Son visage ridé était plus blanc que l'écume. L'homme, ou du moins ce qui avait été un homme jadis, se tenait debout dans la neige, ignorant la morsure glacée des vents du grand Nord. De par son torse dénudé et exposé, il semblait railler l'hiver même. Une large épaulière épousant parfaitement son épaule massive, soutenait une large bandoulière en fourrure masquant partiellement l'origine d'une imposante cicatrice traversant son abdomen. Une blessure d'un autre âge, une blessure d'une autre vie. Un souvenir de sa mort et de ce qu'il avait été. Un souvenir macabre de l'être qui fût à la fois son père et son pire ennemi. De mémoire d'homme, aucun être vivant n'avait fait couler autant de sang qu'il n'en avait fait couler. Ses mains calleuses, boursouflées par d'innombrables batailles, avaient pris plus de vie qu'il n'avait effectué d'inspiration. Au sens propre comme au sens figuré, la mort elle-même avait succombé à ses coups. Ni l'autre monde, ni le destin, ni même les volontés divines n'avaient pu stopper son inassouvissable soif de sang.

Son visage plus dur que le métal, était marqué par une imposante cicatrice traversant son sourcil droit et s'achevant sous son orbite. Un souvenir laissé par celui qui devint son premier maitre Arès. L'architecte de sa propre destruction. Le Dieu de la guerre d'un monde désormais oublié l'avait façonné comme de l'argile, modelé, conditionné pour devenir une arme vivante, un objet de destruction destiné à pourfendre le père des cieux lui-même. Le résultat avait dépassé ses attentes les plus folles. Arès n'avait pas seulement crée un guerrier impitoyable, il avait œuvré sans le savoir à l'avènement d'un monstre plus terrifiant encore qu'il ne l'avait jamais été. Il avait nourri un feu ardent qui dans sa soif de vengeance avait noyé la création dans un océan de sang et de souffrance. L'esclave d'Arès devint le destructeur du monde, il surpassa son propre maitre en matière de folie et de destruction et le terrassa, s'emparant par la même occasion de son trône. Une ironie tragique que les autres Dieux perçurent trop tard comme le début de la fin.

Sa peau blanchâtre marquée par le temps et d'innombrables cicatrices, contrastait avec un énigmatique tatouage plus rouge que le sang. Le tatouage s'enroulait tel un serpent ensanglanté autour de la partie gauche son corps. Prenant son origine sur l'œil gauche du guerrier, le tatouage traçait un sillon sanglant tout autour de l'épaule, du bras et du flanc gauches. Illustrant à merveille sa peau cendrée, ce tatouage sanglant fût la dernière vision d'innombrables légions d'âmes damnées. Un memento mori inscrit sur la peau d'un fantôme. Une barbe massive d'un brin sombre masquait ses joues et sa bouche, laissant toutefois apparaitre ses fines lèvres gercées. Depuis sa plus tendre enfance, la rage avait déformé sa bouche. D'aucuns l'avaient vu, toute sa vie durant, hurler sa haine à la face des cieux. Il semblait presque que le ciel eut jugé bon de le doter d'une bouche dans le seul dessein de lui permettre de rugir. Il avait vécu plus longtemps que le plus vieux des hommes, pourtant il ne pouvait se remémorer ne serait-ce qu'un seul instant où il avait souri. Même les rares et précieux souvenirs heureux qui erraient quelques fois sporadiquement dans ses pensées se faisaient l'écho de la tragédie qu'avait été sa vie. Il avait connu l'amour, la joie de donner la vie, l'amitié, la gloire. Quelques instants de clarté dans une éternelle nuit d'agonie et de haine. Le guerrier releva ses mains et contempla ses bras puissants. Ses muscles autrefois capables de mouvoir des montagnes se tendirent en protestant. Il avait vieilli, il n'était plus que l'ombre du guerrier indestructible qu'il avait été jadis. Toutefois même l'ombre de ce qu'il avait été éclipsait de loin la force des plus téméraires guerriers et la puissance des monstres les plus terrifiants que cette région avait à offrir. De larges bandeaux gris et crasseux protégeaient ses avants-bras, dissimulant les marques des chaînes qui l'avaient asservies la moitié de sa vie.

À ses pieds, gisaient dans la neige souillée par le sang, le cadavre mutilé d'une immense bête humanoïde. Une sorte de géant lui rappelant les innombrables cyclopes qu'il avait occis dans une autre vie. La créature était, à la différence du cyclope, pourvue d'une paire d'yeux et de deux paires de cornes courbées, formant des arcs de cercle dont les extrémités pointaient vers le ciel. De ce qu'il avait entendu dire, les habitants de ce pays nommaient ce type de créature « troll ». Les cornes de la bête devaient bien dépasser 3 pieds. Toute en muscles, la bête faisait bien à vue d'œil le triple de la taille du guerrier. Ses muscles puissants semblaient capables d'arracher les arbres du sol. Ses bras étaient plus larges que le torse d'un homme et l'expression bestiale de la bête aurait fait pâlir le plus intrépide guerrier avide de gloire. L'homme à la peau cendrée avait pourtant pourfendu la bête avec une facilité surréaliste. Allongée sur le dos, la bête sans vie gisait désormais dans son propre sang, maculant ainsi le sol enneigé de ses fluides corpotels. Une hache à deux mains au tranchant enchantée lui avait fendu le crâne en deux. La hache avait tracé un sillon sanglant, presque régulier, sur le front de la créature séparant le crâne en deux. La cervelle de la bête en bouilli était visible à l'œil nu. Le guerrier cendré renifla. De sa main gauche, il attrapa la poignée de la hache et l'extirpa d'un coup sec du crâne de la bête. Le tranchant de la hache ornée de rune irradiait d'une lueur bleutée. Le guerrier rangea sa hache dans un étui situé derrière son dos et se détourna du cadavre de son adversaire défunt.

-« Cela ne se peut ! Tu as pourfendu cette bête sans aucune aide ! » Clama une voix laissant transparaitre l'incrédulité de son propriétaire.

Le guerrier tatoué tourna subitement la tête. Un homme barbu venait de faire son apparition à quelques pas derrière lui. De par son apparence, l'inconnu devait être un natif de ces contrées. Il portait une tunique orange, surplombée par un long manteau en peau de bête qui couvrait ses larges épaules. Un ensemble d'anneaux dorés maintenaient sa tunique en place. L'inconnu devait avoir la trentaine. De longs cheveux Aubrun tissés en tresse exposaient son ample front. Son nez camus surplombait une bouche fine perdue dans une barbe en broussaille. À sa ceinture était suspendu un lapin mort. Il devait probablement s'agir d'un chasseur. Ce dernier darda l'homme tatoué d'un regard où se mélangeaient confusion et fascination. De sa main gauche, il tenait fermement un arc en chêne. Le chasseur avait encoché une flèche mais n'avait cependant pas pointé son arme en direction de son interlocuteur. Par réflexe, le guerrier cendré leva son avant-bras, cherchant à saisir la poignée de sa hache. Comme s'il avait lu dans ses pensées, le chasseur s'empressa de replacer sa flèche dans son carquois et de déposer son arc sur le sol. Devant l'attitude méfiante de l'inconnu à la peau blanche, il leva ses deux mains en signe de paix et s'efforça de sourire amicalement.

-« Hola étranger ! Après t'avoir ainsi vu terrasser ce monstre, je serais bien sot de te chercher querelle. Je viens en paix, je le jure sur les noms de mes pères. »

Le guerrier hésita un bref instant, puis au soulagement du chasseur relâcha ses muscles et écarta sa main de la poignée de sa hache magique. Aussi enthousiaste que circonspect, le chasseur s'apprêta à interroger l'homme quand ce dernier l'interrompit d'une voix rauque et tranchante.

-« Proviens-tu de l'un de ces villages au nord ?

-Si fait ! Je me Osfrid Folanson. Voilà plusieurs mois que le troll que tu viens pourfendre s'en prenait à notre bétail. Je m'étais porté volontaire pour dénicher l'antre de la bête.

-Seul ? » Répondit d'une ferme l'albinos en relevant un sourcil.

-Voilà des années que je chasse en ces bois. J'ai fait miens la plupart des mystères qui hantent ces forêts. De par mon expérience de la région et mon naturel silencieux j'étais le candidat idéal pour repérer l'antre de la bête sans me faire prendre. Mes semblables auraient alors envoyé les plus valeureux guerriers de notre clan éliminer ce monstre qui rode depuis bien trop longtemps près de nos contrées. Tu imagines sans mal ma surprise lorsque j'ai posé les yeux sur toi. J'ai vu bien des guerriers croiser le fer et affronter des bêtes sauvages mais jamais je n'avais vu un homme dotée d'une telle force et se battre avec une telle férocité. Tu m'évoques les guerriers berserkers issus des légendes. Des combattants sans pareil, livrant bataille avec une furie destructrice indescriptible. Puis je connaitre ton nom étranger ? »

L'homme tatoué le regarda d'un air sévère, il semblait hésiter.

-« Mes semblables m'appelaient Kratos jadis. » Lâcha-t-il comme si le simple fait de donner son nom semblait lui en coûter.

-« Kratos ? Un nom qui inspirera moult ballades assurément. Lorsque je narrerais la façon dont tu as massacré le troll je puis te promettre que les bardes….

-Non ! Garde ce que tu as vu pour toi ! » L'interrompit Kratos d'une voix autoritaire.

-« N'as-tu pas soif de gloire et de renommée, étranger ? Pourquoi ainsi taire ton triomphe ? »

Osfrid s'interrompit, les bandeaux entourant l'avant-bras du guerrier cendré s'étaient relâchés. Kratos releva son avant-bras et entreprit de réenrouler les bandeaux autour de sa chair mortifiée. Le chasseur remarqua que l'avant-bras de son interlocuteur portait de profonds stigmates, comme si la chair avait été marquée au fer rouge.

-« Ces marques… Serais-tu un esclave en fuite ? »

Kratos leva les yeux vers le chasseur et le regarda intensément.


Le jeune capitaine spartiate vaincu et brisé leva une main ensanglantée vers les cieux. Sa vie semblait s'échapper de son corps, de même que ses rêves et ses ambitions. Il gémit et gargouilla une supplique déchirante vers le ciel rouge comme un feu ardent.

-« Arès ! Détruis mes ennemis et ma vie t'appartiendra ! » Hurla-t-il de tout son être.

Peu lui importait le prix à payer, peu lui importait de savoir qu'il venait de définitivement sceller son destin à jamais. Vaincu, il avait éprouvé le goût amer de la défaite, le sentiment insoutenable de la honte et la douleur lancinante que lui inspirait sa propre impuissance. Peu lui importait de perdre son âme ou sa liberté. Aucun prix n'était trop lourd à payer pour se délester de sa faiblesse. Il pouvait déjà sentir l'étreinte glacée de la mort se refermer sur lui. Désormais tout son être se tournait vers son Dieu. Tout ce qu'il avait été, était et deviendrait ne reposait plus qu'entre les mains ardentes de l'incarnation de la guerre qu'il vénérait tant.

Comme une réponse à sa supplique, les cieux se déchirèrent. Le ciel semblait saigner d'une plaie béante, tandis que le monde autour de Kratos perdait ses couleurs. Le fil même de la réalité semblait se tordre en protestant tandis qu'une silhouette cauchemardesque s'extirpa de la plaie béante formée dans le ciel. Le Dieu de la guerre descendit dans ce monde tel un météore. Ses bras occultaient le ciel, même les plus hautes montagnes semblaient insignifiantes face à son indescriptible stature. Son armure était plus noire que l'encre, ses décorations semblaient avoir été forgées par des mains célestes. La longue chevelure d'Arès brulait comme un soleil. Tellement insignifiant face à la divinité, le spartiate senti tout son être frémir. Ses muscles refusèrent de lui obéir mais il trouva néanmoins la force de s'agenouiller devant son Dieu. Ses genoux et ses mains embrassèrent la poussière dans un bruit sourd. Il se redressa. De sa taille immense, le Dieu de la guerre le toisait comme attendant un hommage.

-« Ma vie t'appartient ! » Proclama Kratos d'une voix résolue.

-« Le pacte est scellé ! »

La voix caverneuse d'Arès fit trembler la terre. Il leva sa gigantesque main vers la fissure qu'il avait laissée dans le ciel. Des harpies en sortirent, tenant dans leurs serres deux lames scintillantes liées par de longues chaines. Les lames du Chaos, forgées au plus profond des enfers. Les harpies lâchèrent les lames qui se dirigèrent vers le Spartiate comme animées d'une volonté propre. Kratos poussa un cri inhumain quand les lames du Chaos s'enroulèrent autour de ses avants bras et que les chaines lui brûlèrent les chairs pour se lier jusqu'à l'os. Les lames faisaient désormais partie de son être au même titre que le cœur qui battait dans sa poitrine. Un rappel permanent de son serment envers Ares.


Kratos enroula son bandeau autour de son avant-bras sans répondre, dissimulant ainsi les marques que les chaines qu'il avait portées dix années durant avaient laissées sur sa chair. Voilà des années qu'il s'était libéré des lames lorsqu'il avait terrassé Arès. Une autre vie. Pourtant encore aujourd'hui, il sentait encore leurs morsures. Il lui semblait parfois que les chaines des lames n'avaient jamais réellement quitté ses avants bras. Le chasseur le regarda d'un air dubitatif. Kratos soupira et lui adressa un bref non de la tête.

-« Il me faut rentrer. Tu n'as qu'à revendiquer la mort de la bête ! »

-« Quoi ? » Hoqueta Osfrid. « Ce serait un déshonneur impardonnable que de s'approprier pareil exploit ! Comment pourrais-je donc profiter d'une gloire que je n'ai en aucun cas méritée ? Et quand bien même mon âme serait assez vile pour que je m'accapare ainsi les mérites d'un autre, nul au village ne me croirait. D'ailleurs, je n'ai même pas pour habitude de manier la hache ! » Protesta le chasseur indigné.

-« Invente une histoire alors. Si ton honneur est capable de vivre avec.

-Ta réticence à voir tes exploits être narré m'est encore plus mystérieuse que ta véritable nature, étranger ! Serais tu un fugitif craignant de voir sa véritable identité dévoilée ? » Riposta le chasseur en croisant les bras.

-« Crois ce qu'il te chante, cela m'importe peu ! » Lâcha le guerrier en haussant les épaules.

Kratos se retourna et s'enfonça dans les bois, laissant derrière lui le chasseur à ses interrogations. Sortant de sa perplexité, Osfrid s'élança à sa poursuite en l'interpellant d'une voix presque affolée :

-« Attends étranger ! Peux-tu au moins me dire de quelle contrée viens-tu ? Ou as-tu appris à te battre ainsi ? Les tiens sont-ils tous aussi puissants que toi ? Et quand est-il de la pâleur de ta peau ? Les tiens ont-ils eux aussi la peau blanche ? »

Kratos s'arrêta brusquement alors même que le chasseur le rejoignait. Il détourna la tête.


Le spartiate tomba à genoux horrifiés. Il regarda ses mains maculées de sang incapable d'accepter la scène qui se jouait devant lui. Même ses pires cauchemars lui semblaient légers face à la réalité qu'il tentait de fuir en cet instant. À ses pieds gisaient deux corps fendus baignant dans une flaque de sang. Une femme et d'une jeune fille, toutes deux terrassées dans la douleur et l'incompréhension. Sa famille. Sa propre femme, son propre enfant. Lysandra et Calliope, les deux êtres qui comptaient pourtant le plus à ses yeux. Kratos contempla avec horreur ses mains souillées par le sang des siens. Il avait commis l'impensable, il avait accompli le plus effroyable des crimes. Il approcha ses mains indignes du corps de ses victimes. Il souleva le corps sans vie de sa femme.

-« Ma femme….mon enfant….Elles étaient à Sparte ! » Murmura-t-il incrédule. « Cela ne se peut ! Arès ? ARES ! »

Son hurlement de désespoir fit trembler jusqu'aux fondations du temple irrémédiablement souillé par ses péchés. Tel un songe, son Dieu lui apparut. Le regard plus ardent qu'un soleil, Arès contempla son élève avec un mélange de satisfaction et de fierté. Avant même que l'incarnation de la guerre ne lui révèle la vérité, Kratos sut quel tour cruel lui avait joué le destin. Les tripes du parricide se nouèrent lorsque la voix inhumaine de son maitre siffla à ses oreilles.

-« Tu évolues tel que je l'avais imaginé Kratos. Maintenant que ta femme et ta fille ne sont plus, nul ne pourra te retenir. Nul ne te détournera de ce que tu es destiné à devenir. Tu deviendras plus fort encore ! Tu deviendras la mort en personne ! »

Kratos perdit la notion du temps. Il ne sentit même plus le corps tendre et brisé de sa femme entre ses mains. Il ne sentit plus le sang de sa fille s'agglutiner près de ses genoux. Il ne ressentait plus rien. Il avait découvert le véritable visage du maitre qu'il avait juré de servir envers et contre tout. L'être à qui il avait offert sa vie l'avait damné à jamais. Pire que tout, il sut au plus profond de lui-même qu'il en était responsable. Il ne se souvint pas d'avoir enterré les cadavres refroidis de sa famille. Il ne se souvint pas d'avoir rampé hors du temple. Il ne se souvint pas d'avoir hurlé le nom d'Arès à genoux mais il se souvint d'elle. L'oracle, cette vieille sorcière décrépie à la peau d'ébène. Avant de pénétrer tant le temple, elle lui avait semblé être tellement frêle qu'il n'avait même pas jugé bon de prendre sa vie. Emmaillotée dans sa toge blanche, la vieille femme se tenait pourtant devant lui fière et digne. Une aura providentielle, presque divine émanait de cette vielle carcasse desséchée. Elle tendit un doigt osseux et accusateur vers le Spartiate et le damna avec l'autorité du destin.

-« À partir de cette nuit, la marque de votre crime sera visible par tous ! » Caqueta la vieillarde. « Les cendres de votre femme et de votre fille resteront collées sur votre peau. Jamais elles ne s'en iront !

Les cendres se soulevèrent comme animées par une volonté propre et se déversèrent sur le guerrier, recouvrant chaque parcelle de son épiderme. La peau rendue désormais blanche comme la neige, le fantôme de Sparte naquit en cet instant. Désormais nul ne pourrait ignorer le monstre sans âme qu'il était devenu.


Kratos serra les poings, le chasseur barbu le dévisageait avec curiosité attendant visiblement une réponse que le Spartiate n'était pas disposé à lui donner.

-« Non. » Répondit simplement il avant de poursuivre sa route.

Osfrid hésita un bref instant, constatant la nature patibulaire et renfermée du guerrier. Il allait visiblement devoir user de trésors de persuasion pour lui tirer les vers du nez. Quoique tout bien réfléchie, le chasseur jugea préférable de ne pas irriter davantage le guerrier au vu de la façon particulièrement brutale dont il avait occis le troll.

-« Tu n'es visiblement pas disposé à te confier soit ! Serais-tu au moins disposer à te désaltérer en ma compagnie ?

-Je n'ai que faire de pareilles futilités !

-Holà mon ami ! Qu'il n'y ait point de méprise entre nous. Je ne te propose pas d'aller te soûler dans la taverne la plus proche en ma compagnie, simplement de faire une petite halte avant de poursuivre ta route. Je dispose d'une cabane isolée non loin d'ici. La vigne pousse mal dans nos contrées ce qui nous oblige à importer le vin provenant d'autres régions. Tu le devineras sans mal, ce breuvage est un privilège réservé aux riches. Toutefois mon frère m'a rapporté une barrique d'hydromel lors de son dernier raid. Bien qu'alcoolisée, c'est une boisson produite à base de miel, réputée pour donner l'éloquence et la robustesse. Daigne au moins prendre une choppe en guise de cadeau de bienvenue. Il ne serait pas dit que j'ai si mal accueilli en nos contrés un aussi valeureux guerrier ayant occis le troll qui nous accablait ! »

-« J'apprécie ton sens de l'hospitalité mais la mort du troll était bien peu de chose.

-Comment ? » Hoqueta le chasseur hilare avant d'éclater d'un rire gras. « Terrasser un colosse haut comme trois hommes est un piètre exploit à tes yeux ? Aurais-tu par le passé occis des créatures plus grosses et terrifiantes encore ? »

Kratos leva les yeux au ciel.


Le tonnerre retentit épousant le fracas retentissant de la mer en furie. Le navire oscillait de-ci de-là telle une coquille de noix. La tête majeure de l'Hydre éclipsait le mat du navire. Son majestueux cou noueux se dressait telle une tour immense. La bête poussa un rugissement qui fit frémir les cieux. Ses yeux reptiliens fixèrent le minuscule guerrier à la peau cendrée défiant la bête titanesque en brandissant ses insignifiantes lames. La créature ouvrit sa gueule béante qui semblait pouvoir engloutir le monde et dévoila d'immenses rangées de dents affutées pareilles à des lames aussi grandes qu'un homme adulte. L'Hydre était assez massive pour engloutir le navire d'une seule morsure, pourtant le Spartiate perché sur le nid-de-pie du mât persistait à défier la bête sans montrer la moindre peur. Le guerrier cendré tendit ses puissants bras en hurlant et fit effectuer un arc de cercle aux longues chaines scellées dans ses chaires. Reliées par les chaines, les lames du chaos s'enfoncèrent dans les sinus de la bête cauchemardesque. Cette dernière poussa un cri de surprise, tandis que le métal infernal traversa sans mal les cavités de la bête. Le Spartiate resserra ses poings et tira de toutes ses forces sur les chaines de ses lames.

La créature abasourdie par l'improbable force herculéenne de son adversaire fut attirée vers l'avant, les lames toujours enfoncées dans ses sinus. Le guerrier sauta de sa position et dans sa chute tira de toutes ses forces sur les chaines. La bête résista un bref instant avant d'être tiré vers l'avant. La mâchoire ouverte du monstre alla s'empaler sur le mât. Ce dernier traversa avec une violence inouïe la boîte crânienne de l'Hydre et ressortit par l'œil libérant ainsi une nuée sanglante. Atterrissant brutalement sur le sol sans pour autant souffrir du moindre dommage, le Spartiate tira derechef sur ses chaines attirant la tête de la bête plus encore plus en bas. L'Hydre gigantesque émit un dernier râle plaintif avant de rendre l'âme.


-« Une choppe, une seule. Après quoi je reprendrais ma route. » Répliqua sèchement Kratos sur un ton qui ne souffrait d'aucune discussion.

-« Tu sembles bien pressé mon ami. Serais-tu attendu quelque part ?

-Oui par mon fils.

-Ah tu as un fils ? Est-il…

-Montre-moi la voie en silence ! » L'interrompit Kratos excédé par la curiosité du natif.