bras pour me vanter. Je ne voulais pas de cela, je ne voulais pas de leur monde et de leurs préoccupations, rien de tout ce qui était normal, de ce qu'un adolescent était censé désirer.
Ce que je souhaitais le plus, le souhait qui occupait toutes mes nuits, responsable de mes pleurs, de mes angoisses, de mes craintes, ce n'était même pas que les coups de mes frères se stoppent, parce que je savais que ça ne servirait à rien. Leur violence était imprimée dans mon esprit jusqu'aux abîmes les plus sombres, et je ne pourrais jamais m'en défaire, et ce malgré les quantités astronomiques d'alcool que je vide chaque soir.
Retrouver ce visage, ces baisers chauds contre mes joues quand je m'endormais, ces mains douces qui séchaient mes larmes, ce sourire qui me donnait envie de gravir les plus hautes montagnes juste pour le voir s'éclairer. Un amour si pur et si fort, que je n'ai jamais pu porter à qui que ce soit d'autre, même treize ans après sa mort.
Ce que je souhaitais, et qu'aucun homme ne pourrait m'offrir, c'était de pouvoir serrer Maman dans mes bras, à tout jamais.
Maman était ma lumière, ma force. Elle avait un courage à en faire trembler la terre, un sourire suffisant pour éclairer la Terre entière. Elle me comprenait, elle ne m'a jamais reproché de ne pas être aussi fort que mes frères, contrairement à Père. C'était à elle que je faisais goûter les plats que je cuisinais, et même quand c'était infect, elle souriait et me félicitait d'avoir préparé quelque chose pour elle. C'est elle qui m'emmenait voir Zeff, qui m'amenait avec elle prendre le thé chez ses amies, qui m'apprenait à bien me comporter avec la gente féminine. C'est grâce à elle que je suis devenu ce que j'étais, un jeune adolescent avec des valeurs, prêt à tout pour défendre l'honneur et la vertu d'une demoiselle en détresse, souriant et humble, fier et heureux.
Le seul souvenir qu'il me reste d'elle, c'est le dernier jour que nous avons réellement passé ensemble, à la basilique Saint-Sernin. Maman voulait absolument y retourner, et moi, je n'y étais jamais allé. Elle commençait à être vraiment très fatiguée, alors une infirmière nous avait accompagné toute la journée. J'étais énervé par sa présence au début, même si j'étais on ne peut plus compréhensif, mais je voulais être le seul à pouvoir bénéficier de sa présence. Le sourire de Maman avait réussi me calmer, et nous étions rentrés dans la basilique. Elle était vraiment magnifique, et si j'avais pu le dire à Maman, je lui aurai dit mais elle m'avait dit de ne pas trop parler à l'intérieur, alors je n'avais rien dit.
Je ne me rappelle pas bien des détails, mais il y a une scène de cette journée, cette foutue scène, qui tourne constamment en boucle dans mon esprit, et qui ne cesse de me perturber quand j'essaye de dormir. L'infirmière nous avait laissé suite à la demande de Maman, et tous les deux, nous étions allés près du tombeau de Saint-Saturnin, et Maman m'a dit de prier. Je ne crois pas en Dieu, du moins plus maintenant, mais je m'étais exécuté sans dire quoi que ce soit, et j'avais fermé mes yeux en serrant mes mains. Je ne savais pas trop comment prier, alors j'avais demandé à Maman qu'est-ce que j'étais censé dire au seigneur, et elle m'avait répondu que je pouvais lui parler de tout ce que je voulais, de mes craintes comme de mes souhaits.
Alors j'avais refermé les yeux, et le message qui m'apparut comme une évidence, le seul souhait que je pouvais formuler, c'était que Maman ne meure jamais, qu'Il lui donne son immortalité pour qu'elle reste avec moi à jamais. J'avais prié fort, si fort, que j'en avais eu mal aux yeux tant je les plissais. Et une fois que je les avais ouvert, et que la seule chose que je pouvais voir, était ce tombeau majestueux et froid, j'ai pensé que bientôt, Maman pourrait être dans un tombeau de ce genre, et que je ne pourrais jamais plus l'avoir contre moi, à prier le bon Dieu. Et je l'ai regardé, ma mère, la femme de ma vie, et elle était si belle, si calme en train de prier, qu'elle me semblât être un ange. Sans la prévenir, je l'avais serré contre moi, de tout le peu de force que j'avais, et j'avais éclaté en sanglots. Je ne voulais pas qu'elle parte, je ne voulais pas qu'elle meure, je voulais qu'elle reste avec moi pour toujours, pour me protéger. D'un geste délicat, presque pur, elle avait relevé mon menton et séché mes larmes, et m'avait juré dans un de ses plus beaux sourires qu'elle serait toujours près de moi, d'une quelconque façon. Que peu importe où je serais, qui je deviendrais, elle serait à mes côtés. Et dans ce même sourire, elle s'était agenouillée pour être à ma taille, m'avait pris dans ses bras pour me consoler, et m'avait dit à quel point elle m'aimait. C'est le seul souvenir heureux passé avec elle dont je me souvienne.
Le lendemain, une nouvelle poussée lui retirait l'usage du bas de son corps et une grande partie de sa mémoire. Quelques jours plus tard, une autre crise lui arracha sa capacité à parler. Les médecins du manoir étaient formels : la sclérose en plaque allait achever ma mère à feu doux, sans aucune autre issue possible.
Les tuyaux, les machines avec leurs bips répétitifs, la lumière de la fenêtre de sa chambre, les murs si hauts et si blancs, les médecins, les nuits passées à pleurer sur un avenir incertain, le sourire et le regard de Maman qui me transmettaient tout ce qu'elle ne pouvait plus me dire par voix orale, alors qu'au fond, je ne savais même pas si elle se souvenait que j'étais son enfant. Maman, son visage, ses cheveux blonds comme le soleil, son sourire, ses yeux, elle. Le rayon de ma vie, l'origine de mon univers. Envolée en un soupir, un samedi matin de mars, quelques jours après mes dix ans.
Après sa disparition, tout, absolument tout, m'a littéralement éclaté à la gueule. J'ai passé une adolescence atroce, rythmée par les pleurs, mes notes catastrophiques, les coups de mes frères qui ont commencé et qui ne se sont jamais stoppés, les regards et les remarques au collège et au lycée. Ajouté à cela mon père qui pensait plus à ses enjoliveurs qu'à moi, je suis devenu une sorte de fantôme, invisible aux yeux de tous, mais bien présent. Et Maman qui me manquait cruellement, et mes frères qui me battaient constamment. La seule solution, c'était de mettre fin à cette réalité lamentable qu'était devenue la mienne, partir loin de ce monde devenu bien trop complexe pour moi, partir retrouver Maman.
C'est sur ce raisonnement que j'ai commencé à essayer de raccourcir. Plusieurs fois. La première fois, j'ai essayé avec des médocs, mais ça n'a pas marché. Je me réveillais toujours à un moment ou à un autre. Père ne s'en rendait même pas compte, il croyait que je refusais de sortir de ma chambre ou que je découchais. Le seul qui savait, c'était Niji, parce qu'il m'avait surpris en train de voler des gélules dans l'armoire à pharmacie, mais il n'a rien fait. Je crois que ça l'arrangeait lui aussi. Mais les médicaments ne faisaient rien, je ne trouvais jamais le repos éternel, chaque fois que je m'approchais du visage de Maman, je me réveillais en sueur dans mon lit, désespéré de ne pas avoir pu en finir. Et j'essayais, encore et encore, priant pour l'overdose médicamenteuse ou n'importe quelle autre connerie qui m'enverrait six pieds sous terre. Rien. Toujours et encore rien, comme si la Faucheuse elle-même se désintéresserait de moi. Et moi, je n'en pouvais plus. Je ne voulais plus vivre, plus rien.
Alors j'ai tranché. C'est assez pervers comme effet, c'est semblable à une coupure qu'on se serrait fait avec une feuille, mais en bien plus gros et plus douloureux. Il n'y a que très peu de douleur au début si on sait comment s'y prendre, alors la première fois que je l'avais fait, que je m'étais tranché les poignets, je n'avais presque rien senti. Mais après, quand la première sensation de brûlure m'a envahi, j'ai cru que j'allais littéralement mourir de douleur, que mon heure était finalement arrivée. Le seul point auquel je n'avais pas pensé, c'est qu'il avait bien plus de traces à effacer avec cette méthode, et pas des moindres. Même quand j'avais fait ma première fois avec mon ex, il n'y avait pas autant de sang. Et un autre problème qui m'avait échappé, c'était que les traces restaient aussi sur mon corps, et que comme le con que j'étais (et que je suis toujours), je m'étais tranché les poignets, mais je m'en foutais délibérément que le monde voit à quel point j'allais mal.
Mais finalement, j'aurais peut-être pas dû, parce que Reiju s'en est rendue compte. Ma sœur, ça a été la seule qui se préoccupait de moi, la seule qui voyait à quel point j'étais mal. Elle m'a fait jurer de ne plus jamais recommencer, et depuis ce jour, je ne l'ai plus jamais fait. Mais je ne lui ai pas promis d'arrêter les mélanges de médicaments, ni tout le reste.
Le reste, c'est l'alcool. Je me souviens précisément comment ça a commencé. Au lycée, quand des intervenants étaient venus faire une journée de prévention contre les effets de l'alcool sur le corps. Que si à court terme, la sensation pouvait être plaisante, on sombrait très vite dans la dépendance et la démence, et qu'au long terme, l'alcool détériore les cellules du foie. Et avec toutes les conneries que je prenais pour essayer de trouver le sommeil, ça ne pouvait être qu'un bon mélange. Que si je n'arrivais pas à trouver une solution immédiate à mon malheur, je me détruirais à petit feu.
Reiju a fini par le savoir, mais elle a arrêté de vouloir m'en empêcher quand elle a compris que son combat était moins fort que le mien. Elle n'a rien dit quand Père m'a fait partir de la maison, quand un soir de novembre, j'ai dû rassembler tout ce qui était entassé dans mon armoire dans une valise ridiculement petite, et que j'avais hurlé à mes frères qu'on aurait une place côte à côte en Enfer, avant de leur claquer la porte au nez. Reiju s'est rangée du côté des « vrais » Vinsmoke, sans dire quoi que ce soit, en parfaite muette. Je ne la blâme pas, au contraire, je la comprends je lui avais dit de ne pas prendre mon parti, inutile qu'elle soit elle aussi bannie de la famille parce qu'elle défend le mauvais frère qui refuse de rentrer dans les cases. C'est la seule qui a gardé contact avec moi. Des fois, elle passe me voir à l'appart', elle laisse des trucs à manger, elle nettoie et range un peu, me donne l'argent nécessaire pour que je puisse payer le loyer, l'électricité, le chauffage et l'eau, puis elle rentre au manoir sans jamais parler de sa venue chez moi.
L'appart'. Je sais même pas si on peut appeler ça un appart'. Un taudis plutôt. La lumière du salon ne marche pas, je crois d'ailleurs qu'elle n'a jamais fonctionné. Le salon n'en est pas réellement un aucun canapé en cuir, et aucune télé ni meubles pour décorer et me donner un statut de fils à papa que je pourrais avoir. Non, juste mon matelas en plein milieu, avec ma table basse et son pied cassé. Rentrer bourré et prendre la table pour le lit, c'était pas une idée lumineuse. Une seule autre pièce utilisée, la salle de bain, qui est tellement sale que l'eau qui sort du robinet et de la douche est couleur terre. Il y a aussi une autre pièce où j'aurais pu faire ma chambre, mais bien souvent, je n'ai pas la force d'aller jusque là quand je rentre, je m'écroule directement. Alors à la place, il y a une espèce d'armoire où je range le peu de fringues qu'il me reste, avec une machine à laver minuscule. La cuisine est juste à côté du salon, équipé avec le strict minimum, et ma seule assiette, mon seul verre et mes seuls couverts à leur place habituelle, dans l'évier. Heureusement que j'ai encore le frigo qui fonctionne la vodka chaude, c'est vraiment dégueulasse.
J'ai entendu une clé tournée dans ma serrure. J'ai voulu me lever pour essayer d'entrevoir quelque chose, mais le concert qui se déroulait encore à l'intérieur de ma tête – et que j'avais oublié – a atteint son apogée sans me prévenir et a déclenché un de mes vieux reflex favoris : courir vers ma salle de bain pour éviter de devoir nettoyer le sol « de bon matin » La porte de mon taudis s'est ouverte quand j'ai plaqué celle de ma salle de bain avec la même violence que celle que me portaient mes frères, et je me suis mis à vomir mes tripes comme je ne l'avais plus fait depuis longtemps, malgré le peu de chose que j'avais mangé la veille. C'était plutôt tout ce que j'avais bu qui sortait.
« - Saaanjiii ! a crié une voix pendant que j'enfonçais mes doigts au plus profond de ma gorge histoire d'être sûr de tout vider. Comment fais-tu pour vivre dans un environnement si petit ? »
J'ai toussé une dernière fois et me suis essuyé la bouche grossièrement avec mon bras avant de tirer la chasse une bonne fois pour toute. Sans prêter gare à la personne qui venait de pénétrer dans mon antre, j'ai ouvert à fond la vanne d'eau froide de ma douche – de toute façon, je n'avais plus d'eau chaude depuis un bon moment – et j'ai plongé ma tête dessous pour être complètement réveillé. J'ai attrapé une serviette à peu près propre et me suis dirigé vers la pièce centrale.
« - Seigneur Sanji ! m'a apostrophé cette intruse avant que je ne puisse faire un pas, et en même temps qu'elle me parlait, elle touchait mon visage pâle, mes cheveux et ma barbe, mes habits et tout le reste. Tu vas bien ? Regarde l'état dans lequel tu es, et tes habits ! Tu ne m'as pas appelé depuis quatre jours, j'ai cru que.. enfin, j'ai cru que tu.. »
J'ai attrapé ses poignets et les ai baissé de mon visage, et j'ai plongé mon regard dans ses yeux bleus, le même bleu que ceux de Maman, et je lui ai souris tendrement.
« - Tu as toujours eu de drôle de façon de dire bonjour. Comme à chaque fois que je faisais le mur, si je t'avais écouté, tu m'aurais mis une puce électronique pour savoir où j'étais en permanence. »
J'ai eu le droit à un doux regard qui est venu s'incruster dans le mien en retour, et un sourire tout aussi chaleureux qui m'a réchauffé sur le champ. Les traits de son visage se sont détendus, et des bras se sont glissés autour de mon cou tandis que j'essayais tant bien que mal de porter les miens vers sa taille. Si longtemps que je n'avais serré personne dans mes bras, si longtemps que je n'avais eu aucun contact humain.
« - Bonjour petit frère.
- Bonjour Reiju. »
Ma sœur a resserré son étreinte et je me suis perdu dans son parfum, dans cette odeur qui ressemblait à se méprendre à celui que Maman portait. J'aurais voulu que cet instant dure à jamais, que je reste enveloppé dans cette senteur qui me rassurait tant et qui me faisait me sentir invincible, mais Reiju a brisé cet instant en s'éloignant de moi, et ma triste réalité m'est réapparu devant mes yeux comme un éclair foudroyant. Reiju m'a observé de haut en bas d'un air triste, puis a détaillé l'appart' en soupirant, du même air.
« - Je sais, lui ai-je dis avant qu'elle ne prenne la parole. De nous cinq c'est moi qui ai la plus belle maison. »
Elle m'a jeté un regard sombre pendant que je rigolais à ma propre ironie, et je me suis dirigé vers le salon et écroulé sur le matelas pendant qu'elle se dirigeait vers les fenêtres. Elle a ouvert les volets en grand d'un seul coup, et la lumière du jour m'a quasiment aveuglé et j'ai plongé ma tête dans mon coussin pour m'en cacher. Reiju m'a arraché la couette, ce qui m'a fait pousser un gémissement d'enfant mécontent, et elle l'a secoué par la fenêtre un nuage de fumée poussiéreuse s'élevait à mesure qu'elle la secouait. Ça m'a fait sourire, elle pourtant, riait beaucoup moins.
« - Je peux savoir ce qui t'amuses ? m'a-t-elle demandé d'un ton autoritaire, le même que celui qu'elle avait enfant quand elle me grondait. Ça te plaît de vivre dans un tau.. dans une maison pareille ? Tu ne fais donc jamais le ménage ?
- Pour quoi faire ? lui ai-je répondu en me relevant. T'es la seule qui vient me voir, même la proprio rentre plus, elle se contente de frapper à la porte et me demande de lui passer le loyer sous la porte. Et à quoi ça sert de faire le ménage si c'est pour que ça redevienne le chaos le lendemain..
- Sanji, il faut que tu te prennes en main ! »
Elle a attrapé un paquet de feuilles et l'a posé sur le matelas près de moi pour s'y asseoir, avec une certaine réticence, mais elle s'est quand même assise. Elle a relevé quelques mèches qui cachaient mes yeux, et a continué sur un ton presque matriarcal. J'ai senti la colère me monter petit à petit.
« - Tu sais, je suis pratiquement sûre que nous sommes capable de tout si nous avons un minimum de volonté. Et puis, tu as les capacités pour réussir. Regarde toi, tu es jeune, charmant, intelligent, tu as tout pour réussir, il suffit juste de forcer un petit peu le destin. Je suis certaine que si jamais tu essayais de prendre un peu plus soin de toi et de l'endroit où tu vis, tu pourrais facilement te trouver un emploi stable, même si ce n'est qu'un CDD pour commencer. Quoi que, qui oserait proposer un CDD à un des fils de Judge Vinsmoke. Tu trouveras forcément quelque chose de respectable. »
Un des problèmes principaux de Reiju, c'est qu'elle était souvent maladroite dans ses propos. Je sais qu'elle n'est pas méchante et qu'elle ne cherche en aucun cas à me faire du tord, bien au contraire, mais parfois, j'ai l'impression qu'elle ne se rend pas compte de ce qu'elle dit, et encore moins à qui elle le dit.
Et là, elle a été maladroite. Très maladroite.
Elle a continué son monologue sur mon hypothétique ascension sur le marché du travail français, sur ô combien ce serait le b.a.-ba pour moi d'avoir un emploi, un bel appartement, et tout ce qui suit cette suite logique. Je l'ai coupé avant qu'elle ne parte trop loin dans son délire solitaire.
« - Depuis quand est-ce que je suis considéré comme un fils de Judge Vinsmoke ? »
Elle a stoppé son discours correctement établit d'un seul coup, avant même qu'elle ait fini sa phrase, en affichant un air surpris et incompréhensif, comme si elle cherchait le sens de mes mots. Elle avait l'air à la fois prise de cour et agacée que je lui ai coupé la parole. Je m'en foutais.
« - .. Que veux-tu dire par là ? m'a-t-elle finalement dit en replaçant ses cheveux correctement.
- Tu as dit, « qui oserait proposer un CDD à un des fils de Judge Vinsmoke ». Ce à quoi je te réponds : Depuis quand, est-ce que je suis considéré comme un fils de Judge Vinsmoke ? »
Ses lèvres rosées se sont ouvertes et refermées quelques secondes plus tard dans un soupir pendant qu'elle secouait légèrement sa tête, fermant ses yeux pour éviter de voir mon regard. Reiju a esquissé un sourire faible et s'est remise à me regarder, mais son sourire s'est rapidement effacé quand elle s'est aperçu de la dureté de mes yeux, de la colère qui se dégageait de mon regard.
Comment je pourrais être le fils d'un pareil monstre ? Comment est-ce que je pourrais me regarder dans la glace tous les matins, en me répétant fièrement que j'ai de la chance d'être un Vinsmoke ?
Je ne suis rien d'autre que le raté, l'échec de la grande lignée. Le bibelot en toc parmi les parures en or ornées de diamants. Le garçon qui a quitté sa maison.
J'ai tourné le dos à Reiju en repositionnant mon oreiller délabré, et après quelques minutes d'un silence de plomb uniquement coupé par nos respirations, ma sœur a posé sa délicate main sur ma tête, et m'a caressé mes cheveux sales et humides pendant plusieurs minutes. Ça m'a drôlement détendu mine de rien, c'était le geste que Maman faisait quand je n'arrivais pas à m'endormir quand j'étais petit, et Reiju le reproduisait à merveille. J'ai fermé les yeux et j'ai imaginé que c'était elle, que Reiju était Maman, mais je me suis dis que ce n'était pas très correct pour ma sœur qui tentait tant bien que mal de trouver sa juste place parmi cette famille de malades mentaux qui était la notre.
Quand le silence a commencé à peser trop lourd sur nous et que mes paupières se fermaient petit à petit, je me suis redressé en poussant sa main et je l'ai regardé de nouveau. Elle n'était ni triste, ni mécontente, juste ce teint neutre qu'elle arborait tout le temps.
« - Pourquoi t'es venue Reiju ? lui ai-je demandé en soupirant de nouveau.
- Quelle question voyons, m'a-t-elle répondu en replaçant ses cheveux, tu restes mon petit frère malgré tout. Et puis.. Père ne t'a pas oublié, tu sais. Il refuse catégoriquement qu'on enlève le tableau du salon, celui où nous sommes tous réunis avec Mère.
- Ça, c'est parce que c'est la seule photo qu'il lui reste de Maman en bonne santé, ai-je rétorqué en remettant ma tête sur mon coussin. Je lui ai volé toutes les autres.
- Certes, mais il aurait très bien pu te faire supprimer du tableau ou tout simplement l'enlever.
- Père me démontre donc l'amour qui me porte en autorisant mon portrait à rester dans le salon. Tu m'en vois comblé. »
Je me suis retourné complètement et ma sœur a soupiré bruyamment, en se levant cette fois-ci. Ayant compris que je ne changerai jamais d'avis, et qu'elle avait fini d'accomplir sa bonne action de la journée, elle a récupéré son manteau et l'a enfilé délicatement. Elle a recroisé mes volets avec douceur, sûrement qu'elle pensait que j'allais me rendormir (ce qui était juste), et elle a attrapé son sac-à-main ridiculement minuscule. Elle a jeté un regard à la fois dégoûté et attristé vers moi, vers ce tas de vie affalé sur un matelas qui pourrissait à mesure que mon âme et que ma santé, autant mentale que physique, se dégradaient. Ce tas de vie qui autrefois aurait tout tenté pour pouvoir la vivre, et qui ne souhaitait plus que s'endormir pour ne plus jamais se réveiller.
« - Bon, et bien.. Si tu me le permets, je vais retourner au manoir. Je t'ai laissé une enveloppe sur le comptoir, il y a assez pour le loyer et pour d'éventuelles courses, je viendrai te les faire en grand la semaine prochaine. » J'ai acquiescé d'un faible hochement de tête, mais son soudain air triste m'a obligé à garder mes yeux ouverts. « Promets moi que tu essayeras de ne pas trop acheter d'alcool, d'accord ? »
J'ai de nouveau acquiescé, et après m'avoir embrassé le front et pris dans ses bras, que j'ai serré aussi fort que si j'avais Maman entre mes bras, elle a claqué la porte de l'appart' et le bruit de ses hauts talons a raisonné dans l'immeuble entier.
Je me suis levé jusqu'au frigo que j'ai ouvert violemment, et j'ai attrapé une bouteille que j'ai à moitié vidé, partiellement dans ma gorge, essentiellement sur mes habits et le sol. J'ai fermé le frigidaire et me suis dirigé vers mon lit en titubant, ou j'ai vidé assez rapidement l'autre moitié, et je me suis affalé sur mon matelas, en respirant l'odeur de la vodka sur mon tee-shirt et du parfum de ma sœur dans mes cheveux.
J'ai toujours détesté mentir à ma sœur. Mais parfois, la vie est tellement laide qu'il vaut mieux la maquiller avec des mensonges.
C'est en pensant au visage de mon père et de mes frères brûler dans ce gigantesque château-fort de banalité et de vanité qui était autre fois ma maison que je me suis endormi. Je me suis réveillé dans la nuit vers minuit, et malgré une lutte acharnée contre mes idées noires, quelques somnifères sont allés rendre visite à l'alcool que j'avais ingurgité plus tôt, au fin fond de mon organisme. Et je me suis rendormi.
Et c'est avec un profond désespoir et cette habituelle envie de vomir, que j'ai émergé après un peu plus de quinze heures de sommeil, pleurant encore de voir que la Mort ne voulait toujours pas de moi.
Reiju est passée depuis plus d'une semaine, et elle n'est toujours pas venue remplir mon frigo. J'adorais aller faire les commissions avec Zeff quand j'en avais l'occasion, on traînait dans les rayons en tout genre, des légumes jusqu'aux yaourts, des biscuits apéritifs jusqu'aux congélateurs qui gardaient les glaces au frais ça ne me sert plus à rien d'y aller, j'arrive à tenir debout devant ma cuisinière environ huit secondes et demi, et encore, je suis généreux. Mais quand j'y vais pour acheter à boire, j'ai l'impression de voir le fantôme de moi enfant, courir entre les jambes des clients pour trouver ce que je cherche, et ça me rend profondément malheureux.
Je n'avais pas envie de rester seul ce soir-là, et avec le recul, peut-être que j'aurais dû, finalement. Après avoir pris une très courte douche froide qui a fait frissonné tout mon être, j'ai enfilé les seuls vêtements propres qu'il me restait, une chemise blanche froissée et un jean noir, et je suis sorti en ignorant cette voix dans ma tête qui me sommait de retourner à l'intérieur. Je suis descendu, et j'ai marché au moins dix minutes pour quitter ma rue légèrement moins délabrée que ma vie, et j'ai rejoint la place centrale de Toulouse.
J'ai ignoré la basilique comme j'ai pu, je ne tenais pas à voir défiler devant mes yeux l'unique souvenir qu'il me restait de l'amour de ma vie, j'étais déjà suffisamment déprimé au naturel. J'ai marché pendant plusieurs minutes, observant les passants un à un, allant des jeunes de mon âge qui parlaient entre eux, des familles qui dînaient au restaurant, des vieux qui jouaient à la pétanque. Je crois que voir le bonheur des autres m'a toujours rendu triste, parce que je ne cesse de m'imaginer que dans un monde parfait ou la sclérose en plaque et la maltraitance n'existent pas, j'aurai pu être heureux comme ces gens-là. Mais après tout, peut-être qu'ils ne vivent pas vraiment, peut-être qu'ils trichent, j'en sais rien.
C'est sur cette longue réflexion que mes pas m'ont amené à ma seconde maison, le bar de l'Arnaque.
Le bar de l'Arnaque a longtemps été pour moi un refuge. J'ai toujours apprécié la patronne, Shakuyaku (qui m'autorisa à l'appeler Shakky si je n'arrivais pas à prononcer son prénom bien trop compliqué), une grande femme aux cheveux courts mais au sourire bien plus long. Elle m'avait aperçut un soir quand je rentrais du collège, en pleurs parce que je ne voulais pas rentrer chez moi. Elle avait séché mes larmes et m'avait donné un grand verre de lait que j'avais bu d'une traite, et elle m'avait promis que le bar me serait toujours ouvert si j'avais besoin de me réfugier quelque part. Je crois qu'à cette époque-là elle ne savait pas à quel point j'allais prendre cette promesse au pied de la lettre, sinon elle se serait sûrement abstint. J'aime bien les personnes qui le fréquentent aussi beaucoup d'ivres rieurs, assez d'hommes venant se détendre après une longue journée de travail, et un seul alcoolique triste enchaînant les verres, moi.
J'ai poussé la porte d'entrée et me suis assis au comptoir comme d'habitude, j'ai salué quelques clients que je commençais à connaître et j'ai souri à Shakky qui essuyait des chopes trempées. Elle s'est approchée de moi d'un air tendre et a répondu à mon sourire avec une gentillesse remarquable.
« - Encore une dure journée mon chou ? m'a-t-elle demandé en même temps qu'elle mettait de l'ordre dans ses affaires. J'ai soupiré et me suis passé une main sur mon visage avant de lui répondre.
- Une dure nuit plutôt.. Non sers moi plutôt un whisky ce soir, l'ai-je interrompu alors que je la voyais attraper la bouteille de vodka la plus haut rangée. »
Elle a acquiescé avec le même air et m'a tendu un verre bien rempli que je n'ai pas réussi à boire d'un coup. En la regardant, je me suis demandé ce que Shakky savait sur moi, et ce que je savais sur elle. Je me suis vite rendu compte que je n'en savais presque rien, mis à part qu'elle avait fait de longues études de médecin légiste pour finalement reprendre le bar après la mort de son père, ce que je trouvais vraiment dommage. Mais elle, je n'avais aucune idée de ce qu'elle pouvait savoir ou s'imaginer sur moi. Elle devait avoir l'habitude de voir des malheureux noyer leurs souffrances dans l'alcool, mais moi, elle me voyait traîner ma poire depuis un sacré moment, alors qu'est-ce qu'elle pouvait penser de moi ?
J'ai fini mon verre en regardant d'un œil distrait la télé qui passait un match de foot et j'en ai commandé un autre juste après. Je sais pas ce que Shakky avait mis dedans, mais ils étaient sacrement chargés.
« - Tu as de quoi te nourrir dans ton appartement ? m'a soudainement demandé Shakky, si bien que j'ai dû lui faire répéter par peur de n'avoir pas compris. Tu maigris de plus en plus, je serai triste si un de mes clients les plus fidèles avait des problèmes de santé. »
Si seulement je n'avais que des problèmes de santé, ai-je pensé, mais je me suis contenté de lui sourire en lui répondant.
« - Ne t'en fais pas, ce n'est rien, tout ira bien d'ici peu.
- Tu sais, il y a toujours cette pièce de libre à l'étage. Si jamais tu cherches un travail et un logement, tu sais que tu peux t'adresser à moi.
- .. Merci Shakky, mais ça ira, je t'assure. » J'ai terminé mon whisky, et après qu'elle se soit dirigée vers d'autres clients avec son grand sourire, j'ai plongé ma tête dans mes bras en soupirant.
Shakky avait gardé la même gentillesse qu'à l'époque, mais je ne pouvais accepter son offre. Premièrement, parce que je ne supporte pas être redevable à quelqu'un. Mais surtout parce que dans mon appart', quelque soit son aspect, personne n'est là pour voir l'état dans lequel je me mets, personne n'est là pour voir mes sanglots quand je cauchemarde, personne n'est là pour voir les cachets partir dans ma gorge un à un. En réalité, je pense que ma solitude ne m'attriste même plus, elle en est même devenue atrocement banale. C'est surtout dans la nuit qu'elle me fait peur, je sais qu'elle attend calmement que je me réveille en sueurs pour me mettre un poing dans les dents. Mais je ne voudrais pas embêter Shakky avec mes histoires, elle qui se contente uniquement de faire son travail et de se montrer aimable.
Et soudainement, mettant fin à mes pensées sombres et à mes questionnements, une force inconnue a quasiment décroché la porte de son encadrement, laissant place à deux jeunes garçons, le plus grand des deux encore sous le choc, et le plus petit esquissant un sourire désolé.
« - Héhé.. a-t-il marmonné en se passant une main sur sa tête. Oupsi..
- .. Tu pouvais pas te contenter de juste pousser la porte ? lui a chuchoté le plus grand en balayant le bar du regard.
- Baah, au moins elle est ouverte. Et puis elle tient encore sur pied, par vrai ? »
Le petit a éclaté d'un rire d'une mélodie incroyable, comme si il lui sortait du cœur, tandis que l'autre a soupiré en cachant son visage dans ses mains, et l'ambiance du bar est vite revenue pendant qu'ils s'approchaient du comptoir pour commander.
Je ne saurai dire lequel des deux m'a le plus frappé. Sûrement le petit. Un portrait assez étrange, plutôt petit pour son âge avec une corpulence assez frêle, il devait avoir dix-sept ans à tout casser. Ses yeux marron étaient tellement grands que j'aurai pu m'y perdre dedans, et ils étaient éclairés d'une lueur malicieuse qui faisait plaisir à voir, avec un sourire tout aussi illuminant. Seule sa cicatrice sous son œil gauche venait rompre le charme, et son espèce de chapeau de paille qu'il portait sur sa tête soulignait encore plus ce côté enfantin que je lui donnais. Avec ce corps, il avait failli envoyer valser la porte d'un seul coup de pied, il m'a vraiment impressionné.
Et puis, y'avait l'autre. Pas de carottes dans les cheveux, bruns et un peu plus long que ceux de son acolyte, et qui, depuis ma place, avaient l'air d'une douceur exceptionnelle. Sa peau bien plus blanche était parsemée de tâche de rousseur qui le rendait non seulement adorable mais véritablement beau. Et ses yeux noisette, penchant plus sur le vert que sur le marron, lui donnaient un air à la fois sûr de lui, mais aussi très sournois et malin. Si on avait été au lycée ensemble, pour sûr que je l'aurais détesté, il semblait sortir d'un catalogue pour bonnes femmes, et c'était certainement pas le genre de type à rentrer seul le soir. Enfin, si il lui arrivait de sortir sans le petit..
Le grand a envoyé une tape sur la tête de l'autre qui en fit presque tomber son chapeau, ce qui a réveillé chez le petit une véritable révolte (comme quoi c'était son trésor et qu'il fallait y faire attention et bla et bla et bla), qui s'est calmé dès que le brun lui a promis que s'il se tenait bien ils iraient prendre une glace avant de rentrer. Il s'est avancé vers le comptoir et a souri à Shakky de toutes ses dents blanches.
C'était officiel, j'aurais littéralement haïe ce mec si on s'était connu quelques années plus tôt.
« - Bonsoir M'dame ! a lancé le plus jeune à Shakky. On voudrait deux choppes de bière et une bouteille de saké s'vous plaît !
- Certainement pas, a objecté l'autre en le poussant derrière lui. Un verre de rhum et une limonade, ça ira. » Il s'est retourné vers le noiraud qui protestait « Tu penses un peu à comment je devrais expliquer à Papa que je t'ai joyeusement laissé te bourrer la gueule si je te laissais boire tout ce que tu comptais commander ?
- Et alors ? J'ai dix-sept ans maintenant, moi aussi j'suis un grand !
- C'est ça c'est ça, ta limonade est arrivée. »
Le jeune adulte s'est quasiment jeté sur sa boisson d'une joie intense, si bien qu'il n'a même pas remarqué qu'il était royalement tombé dans le piège fourbe de son frère qui éclatait de rire en sirotant son rhum. Une fois qu'il avait compris, il a presque recraché toute sa limonade en criant sur son frère que ce n'était pas parce qu'il avait trois ans de plus que lui et qu'il était déjà majeur qu'il pouvait se permettre de faire le malin, ce qui a fait encore plus rire le plus vieux, et qui a même déclenché un rire de la part de Shakky. Il avait l'air de deux drôles de spécimens. Ils ont continué de parler entre eux tranquillement, mais je voyais que le plus vieux me jetait quelques regards de temps à autre. Moi je me suis contenté de continuer de boire comme si de rien n'était, de toute façon j'avais pas grand chose d'autre à faire.
L'aîné a demandé à Shakky si elle pouvait changer la chaîne et elle a zappé sur un documentaire animalier plusieurs clients ont montré leurs mécontentements, mais elle s'est justifiée en disant qu'un match de boxe arriverait juste après, et les remontrances se sont éteintes. J'ai jeté un œil vers la télé et m'y suis perdu, a observé les biches qui courraient avec leurs petits dans la forêt, dans un calme et une sérénité des plus totaux. Et subitement, un coup de feu – qui m'a fait sursauté – a retenti et un de ces magnifiques animaux est tombé au sol sans avoir le temps de comprendre quoi que ce soit. J'ai vu que le noiraud regardait le programme avec attention, tandis que son frère fixait le liquide dans son verre d'un air las.
« - N'empêche que, en y réfléchissant, la vie ne tient qu'à un fil, pas vrai ? »
Il a dit ça en se tournant vers moi, et j'ai dû réfléchir pendant plusieurs instants avant de répondre quelque chose de cohérent. Pour démarrer une discussion, j'avais connu moins philosophique.
« - .. C'est-à-dire ? lui ai-je demandé en apportant mon verre sur mes lèvres tandis qu'il se retournait complètement vers moi.
- C'est-à-dire que, regarde. » Il a désigné la télé de la tête et a reporté son attention sur moi. « Cette pauvre biche était tranquillement dans sa forêt, elle se baladait avec ses petits, se nourrissait, bref elle vivait sa vie sans s'inquiéter. Et juste parce qu'un simple homme l'a décidé.. Bam ! La mort. Comme quoi, on a beau croire qu'on est en grande sécurité, grâce à toutes ces forces de l'ordre, ces opérations tout ça.. Au final on est pas plus en sécurité que cette pauvre biche. »
Sans cesser de me regarder, il a continué de boire son rhum pendant que je méditais sur ces paroles. Il avait entièrement raison, on encadrait nos vies avec tous ces actes de soi-disant protection, alors que nous n'avons aucun réel contrôle sur notre existence. Si quelqu'un décide de profondément bouleverser nos vies, selon la manière dont il s'y prend, nous ne pouvons rien faire.
Cela m'a fait me souvenir de mes frères qui avaient soudainement choisis de se servir de moi comme bouc émissaire, et j'ai demandé à Shakky de me servir un autre verre que j'ai bu en tentant d'oublier. J'ai commencé à sentir les effets de l'alcool sur mon corps, toujours la même sensation mais à chaque fois ressentie d'une autre façon.
« - Qu'est-ce que t'en penses ? a reprit le brun en me regardant de nouveau.
- J'en pense que l'Homme est une belle enflure. Et qu'on peut rien faire contre ça.
- Ahah, t'as bien raison ! m'a-t-il répondu en riant de bon cœur. Ceci dit, j'pense pas que l'Homme soit profondément mauvais, on doit bien pouvoir faire quelque chose pour le changer, non ? Sinon on court tous vers la catastrophe !
- Oh, tu serais surpris de voir à quel point certains hommes peuvent être mauvais, lui ai-je rétorqué sur un ton hargneux. Suffit de regarder de plus près les dix dernières années, on peut pas dire qu'avec toutes ces guerres, ces massacres et ces attentats, l'être humain ait fait des miracles.
- Putain, j'ai jamais vu quelqu'un d'aussi déprimé ! m'a-t-il avoué en se penchant un peu plus vers moi. T'es bien trop jeune pour être aussi déprimé, t'as seulement quelques années en plus que moi ! Allez, je dirai que t'as, euh.. 21 ans ? Peut-être 22 ?
- 23.
- Ah, tu vois ! Bien trop jeune pour dire des paroles aussi triste. Madame, on pourrait avoir deux choppes de bière et une autre limonade pour le petit ? Faut qu'on arrive à faire sourire le blondinet ! »
Le blondinet en question l'a regardé de travers, mais l'a fait sourire pour la première fois depuis longtemps. Étrangement, j'ai eu envie de rire avec eux. Le petit a attrapé sa limonade et a rapproché son tabouret près de nous pour qu'on puisse trinquer tous ensemble.
« - Et à qui est-ce que je dois ces paroles pleines de bon sens ? ai-je demandé en esquissant un faible sourire. À force de rester seul, je n'en avais plus réellement l'habitude.
- Oh, j'en oublie le principal ! a-t-il remarqué en s'appuyant le front contre la paume de sa main. J'm'appelle Portgas D. Ace, et lui c'est Luffy, mon p'tit frère.
- Enchanté M'sieur ! »
Ace a attrapé nos verres et nous a servi en levant le sien vers le ciel.
« - Bon, et si on trinquait ?
- À quoi tu voudrais qu'on trinque ? s'est interrogé Luffy.
- .. On a qu'à trinquer à notre nouvel ami, qu'est c'que t'en dis ? a répondu Ace avant de se tourner vers moi. Alors, à qui est-ce qu'on trinque ? »
J'ai observé nos verres pendant un instant qui m'a semblé durer des heures, puis j'ai tourné ma tête vers Luffy et Ace qui me souriaient en attendant ma réponse. Sur un air plat et vide de sentiments, j'ai simplement répondu :
« - Sanji. Juste Sanji. »
Vers quatre heures du matin, après avoir passé la nuit à boire et à rire, Shakky nous a mis dehors Ace, Luffy et moi. Les deux frangins m'ont chacun chargé sous leurs épaules, et nous sommes sortis en rigolant de plus belle. Enfin, je pense que c'était plutôt moi qui riait, parce que je m'étais encore sacrément bourré la gueule. Mais cette fois-ci, je l'avais fait de bon cœur et non pas pour oublier ma piètre existence. Luffy s'est révélé être un garçon bien plus intelligent que ce qu'il n'y paraissait, même s'il n'a pas arrêté de s'exprimer comme un enfant, Ace m'a dit que c'était une sorte de dyslexie. Pourtant, je l'ai trouvé bien apte à s'exprimer : il m'a raconté qu'il rêvait depuis tout petit de monter un équipage de marins qui arpenteraient le monde entier, ce à quoi j'ai répondu que je lui servirais volontiers de cuistot. En parlant de ça, Luffy était un réel ventre sur pattes il est sorti à trois reprises nous chercher à manger, et a fini nos parts à chaque fois. C'est un garçon vraiment très sympathique.
Quant à Ace, il a été encore plus intriguant que je l'imaginais. Il m'a dit qu'il était dans une fac d'histoire pour devenir prof, mais il m'a vraiment scotché avec le nombre de connaissance qu'il a, il m'a donné l'impression de tout savoir. Il s'est montré très fusionnel avec son frère, comme deux jumeaux avec plusieurs années d'écarts. Luffy allait terminer sa dernière année de lycée et allait présenter le concours d'entrée à Sciences Po, pour faire un métier qui rendrait fiers ses parents, en tout cas c'est ce qu'il m'a dit. Quant à moi, j'ai menti en disant que je sortais d'une école de cuisine et que je cherchais à travailler dans un restaurant si Luffy s'est tout de suite montré émerveillé, Ace est resté sceptique mais n'a fait aucune remarque. Nous nous sommes contentés de passer une bonne soirée arrosée tous les trois.
Et donc, au petit matin, à l'heure où la ville se réveille presque, on était en train de marcher dans les rues de Toulouse avec un air joyeux.
Je me suis allongé sur un banc pendant que les garçons me regardaient en riant.
« - Allez Sanji-san, m'a dit Luffy en me tirant par le bras, faut que tu rentres maintenant !
- Oooooh alleeeez, ai-je répondu en me retournant sur moi-même, euphorique, on a bien l'temps d'prendre un dernier verre, heein Ace ?
- Très peu pour moi le blondinet, mes parents vont finir par s'inquiéter s'ils nous voient pas rentrer d'ici vingt minutes. T'as dit que t'habitais où déjà ? On va pas te laisser rentrer tout seul dans cet état quand même !
- Mais noooon, lui ai-je dit en tentant de me lever sans tomber. V-Vous.. Vous avez pas b'soin d'me ram'ner ! J-J'peux t-très bien marcher tout.. Tout seul.. »
J'ai manqué de tomber pendant que je parlais et les deux frères m'ont rattrapé en riant.
« - Allez redresse toi ! m'a ordonné Luffy. Bon, on te dépose où ?
- Aloors ! Il faut aller tout droit vers le bout de le bout du bout à gauche.. Ensuite, vous allez tout droit vers le chemin des oliviers..
- Chemin des-
- Chuuuut Ace tais toi !
- .. Donc. R-Rond point des oliviers.. vous tournez tout droit vers le route de l'arc-en-ciel !
- .. L'arc-en-ciel ?
- L'arc-en-ciel ! Rainbow !
- Depuis quand y'a un arc-en-ciel à Toulouse ? a demandé Luffy pendant que j'étais mort de rire à cause de l'alcool.
- Y'a pas d'arc-en-ciel abruti, il est complètement bourré ! lui a répondu Ace en me relevant. Viens, j'crois qu'il a dit qu'il habitait dans les vieux immeubles à dix minutes d'ici. »
Dix minutes d'ici si on se dépêche. Mais avec un mec complètement bourré et un ado de dix-sept ans qui cherche à manger tout ce qui bouge, en réalité, il vous faut une heure.
Le trajet s'est déroulé en plusieurs étapes : primo, j'ai eu une grande envie de pisser, et vu que je tenais à peine debout, Luffy et Ace ont dû m'aider à tenir sur pied, ce qui s'est conclut par : j'ai pissé sur les chaussures de Ace. Il s'est d'abord mis à hurler, puis quand il nous a vu Luffy et moi en train de se tordre de rire, il a commencé à rire avec nous. Ensuite, c'est Luffy qui a eu un problème, et pas des moindres, puisqu'il avait oublié son téléphone au bar cet idiot s'en est rendu compte uniquement lorsqu'il a voulu me filmer avec son téléphone pendant que je faisais de la balançoire dans le parc à côté de mon immeuble. Il nous a rejoint plusieurs minutes après, minutes durant lesquelles j'ai eu une conversation très philosophique avec son frère sur les fourmis et à quel point leur rôle est important dans leur fourmilière – et je suis sérieux – après quoi nous avons fini par arriver devant l'entrée de mon immeuble pendant que je me prenais pour Nougaro.
« - Allez Sanji on y est, m'a dit Ace en fouillant dans mes poches, où sont tes clés ?
- OOOOOH TOULOUUUUSEUH !
- Je crois que je vais le tuer, a-t-il dit à son frère qui a bravi avec fierté le trousseau qui se trouvait dans ma poche arrière. »
Luffy a ouvert la porte et nous nous avons pénétré l'immeuble en essayant d'être silencieux, et nous sommes rapidement arrivés devant la porte de mon immeuble, étant donné que je réside au premier étage. Les garçons m'ont aidé à marcher jusqu'à l'entrée et ont tenté de se faufiler dans mon chez-moi pour m'aider à me coucher. Mais la raison a rapidement repris le dessus sur mon ivresse, et je me suis rappelé de trois choses : 1) Mon appart' était d'une insalubrité inimaginable, ce qui signifiait que 2) Je n'attendais pas de travailler dans un restaurant, parce que 3) J'étais pauvre, dépressif, alcoolique et suicidaire.
Ma redescente sur Terre m'a frappé l'estomac avec une force incommensurable, tellement que mon ivresse s'est momentanément évadée pour laisser place à l'inquiétude et à la peur que mes deux nouveaux amis découvrent la vérité que je leur avais si bien caché.
Je les ai arrêté devant ma porte.
« - Bon, merci les gars p-pour.. pour la soirée on.. On garde contact, hein ?
- Quoi ? Mais on va pas te laisser là ! s'est écrié Luffy en me regardant. Tu tiens à peine debout ! Je veux être sûr que tu arrives jusqu'à ta chambre.
- Luffy, s'est interposé Ace en pausant une main sur son épaule, Sanji est fatigué et nous aussi. Il est arrivé devant sa porte, on devrait y aller non ?
- Oui, vos.. vos parents doivent sûrement s'inquiéter Luffy, on se reverra une prochaine fois.
- Quoi ? Mais Ac.. »
La voix de Luffy s'est éteinte dans sa gorge quand ses yeux ont croisé ceux de son frère qui avaient soudainement pris une teinte autoritaire. La mine joviale de Luffy s'est déformée pendant une fraction de seconde en une mine désappointée, mais il s'est finalement retourné vers moi avec son grand sourire qui avait fait son retour.
« - Bon, tu promets qu'on se reverra, hein ? Et fais attention à toi quand même, d'accord ?
- .. C'est promis. Merci les gars. »
Ace m'a adressé un salut avec ses deux doigts sur sa tête, tandis que Luffy m'a salué en agitant ses mains dans tous les sens. Je les ai observé sortir tous les deux de mon immeuble, et ils ont disparu derrière les murs des rues de Toulouse.
Quant à moi, je suis rentré dans mon appartement dont l'odeur de moisissure m'a automatiquement saisi le nez, et je me suis dirigé dans le salon après avoir fermé derrière moi. J'avais un mal de tête astronomique, et pour la première fois depuis longtemps, je n'avais pas envie de boire. Mais revoir l'appart', mes cours étalés, mes fringues, les bouteilles vides, le matelas, mon reflet dans le miroir.. Tout ce que j'avais oublié en une soirée m'est revenu à la figure comme un éclair. J'ai revu le sourire d'Ace et j'ai cru entendre le rire de Luffy à travers les murs, et je me suis finalement écroulé sur mon matelas en étant à la fois très heureux de cette soirée, mais totalement déprimé par l'existence que je menais.
Avec le recul, j'aurai dû rester chez moi ce soir-là.
POV inconnu :
Dix minutes après leur message, les deux mômes sont apparus sur la place centrale. Je voyais déjà d'ici la gueule du plus petit déformé par je ne sais quelle putain d'émotion, et j'en avais strictement rien à foutre. À cet instant, la seule chose qui m'importait, qui nous importait tous, c'était ce que nous étions venus chercher.
Les gosses sont montés dans la voiture en même temps, et on a démarré une fois que les portières étaient fermées. J'ai insisté pour conduire, hors de question que l'autre tarée avec son chapeau soit au volant de ma caisse.
« - Alors ? a-t-elle demandé aux deux gamins en se retournant vers eux. L'adresse c'est quoi ?
- Alvida, je croyais t'avoir déjà demandé de mettre ta ceinture et de ne pas te retourner quand on se trouve dans ma voiture, ce n'est pas prudent.
- Ça va détends toi un peu ! Alors l'adresse ça vient ? »
J'ai vu dans le rétroviseur le brun tendre un papier à Alvida qu'elle m'a donné après l'avoir ouvert. C'était une adresse simple, pas difficile d'y accéder, très peu de population, et dans un quartier des plus pourris de Toulouse. Un job simple, discret, rapide et efficace.
Portgas s'est appuyé contre son siège et a fixé par sa vitre, pendant que son frangin tirait une gueule de huit pieds de longs.
« - Un problème Mugiwara-ya ? »
J'ai senti l'intégralité de son corps se tendre d'un seul coup, et en jetant un rapide coup d'œil dans le rétroviseur, j'ai vu sa figure se tordre dans une expression de gêne mélangée à de la peur, de même pour son soi-disant frangin. Je savais qu'ils ne s'attendaient pas à ce que je prenne la parole, vu à quel point j'adore l'ouvrir, Alvida me regardait d'un œil curieux mais je savais qu'elle était aussi surprise que les gamins. J'ai fixé Mugiwara dans le rétro, il savait pertinemment que s'il ne me fournissait pas une réponse d'ici les dix prochaines secondes, c'est moi qui irais la chercher, mais à en juger par les regards fuyants qu'il m'envoyait, je crois qu'il cherchait plutôt à éviter de m'énerver.
Son frère lui a assené un coup de coude dans les côtes pour le forcer à parler. Bonne initiative Portgas, t'étais bien placé pour savoir c'qu'il arrivait quand je m'énervais.
« - Beh.. c'est que, a balbutié le noiraud en évitant de me regarder.. On s'est bien amusé, mais il ressemble pas du tout à un fils de bourge, il a plutôt l'air pauvre et triste.. Et.. il avait l'air g..
- Il avait l'air ?
- .. Il avait l'air gentil, a-t-il fini par avouer dans un murmure à peine perceptible. »
Ah, la bonne affaire. Le blondinet avait l'air gentil. Il aurait pu être le petit fils de Gandhi que ça m'aurait autant importé.
Je me suis pas fait de soucis pour lui, je savais qu'il apprendrait par ses dépends qu'une tâche est une tâche et qu'on doit l'appliquer, peu importe la possible gentillesse de notre proie.
Un rictus s'est étiré sur mon visage tandis qu'Alvida ricanait d'un air sombre, et j'ai dirigé de nouveau mon regard sur la route en appuyant de plus belle sur la pédale. Le soleil qui se levait, la route qui nous appartenait, Toulouse qui nous écrasait. On était loin de le savoir, mais la pire galère de nos vies ne faisait que commencer.
J'ai répondu à Mugiwara d'un ton certain et solennel :
« - T'en fais pas va, tu risques de le revoir plus vite que prévu. »
Et nous nous sommes élancés sur l'autoroute.
Et c'est finiii ! Je vous laisse patienter avec ça jusqu'au prochain chapitre ^^
J'vous fais plein de bisous,
Zodiaaque.
